Texte intégral
Madame la commissaire,
Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs,
C’est un grand plaisir pour moi d’ouvrir les travaux de cette conférence sur les technologies industrielles qui vont vous réunir à Toulouse ces trois prochains jours. La diversité de vos appartenances professionnelles – élus, responsables politiques, chercheurs, industriels, fonctionnaires nationaux et européens –, la richesse de vos origines géographiques comme de vos expériences sont une garantie d’échanges de qualité, utiles et fructueux.
Si j’ai décidé de passer un moment, certes trop bref, avec vous, c’est parce que, au-delà de ce qui m’attache à la région et à Toulouse, le sujet de votre rencontre présente à mes yeux une très grande importance et qu’il s’inscrit pleinement dans les défis économiques et sociaux que nous rencontrons aujourd’hui.
Par sa tradition scientifique comme par son tissu industriel, la France a toujours placé la recherche parmi ses priorités.
Son histoire lui a aussi appris que la recherche devait dépasser les frontières et que la voie de la coopération transnationale pouvait permettre à l’Europe de s’affirmer sur la scène mondiale.
Bien que le retard européen en matière de technologie et d’innovation soit malheureusement avéré, il ne convient pas pour autant de sombrer dans le pessimisme. De nombreux exemples sont là pour démontrer la vitalité de la créativité du vieux continent : je pense, pour ce qui concerne la France, à la magnifique série des trois prix Nobel de physique français, et en particulier au dernier en date, Claude Cohen-Tannoudji, que je salue.
Pour être compétitive vis-à-vis des grands ensembles économiques régionaux, et en particulier des États-Unis, l’Europe doit nouer des partenariats plus nombreux sur le modèle d’Airbus et d’Ariane qui sont des succès éclatants.
Dans cette perspective, la recherche communautaire représente un enjeu considérable.
Cet enjeu est bien sûr au cœur des travaux d’élaboration du futur programme-cadre de recherche et de développement technologique communautaire, le PCRD pour les initiés. Il prend aussi toute sa place dans la préparation du conseil européen extraordinaire sur l’emploi prévu dans un peu moins d’un mois à Luxembourg.
Le chômage reste encore le problème dominant des sociétés européennes. Aux États-Unis, notre principal compétiteur, des emplois nouveaux, qualifiés et nombreux ont été créés ces dernières années dans les nouvelles technologies. C’est dire le rôle majeur que peuvent jouer l’innovation et le développement technologique au bénéfice de l’emploi. Je souhaite donc vous indiquer les orientations que j’entends donner en ce sens au niveau national et proposer au niveau européen. Dans son prolongement, j’évoquerai les défis du futur programme communautaire et les attentes du gouvernement français en la matière.
L’innovation et le développement technologique au service de l’emploi.
Il est de la responsabilité des gouvernements, c’est en tout cas ma préoccupation, de conduire les actions nécessaires pour que la France et l’Europe préservent un potentiel unique de compétences tout en créant les conditions pour que le tissu économique puisse se nourrir pleinement des fruits de cette intelligence. Le développement technologique et l’innovation constituent les moteurs indispensables au maintien à long terme de la compétitivité de nos industries et à la création d’activités nouvelles porteuses d’emplois qualifiés, durables et ouverts aux plus jeunes.
La politique de recherche doit donc aller de pair avec une politique plus générale de soutien à l’innovation technologique. C’est sur ce point que je voudrais insister aujourd’hui.
En matière de soutien à l’innovation et au développement technologique, il est essentiel de savoir conduire l’action publique avec souplesse et cohérence, celle-ci ne pouvant pas se réduire à une simple volonté autoritaire de valorisation de la recherche publique. Les bouleversements de ces dernières années dans les technologies de l’information et les biotechnologies nous enseignent qu’une distinction trop marquée entre une recherche fondamentale tournée vers le savoir et une recherche appliquée à vocation économique n’est plus de mise. La recherche s’épanouit grâce à la liberté de création de ses acteurs et les applications industrielles sont le plus souvent le fruit imprévisible du travail scientifique. Le gouvernement doit veiller à préserver cette indépendance, tout en permettant aux chercheurs de disposer des moyens nécessaires à leurs travaux. Pour l’année 1998, nous avons proposé un budget qui va dans ce sens : priorité à l’emploi scientifique, priorité au fonctionnement des laboratoires.
En revanche, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de favoriser l’émergence d’un environnement et d’une dynamique qui permettent à la création de s’exprimer et aux projets innovants de se réaliser.
La création d’un tel environnement constitue l’une des priorités de mon Gouvernement. Une réflexion conjointe est en cours entre le ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Des actions ont d’ores-et-déjà été entreprises et j’ai la volonté d’amplifier cet effort dans quatre directions essentielles.
Rapprocher les centres de recherche publics du monde économique. L’indépendance que j’évoquais ne doit pas être synonyme d’isolement. J’ai, en effet, la conviction que c’est par l’instauration d’un meilleur dialogue entre les chercheurs et les entreprises que le tissu industriel pourra se nourrir d’idées nouvelles et accroître ainsi son potentiel technologique.
Il faut pour cela une plus grande proximité entre les centres de formation, les laboratoires et les entreprises. La France dispose de pôles de compétence scientifique et technologique constitués autour des organismes publics, il faut les valoriser, en évitant le morcellement, et les inscrire dans un ensemble européen cohérent.
De même les missions respectives des différents acteurs publics agissant pour le développement technologique doivent être mieux définies, tant au niveau déconcentré qu’à l’échelle nationale. L’accès des entreprises à la recherche doit être facilité et l’État doit garantir une plus grande lisibilité de ses actions dans ce domaine.
Il est également nécessaire de favoriser la mobilité des chercheurs qui désirent valoriser leurs travaux dans l’entreprise. C’est par le biais de telles expériences que les mondes de la recherche et de l’entreprise se connaîtront davantage. Des mesures seront prises par le Gouvernement afin de faciliter l’essaimage des chercheurs vers le monde industriel. Nous souhaitons également promouvoir la formation par la recherche au sein des entreprises.
Enfin, les programmes de recherche doivent s’ouvrir davantage aux petites et moyennes entreprises au niveau national aussi bien qu’au niveau européen. Sans négliger l’importance des grands groupes industriels et l’aide que la recherche publique peut leur apporter dans le développement de technologies nouvelles, il est certain que les PME/PMI à fort contenu technologique – et il en est de nombreuses ici dans ma région – constituent un vecteur indispensable à la conception et la diffusion de produits et de services innovants. La transformation en succès économique du potentiel scientifique et technologique implique une plus grande participation des petites entreprises dans les projets technologiques engagés aux niveaux national et européen. La majorité de celles qui se sont déjà engagées sur cette voie ont créé des emplois et ont vu leur compétitivité s’accroître sur la scène internationale.
L’éducation et la formation doivent également jouer un rôle fondamental dans le développement de l’innovation.
Les écoles, les collèges et les lycées doivent aider les jeunes à devenir acteurs à part entière d’un monde du savoir et de l’intelligence ; c’est l’une des priorités du ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, je partage pleinement cet objectif.
Il faut mettre en contact les plus jeunes avec les objets scientifiques et techniques qui constitueront les caractéristiques du monde dans lequel ils vivront et devront entreprendre. J’ai affirmé, à l’université de la communication de Hourtin, l’importance que j’accordais à l’entrée des technologies de l’information à l’école.
Je me réjouis de voir un prix Nobel comme Georges Charpak se faire, tout comme son prédécesseur Pierre-Gilles de Gennes, dans les écoles, l’ambassadeur d’un enseignement des sciences fondé sur l’observation et l’expérience ; c’est une nouvelle culture scientifique et technique qui apparaît ainsi.
De même, l’enseignement supérieur doit encore davantage s’imprégner d’un esprit d’innovation, de création, d’entreprise et d’initiative. Les universités et les grandes écoles forment en France des professionnels de grande qualité, qu’ils soient scientifiques, ingénieurs, techniciens, commerciaux ou financiers. Il faut favoriser le rapprochement entre les universités et les grandes écoles, éviter que ne se créent des ghettos de filières technologiques et, en revanche, introduire des unités de professionnalisation dans toutes les formations. Il est de la plus grande importance, aujourd’hui, de décloisonner un certain nombre de filières, et de favoriser la pluridisciplinarité nécessaire à la réussite d’un projet technologique.
Enfin, dans un contexte où le rythme des avancées technologiques connaît une accélération vertigineuse, il n’est pas possible de s’arrêter à la formation initiale. L’adaptation tout au long de la vie professionnelle à des connaissances et des techniques nouvelles constitue la condition indispensable pour que le progrès technologique soit mis au service de l’emploi. Il est nécessaire d’offrir à tous l’accès, pendant une carrière professionnelle, à de nouvelles qualifications qui permettent d’accompagner les profonds bouleversements que le progrès technique entraîne sur le marché du travail.
Il revient également aux gouvernements de créer des conditions économiques et financières favorisant l’innovation technologique.
L’État, mais aussi l’Union européenne, doivent encourager toutes les initiatives permettant aux projets innovants de voir le jour. Dans ce domaine, il ne s’agit pas de substituer l’intervention publique à celle des professionnels dont c’est le métier. Nous devons en effet passer d’une simple logique de subvention à une logique d’incitation, qui utilise notamment les leviers que peuvent offrir la mise à disposition de fonds publics, la fiscalité ou certains régimes de garantie. Pour sa part, le Gouvernement a présenté, dans le projet de loi de finances soumis au Parlement, des dispositions d’incitation fiscale qui servent cet objectif, en orientant par exemple une partie de l’épargne privée vers des projets innovants. Il faudra aller plus loin, notamment pour promouvoir un véritable capital risque et pour soutenir la création et le développement des entreprises de haute technologie. Car nous savons bien que l’élargissement du potentiel de croissance de notre économie viendra principalement de la création de nouvelles activités et de nouveaux produits.
Au niveau européen, j’appelle de mes vœux des initiatives similaires en faveur de l’innovation de la part de la Banque européenne d’investissement et du Fonds européen d’investissement. La contribution française au prochain conseil extraordinaire européen consacré à l’emploi à Luxembourg va dans ce sens.
Enfin, la mise en place de l’euro doit faciliter la montée en puissance des marchés financiers européens, permettant ainsi aux entreprises de haute technologie de disposer des capitaux nécessaires à leur croissance sur le sol européen.
Enfin, les cadres réglementaires européen et nationaux devraient être adaptés afin de constituer autant d’instruments destinés à promouvoir et protéger l’innovation.
Dans le contexte d’une concurrence mondiale accrue, l’Union européenne doit, dans ses réglementations et leurs applications, notamment en matière d’aide à la recherche, assurer à ses industriels une situation comparable à celle de leurs grands concurrents internationaux.
Il revient aussi à l’Union de garantir et protéger l’innovation. À cet égard, je me félicite de l’initiative de la Commission européenne qui vient de publier un livre vert sur le système des brevets et la protection de la propriété industrielle. Je souhaite que les débats qui en résulteront conduisent à mettre un place un dispositif européen véritablement accessible à tous les créateurs et adapté aux besoins des utilisateurs. Le Gouvernement français a, en parallèle, engagé une réflexion afin que les outils de la propriété industrielle soient plus systématiquement utilisés, notamment par les PME. Symétriquement, les pratiques de veille technologique et d’intelligence économique devraient faire l’objet d’une plus large diffusion.
C’est dans ce cadre général que s’inscrit le programme communautaire de recherche et de développement technologique. J’espère que les orientations que je viens de tracer, au plan français ne sont pas différentes, dans leur esprit, de celles qui inspirent les promoteurs européens du prochain programme cadre.
Le futur programme cadre
La politique communautaire de recherche a produit de très grands succès tels que les programmes ESPRIT – dans le domaine des technologies de l’information –, ou BRITE-EURAM – dans celui des technologies industrielles –. Mais au moment où s’achève le quatrième programme cadre, plusieurs évaluations ont conclu à la nécessité d’un dispositif plus efficace et plus concentré. L’efficacité de l’action communautaire a, en effet, trop longtemps pâti, dans ce domaine, de la dispersion des objectifs et des programmes.
Le message est clair : concentration des moyens au service de l’excellence scientifique, du citoyen et de la compétitivité européenne.
Nos attentes sont à la mesure de cette ambition. Je sais, Madame la commissaire la passion et l’attention que vous mettez, de votre côté à la servir.
Un programme cadre proche du citoyen. La proposition de la Commission intègre dans ses critères la prise en compte de la demande sociale, c’est--à-dire l’emploi, le développement de la qualité de la vie et de la santé, la préservation de l’environnement. Tout au long de la négociation, nous ne devrons pas perdre de vue les objectifs sociaux majeurs correspondant aux attentes et aux préoccupations des citoyens. Une recherche plus proche, mais aussi plus rassurante et plus tangible. Aujourd’hui, le sentiment d’insécurité qui se développe dans nos sociétés sous l’effet de la progression du chômage s’accompagne d’une réaction de rejet irrationnelle mais compréhensible à l’égard de la science. La recherche européenne doit être plus visible et permettre au citoyen européen de croire au progrès.
Un programme cadre accessible : il convient de faciliter la participation de toutes les entreprises technologiquement compétentes aux projets de recherche industrielle et, plus généralement, d’éviter que des délais ou des taux de rejet trop importants ne dissuadent certains participants de qualité de préparer des propositions. L’intérêt des participants est essentiel et c’est dans cet esprit qu’une amélioration des règles de protection de la propriété intellectuelle doit également être recherchée au sein du programme cadre.
Un programme cadre efficace : des procédures trop longues et trop lourdes nuisent à l’efficacité de la recherche. Le rapport d’évaluation du programme « Brite-Euram » établit qu’il faut de 9 à 15 mois entre la clôture de l’appel à proposition et le démarrage des travaux financés par la Communauté.
Il faut que le PCRD fasse l’objet d’une gestion plus efficace et plus rapide susceptible d’améliorer son fonctionnement. À cet égard, la France participera activement à la réflexion en cours sur la gestion du 5e PCRD. Il est également impératif de mettre au point des systèmes d’évaluation des programmes plus exigeants et plus rigoureux. Enfin, il faut poursuivre les efforts déjà engagés en vue d’une meilleure articulation entre les projets financés par le PCRD et ceux issus de l’initiative EUREKA.
Un programme cadre flexible, enfin : les objectifs ne doivent pas être figés dès le départ par une répartition trop précise des budgets sur chaque domaine. L’accélération du renouvellement des technologies exige une plus grande capacité de réaction dans l’exécution des programmes. De même, l’irruption de crises imprévisibles, comme celle que l’on a connu avec l’encéphalopathie spongiforme bovine, nécessite des réponses adaptées et rapides au niveau communautaire.
C’est en fonction de ces exigences que la recherche communautaire trouvera toute sa place dans la réalisation des priorités tant nationales qu’européennes en faveur de la croissance et de l’emploi.
Conclusion
L’action publique ne peut pas tout, et elle est impuissante si elle ne s’accompagne pas d’une transformation des esprits.
La France, et au-delà l’Europe, sont encore marquées par un certain nombre de préjugés qui handicapent la prise de risque pourtant inhérente à l’activité de chercheur et d’entrepreneur.
La dynamique que j’évoquais tout à l’heure repose sur l’enthousiasme des personnes : il est de la responsabilité des pouvoirs publics de mieux reconnaître et valoriser les initiatives individuelles et collectives originales tout en s’assurant que l’échec inévitable de certains projets ne conduise pas à handicaper ceux qui les ont portés.
Je suis optimiste : des projets émergent, de nouvelles aventures technologiques prennent leur essor. Je sais qu’en région Midi-Pyrénées, par exemple, des enseignants, des chercheurs mettent tous les jours leur savoir et leur énergie au profit des entreprises, créant ainsi de nouvelles richesses et, à terme, de nouveaux emplois. Cette créativité est une garantie de succès en particulier pour tous ceux qui, en Europe, consacrent leurs efforts à développer une industrie aéronautique et spatiale apte à répondre aux défis des récentes concentrations intervenues aux États-Unis. Cette région, grâce à l’excellence de ses technologies, sera ainsi le pivot d’une nouvelle politique française et européenne ambitieuse dans ces secteurs de pointe. Je me félicite ainsi que ce sujet soit le thème de l’une de vos tables rondes.
Vous avez contribué largement, Madame la commissaire, par le débat que vous avez engagé au niveau européen sur la recherche et l’innovation, à faire que la construction européenne soit résolument tournée vers l’avenir. Nous vous en savons gré.
L’Europe a été le point de départ des aventuriers qui ont, dans les siècles passés, exploré la planète ; elle doit maintenant devenir le continent qui repousse les frontières du savoir et de la technique. Ainsi le formidable projet de la construction européenne offrira espoir et perspectives aux générations futures.