Article de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, dans "Le Monde" du 12 juin 1999, sur les enjeux des élections européennes de juin, intitulé "Un projet pour les peuples".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Une véritable Europe, enfin démocratique, ce n'est pas seulement un idéal, c'est la seule réponse possible et réaliste aux problèmes de notre temps.

Cette affirmation n'est pas une profession de foi, c'est une certitude. Car le siècle nouveau dans lequel nous allons entrer ne nous laisse connaître ni son visage ni les difficultés qu'il rencontrera. Mais nous savons de lui une chose, sans aucun doute possible : ce sera le siècle des frontières ouvertes.

Ce temps de l'ouverture, temps de la mondialisation, comme on dit, sonne-t-il le glas du vieux projet français, une vision universelle d'une société toujours plus humaine ? Invite-t-il à voir disparaître les traits d'identité, de culture, de langue, qui nous ont faits ce que nous sommes ? Conduit-il à constater l'impuissance définitive du politique, réduit à la gestion du verbe, tandis que les véritables décisions se prennent ailleurs, chez les grandes puissances ou parmi les décideurs financiers de la planète ? Parallèlement, le rôle des citoyens, leur intervention dans le débat, sera-t-il limité à la protestation, à des coups de gueule, plus ou moins avouables ?

Nous avons un immense patrimoine à défendre. Mais nous ne pouvons plus le défendre seuls. Au siècle de la puissance, il nous faut construire une puissance : la seule qui nous soit accessible, c'est l'Europe. Et si nous voulons continuer à croire à la démocratie, il faut que cette puissance donne enfin leur place aux citoyens : l'Europe doit devenir démocratique.

Cela ne se fera pas tout seul. Pour faire l'Europe de la paix, il a fallu se battre. Pour le marché commun, pour la monnaie unique, la tendance de l'opinion était craintive et hostile. Il nous faut nous battre pour ouvrir le nouveau chapitre de notre histoire européenne.

Et le premier combat sera celui de l'association des citoyens au projet que jusqu'à maintenant ne portaient que les Etats, leurs gouvernants et leurs élites.

Rien n'est plus douloureux, aux yeux des partisans de l'Europe, que ce fossé qui s'est créé entre l'idéal européen et les citoyens pour qui il était formulé. L'Europe n'est pas seulement un projet pour les élites. C'est un projet pour les peuples et, plus encore, pour les plus fragiles, pour ceux qui ont du mal à se défendre seuls, pour ceux qui n'ont pas les armes de la compétition internationale. C'est pour eux que l'Europe a été conçue. Pour renforcer leurs forces et pour compenser leurs faiblesses.

D'où vient donc que, massivement, ils doutent et s'interrogent ? C'est qu'on a oublié de les associer, de leur donner du pouvoir, de protéger leur intimité dans la maison commune.

Pour rendre aux citoyens une idée positive de l'Europe, il va falloir un immense effort. Un effort commun de tous les convaincus de l'idéal européen. Cet effort, j'en ai la conviction, commence par une démarche de reconnaissance et de clarification. La démocratie, c'est une règle du jeu. C'est pourquoi une Constitution pour les concitoyens européens aura le mérite principal de clarifier les domaines de compétence et de donner une lecture simple de l'oeuvre en train de s'édifier. C'est pourquoi aussi les gouvernements devront accepter de renoncer, au profit des peuples, à leur pouvoir de désignation du principal responsable européen. Un président identifié et élu, au lieu d'être nommé et pour l'essentiel anonyme, c'est un moyen moderne de donner un visage à notre Europe.

Il y a vingt-cinq siècles que toute démarche démocratique commence par cette identification. La démocratie locale, la démocratie régionale, la démocratie nationale exigent des dirigeants élus. Pourquoi la démocratie européenne échapperait-elle à cette règle ? La logique du siècle nouveau sera celle-là ou bien la grande aventure européenne sera en grand danger.

Car il y a des dangers qui pèsent sur l'Europe. Le premier, nous l'avons vu, est celui de la désaffection populaire. Le deuxième est celui de la dissolution du projet initial dans un ensemble sans volonté, sans capacité de décision. Le risque existe de voir l'Europe devenir, au moment de ses plus grands succès, au moment où personne ne la discute plus, cette zone de libre-échange que refusaient ses fondateurs et que proposaient ses adversaires. Une zone de libre-échange, c'est-à-dire un ensemble sans valeurs communes, sans message à porter, avec des institutions inexistantes et molles. C'est au moment du triomphe apparent de l'Europe qu'elle rencontrerait ainsi son échec.

C'est pourquoi rien n'est plus important que de voir défendre dans la vie politique française un projet européen clair et cohérent. Les années qui viennent seront cruciales, tout le sait. C'est le moment des idées claires et des convictions franches.