Texte intégral
L'Hebdo – Divers observateurs ont jugé le congrès, « historique ». Partagez-vous cette appréciation ?
Bernard Thibault – Tout le monde l'a relevé, ce congrès a été marqué par la capacité des délégués à réfléchir et à élaborer ensemble sur toute une série de sujets, à partir de points de vue pas toujours identiques. Des opinions différentes se sont exprimées sur la démarche syndicale, la situation économique et sociale, les lignes d'actions de la CGT. Progressivement nous avons dégagé une stratégie syndicale, au final largement approuvée. Partant de positions diverses, nous avons pu forger une démarche commune. Ce n'était pas gagné d'avance et c'est la confrontation des arguments des délégués qui a permis au congrès de mûrir sur ce que devrait être l'orientation de la CGT.
C'est l'affirmation de cette dynamique dans un congrès de la CGT qui mérite peut-être d'être qualifiée d'historique, comme aussi, et les deux faits sont liés, la place occupée par les délégués des syndicats. Nous avons connu d'autres assemblées où les opinions différentes étaient davantage portées par des responsables nationaux, des dirigeants confédéraux, qui échangeaient des arguments, devant les délégués des syndicats. Pour cette édition, les représentants de syndicats ont prononcé 201 interventions. C'est plus du double du précédent congrès. L'argumentation nous vient des forces vives de la CGT.
Historiquement enfin, le congrès l'a été certainement sur la place nouvelle que peut occuper la CGT à l'échelle internationale et notamment sur le terrain européen. Nous sommes à la veille d'un rendez-vous très important. Notre entrée à la CES. Les débats, les réflexions, les prises de positions se sont conclus par un positionnement très clair autour du texte d'orientation et par l'accueil chaleureux du secrétaire général de la CES. Cela témoigne d'une organisation qui souhaite participer à la construction de l'Europe sociale. Avec notre sensibilité CGT, nous voulons affirmer davantage notre présence dans le paysage syndical européen.
L'Hebdo – Considérez-vous que la rédaction finale du document d'orientation a dû en rabattre sous le poids des 2800 amendements ?
Je ne crois pas. Le texte consistait moins à demander l'adhésion des syndiqués à quelque chose de très élaboré, contenant toutes les facettes de notre activité, qu'à favoriser le débat, la réflexion. Nous l'avons voulu un peu « provocateur » sur certains aspects, pour qu'un certain nombre d'échanges puissent avoir lieu dans nos organisations. Nous n'avons pas souhaité nous limiter à l'expression d'accords ou de désaccords, même si certains se sont prononcés sur cette base. Le texte comprenait un très grand nombre d'interrogations. Quelles initiatives adopter pour favoriser la syndicalisation ? N'avons-nous pas de réformes à entreprendre sur le système de collecte des cotisations syndicale ? Des structures de syndicats ne nécessitent-elles pas des adaptations, pour répondre à l'évolution du périmètre des entreprises, au développement de la sous-traitance et de la précarité ? Certains cloisonnements professionnels ne sont-ils pas des handicaps à l'adhésion des salariés ? Nous sommes allés à la pêche aux opinions, aux propositions. Naturellement, le document a provoqué plus de réactions que les précédents. Des militants, des syndiqués ont exprimé franchement leur hostilité ou leur adhésion à certains passages du texte. D'autres ont souhaité enrichir la réflexion, sur des sujets qui n'étaient pas abordés ou apporter des réponses aux questions posées.
L'Hebdo – Un article est passé de justesse. Avec la mise en oeuvre des organisations, le plus dur ne reste-il pas à venir ?
C'est l'article qui fait état des campagnes communes de syndicalisation avec d'autres organisations. Nous en sommes restés à une formule interrogative. Cela se pratique déjà. Bien que ce ne soit pas l'axe essentiel par lequel on souhaite renforcer la CGT, il n'en demeure pas moins que toutes les confédérations sont confrontées au faible taux de syndicalisation dans le pays. Cependant, il risque de passer un peu d'eau sous les ponts, avant que les confédérations nationales n'envisagent de mener ensemble des campagnes de renforcement, mais nous avons besoin de discuter avec nos homologues de la nécessité de réhabiliter le syndicalisme par tous les moyens.
L'Hebdo – Plus largement, ne risque-t-il pas d'y avoir des poches de résistances dans la CGT ?
Les délégués au congrès ont un rôle très important à jouer. Ils ont exprimé avec beaucoup de force, de fidélité à leur mandat, les opinions dont ils étaient porteurs, pendant la semaine du congrès. Les organisations doivent maintenant leur donner les moyens, de restituer la pensée collective qui s'est dégagée au congrès, le contenu des débats, les raisons des décisions et des initiatives adoptées par le congrès. Il ne faudrait pas, comme cela arrive parfois, que le document dorme au fond des tiroirs, et que l'on se prive de la réflexion du congrès et des transformations à opérer à tous les niveaux de l'organisation, en terme de fonctionnement et de démarche syndicale. Ici ou là, il est sans doute possible de trouver des organisations qui ne partagent pas encore pleinement certaines décisions du congrès. La vie va nous contraindre à ne pas perdre de temps pour la mise en oeuvre de l'orientation définie par les délégués. Ce sont eux qui étaient habilités à la préciser, à l'adopter par un vote, qui engage toute la CGT. Le congrès était l'occasion de préciser la démarche CGT à tous les niveaux, confédération, mais aussi fédérations, unions locales et départementales, syndicats. Je pense que beaucoup d'organisations ont besoin de réfléchir à leur fonctionnement, à la démocratie, au débat. Il faut se sortir des cercles de dirigeants qui prétendent détenir la vérité révélée, et mettre les syndiqués en capacité de prendre les décisions.
La CGT a démontré sa volonté d'aborder les vraies questions, de s'ouvrir à d'autres. Nous devons prendre rapidement des dispositions précises, pour profiter de l'écho très positif du congrès et proposer aux salariés, hier encore hésitants, de nous rejoindre pour concrétiser les ambitions qui sont les nôtres aujourd'hui.
L'Hebdo – À propos des objectifs de la CGT, on a envie de vous demander si la confédération a maintenant la direction de ses ambitions ?
C'est l'avenir qui le dira. La moitié des membres de la commission exécutive sont de nouveaux élus. La féminisation est importante. C'est 43 femmes et 47 hommes, je pense qu'on peut utiliser le terme de parité. Le bureau confédéral est renouvelé dans la même proportion et transformé dans sa conception. La moitié de ses membres continueront à occuper leurs responsabilités, dans leurs organisations d'origine. Nous avons amplifié un principe retenu au 45e congrès. Notre principal souci est d'avoir une direction qui tente bien le rythme, le sens des évolutions, une direction suffisamment en prise avec ses organisations, pour avoir les bonnes impulsions, au bon moment.
L'Hebdo – Les hommes et femmes sont quasiment à parité dans la direction confédérale. Espérez-vous un effet d’entraînement ?
L'objectif de parité, que nous nous sommes fixés collectivement, n'est pas un geste symbolique, mais un acte politique, permettent à la CGT d'être en phase avec les salariés d'aujourd'hui. Pour que cette volonté se concrétise effectivement, il faut créer les conditions pour permettre aux militantes d'assurer des responsabilités dans l'organisation. Ce n'est pas sans poser certaines questions, y compris d'ordre pratique. Dans la société française, la charge familiale continue de peser plus lourdement sur les femmes que sur les hommes. Pour autant, il ne faut pas en conclure qu'il faille chuter sur le même objectif pour toutes nos organisations. Dans une fédération correspondant à une branche professionnelle où les femmes sont peu nombreuses, la constitution d'un organisme de direction composé à part égale d'homme et de femme serait artificiel et pour tout dire n'aurait pas grand sens : la question posée dans une telle organisation serait plutôt, déployons-nous assez d'efforts pour faire progresser la mixité dans la plupart des métiers de notre branche ? Si la décision du congrès peut nous aider à regarder ce que nous devons faire bouger dans nos prochain congrès, d'UD, de fédération, si cette question est abordée avec plus d'aisance, plus de liberté qu'auparavant, la décision du congrès aura eu un effet d’entraînement bénéfique.
Objectif – Il faut créer les conditions pour permettre aux militantes d'assurer des responsabilités dans l'organisation.
L'Hebdo – Du côté des revendications, que va produire le congrès ?
Maintenant que nous avons défini nos orientations et nos objectifs. Nous allons préciser les repères revendicatifs de la confédération. Comme pour le document d'orientation, nous souhaitons avoir une élaboration par un aller-retour confédération-syndicats. Ensuite, chacun doit pouvoir traduire ces repères en revendications plus précises, adaptées à sa situation professionnelle, sa localité, sa catégorie. Ils n'ont de valeurs que s'ils servent pour les mobilisations. Si c'est pour avoir une bible inefficace dans la construction des mouvements revendicatifs, c'est du temps perdu.
L'Hebdo – Justement, des dossiers urgents se présentent, les 35 heures avec la deuxième loi, le débat sur les retraites. Comment allez-vous faire ?
Nous devons montrer que nous ne sommes pas prêts à accepter des approches que nous avons contestées par le passé. Sur les retraites, la campagne d'affolement prend maintenant la forme d'une campagne de culpabilisation. Tant sur le temps de travail que sur les conditions de rémunération et les retraites, de fausses informations, de fausses analyses sont présentées sur le secteur public, la fonction publique. Cette bataille contre les fonctionnaires et leurs régimes de retraites constitue une diversion escamotant la question de la place faite aux salariés dans le partage des richesses. D'aucuns préfèrent entretenir une ligne de clivage entre privé et public, pour masquer la véritable ligne de fracture qui sépare les salariés du capital. Nous avons besoin de faire la lumière sur la réalité des inégalités sociales et de déjouer toutes les manoeuvres de division.
L'Hebdo – L'initiative interprofessionnelle adoptée par le congrès va servir ce projet ?
Le rendez-vous interprofessionnel unitaire nous permet de réaffirmer le besoin d'une large mobilisation, pour obtenir d'autres types de décisions en faveur du plein emploi. Cette initiative est destinée à aborder l'emploi sous plusieurs angles.
Les plans de licenciements s'accumulent dans un certain nombre de branches. Le niveau du chômage reste inacceptable. La moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés. La précarité au travail s'installe comme un mode normal d'emploi. Le processus de réduction du temps de travail recouvre des réalités très différentes d'un secteur à un autre, d'une entreprise à l'autre, en fonction des rapports de forces, des situations économiques, de la qualité de l'unité qui se dégage ou pas. L'emploi en nombre et en niveau est aussi une question clé, pour le financement de la sécurité social, des retraites.
Nous savons que nous allons devoir être très présents pour contraindre les parlementaires à adopter une seconde loi sur la réduction du temps de travail qui réponde aux attentes des salariés. Les pouvoirs publics doivent adopter des mesures plus fortes, changer de politique industrielle.
Si nous voulons réussir une initiative coordonnée, interprofessionnelle, nationale, et unitaire, comme le congrès l'a souhaité, chacun doit mettre la main à la pâte.
Nous devons montrer à nos interlocuteurs dans les entreprises, les branches, les localités, que sa préparation est en route et que tout le monde y a sa place. Ce travail d'information, de conviction, contribuera à lui donner sa dimension unitaire, et permettra aux contacts entre confédérations de déboucher positivement.