Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans la "Revue parlementaire internationale" du 20 octobre 1997, sur les relations entre la France et la Tunisie et sur les liens de la Tunisie avec l'Union européenne.

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Circonstance : Visite officielle de M. Zine el Abidine Ben Ali, Président de la République tunisienne à Paris, du 20 au 22 octobre 1997

Média : Revue parlementaire internationale

Texte intégral

Revue parlementaire : Vous avez souhaité, dès votre nomination, vous rendre le plus tôt possible en visite officielle dans les pays du Maghreb et en Tunisie plus particulièrement. Quelles sont les motivations qui vous ont, dès l’été, poussé à aller à la rencontre du président Ben Ali et de votre homologue tunisien, et dans quelle mesure cette visite a-t-elle encore resserré les liens franco-tunisiens ?

Hubert Védrine : La France entretient avec les pays du Maghreb, et notamment avec la Tunisie, des relations d’amitié à la fois anciennes, mais aussi marquées par le souci constant d’un renouveau. Nous partageons des intérêts et des ambitions, à la fois sur le plan humain et culturel, économique et politique. C’est pour ces raisons que j’ai voulu me rendre vite dans les capitales du Maghreb.

Je me réjouis de l’accueil qui m’a été réservé à Tunis et de la densité des entretiens que j’ai eus. J’ai pu avec le président Ben Ali et avec mon homologue aborder tous les sujets qui nous importent mutuellement, qu’il s’agisse de la coopération bilatérale entre les deux pays, de leur évolution politique, mais aussi du partenariat euro-méditerranéen, dans lequel nos partenaires tunisiens jouent un rôle majeur, puisqu’ils ont été les premiers à signer un accord d’association avec l’Union européenne et à avoir saisi l’importance politique et stratégique qui s’attache au renforcement des liens entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée.

Nous avons parlé aussi du Proche-Orient, du Maghreb, de l’Afrique. Par son histoire et sa position géographique, la Tunisie constitue un interlocuteur essentiel pour ces questions.

Cette visite avait aussi pour but de préparer la prochaine et importante visite en France du président Ben Ali qui permettra de préciser le cadre de notre coopération pour les années à venir, notamment dans le domaine économique. Nous souhaitons instaurer une nouvelle forme de partenariat avec nos amis tunisiens, favorisant la mise en œuvre de l’accord d’association que la Tunisie a signé avec l’Union européenne.

Revue parlementaire : La France est le premier partenaire économique de la Tunisie. Comment percevez-vous l’évolution économique et sociale de ce pays, le miracle tunisien ?

Hubert Védrine : Les résultats économiques et sociaux de la Tunisie sont très intéressants. Elle a réussi en quelques années à atteindre un revenu de 2 000 dollars par habitant, à maîtriser son inflation et à présenter toutes les caractéristiques d’une économique saine.

Ces réussites très encourageantes, la Tunisie les doit aux choix qu’elle a su faire, comme la mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel dans le cadre de son VIIIe plan, puis la signature d’un accord d’association avec l’Union européenne.

En tant que premier partenaire économique de la Tunisie, la France l’a soutenue dans ses choix. Elle souhaite également l’appuyer dans les efforts de réformes et de mise à niveau nécessaires pour la mise en œuvre de l’accord d’association qui la lie à l’Union européenne.

Revue parlementaire : La Tunisie travaille à garantir la stabilité du Nord de l’Afrique et s’implique largement dans le rapprochement des pays riverains de la Méditerranée, dans quelle mesure et par quelles actions concrètes la France contribue-t-elle à l’efficacité de ces démarches ?

Hubert Védrine : La France partage avec la Tunisie la volonté de faire de la Méditerranée un trait d’union entre les rives Nord et Sud et non un lieu d’affrontements comme cela a été trop souvent le cas dans le passé. Elle œuvre dans cette perspective à la mise en place de ce « partenariat global », dont la conférence de Barcelone a jeté les bases en novembre 1995, à l’initiative de l’Union européenne.

La France est également à l’origine du projet de « charte euro-méditerranéenne » dont la deuxième conférence ministérielle à Malte a préconisé l’adoption dès que possible par une réunion ministérielle, lorsque les circonstances le permettront. De toutes les façons, nous souhaitons, avec l’Union européenne renforcer et approfondir le contenu du dialogue avec nos partenaires du Sud.

Sur le plan économique, l’Union européenne a confirmé son engagement avec la mise en œuvre du programme d’assistance financière et technique MEDA. Comme vous le savez, au Conseil européen de Cannes, tenu en juin 1995, la France avait convaincu ses partenaires de consacrer à la Méditerranée 4,685 milliards d’écus pour la période 1995-99, somme considérable.

Dans le domaine de l’audiovisuel, une conférence à haut niveau se tiendra à Salonique en novembre prochain. Je me réjouis que la Tunisie participe au groupe de travail chargé de la préfiguration d’une chaîne multiculturelle et multilingue de la Méditerranée, EUROMED TV.

La même conférence euro-méditerranéenne (« Barcelone III ») se tiendra en Allemagne au premier semestre 1999. Une réunion ministérielle intermédiaire devrait avoir lieu en 1998. La Tunisie a, quant à elle, confirmé à Malte sa candidature – dont nous soutenons le principe – à l’organisation de « Barcelone IV ».

Mais la France voudrait que toutes ces initiatives se concrétisent plus vite !

Revue parlementaire : Le président Ben Ali a défendu l’adoption d’une charte euro-maghrébine qui préserverait les droits des travailleurs immigrés maghrébins en Europe. Un tel texte vous semble-t-il en mesure d’être rapidement adopté et dans quelle mesure ce dernier permettrait-il une meilleure intégration des immigrés maghrébins en Europe en leur préservant une véritable identité dans leur pays d’accueil ?

Hubert Védrine : Nous partageons évidemment le souhait du président Ben Ali de voir pleinement respectés les droits et la dignité des travailleurs maghrébins immigrés en Europe. Les autorités françaises sont animées par la volonté constante d’améliorer les droits des travailleurs immigrés. La communauté tunisienne en France est forte de plus de 25 000 personnes. Elle est bien intégrée et constitue un précieux relais à la fois culturel, économique et humain entre la France et la Tunisie.

S’agissant de l’amélioration des conditions de séjour et de travail des travailleurs immigrés, des mesures ont déjà été prises sur le plan bilatéral franco-tunisien ; d’autres sont prévues par l’accord d’association que la Tunisie a signé avec l’Union européenne. Il existe en effet une réelle volonté de l’Union européenne de promouvoir une meilleure intégration des travailleurs immigrés.