Interview de M. José Rossi, président du groupe parlementaire Démocratie libérale à l'Assemblée nationale et président de l'Assemblée de Corse, à France 2 le 27 janvier 1999, sur la politique gouvernementale de lutte contre l'insécurité, les difficultés d'appliquer l'Etat de droit en Corse et la division de l'opposition.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • José Rossi - président du groupe parlementaire Démocratie libérale à l'Assemblée nationale et président de l'Asse ;
  • Françoise Laborde - Journaliste

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Hier à l'Assemblée nationale, l'opposition a osé une série de questions sur la sécurité. Ce qui, semble-t-il, a irrité le Premier ministre. Etait-ce une stratégie concertée de la part de l'opposition ?

– « Non. Tout simplement, les Questions d'actualité servent à poser les vraies questions, les vrais problèmes, ceux que ressentent les Français, et, manifestement, M. Jospin n'est pas suffisamment habitué à la critique. L'opposition est là pour dire quelques vérités de temps en temps. »

Q - Cela vous a-t-il étonné qu'il se pique de vos questions ?

– « Non, parce qu'il est en situation d'échec, M. Chevènement qui est présenté comme un ministre disposant d'une grande autorité, en réalité lui-même est en situation d'échec en matière de sécurité. Il l'est dans les banlieues de la région parisienne, il l'est dans toutes les zones de non-droits, comme on les appelle, où la délinquance des jeunes, depuis plusieurs jours – mais c'est une vérité incontournable – s'est aggravée considérablement cette année. C'est le premier échec visible du Gouvernement sur un sujet essentiel pour les compétences qui sont celles de l'Etat. »

Q - Entre E. Guigou à la justice, J.P. Chevènement à l'Intérieur, c'est une opposition ou ce n'est pas plutôt une répartition des rôles ?

– « Oui, c'est ce qu'on craint un peu. La gauche plurielle nous a habitués à ce jeu de rôles entre deux thèses qui s'affrontent au sein de la majorité pour que le Premier ministre délivre le message, fasse la synthèse. Eh bien, hier, cela n'a pas marché. »

Q - Cela vous embête bien, parce que cela vous prive parfois de…

– « Non, si on trouvait la bonne solution, nous en serions les premiers ravis. Mais aujourd'hui face aux drames que vivent les Français du fait de l'insécurité, on n'attend pas une sorte de théâtre au sein du Gouvernement pour mettre en scène les uns et les autres et M. Jospin qui s'est rendu compte qu'il était découvert et que le Gouvernement était incapable d'assumer l'une de ses missions essentielles, s'est un peu énervé, hier. Mais je crois que cela va le stimuler. En tout cas nous serons là pour lui rappeler encore des vérités demain. »

Q - Vous étiez président de l'assemblée corse, puisque l'élection a été récemment invalidée. Est-ce que la violence sera aussi au coeur de la campagne électorale, puisque dans une semaine, on se rappellera qu'il y a un an, le préfet Erignac était assassiné.

– « Oui, c'est un drame épouvantable que nous avons vécu et qui a conduit à une grande mobilisation à la fois de l'opinion corse, des Corses eux-mêmes et de la communauté nationale. Et, malheureusement, là aussi, les assassins du préfet Erignac n'ont pas été retrouvés à ce jour. On a évoqué les pistes agricoles, les pistes universitaires, et puis, plus récemment, M. Chevènement a dit que c'était tout simplement une piste criminelle. Mais plus simplement encore, on n'a pas retrouvé les assassins à ce jour. Et en Corse, comme les années précédentes, il y a eu une quarantaine d'assassinats ou de tentatives d'assassinat, exactement ce qui s'était passé depuis plusieurs années. La Corse aussi, de ce point de vue, est une zone de non-droits où les violences prennent une forme différente de ce que l'on connaît dans les banlieues, mais qui témoigne de la dégradation générale de la sécurité sur l'ensemble du pays, de délitement de la société française. »

Q - Tout de même, il y a un certain nombre de secteurs sur lesquels l'Etat essaye de faire passer le droit, notamment en termes de réforme fiscale, ou en tout cas d'application de la loi et de réforme fiscale.

– « Vous avez pris le plus mauvais exemple que l'on peut choisir, car cette tentative de réforme fiscale pour la Corse est intervenue subrepticement à l'Assemblée nationale, sans que le Gouvernement ait le courage d'assumer, après une concertation avec les institutions régionales, à un véritable dialogue avec la Corse. Car nous ne sommes pas hostiles aux réformes, nous sommes prêts à les assumer. »

Q - Vous pouvez payer les droits de succession comme tous les Français ?

– « Nous souhaitons simplement être respectés et ne pas être montrés du doigt comme des tricheurs, des brigands ou des bandits de grand chemin, car c'est la meilleure façon pour que les Corses se mettent à l'écart de la communauté nationale et que la communauté nationale les considère comme des suspects permanents. Le vrai problème, aujourd'hui, comme pour les banlieues, c'est de réintégrer la Corse dans la République et de la faire participer pleinement à la communauté nationale dans le respect de la loi ? bien sûr. »

Q - Mais est-ce que vous comprenez quand même l'agacement du préfet B. Bonnet quand il est un peu pris à partie, par exemple dans ce qui lui est arrivé la semaine dernière, avec la bâtonnier des avocats ?

– « M. B. Bonnet est un préfet qui travaille dans des conditions extrêmement difficiles. Mais je crois aujourd'hui que c'est le problème corse dans son ensemble qu'il faut appréhender, et le Gouvernement ne le fait pas de la meilleure manière possible, car il contribue – on le verra sans doute à l'occasion des prochaines élections régionales, puisqu'il y a annulation des élections en Corse – au risque de voir une montée des forces contestataires, au détriment de la gauche d'ailleurs, et sans que la droite fasse de la récupération. Et ces forces contestataires, hélas, en Corse, peuvent faire dériver notre île vers l'indépendantisme, ce que nous ne voulons pas. »

Q - Autre rendez-vous électoral d'importance, c'est les européennes. Vous avez dit récemment qu'à votre avis l'éclatement de l'opposition n'était que passager, mais en même temps que les formations doivent se compter. C'est quoi la stratégie de Démocratie Libérale, aujourd'hui ? Vous êtes pour une liste unique ?

– « Elle est très claire : nous sommes pour une liste d'union de l'opposition et si nous voulons un jour préparer l'alternance et la réussir, il est clair que l'opposition doit se rassembler face à la gauche. »

Q - Donc, vous souhaitez que Bayrou se rapproche…

– « Nous regrettons profondément que F. Bayrou apparemment prépare une liste qui, le moment venu, risque d'apparaître comme une liste dissidente par rapport à la liste d'union que nous voulons continuer à faire. Rien ne nous sépare sur le plan européen. Les centristes ont gouverné ensemble avec le RPR et Démocratie libérale jusqu' à une période récente et on ne voit pas pourquoi sur le fond, nous ne pourrions pas rechercher l'unité. Car si nous allons dans le sens de l'éclatement, eh bien, les centristes je crois eux-mêmes en seront les premières victimes. J'ai proposé hier à l'Assemblée nationale une réunion de l'ensemble des députés RPR, DL et UDF centristes, et je suis sûr que si on consultait les députés centristes eux-mêmes, ils seraient les premiers à dire : nous voulons une liste d'union. »

Q - Donc, tout n'est pas perdu ?

– « Tout n'est pas perdu, je pense que les choses, du point de vue des centristes, sont déjà très engagées, et je crains qu'ils soient à un point de non-retour. En tout cas nous, nous ferons tout, jusqu'au 7 février, pour qu'ils changent d'avis. Et s'ils ne le font pas, ils porteront la responsabilité du choix qu'ils sont en train de faire, mais qui n'est pas le bon de notre point de vue. »