Interviews de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, à Europe 1 le 8 juin 1999, France-Inter le 9 et dans "Sud Ouest" le 11, sur le discours politique de l'opposition au cours de la campagne des élections européennes, la "troisième voie" préconisée par Anthony Blair et Gerhard Schröder et les perspectives de recomposition de la droite après les élections européennes.

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Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France Inter - Sud Ouest

Texte intégral

Question
Quelle nuit ! Vous avez participé, hier soir, sur France 2, à l’émission d’Alain Duhamel et d’Arlette Chabot « Mots croisés. » C’était significatif de l’état des forces politiques aujourd’hui de l’opposition. Et je ne sais pas si vous vous êtes rendu compte, du plus haut comique…

François Bayrou
« Oui, peut-être. Les débats politiques avec des phrases convenues, en effet ça risque de tomber dans ce genre de critique. »

Question
Oui mais à tel ou tel moment, vous êtes sorti du convenu. D’abord, à coups de « François », de « Nicolas. » C’est pas « cher François » et « cher Nicolas » mais c’est « François » et « Nicolas ». Vous vous êtes sans arrêt accroché avec N. Sarkozy et l’on sentait que vous envahissiez l’un et l’autre l’image par une hostilité partagée. Pourquoi ?

François Bayrou
« Non, simplement nous conduisons deux listes différentes et c’est vrai que chacun essaie de faire valoir ses arguments. C’est normal qu’on essaie de défendre ses positions et ses projets. En tout cas pour nous, c’est très important et donc c’est une présentation nécessaire. »

Question
Quand la droite ou la droite RPR…

François Bayrou
« Mais c’est vrai que moins il y a d’agressivité et mieux c’est. »

Question
Quand la droite ou la droite RPR dit : on va baisser les impôts, vous les avez traités pratiquement de menteurs !

François Bayrou
« Non, j’ai seulement dit que franchement dire : « à vous les hausses d’impôts et à nous les baisses d’impôts », il faut regarder le passé. L’opposition a besoin de retrouver une crédibilité et elle ne le fera qu’en osant dire la vérité. Et le sens de notre liste, enfin sa présence – autrement ça n’a aucun sens – c’est pour que la vérité soit dite sur l’Europe et sur les enjeux intérieurs que nous vivons. Permettez-moi d’ajouter en plus que je ne suis pas certain que n’avoir à la bouche que les impôts ça soit très crédible pour les gens. »

Question
Vous voulez dire que quand on a ce passé la, ou en général ?  

François Bayrou
« A la fois en général parce qu’il me semble que les Français attendent des visions plus larges. Tout n’est pas affaire, comment dirais-je, financière. Il y a beaucoup d’autres enjeux qui sont des enjeux de société, des enjeux moraux. Une vision s’impose qui permette aux gens d’y croire à nouveau. Or ne parler que des impôts quand on sait ce qui est arrivé pendant les années où nous étions au pouvoir, tous ensemble… »

Question
C’est-à-dire ?

François Bayrou
« C’est-à-dire : une augmentation extrêmement importante des impôts, tous les Français le savent. On avait annoncé qu’on baisserait les impôts et on les a augmentés. »

Question
Oui mais vous aviez l’air d’oublier et N. Sarkozy vous l’a rappelé vous étiez ministre ?

François Bayrou
« Mais je l’assume et c’est pour ça que j’en parle. Il y avait sans doute à cela de bonnes raisons. Mais il serait intéressant d’essayer de comprendre pourquoi en ayant promis de baisser les impôts, on les a augmentés, de montrer quelles étaient les contraintes, et d’essayer de réfléchir pour l’avenir à la manière concrète qu’on pourrait utiliser. Moi ce qui m’agace, ce sont les slogans simplificateurs avec lesquels on se fait élire et six mois après, tout le monde vérifie que vous avez fait le contraire de ce que vous avez dit. »

Question
A droite ou à droite comme à gauche ?

François Bayrou
« A droite comme à gauche. J’ai rappelé que M. Jospin s’est fait élire en disant : plus de privatisations et il a fait 120 milliards de privatisations depuis qu’il est là ! »

Question
Mais là, hier, vous critiquiez plutôt votre camp ?

François Bayrou
« Non, non, au contraire. On a eu un débat assez long que les 35 heures, on a eu un débat assez long sur cette « Europe sociale » entre guillemets dont le Parti socialiste se targue et sur laquelle il n’y a rien au sommet. »

Question
Quand vous dites : tous des menteurs, est-ce que c’est aussi l’autocritique et le repentir d’un menteur ?

François Bayrou
« Non. Oui, enfin. Je veux bien me mettre dans le lot de la politique d’autrefois. J’ai décidé d’en changer. Si je conduis cette liste c’est précisément pour que quelque chose change dans le ton et dans la manière de faire. Je ne supporte plus la politique à coups de slogans dont ceux qui les profèrent savent exactement qu’ils ne reflètent pas la vérité, qu’ils ne les appliqueront pas et se mettent en fait en situation de décevoir à l’avance les gens qui voteraient pour eux. »

Question
Au passage, c’est Nicolas Sarkozy et Robert Hue qui vous ont répété : vous avez peut-être du mal à vous accepter dans la peau, en tant que dirigeant politique, d’un homme de droite.

François Bayrou
« Non, je suis un homme de la droite modérée française, celle qui souhaite faire en même temps la liberté parce que l’économie en a besoin et enfin une vision de la solidarité qui soit un peu plus généreuse que ce que vous avons réussi à faire jusqu’à maintenant. »

Question
On va prendre quelques exemples et on va voir si on peut dire la vérité. A partir de quel score à l’UDF c’est un échec ou un succès ?

François Bayrou
« Disons le score à deux chiffres c’est très bien et le plus haut score possible c’est encore mieux. »

Question
Après les européennes serez-vous, vous, François Bayrou, et l’UDF, plus proches de J. Chirac ou plus loin ?

François Bayrou
« Je pense plus proche parce qu’on verra mieux qui est qui est chacun occupera mieux son espace. L’opposition a besoin à l’avenir de respecter les sensibilités différentes qui se seront exprimées, aussi bien la nôtre que d’autres. C. Pasqua aura fait naître une sensibilité nationale forte, voilà. Chacun occupe son espace. »

Question
Et un jour, éventuellement, vous pourriez vous retrouver pour gouverner ? Peut-être pour siéger à Strasbourg mais pour gouverner ensemble ?

François Bayrou
« Evidemment nous l’avons fait. Gouverner, ce n’est pas être tous les mêmes, c’est faire un accord général qui permettre que chaque sensibilité trouve son compte dans la manière dont on gouverne. »

Question
On prend quatre grandes questions liées à l’Europe. La guerre du Kosovo : qui commande ?

François Bayrou
« Pour l’instant ? »

Question
Oui.

François Bayrou
« Vous le savez bien : les Américains. »

Question
L’Otan, défenseur des droits de l’homme, est-ce qu’elle respecte les lois internationales ?

François Bayrou
« Je pense que oui et j’espère que oui. »

Question
Vous n’en êtes pas tout à fait sûr…

François Bayrou
« L’Otan c’était une Alliance défensive au départ. Et puis c’est vrai que l’Otan a pris ce rôle particulier de porter le combat. Mais pour une fois que la force est au service du droit, regrettons le déséquilibre entre Américains et Européens mais saluons le mouvement. »

Question
Milosevic il faut s’en débarrasser ?

François Bayrou
« Je ne suis pas en situation de répondre à cette question. »

Question
L’euro aujourd’hui s’affaiblit. Qui pilote l’euro ? Car on a l’impression que l’on va vers un euro pour un dollar ce qu’on disait…

François Bayrou
« L’euro s’affaiblit. Est-ce que la situation de l’euro par rapport au dollar est un drame ? Pour moi non ! C’est même probablement, pour l’instant, un plus. Souvenez-vous : nous avons pleuré des larmes de crocodile pendant des années, tous ensemble, parce que le dollar avait un double avantage que les monnaies européennes n’avaient pas : il pouvait être en même temps assez bas pour donner de la compétitivité aux produits américains et leur permettre de nous piquer des marchés, comme on dit de manière simple… »

Question
Mais ce n’est pas ce qu’on disait au début !

François Bayrou
« …et deuxièmement, ils avaient des taux d’intérêt bas. Nous avons les taux d’intérêt pour ainsi dire les plus bas de la planète et notre monnaie met nos produits en situation de se vendre très bien dans le monde. Ne pleurons pas ! Félicitons-nous en ! »

Question
Ça ne veut pas dire que l’euro traduit l’affaiblissement ou l’état vasouillard de l’économie européenne et française ?

François Bayrou
« Il y a un état en effet de croissance insuffisante et c’est cela que traduit probablement les taux actuels entre le dollar et l’euro. »

Question
Le poulet, le beurre belge qui polluent la consommation et c’est d’ailleurs très sérieux, c’est la faute à qui ?

François Bayrou
« La faute à ce qu’il n’y a pas assez d’Europe. Il y a sans doute une faute individuelle mais vous voyez bien que ça signifie que, dans une Europe où les produits circulent de manière libre et, heureusement – parce que la France exporte beaucoup plus qu’elle n’importe – dans cette Europe-là il faut une autorité sanitaire capable de faire respecter la sécurité des consommateurs. »

Question
Jusque-là il faut plus ou moins d’Europe ou mieux d’Europe ?

François Bayrou
« Du point de vue de la santé des consommateurs, plus et mieux. »

Question
Mais sur toutes ces questions compris la défense, l’économie, le social, faut-il et est-ce que ça se passe plus d’Europe ou un peu moins d’Europe ?

François Bayrou
« Non, ça passe par plus d’Europe mais plus d’Europe ça ne sera accepté – et pour moi c’est l’idée la plus forte dont hélas on ne se rend pas habituellement compte – plus d’Europe, pour nous qui y croyons, ça passe par le fait que les citoyens se sentent acteurs à l’intérieur de l’Europe. Pour l’instant et vous savez bien les projections de participation aux élections européennes, pour l’instant donc, l’Europe est quelque chose qui ne leur appartient pas, un objet extérieur à eux. Or, ils sont citoyens européens et il faut donc leur donner une place dans la construction démocratique de l’Europe, c’est-à-dire leur donner des pouvoirs à l’intérieur de l’Europe, par le vote, qu’ils n’ont pas pour l’instant. »

Question
J’avais dit quatre questions liées à l’international et à l’Europe. Il y a une question douloureuse pour tous les fans du cyclisme et probablement pour un élu des Pyrénées : le dopage des coureurs cyclistes est un phénomène aujourd’hui international, qui dépasse même l’Europe. Faut-il suspendre les grandes compétitions et le Tour de France pendant 1 an ? Qui peut avoir le courage ou l’honnêteté de le dire, comme ça, en face, même si on est un fan du Tour ?

François Bayrou
« J’en parle, n’y connaissant rien, comme un spectateur qui applaudit sur le bord de la route ou devant son écran de télévision. Il y a une chose qui est frappante, c’est que les grandes épreuves cyclistes sont trop lourdes. Comment voulez-vous qu’on demande à la fois aux gens d’être parfaitement clairs du point de vue de leur préparation, transparents, de refuser toute médication et en même temps qu’on leur impose 21 jours avec des étapes aussi chargées ! »

Question
Donc, donc ?

François Bayrou
« Donc, ça dépend des organisateurs et donc de nous spectateurs de réfléchir, me semble-t-il, à un allégement de ces courses pour qu’un organisme normal puisse les assumer sans avoir à se doper comme on dit. »

Question
On pourrait le dire aussi pour le foot, pour d’autres sports.

François Bayrou
« Pour le rugby. »

Question
Le rugby aussi.

François Bayrou
« Sûrement, les compétitions sont trop lourdes et on l’a vu avec l’équipe de France contre la Russie. »

Question
On pourrait dire aussi pour le tennis quand on voit les muscles de certaines et de certains joueurs. Qu’avez-vous appris vous-même à force de prêcher l’Europe, de ci delà, à des infidèles et des mécréants, jusqu’ici ?

François Bayrou
« Eh bien que probablement c’est le projet qui rend le plus service aux Français, celui auquel ils seraient au fond d’eux-mêmes le plus prêts à adhérer et qu’on ne leur a pas fait aimer parce qu’on ne leur a pas fait comprendre et on ne leur a pas donné une place à l’intérieur. Moi qui suis un amoureux de l’Europe, qui considère que c’est la plus belle aventure qu’on ait vécue au XXe siècle, après les drames que l’on sait, et qu’on va vivre au XXIe  siècle, il faut que nous ayons le courage de trouver la nouvelle étape qu’il faut pour l’Europe pour que vous et moi et tous ceux qui nous écoutent, citoyens européens, sentent que c’est leur chose et qu’ils ont leur poids dans cette aventure. »

Question
Vous avez montré avec beaucoup d’énergie et de passion, ce matin encore, comme hier, que vous cherchez à placer votre campagne, votre destin politique sous l’égide de la vérité. La vérité est-ce possible en politique ? Vous souvenez ce que chantait G. Béart : « Le premier qui dit la vérité… » ?

François Bayrou
« Sera exécuté ! »

Question
Alors ?

François Bayrou
« J’espère que pour une fois, le premier qui dit la vérité, il sera reconnu et entendu. On a tellement besoin de changer les habitudes et de sortir de ces langues de bois que vraiment c’est le moment d’y aller. »

Question
L’Europe social-démocrate majoritairement de gauche commence-t-elle de baisser le masque et de montrer son vrai visage à la veille du scrutin européen ? Le réalisme de gauche, invoqué il y a quelques mois par L. Jospin, et aboutissant à la privatisation de la finance et de l’industrie françaises est-il dépassé ou a-t-il à voir avec cette « troisième voie » proposée par T. Blair et le nouveau centre de G. Schröder ? Le manifeste publié par les gouvernements anglais et allemand, à trois jours du vote, pour une Europe flexible et compétitive ouverte à une économie de marché, à la liberté d’entreprendre et à la libéralisation du commerce mondial, est-il un aveu des politiques économiques qui sont menées par les principaux partenaires de l’Union – Allemagne, Grande-Bretagne, France – ou une divergence est-elle en train de s’opérer au cœur même de l’Union dans la définition du projet politique et économique entre une Europe sociale et une Europe libérale ? Qui, le premier, dira la vérité ? Refrain connu.

Question
L. Jospin est-il au centre, voire au nouveau centre, sans le dire ou sans le savoir ? Ou êtes-vous à gauche façon « troisième voie » ? Qui va dire, là, encore une fois, la vérité pour reprendre ce que vous disiez à propos des impôts l’autre soir ?

François Bayrou
« La vérité est très simple et vous l’avait aperçue, c’est que MM. Blair et Schröder isolent M. Jospin. C’est un événement très important dont on avait déjà eu plusieurs indices mais cette fois-ci, c’est une déclaration commune des deux grands voisins, les partis social-démocrate allemand et travailliste anglais qui disent : « Cette Europe socialiste à la française, nous n’en voulu pas. » On avait déjà vu, à Cologne, que les demandes de M. Jospin – cela a été rapporté partout – ont provoqué un éclat de rire autour de la table de la part des partenaires de la France parce que le socialisme à la française, c’est-à-dire la réglementation, les 35 heures pour tous, le même jour quelle que soit l’entreprise et les difficultés du travail, et puis le surcroît des impôts, les autres partis sociaux-démocrates n’en veulent pas. Jusqu’à maintenant, ils se contentaient de ne pas en vouloir sans le dire ; maintenant, ils le disent haut et fort. »

Question
Mais à epsilon près, est-ce que tout le monde, au fond, ne fait pas la même chose ? Encore une fois, je vous pose la question parce que cela a troublé beaucoup de monde ce que vous disiez à propos des impôts l’autre soir. Vous disiez en gros : « Tout le monde prétend les baisser et en même temps, tout le monde fait la même chose, tout le monde les augmente. »

François Bayrou
« Je pense que la vie politique a beaucoup à gagner – et l’opposition aussi – si on se met à dire la vérité comme elle est, avec les difficultés qu’on rencontre et les enthousiasmes ou les idéaux qu’on soutient ? Est-ce que tout le monde fait la même chose ? Non, ce qu’a fait, en France, la gauche au pouvoir, c’est qu’ils ont augmenté les contraintes sur l’économie française et partout ailleurs, en Allemagne comme en Grande-Bretagne, ces contraintes sont allégées. Il me semble qu’il y a à chercher une option, un choix politique qui est de concilier cette liberté dont l’économie a besoin pour créer des emplois et faire naître des entreprises avec un sentiment fort d’attention aux gens, de solidarité face aux difficultés. C’est cette voie-là qu’il faut chercher et trouver, et il me semble que de ce point de vue-là, c’est un isolement de M. Jospin. »

Question
Mais l’Europe, compte tenu de ses enjeux économiques et politiques, telle, encore une fois, qu’elle peut se dessiner dans cet espace dit « de la troisième voie » - il faut parler d’une troisième voie maintenant -, est-ce qu’elle en train d’organiser un nouvel espace politique dans lequel vous-même vous vous situez au fond ?

François Bayrou
« Si j’ose dire : l’idée de la troisième voie a été inventée par ma famille politique et depuis longtemps. Vous savez que les Allemands, la CDU de M. Kohl a depuis des années choisi comme slogan et comme ligne – et les trois mots ont leur importance : l’économie sociale de marché. C’est-à-dire une économie de marché puissante mais mise au service d’un projet de société qu’on partage. Et c’est cela dont on a besoin. Et j’ajoute, si vous me permettez, mon apport : c’est ce que ce projet ne doit pas être uniquement matérialiste. On a besoin de valeurs, j’allais dire, de fraternité, si le mot pouvait être utilisé à cette heure sur une antenne. On a besoin de considérer qu’une société, cela n’est pas de la solitude, de l’individualisme et de l’indifférence et que nous avons ensemble un projet qui ressemble à cette éducation civique qu’on doit faire dans les écoles aux plus jeunes enfants, c’est-à-dire pour leur montrer qu’on n’est pas là uniquement pour satisfaire des besoins matériels mais que si nous réussissons, quelque chose d’autre se crée qui est en effet de l’ordre de l’attention et du respect réciproque. »

Question
Je vous écoute avec attention. Il y a beaucoup de valeurs dites « de gauche » dans ce que vous êtes en train de dire, au fond, cette espèce de dimension éthique. Mais puisque vous prétendez vouloir dire la vérité.

François Bayrou
« Vous me permettez une réponse. Tout le sens du combat qui est le mien depuis des années est de montrer que la générosité, cela n’est précisément pas le monopole de la gauche ou alors, il n’y a plus d’horizon. La générosité n’appartient pas au camp de la réglementation et de la surcharge administrative. La véritable générosité, c’est précisément celle qui libère. Et c’est cela que nous allons essayer de faire entendre. Oui, en effet, c’est une option différente que je propose : c’est celle de ne pas enfermer l’opposition dans une hostilité systématique à tout. Mais que l’opposition, ce soit précisément la proposition de quelque chose d’autre et dans laquelle pourront se reconnaître les gens qui sont à droite parce qu’ils sont enracinés et qu’ils ont besoin d’identité et d’affirmation morale forte. Et beaucoup de ceux qui votaient à gauche et qui vont s’apercevoir que ce vote de gauche ne conduit pas à grand-chose, comme Blair et Schröder le montrent. Parce que c’est un diagnostic qui est extrêmement sévère et que beaucoup de gens qui votaient à gauche ou votent à gauche doivent entendre en disant : « Qu’est-ce qu’il se passe exactement ? »

Question
Surtout quel est le projet pour l’Europe. Alors s’agissant de vous quand même, ce discours que vous tenez, que vous renforcez chaque jour qui passe et plus on se rapproche du scrutin, est-ce qu’il n’est pas en train d’opérer une rupture avec certains membres de l’opposition ? Qu’est-ce qui va se passer entre vous et les autres du côté de l’opposition après les européennes ?

François Bayrou
« Ce n’est sûrement pas une rupture, c’est un rééquilibrage. Dans l’opposition, jusqu’à ce jour, tout le monde le voit bien, on était d’un appauvrissement parce qu’un certain nombre de discours ne pouvaient pas être entendus. Il y avait la voix unique et la pensée unique. C’était toujours de la même organisation que venaient les instructions et les autres obéissaient même s’ils sentaient bien qu’il n’était pas normal que leur voix ne fût pas entendue. Mais si j’ose dire, il n’y a pas que nous. La voix nationale que Pasqua et P. de Villiers font entendre, je n’en partage pas toutes les options – comme vous savez, je crois qu’ils se trompent sur l’Europe – mais il demeure qu’ils ont leur place dans l’opposition. Et donc avec ce rééquilibrage que nous sommes en train de faire naître entre des familles qui, désormais, j’espère, se respecteront, on aura montré dans cette élection que chacun a sa place et qu’on doit travailler ensemble. Ensemble, cela ne veut pas dire les uns derrière les autres. Ensemble, cela veut dire au même niveau de crédibilité et de responsabilité. »

Question
Vous avez vu la petite phrase quand même de C. Goasguen qui dit que la reconstruction de la droite se fera sans les centristes ?

François Bayrou
« Oui, je ne commente pas ce genre de propos parce que vous voyez à quel point il est vide et vain, surtout venant de la part de gens qui ont fait toute leur carrière politique à l’intérieur du centre. »

Question
Vous ne croyez pas tout de même à une recomposition du paysage politique français après les européennes ?

François Bayrou
« Non, je pense qu’il va y avoir une recomposition ou un paysage nouveau profondément renouvelé mais que ce n’est pas dans les changements d’alliance entre appareils qu’il faut chercher cette nouveauté ou ce renouvellement-là. On va avoir enfin un paysage nouveau et équilibré, enfin des sensibilités nouvelles vont se faire entendre, enfin des visages nouveaux vous apparaître et on en avait tellement besoin, on était tellement enfermé dans quelque chose qui craquait de partout, que je crois que c’est une bonne nouvelle pour la vie politique en France de manière large et pour l’opposition, en particulier. »

Sud Ouest – Vendredi 11 juin 1999

« Sud-Ouest ». Vous avez dit que « ce qui restait à construire en Europe était plus important que ce qui avait été fait ». Pouvez-vous être plus précis ?

François Bayrou. Si les citoyens sont réticents à l’égard de l’Europe, c’est parce qu’ils ont le sentiment qu’elle se construit en dehors d’eux. Il est donc urgent de leur rendre la « clef de l’Europe » avec une Constitution qui clarifie les pouvoirs entre l’Union, les Etats qui la composent et les régions qui la font vivre. Il convient aussi d’obliger les dirigeants à se montrer plus proches des citoyens. La seule façon d’avoir moins de technocratie, c’est d’imposer plus de démocratie. C’est pourquoi je propose que les Français et nos voisins se voient reconnaître le droit de désigner les dirigeants de l’Europe.

« S.-O. ». Comment fonctionnera l’opposition après le 13 juin ?

François Bayrou. Nous avons besoin d’une opposition rénovée. Celle-ci devra apprendre, d’une part, à dire la vérité, et, d’autre part, à respecter les sensibilités de tous les Français qui pourront se reconnaître en elle.

« S.-O. ». Et combien existe-t-il de « sensibilités » aujourd’hui au sein de la droite et du centre ?

François Bayrou. J’en vois trois : la sensibilité nationale autour de laquelle Charles Pasqua a construit son message, la sensibilité libérale RPR-DL et la sensibilité européenne, décentralisatrice et sociale que nous incarnons.

« S.-O. ». Cette pluralité renforcera-t-elle l’efficacité ?
François Bayrou. Bien sûr. On travaille mieux ensemble quand tout le monde se sent respecté.

« S.-O. ». Tant dans votre campagne que lors du récent débat de motion de censure, vous accusez l’actuel gouvernement de maintenir une conception dépassée de l’Etat omnipotent et centralisateur. Etes-vous sûr que le président de la République et le RPR soient sur la même longueur d’onde que vous à ce sujet ?

François Bayrou. Il est naturel qu’il y ait des points de vue différents. Traditionnellement, le RPR est plus jacobin ainsi que les personnalités qui en sont issues. Mais je suis sûr que le XXIe siècle verra une reconnaissance plus grande en politique de ceux qui sont, à la base, les acteurs de la vie des régions et de la vie économique du pays : les commerçants, les artisans, les syndicats de salariés et les associations professionnelles.
Tous ceux-là veulent être entendus dans une France trop marquée jusqu’ici par la technocratie.

« S.-O. ». Est-ce que cela pourrait vous conduire à défendre un axe spécifique de campagne pour la « nouvelle UDF » lors des municipales de 2001 ?

François Bayrou. Il y a un immense besoin de démocratie de proximité. On le verra apparaître de façon de plus en plus claire. Mais lorsqu’il s’agit d’une élection au scrutin majoritaire, il est normal que l’on se regroupe.

« S.-O. ». Vous avez parcouru la France et les DOM-TOM pendant près de deux mois. Quel sera votre meilleur souvenir de campagne ?

François Bayrou. Il m’en vient deux à l’esprit, sans hésiter. Le premier, à Bordeaux, quand des milliers de personnes de mouvements politiques différents ont décidé que nous serions ensemble pour défendre le message européen qui était le nôtre. Ce fut un grand moment d’unité et de ferveur dans une UDF régionale qui s’était dans le passé beaucoup divisée. J’imagine que cela sera pareil ce soir, à Bidache, au milieu des Basques et des Béarnais rassemblés.
Le deuxième bon moment, c’était il y a quelques jours, à Nice, quand j’ai vu surgir – sans être le moins du monde prévenu – des militants, des parlementaires, des élus locaux et des candidats de notre liste venus des quatre coins de France me rappeler que c’était mon anniversaire (NDLR : 48 ans), et qu’il fallait que l’on fasse la fête.

« S.-O. ». Et le pire ? Les commentaires sur votre « accrochage » avec Nicolas Sarkozy ? La fatigue accumulée au fil des meetings ?

François Bayrou. J’ai beau chercher, je n’ai pas de mauvais souvenir. Car les exemples que vous citez font partie de la démocratie vivante et, soit dit plus simplement encore, de la vie !