Déclaration de M. Louis Mermaz, ministre de l'agriculture et de la forêt, sur la réforme des politiques agricoles dans les pays de l'OCDE, Paris le 27 mars 1992.

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Circonstance : Réunion des ministres de l'agriculture de l'OCDE, Paris les 26 et 27 mars 1992

Texte intégral

Je me félicite de la tenue de cette réunion, la première de ce type depuis dix ans, qui permet aux ministres de l'Agriculture de l'ensemble des pays-membres de se rencontrer et d'avoir un débat sur l'avenir de ce secteur.

Trois thèmes sont inscrits à notre ordre du jour, et je les aborderai successivement en commençant par l'état d'avancement de la réforme des politiques agricoles dans l'OCDE.

Depuis 1987, les pays de l'OCDE sont tombés d'accord pour affirmer la nécessité d'une réforme des politiques agricoles visant à réduire progressivement les aides publiques à l'agriculture et donnant une plus grande place aux signaux du marché. Le consensus portait également sur le fait que cette réforme devait être progressive et concertée, et qu'elle devait prendre en compte les préoccupations relatives au rôle économique et social des agriculteurs, à la sécurité alimentaire, à l'aménagement rural et à l'environnement.

Le secrétariat de l'OCDE constate cinq ans après, que la réforme des politiques agricoles progresse plutôt lentement. Nous devons bien sûr essayer d'expliquer cette situation.

Il me semble que la lenteur des progrès constatés par le secrétariat peut s'expliquer en premier lieu par la sous-estimation des difficultés.

Si nous voulons que nos prises de positions, dans une instance de concertation comme l'OCDE, servent à quelque chose, il faut éviter tout dogmatisme. De ce point de vue, le catéchisme libéral n'aurait pas plus de valeur que n'en a eu finalement en d'autres lieux le dogme de la planification intégrale. Nous devons être pragmatique, ce qui signifie en particulier tenir compte des délais nécessaires aux adaptations, car chacun est sensible à l'aspect social de la question.

La communauté européenne compte actuellement 8 millions d'agriculteurs. Les agricultures des États membres sont très différentes dans leur structure, leur niveau de développement et leur degré d'ouvertures.

Il ne peut donc pas y avoir de réponse unique à des situations aussi contrastées, sauf à provoquer des crises sociales d'une extrême ampleur et à déclencher des phonèmes de désertification d'une ampleur sans précédent.

Un autre facteur d'explication du rythme de mise en œuvre de la réforme agricole réside sans doute également dans l'excessive polarisation des négociations multilatérales sur le dossier agricole. Loin de permettre une mise en œuvre rapide des mesures d'adaptation, la tournure prise par les négociations du GATT a favorisé les crispations de part et d'autres, d'autant plus que certaines initiatives, au nombre desquelles la mise en cause à deux reprises du dispositif européen d'aide aux oléagineux par un panel, accentuent le caractère conflictuel de ces négociations.

Comment ne pas rappeler que la Communauté européenne est le premier importateur de produits agricoles dans le monde ? Ses importations agricoles se sont élevées à 63 milliards de dollars en 1990 et 37 milliards en provenance des pays en voie de développement. Les droits de douane sont généralement faibles.

J'ajouterai un mot s'agissant du GATT. On y a beaucoup trop parlé d'agriculture et pas assez des autres sujets – les services, la propriété intellectuelle, la libéralisation des conditions d'investissement, les règlements des différends – pour lesquels un accord doit être recherché par les parties contractantes. La France et la Communauté sont prêtes à un accord pour peu qu'il ne s'éloigne pas des objectifs de la négociation : libéraliser les échanges et parvenir à une réduction progressive et équilibrée des soutiens à l'agriculture, et non pas encadrer, rigidifier, bureaucratiser les échanges.

J'en viens maintenant au second thème de notre réunion.

Ce qui a changé depuis 1987, c'est que le débat sur la nécessaire réforme des politiques agricoles a intégré progressivement de nouvelles préoccupations. D'une conception se réduisant à l'aménagement de mécanisme de régulation des marchés agricoles, nous sommes passés à une vision plus globale donnant sa place notamment au souci de mieux aménager le territoire et de préserver l'environnement.

Le projet de réforme de la politique agricole commune dont nous discutons actuellement cherche à répondre à ces préoccupations. Si nous adoptons un système d'aides moins lié à la production et à sa croissance, la logique économique rejoindra les soucis environnementaux. En effet, nous favoriserons le développement d'une agriculture utilisant mieux les facteurs de production et respectueuse de l'environnement.

C'est également parce que nous voulons protéger l'environnement que nous souhaitons développer les biocarburants, c'est-à-dire l'utilisation de la production agricole comme source d'énergie. Là encore les préoccupations économiques rejoignent les préoccupations écologiques.

S'agissant du développement rural, je voudrais simplement indiquer qu'en dépit de la place essentielle occupée par les agriculteurs dans le monde rural, il s'agit de moins en moins d'un problème spécifiquement agricole. Les agriculteurs représentent un tiers de la population rurale. Le développement rural reposera donc nécessairement sur des projets globaux intégrant tous les acteurs du monde rural, mais sans négliger le rôle fondamental que continueront de jouer les agriculteurs.

Enfin, en ce qui concerne les rapports entre les pays de l'OCDE et ceux qui n'en font pas partie, je ferai deux remarques.

La première c'est que la Communauté européenne n'a pas à rougir de son bilan. Elle a passé de nombreux accords avec des pays ou des zones géographiques en voie de développement qui la conduisent à leur acheter deux fois plus qu'elle ne leur vend. Cela n'est bien entendu pas suffisant, mais l'avenir de ces pays, comme celui des pays d'Europe centrale et orientale, ne sera pas assuré simplement par une ouverture aussi large soit-elle des marches des pays développés, européens notamment. Il faut leur permettre aussi de valoriser convenablement leurs productions dans le cadre de ces échanges. De plus, les pays développés ont la responsabilité d'établir et de mettre en œuvre un programme concerté d'investissements à destination des pays en voie de développement. Sans oublier naturellement la nécessaire aide alimentaire qui ne constitue pas une solution à long terme, mais une réponse indispensable aux solutions de détresse.