Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 28 avril 1999, RTL le 4 mai et France-Inter le 5, sur l'incendie d'une paillote en Corse, la recherche des responsabilités et son action contre les nationalistes corses lorsqu'il était ministre de l'intérieur.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France Inter - RTL

Texte intégral

EUROPE 1 - mercredi 28 avril 1999

Q - Ancien ministre de l'Intérieur, vous avez une expérience de la Corse et sans doute dans le souvenir d'épreuves cuisantes avec les Corses. Le Gouvernement, c'est-à-dire son chef, L. Jospin, J.-P. Chevènement, E. Guigou, ont réagi plutôt vite à l'affaire des gendarmes spéciaux du GPS de Corse. La justice enquête avec célérité. Est-ce suffisant et qu'attendez-vous du Premier ministre, L. Jospin ?

- « D'abord, je voudrais dire : ce qui est en cause en corse, c'est l'Etat, c'est le rôle de l'Etat. Ce qui est en cause dans cette affaire, c'est également la gendarmerie. Donc il faut faire preuve de responsabilité. On peut être opposant déterminé à la politique des socialistes et faire preuve de responsabilité. C'est ma première remarque. Deuxièmement : vous dites que le Gouvernement a réagi rapidement. Oui, ils se sont réunis et ils ont fait semblant de réagir. Nous attendons toujours des explications. Nous n'avons aucune explication et nous sommes en droit de poser un certain nombre de questions. »

Q - Mais ils ont mis en route la justice, ils ont demandé une enquête, ils ne savent peut-être pas tout. Peut-être doivent-ils s'informer ?

- « Si le Gouvernement ne sait pas ce que font ces gendarmes en corse, ça devient préoccupant. Il est normal que la justice soit saisie dans une telle affaire et il est tout à fait normal que le Gouvernement – ça a toujours été ainsi – n'entrave pas le fonctionnement de la justice. Mais nous sommes en droit de nous poser un certain nombre de questions. Car cette affaire démontre, pour le moins, un très grave dysfonctionnement de l'Etat. D'ailleurs, le procureur de la République à Ajaccio, lui-même ne semble pas convaincu, il l'a dit et c'est très rare qu'un procureur parle. Il a dit qu'il n'était pas convaincu par la thèse officielle. Alors qui a donné l'ordre aux gendarmes de participer à cette opération ? »

Q - Est-ce que vous soupçonnez le préfet de région, Bonnet, d'avoir donné cet ordre illégal ?

- « Je pose les questions. »

Q - Est-ce vous le soupçonnez ?

- « Je ne soupçonne personne ! Je veux qu'on réponde à un certain nombre de questions ! Qui a donné l'ordre aux gendarmes de participer à cette opération ? Car il est impensable, quand on connaît la gendarmerie, quand on connaît le sens du devoir des gendarmes et le sens de leur hiérarchie, qu'ils aient agi de leur propre initiative. Ce n'est pas vrai de dire ce qu'entends dire déjà : qu'ils ont agi de leur propre initiative. Ce n'est pas vrai. Donc deuxièmement... »

Q - Pour vous quelqu'un a donné l'ordre ?

- « Quelqu'un a donné l'ordre aux gendarmes de faire une telle opération. Deuxièmement : on nous explique, on nous dit qu'ils étaient en surveillance légère. Alors faut-il avoir des cagoules lorsqu'on fait des opérations de surveillance légère sur une plage de Corse, pour voir s'il n'y a pas quelqu'un qui veut mettre le feu à une cabane ? Est-il normal, quand un gendarme a été blessé, qu'il s'est brûlé, que sa hiérarchie ne soit pas au courant, qu'on ne prévienne personne et qu'on le retrouve sur le continent pour se faire soigner dans un hôpital, sans que personne ne le sache ?! Non ! Il y a à établir des responsabilités. Il faut d'abord vérifier les faits ; établir les faits ; et éclaircir les responsabilités des uns et des autres. Et je suis frappé de voir que depuis 48 heures, depuis hier, le Gouvernement se tait, est embarrassé ; même le ministre de l'Intérieur à l'air de soutenir, son préfet. »

Q - Est-ce que vous dites, là, que le Gouvernement ne dit pas la vérité et qu'il sait et qu'il ment ?

- « Le Gouvernement ne dit rien. Or dans cette affaire, pour éviter de remettre en cause l'Etat, pour éviter qu'il y ait, en Corse, un malaise avec la gendarmerie, comme il y a un malaise entre la police et le gouvernement en Corse... »

Q - Ce n'est pas la première fois...

- « Il faut que le Gouvernement établisse rapidement les responsabilités et ne fuie pas sa responsabilité. »

Q - C'est probablement, sans vouloir le défendre, ce qu'il est en train de faire. Laissez-lui le temps de souffler.

- « Mais non. »

Q - Est-ce que vous excluez l'idée d'une provocation ou d'un coup monté ? Les barbouzes, vous savez ce que c'est ?

- « Non . »

Q - Est-ce que ça peut-être des barbouzes, un piège ?

- « Je ne sais pas ce que c'est que les barbouzes. Je sais simplement que, quand les socialistes sont au pouvoir, il y a le Rainbow-Warrior ; il y a les gendarmes de l'Elysée. Je me méfie toujours, lorsqu'on crée un groupe spécialisé pour faire des enquêtes. La police et la gendarmerie, dans leur structure normale sont suffisamment fortes et compétentes pour arriver à faire des enquêtes avec succès. »

Q - B. Bonnet c'est un préfet à poigne, qui a causé quelques soucis à vos amis politiques, qui a cassé de mauvaises habitudes en Corse. Vous ne l'avez jamais supporté, le préfet Bonnet ?

- « Au contraire, je considère que c'est un préfet de la République. Deux choses : quand j'entends le ministre de l'Intérieur dire : « il ne doit pas démissionner », je voudrais répondre aux uns et aux autres qu'un préfet ça ne démissionne pas. S'il a commis une faute, il faut le révoquer ou le muter. S'il n'a pas commis de faute, il faut le maintenir en Corse. »

Q - Donc aujourd'hui vous réclamez des sanctions ?

- « Je réclame que le Gouvernement, qui est embarrassé, qui n'a rien dit depuis hier, s'explique clairement et ne cherche pas à fuir sa responsabilité. Car encore une fois, les gendarmes ils ont reçu un ordre ! »

Q - Alors vous l'affirmez maintenant ? Maintenant vous en êtes sûr, tout à l'heure, vous posiez la question et maintenant vous dites : il y a un ordre !

- « Je le dis, comme je vous l'ai dit tout à l'heure : que la gendarmerie, telle que je la connais, ne fonctionne jamais sans ordre. Et lorsqu'on connaît le profil du colonel qui a été mis en cause... »

Q - Mazères.

- « ... on sait que c'est un homme de rigueur et un homme d'honneur. »

Q - Est-ce qu'à votre avis, il faut changer les têtes du GPS - les gendarmes spécialisés - ou dissoudre ce corps ?

- « Je vous ai dit que je suis tout à fait réservé contre tout corps qui est constitué à une fin précise, comme a été constitué ce corps. C'est ainsi qu'on arrive à des drames et à des scandales, comme les socialistes nous ont habitués quand ils sont au pouvoir ! »

Q - Je ne veux pas vous choquer, mais je pensais que l'expérience corse vous avait rendu un peu mesuré ou responsable...

- « Je suis, je suis... »

Q - Parce que vous étiez responsable, lors de la mascarade de Tralonca, où 600 types en cagoules sont allés dans la forêt humilier, ridiculiser l'Etat !

- « Ça n'a rien à voir M. Elkabbach. »

Q - Non, je veux dire que c'est difficile d'être en Corse probablement.

- « C'est très difficile en Corse. C'est pour ça que je vous ai dit en commençant, que je posais des questions et que je voulais des réponses. Quand vous m'avez demandé s'il fallait renvoyer telle personne, je ne vous ai pas répondu car je pense que, avant tout, il faut poser des questions, avoir des réponses et avoir le sens des responsabilités. Ce que je constate simplement, c'est que, dans cette affaire, je trouve que la gendarmerie ne doit pas porter toute la responsabilité, que le pouvoir politique doit éclaircir les faits et faire preuve de responsabilité. »

Q - Donc il y a pour vous une responsabilité politique et vous la situez à quel niveau ?

- « Je ne veux pas vous le dire car c'est à l'enquête de le prouver. Mais je vous dis simplement que dans une telle opération, les gendarmes n'agissent pas de leur propre initiative. »

Q - Vous êtes président du groupe parlementaire du RPR à l'Assemblée. Vous voulez un débat à l'Assemblée sur la Corse ?

- « Je veux que le Gouvernement et que le Premier ministre, aujourd'hui, s'expliquent et s'expliquent clairement. Il aurait déjà dû le faire hier ; il a tardé. On voit bien l'embarras des uns et des autres ; on fait des réunions ; on fait venir la télévision pour montrer que les ministres sortent de réunion. Mais on ne s'explique pas ! Oui, expliquons-nous ! »

Q - Et on ne fait pas venir la radio ou la télévision ?

- « En fonction des réponses du Premier ministre, cet après-midi, à l'assemblée, nous verrons s'il faut demander ou non une commission d'enquête. »

Q - Est-ce que ce n'est pas la politique de l'Etat de droit qui est remis en cause avec l'affaire des gendarmes ?

- « Mais quand on veut rétablir ou restaurer l'Etat de droit, il faut commencer par appliquer soi-même l'Etat de droit. »

Q - Mais est-ce que ça veut dire que l'Etat de droit est peut-être impossible pour la Corse et les Corses ?

- « Je ne crois pas. Je crois que l'Etat de droit, au fil des années, s'instaure et se restaure en Corse. Je vous rappelle simplement, puisque vous voulez faire mon procès également, que... »

Q - Pas du tout, pas du tout ! La vérité, la vérité.

- « ...que lorsque j'étais au Gouvernement et que j'étais ministre de l'Intérieur, nous avons interpellé 350 nationalistes corses et que nous avons mis en prison 110. Je constate simplement que parmi les principaux nationalistes corses, en prison, alors que j'étais au gouvernement, maintenant ils sont en liberté. »

Q - Peut-être qu'il n'y avait aucune raison de les garder, car la justice n'est pas folle. Mais simplement, il y a eu deux phases, si je me souviens bien, dans l'action de J.-L. Debré en Corse, comme ministre de l'Intérieur : une première phase pendant laquelle vous avez discuté avec les nationalistes et une deuxième, après l'attentat de Bordeaux, le Premier ministre de l'époque, A. Juppé, a réclamé la fermeté contre les Corses nationalistes.

- « C'est une simplification des évènements. Nous avons toujours voulu, en Corse, restaurer l'Etat de droit. C'est quelque chose de difficile, mais je vous fais remarquer simplement que pendant le gouvernement d'A. Juppé, il n'y a pas eu ce genre d'évènement, où on n'a pas vu des gendarmes, sur une plage, le soir, avec ces cagoules. »

Q - Non, mais on les a vus dans la forêt.

- « Ce n'était pas les gendarmes. Bon ! »

Q - Ce n'était pas les gendarmes, c'était des nationalistes.

- « Nous les avons par la suite arrêtés. »

Q - Oui, pas les 600.

- « Qu'est-ce qui vous dit qu'il y en avait 600 ?

Q - Entre 500 et 600, tout le monde l'avait dit à l'époque. Mais on ne va pas refaire l'histoire. Il ne s'agit pas de faire votre procès mais de vous interroger de manière un peu vive, pour pas que vous soyez trop prévisible sur la Corse.

- « Je ne suis pas prévisible sur la Corse. Je dis qu'il faut faire preuve de responsabilité. »

Q - Un mot de la bataille des européennes qui est engagée. Etes-vous rassuré que N. Sarkozy conduise aujourd'hui la liste RPR ?

- « Moi je suis rassuré que le mouvement gaulliste ait retrouvé son unité et une volonté de gagner. Je suis triste du départ de P. Seguin qui a joué un rôle important dans notre mouvement. Mais je suis heureux que l'ensemble des militants se soient retrouvés autour de cette liste. »

Q - L'UDF a sa liste, les élus UDF ont leur idée de l'Europe. Il paraît qu'ils en avaient assez d'être humiliés par le RPR, mené à « la schlag ». C'est vrai ça ?

- « Tout ça ce ne sont des mots. Je constate simplement et je l'ai souhaité : la liste d'union de l'opposition, elle n'a pas été possible. Je constate que les membres de l'UDF étaient, hier, membres des gouvernements d'A. Juppé et ils ont su appliquer et ils n'ont en tout cas pas critiqué la politique européenne de J. Chirac. Comme le programme de la liste RPR-DL est la politique européenne de J. Chirac, toute la politique, rien que la politique, je ne vois pas pourquoi ils se sont séparés de nous. »

Q - Vous avez presque adressé une injonction au Président de la République de ne pas recevoir les dirigeants de l'opposition...

- « Je n'adresse aucune... »

Q - Il est au-dessus des partis...

- « Naturellement. »

Q - ...il l'a dit. Il ne recevra personne. Mais les entourages, à l'Elysée, les collaborateurs du Président, ils pourront recevoir ou il faudra surveiller toutes les portes d'entrée ?

- « Le Président de la République et ses collaborateurs sont aussi au-dessus des partis. »

Q - Les collaborateurs aussi ?

- « Même les collaborateurs. »

Q - Donc ils ne doivent pas recevoir de leaders politiques ? Et donc, pendant toute cette période, vous n'irez pas à l'Elysée ? Ça va vous manquer ?

- « Ça va me manquer oui. »

Q - Mais vous n'irez pas ?

- « Moi je ne suis pas parti dans la campagne électorale. Je ne suis pas candidat. »

Q - Vous avez écrit, je le souligne car je suis en train de lire : « Le gaullisme n'est pas une nostalgie » publié chez Laffont. Que pensez-vous de cette phrase d'A. Peyrefitte aujourd'hui, qui est un gaulliste, dans Le Figaro : « On ne peut reprocher à ceux qui ont aimé et aidé le Général de Gaulle, de ne pas avoir sa taille » ?

- « Oui, parce que De Gaulle est une personnalité particulière, il fait partie de notre patrimoine, mais on peut essayer sinon d'avoir sa taille, du moins s'élever à sa hauteur. »

Q - Je ne vous avais pas vu depuis longtemps et vous avez beaucoup maigri, vous avez changé de coiffure, c'est vrai. C'est quoi ? Le style Chirac, un conseil de J. Chirac, l'effet Sarkozy ou de qui ? Parce qu'il y a la bataille bientôt ?

- « Pas du tout ! J'ai appliqué le principe de Mao Tsé Toung : « Le petit-déjeuner tu le gardes pour toi. Le déjeuner tu le partages avec tes amis. Et le dîner tu le donnes à tes ennemis ». Quand on fait un régime c'est comme ça qu'on perd des kilos.

Q - Attention parce que Mao continue, il utilisait beaucoup de petites filles de 14-15 ans !

- « Oui mais ça mon régime s'arrête là ! »


RTL - Lundi 4 mai 1999


Q - Ma première question est simple : vous avez entendu le Premier ministre, cet après-midi, à l'Assemblée nationale. Doutez-vous de ses propos affirmant « qu'aucun ministre et aucun responsable de Matignon n'est impliqué dans l'affaire de l'incendie de la paillote d'Ajaccio ». Croyez-vous, - en fait c'est ma question - croyez-vous en la parole de L. Jospin ?

- « Je vais vous répondre, mais je voudrais faire une petite remarque : d'abord, ce qui se passe en Corse ne me réjouit pas. C'est un coup porté à l'Etat, à la crédibilité de l'Etat, et je me demande qu'est-ce que va pouvoir dire, demain ou après-demain, le prochain préfet qui va arriver en Corse ? Est-ce qu'il va crier : vive l'Etat !? Tout cela est préoccupant, à la fois pour l'Etat, pour la Corse et pour l'image d'un Etat qui doit faire respecter l'Etat de droit. »

Q - Mais ma question : croyez-vous ou non en la parole du Premier ministre ?

- « Je trouve, et j'ai trouvé le Premier ministre très embarrassé, et il n'a pas répondu à un certain nombre de questions. Quelles sont ces questions ? – ou les a élucidées. »

Q - Mais vous ne répondez pas ! Est-ce que vous êtes convaincu ou non par ce qu'il a dit : « qu'à aucun moment, aucun ministre, aucun responsable de Matignon, n'est impliqué dans l'affaire de l'incendie » ?

- « Je vais poser un certain nombre de questions et quand j'aurai posé des questions je ferai la conclusion. D'abord, la semaine dernière, le Premier ministre nous a dit être au courant de rien. Nous avons appris depuis, que le colonel Mazères était venu deux fois, à Paris, vois sa hiérarchie, pour expliquer ce qui s'est passé. La hiérarchie n'a pas pu ne pas rendre compte au Gouvernement de la visite du colonel Mazères. Pourquoi, la semaine dernière, le Premier ministre a menti en n'a pas dit que le colonel Mazères était venu à Paris pour s'expliquer ? M. Bonnet, le préfet, a rencontré le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre.

Q - De deux choses l'une : ou M. Bonnet a menti, ou alors le Premier ministre a menti, en disant qu'il n'était pas au courant ? Troisième question : il y a un groupement, le GPS, créé par le Gouvernement, spécialement, pour un certain nombre d'actions. Le Premier ministre nous explique aujourd'hui, qu'il n'était pas au courant de ce service, de la création de ce service – 75 fonctionnaires, affectés directement à des tâches de renseignements et de sécurité. Quoi ? Le Premier ministre n'était pas au courant et aucun membre du Gouvernement n'était pas au courant de la création du GPS en Corse ?! »

Q - Alors quelle est votre conclusion ?

- « Autre question, si vous me permettez : un préfet n'agit pas seul ; un préfet rend compte de ses agissements. »

Q - Et dans ce cas précis peut-être qu'il a agi seul ?

- « Je ne le crois pas, et ce n'est pas la tradition des corps... »

Q - Mais vous en avez des preuves lorsque vous dites : que vous n'en croyez pas... ?

- « Vous m'interrompez, laissez-moi terminer s'il vous plaît. Je crois que, dans la tradition du corps préfectoral, on rend compte de ses agissements, de ses actions, et surtout de celle-là, et particulièrement en Corse. Par conséquent, je n'ai pas été convaincu par ce qu'a dit le Premier ministre, car j'ai le sentiment qu'il nous dit : je ne suis pas responsable ; je suis au courant de rien ; tout ça s'est passé en dehors de moi. C'est trop confortable et ce n'est pas satisfaisant. Cela veut dire que le Gouvernement, que le Premier ministre ne dirige rien. Alors pourquoi avoir un Gouvernement, pourquoi avoir un Premier ministre ? »

Q - Face à cette attitude, l'opposition fait quoi ?

- « Je voulais dire une petite chose si vous permettez : d'abord on a l'impression à entendre le Gouvernement. Je voudrais simplement rappeler - je le fais très tranquillement , très sereinement, je ne suis pas comme le Premier ministre ou le ministre de l'Intérieur, je ne m'énerve pas, il faut rester très serein – mais je rappelle simplement que, de 1995 à la fin du gouvernement Juppé, près de 320 terroristes corses ont été interpellés et plus de 120 ont été écroués.

Q - Alors qu'allons-nous faire maintenant ? Nous allons continuer à interroger le Gouvernement. Car nous voyons, séance après séance, qu'il en vient à dire plus de choses qu'il n'avait dites auparavant. Deuxièmement : je crois qu'il serait utile de créer une commission d'enquête sur le GPS. Car le GPS c'est 75 fonctionnaires, 75 gendarmes, qui ont une mission. Quelle a été la mission qui leur a été assignée ? Quelles étaient les objectifs ? Et comment ils fonctionnaient. Je suis frappé de voir que l'autorité gouvernementale aujourd'hui nous explique qu'elle n'était pas au courant de cette création de ce service, qui a, quand même fonctionné, semble-t-il, depuis plus d'un an, sans que personne ne le sache. Si aujourd'hui, on peut créer des sections, des groupes à l'intérieur de la gendarmerie, sans que le ministre de la Défense ne le sache, sans que le ministre de l'Intérieur ne le sache, sans que le Premier ministre ne le sache, alors on est très inquiet sur le fonctionnement de l'Etat. »

Q - On a bien compris les dysfonctionnement, d'accord J.-L. Debré vous évoquiez vos résultats de 95 à 97, mais e matin, ici même, dans ce studio, J.-P. Chevènement rappelait à O. Mazerolle que [vous] étiez allé en Corse, alors même que la veille s'était tenue une conférence de presse du FLNC, avec plusieurs centaines de cagoulés, rendant public un communiqué de revendications, établi en accord avec [son] propre cabinet » ?!

- « C'est totalement faux ! Si M. Chevènement dit ça, puisque les choses ne sont pas prescrites, alors qu'il entame des poursuites, et qu'il essaye d'expliquer. Je dis simplement qu'il y avait un certain nombre de personnages qui, quand je suis allé en Corse, ont défié l'Etat ; que par la suite j'ai interpellé près de 320 terroristes ; que j'en ai fait mettre, la justice en a mis en prison, plus de 120. Aucun gouvernement auparavant n'avait autant interpellé de terroristes. Je constate simplement qu'un certain nombre de ces terroristes sont aujourd'hui en liberté. »

Q - Puisque vous n'êtes pas convaincu par les propos du Premier ministre - vous dites même : qu'il aurait menti -, est-ce que, comme certains membres de l'opposition, vous réclamez la démission du Gouvernement ?

- « Je voudrais simplement que le Premier ministre ne joue pas la montre, et qu'il s'explique clairement. Il n'a pas voulu s'expliquer la semaine dernière ; aujourd'hui il ne s'est pas expliqué. Je voudrais être convaincu que le Premier ministre ne ment pas, car derrière cela il y a l'autorité de l'Etat, et c'est ça qui me préoccupe. »

Q - L'UDF souhaite déposer une motion de censure. Est-ce que le RPR va s'y associer ?

- « Si l'UDF dépose une motion de censure, bien évidemment nous la voterons. Mais ce qui me paraît plus important et plus intéressant, c'est d'avoir une commission d'enquête sur le fonctionnement du GPS et sur le fonctionnement des différents services de police et de gendarmerie en corse. »


France Inter - mercredi 5 mai 1999

Q - Croyons-nous vraiment que cela a un sens pour le Premier ministre ou ceux qui travaillent avec lui, de demander à un préfet de région de demander à des gendarmes de brûler une paillote ? C'est à nous, citoyens français, que L. Jospin posait la question sur TF1 hier soir. Et en effet, dans une affaire aussi grave, la question de la responsabilité se pose à tous les niveaux : celui des exécutants – les gendarmes qui ont avoué -, celui du préfet Bonnet sui se défend de toute responsabilité mais dont la garde à vue est prolongée ; celui du ministère de l'Intérieur dont dépend le préfet – mais M. Chevènement affirme n'avoir eu connaissance de l'existence du GPS que les tout derniers jours. Ce faisant, ne renvoie-t-il pas la responsabilité à l'étage au-dessus, à Matignon, où le directeur du cabinet de L. Jospin, O. Schrameck, deux lundis par mois, a coordonné l'action des différents ministères en Corse.

En studio, J.-L. Debré, ancien ministre de l'Intérieur et président du groupe RPR à l'Assemblée nationale.

- « Je suis aussi député de l'Eure. Je dis un petit bonjour à mes amis de l'Eure. »

Q - Je vous pose la question que M. Jospin après tout nous a posé à tous hier soir : croyez-vous vraiment que cela a un sens pour le Premier ministre ou ceux qui travaillent avec lui, de demander à un préfet de région de demander à des gendarmes de mettre le feu à une paillote ?

- « Au préalable, je voudrais faire une toute petite remarque : je ne me réjouis pas de ce qui se passe en corse, car j'ai été en charge de ce dossier et j'en connais la complexité. Je suis un opposant déterminé à la politique de L. Jospin mais je me fais aussi une certaine idée de l'Etat et notamment du rôle de l'Etat en Corse. Et je me dis : que va dire le prochain préfet lorsqu'il va arriver en Corse ? Il va dire : vive l'Etat ? respectons l'Etat ? Je pense que lorsqu'il va dire cela, un certain nombre de sourires vont apparaître hélas sur un certain nombre de lèvres. »

Q - Mais dites-vous qu'avec la Corse, on est obligé d'adopter à chaque fois au fond une position particulière ou singulière ? Vous avez été en effet ministre de l'Intérieur. On n'a pas oublié l'affaire de Tralonca ?

- « Cela n'a rien à voir. »

Q - On voit maintenant l'affaire des paillotes en Corses. Y a t-il une sorte de fatalité qui conduise l'action politique en Corse, qu'elle soit de droite ou de gauche, à des combinazione ?

- « D 'abord, à propos de Tralonca, cela n'a rien à voir, puisque ce ne sont pas des gendarmes qui étaient cagoulés, c'était des cagoulés, c'était des terroristes qui étaient cagoulés et, par la suite, je vous rappelle que nous avons interpelé près de 350 terroristes, et que j'en ai fait mettre en prison plus de 150. Aucun gouvernement n'avait fait autant. La Corse est difficile. La question qui se pose aujourd'hui, sans passion, c'est celle-ci : le Premier ministre ne savait rien... »

Q - Vous le croyez ou pas ?

- « ...Le Premier ministre n'a rien vu arriver, le Premier ministre ne s'est rendu compte de rien, Le Premier ministre ne se doutait de rien, le Premier ministre ne savait pas qu'il avait été créé un GPS composé de 75 gendarmes. Le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Défense ne savaient rien, les collaborateurs du Premier ministre, du ministre de l'Intérieur, du ministère de la Défense ne savaient rien ; la hiérarchie des gendarmes ne savait rien, le préfet ne savait rien, le directeur de cabinet ne savait rien. Et pourtant, pendant - aux dires d'une des personnes, le lieutenant-colonel Cavalier - pendant près d'un mois, on a préparé et discuté, on s'est opposé sur cette affaire et sur la préparation de cette expédition. Et pourtant, vous l'avez rappelé, deux fois par mois, le directeur de cabinet du Premier ministre coordonnait l'action des services. Et pourtant, et pourtant, il y a des Renseignements généraux, et pourtant il y a une sécurité militaire, et pourtant... »

Q - Mais dites-nous comment cela marche. Vous êtes ancien ministre de l'Intérieur. On voudrait savoir comment ça fonctionne l'Etat.

- « Mais attendez, attendez ! Je vais le dire. Mais permettez-moi, sans passion, de vous dire que je suis sceptique. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi personne ne savait rien. Personne ne savait rien ? Que font-ils ? Est-ce que toute la journée, tous ces messieurs jouent aux cartes, ou est-ce qu'ils s'intéressent aux affaires d'Etat. »

Q - Prenons des choses concrètes, s'il vous plaît. J'ai une question précise, si vous me permettez. Quand M. Chevènement – on a parlé quelquefois de la solidarité des ministres de l'Intérieur, compte tenu des difficultés de la tâche...

- « Mais vous ne m'avez jamais entendu critiquer un ministre de l'Intérieur. Même M. Chevènement. »

Q - Mais je voudrais que vous m'expliquiez comment cela fonctionne. Quand M. Chevènement, ministre de l'Intérieur dit, hier, sur l'antenne de RTL, qu'il a découvert l'existence du GPS il y a seulement quelques jours, est-ce que cela est concevable ? est-ce qu'un ministre de l'Intérieur peut découvrir...

- « Je vais vous répondre : pour moi, il n'est pas concevable que toutes les autorités que je viens d'énumérer - Premier ministre, ministre de la Défense, ministre de l'Intérieur, cabinet du Premier ministre, cabinet du ministre de la Défense, cabinet du ministre de l'Intérieur, préfet, cabinet du préfet - n'aient pas été au courant, un, de la création d'un GPS qu'ils ont créé. Mes bras m'en tombent ! Quand j'entends le Premier ministre, le ministre de l'Intérieur, - le ministre de l'intérieur qui a les contacts pratiquement, pas quotidiens mais presque quotidiens, avec ses représentants en Corse - ne savaient pas qu'on avait créé un organisme spécial qui était le GPS, dont tout le monde connaissait l'existence, qui était composé de 75 gendarmes spécialement affectés, spécialement entraînés, avec des missions particulières, avec une hiérarchie et à sa tête un lieutenant-colonel, ce n'est pas concevable. Et ce que je voulais dire, c'est si aujourd'hui , le Premier ministre , les ministres de l' Intérieur, de la Défense ne sont pas crus, c'est qu'il n'est pas concevable qu'ils n'aient pas été au courant d'abord pour ce qui concerne la création du GPS, de ce que faisait cet organisme, deuxièmement, il n'est pas concevable – ou alors ils n'existent pas, ou alors ils font autre chose, ou alors ils s'amusent à courir les estrades et à semer l'illusion – il n'était pas concevable qu'une opération comme celle-là, avec la discussion qu'il y a eu au sein même de la hiérarchie des gendarmes, puisque aux dires de deux gendarmes, la presse l'a relaté, il y a eu des gendarmes qui se sont opposés, et pas n'importe quel gendarme, un lieutenant colonel qui a considéré que préparer cette opération d'incendie de paillote était illégale et qu'il ne voulait pas le faire, et donc, il a refusé d'obtempérer à un ordre, il est inconcevable – inconcevable ! – que pour le moins le préfet , le directeur de cabinet du préfet, la hiérarchie militaire n'aient pas été informés. »

Q - Et le Premier ministre ?

- « Et je pense que le Premier ministre, le cabinet du Premier ministre a été informé, car la hiérarchie policière ou la hiérarchie de la gendarmerie, immédiatement, devant une opération comme celle-là, en informe les plus hautes autorités. Vous savez , c'est là où le dossier n'est pas clair, il y a une semaine, lorsque  nous avons interrogé le Premier ministre, il n'était au courant de rien, il ne savait même pas, d'après ses dires, que le colonel Mazères, après l'expédition,  était venu à Paris après les faits pour dire ce qui s'est passé, immédiatement, la hiérarchie a prévenu le pouvoir politique. »

Q - Le temps passe vite et les enjeux sont énormes.

- « Hélas, hélas. »

Q - L'affaire est grave. Ce n'est pas une question posée à la droite ou à la gauche.

- « L'affaire est grave. Ce n'est pas c'est le fonctionnement même de l'Etat. Voilà. »

Q - C'est une question posée à la République. Quand L. Jospin dit, avoue à nous tous, aux citoyens, hier soir : attention à l'exploitation politicienne. A quelques minutes du Conseil des ministres qui va se tenir ce matin où on va annoncer officiellement que le préfet Bonnet n'est plus en poste, qu'est-ce que vous dites ?

- « Est-ce que j'ai fait une exploitation politique ? »

Q - Non, non , je vous pose la question simplement ?

- « Simplement je me dis que puisque personne ne savait rien, puisqu'ils sont tous irresponsables, eh bien il faut qu'ils en tirent des conclusions : qu'ils changent les hommes ou qu'ils mettent à surveiller et à diriger leur administration. Un ministre, ça dirige son administration : un ministre, ça sait quand on crée un service de 75 personnes. »

Q - Ça démissionne un ministre aussi, ou c'est démissionné.

- « Je ne veux pas rentrer dans la polémique, je ne veux pas rentrer dans ce que vous appelez les arguties politiciennes. Je vous ai dit que je ne me réjouissais pas de ce qui s'est passé, parce que cela met en cause l'Etat. Or, là, si tous ces gens ne mentent pas, cela veut dire qu'ils sont tous incompétents, et alors il faut qu'ils en tirent des conclusions. Cela fait deux ans qu'ils sont en place et ils ne savent même pas qu'on a créé une police spéciale, le GPS, forte de 75 fonctionnaires. Mais c'est effrayant ! »

Q - Certains ont demandé la démission de M. Jospin. Et vous ?

- « Moi, je ne veux pas me situer sur ce terrain. Je vous dit simplement qu'il y a là deux possibilités : ou alors ils disent la vérité - ils ne savent rien - alors ils sont incompétents ; ou ils mentent, alors là c'est beaucoup plus grave. »