Interview de M. Hervé Baro, secrétaire général du Syndicat des enseignants, dans "Le Monde" du 24 mars 1999, sur le soutien du SE-FEN à la réforme de l'enseignement et ses relations avec les autres syndicats enseignant notamment son opposition au "discours dogmatique néo-bourgeois du SNES".

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès du Syndicat des enseignants (SE-FEN), à Poitiers du 23 au 26 mars 1999

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - A l'ouverture de votre congrès, qui marque la septième année d'existence du SE-FEN, quel jugement portez-vous sur la situation du système éducatif ?

- Sept années, c'est jeune pour une organisation, mais suffisamment long pour faire le point sur les avancées et le terrain qu'il reste à conquérir. Nous sommes dans une période charnière où il s'agit de conduire à leur terme les embryons de réforme annoncés par le ministre.

Q - N'est-il pas un peu simpliste, dans un débat éducatif aujourd'hui complexe, de vous ranger dans le camp des réformateurs et de rejeter le SNES (Syndicat national des enseignements de second degré), dans celui des conservateurs ?

- Le débat éducatif est en effet complexe et les enseignants ne sont pas à classer entre rénovateurs et conservateurs. En revanche, les directions syndicales ne peuvent être classées que dans un camp ou dans l'autre. Il y a d'un côté ceux qui militent pour une réelle transformation du système éducatif et ceux qui s'opposent, à partir du discours dogmatique néo-bourgeois du SNES et de la FSU [Fédération syndicale unitaire] à toute tentative de réforme. Je ne peux donc faire de l'échiquier syndical actuel dans l'éducation nationale qu'une lecture manichéenne. Il y a le camp de ceux qui détiennent le savoir et qui ne veulent pas le faire partager au plus grand nombre, mais surtout à ceux qui sont issus des classes sociales les plus défavorisées.

Q - Ne pratiquez-vous pas la surenchère en raison des élections professionnelles qui ont lieu en décembre ?

- Il y a, dans ce contexte, une volonté de clarification. De plus, dans une société qui a tendance à avoir une vision réductrice des débats, il est inévitable que nous ayons cette attitude. Nous essayons de montrer que le débat autour de l'école peut être pluraliste et non dogmatique. Nous y sommes parvenus avec le SGEN-CFDT et d'autres associations, de gauche comme de droite. Malheureusement, je constate que certaines organisations continuent à avoir une vision dogmatique, ce qui nous oblige à ce positionnement aussi radical.

Q - N'êtes-vous pas gêné d'être le principal soutien de Claude Allègre, alors que vous représentez à peine 10 % des professeurs de l'enseignement général du second degré, et qu'une bonne partie d'entre eux honnissent le ministre de l'éducation ?

- Je refuse de m'inscrire dans ce débat des pro ou des anti-Allègre. L'avenir politique du ministre de l'éducation nationale m'importe peu. Ce qui m'intéresse c'est le devenir de l'école. Cette question n'est pas liée au score que l'on fait, mais à l'opinion que l'on exprime. On prend en compte dans les débats de société l'avis de formations politiques ou même syndicales qui sont moins importantes que la nôtre. Il reste que l'attitude des enseignants vis-à-vis du ministre est similaire dans le premier et le second degré. Il y a un problème de méthode sur lequel le ministre ferait bien de s'interroger. Il serait dommageable que des réformes passent à la trappe pour des questions de méthode.

Q - La FSU propose un débat national sur l'école pour sortir de la crise. Qu'en pensez-vous ?

- Un débat national est nécessaire, à la condition qu'il porte sur la finalité de l'école et non simplement sur un embryon de réforme comme celle du lycée. En posant ainsi le débat, on redonne la parole à l'opinion publique, en dessaisissant les enseignants d'une partie de la leur. Ce n'est pas plus mal, mais il faut être prêt à en accepter toutes les conséquences. Je pense, en particulier, que vont se poser des questions de moyens et de réformes structurelles profondes. Si, comme je le pense, l'opinion considère que l'école doit préparer les jeunes à affronter le monde de l'emploi, il faudra bien que l'on s'interroge sur les meilleurs moyens d'y parvenir. Et que l'on s'accorde sur les façons que l'on a d'aider les élèves les plus en difficulté.

Q - Espérez-vous, en décembre prochain, retrouver votre place de première organisation du premier degré, désormais occupée par le SNUipp ?

- Je l'espère et je le crois. Nous tendons la main à celles et à ceux qui partagent les mêmes convictions que nous sur les transformations du système éducatif. Par une démarche de terrain, nous voulons faire partager aux enseignants l'ardente obligation de changement qui s'impose à l'école et à notre métier. Pour le moment, sur le plan des alliances syndicales nous n'avons pas de suites précises, mais nous ne désespérons pas de conduire les organisations réformatrices dans une sorte de front des forces de progrès incluant notamment le SGEN-CFDT, qui serait plus offensif dans la bataille des prochaines élections ».