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Q - Deux députés, François Goulard (DL) et Renaud Muselier (RPR), viennent de présenter une proposition de loi pour supprimer l'ENA. Cette initiative vous amuse, vous agace ?
Elle me paraît l'illustration parfaite de ce que je ne veux pas faire. Il faut, quand on parle de l'ENA, quitter le domaine de l'irrationnel pour répondre à des problèmes concrets. L'ENA reste une belle école d'application pour le recrutement et la formation des cadres supérieurs de l'administration. Elle doit néanmoins s'adapter aux objectifs du gouvernement en matière de réforme de l'Etat. L'administration doit être plus proche des citoyens, plus moderne, plus efficace, mieux déconcentrée. Ceci ne réussira pas sans la participation de l'ensemble des fonctionnaires et surtout sans une implication forte de l'encadrement supérieur.
Q - Diversifier le recrutement de l'ENA est une vieille lune. Vos propositions de réforme prétendent s'y atteler. Que comptez-vous faire ?
Le recrutement est insuffisamment ouvert sur la diversité de la société française. Son caractère trop homogène, le modèle Sciences-Po-Paris, le moule unique, ont été à juste titre critiqués. Il faut donc diversifier les profils des candidats. L'équilibre entre candidats issus des différents concours (1) n'est pas remis en cause. Il s'agit simplement de bien prendre en compte la diversité des formations et le talent des uns et des autres. Prenez par exemple le deuxième concours, qui souffre d'un déficit d'attractivité. Nous allons permettre aux candidats, grâce à une épreuve spécifique, de valoriser vraiment leur expérience professionnelle antérieure.
Q - Le rapport Puybasset insistait sur la nécessité d'attirer des étudiants issus de l'université. Comment y parvenir ?
Il faut pour cela renforcer les préparations aux concours dispensées dans les régions, où les instituts d'études politiques travaillent déjà avec les universités. Il faut que ces centres atteignent des seuils critiques. Je ne sais pas si on aboutira à quatre, cinq, six ou huit pôles régionaux, mais l'idée est de faire émerger la province.
Q - Les élèves ont encore récemment exprimé des soucis quant au déroulement de la scolarité…
C'est sur cette question que nous sommes le plus attendus. Il faut casser l'image, d'ailleurs caricaturale et injuste, de l'énarque bien formé mais détaché des réalités. Il faut qu'à la fin de la scolarité les élèves soient beaucoup plus ouverts aux préoccupations du terrain et aux attentes de leurs concitoyens. La première idée consiste à mieux articuler les stages et les études pour qu'ils puissent confronter ce qu'ils ont appris avec ce qui se passe réellement dans la société. Deuxième thème : comme on a beaucoup glosé sur l'obsession du classement, nous voulons réduire de manière drastique, de 13 à 7, le nombre d'épreuves prises en compte dans le classement. Et un poids plus important sera donné aux notes, évacuées par un jury, de stages. Une fois établi le classement final, il faudrait prévoir une période pour permettre à l'intéressé de se préparer au poste qu'il occupera.
Q - Vous insistez aussi beaucoup sur l'enseignement du management.
Nous préconisons le regroupement des enseignements autour de trois matières : les techniques du management et les questions européennes et internationales. En 1997, il n'existait aucune épreuve portant sur la gestion des ressources humaines. L'ENA doit impérativement prendre cette dimension en compte. L'administration n'a pas encore assez pris conscience de l'importance de la gestion des ressources humaines. Les entreprises, les collectivités qui marchent bien l'ont compris depuis longtemps. Les élèves de l'école aussi. Il faut maintenant passer aux actes.
Q - Vous n'êtes pas le premier à vouloir réformer l'ENA. Pourquoi cette énième tentative serait-elle la bonne ?
Cette évolution devrait être bien accueillie par les élèves, comme par les administrations, acquises aux principes de la réforme de l'Etat. Les jeunes de l'ENA aspirent à vivre dans la société. Ils demandent une diversification des expériences. Ils savent qu'un parcours aseptisé ne leur sera pas profitable.
Q - La double localisation, à Paris et à Strasbourg, fait aussi l'objet de critiques récurrentes.
C'est une situation que l'histoire et une décision formelle prise par Edouard Balladur ont créée. Ce n'est pas le problème essentiel. La situation présente des avantages – diversité des enseignants, confrontation à des réalités différentes, proximité des questions communautaires – qu'il faut valoriser. Et des inconvénients, des contraintes matérielles pour les élèves que je m'efforce de limiter.
(1) Premier concours (50 % des postes) : étudiants de moins de 28 ans ; deuxième concours (40-45 %) : agents publics ayant cinq ans d'ancienneté ; troisième concours (5-10 %) : candidats de moins de 40 ans justifiant de huit ans d'ancienneté professionnelle ou exerçant un mandat électif local.