Interview de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat chargé de la coopération, dans "La Croix" du 13 novembre 1997, intitulé "La francophonie, c'est le refus de la culture unique", sur les enjeux internationaux du sommet des pays francophones de Hanoi.

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Circonstance : 7ème sommet de la francophonie, à Hanoï, Viêt-Nam, du 14 au 16 novembre 1997

Média : La Croix

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La Croix : Au moment où va s’ouvrir le 7e sommet de la francophonie, quels sont désormais les objectifs de la communauté des pays « qui ont en commun l’usage du français » ?

Charles Josselin : La seule défense de la langue française ne suffit pas à faire vivre la francophonie. Celle-ci est d’ailleurs un concept qui n’est pas très facile à percevoir. Il a par exemple du mal à accrocher en France où, à la différence de la Belgique, du Canada ou de la Suisse, il n’y a pas de débat linguistique. Si la francophonie ce n’est que la langue, alors ce n’est pas mobilisateur. Mais quand on voit la Pologne, l’Albanie, la Macédoine, l’Angola ou le Nigeria frapper à la porte, c’est qu’il y autre chose. Je crois que nous tenons aujourd’hui les moyens d’intéresser et de motiver les Français. Nous voulons d’abord lui donner les moyens de sa modernité à travers les nouvelles techniques de communication : Internet et chaînes de télévision…

La francophonie prend aussi une dimension politique, dont l’expression la plus claire sera l’élection à Hanoï d’un secrétaire général. Il en sera le porte-parole dans les instances internationales, y compris l’ONU, dans les grandes négociations où la francophonie a quelque chose à dire, parce qu’elle ne renvoie pas simplement à une langue mais aussi à des morceaux d’histoire partagée et à une sensibilité commune sur les questions culturelles, économiques et sociales.

La Croix : Le secrétaire général pourrait-il s’exprimer de façon autonome ?

Charles Josselin : Si c’est Boutros Boutros-Ghali – mais il faut encore qu’il soit élu – je ne vois pas qu’on puisse le lui interdire. Il est important que ce soit quelqu’un choisi à un niveau de notoriété qui autorise de l’écoute. Mais la dimension politique, c’est encore le champ des droits de l’homme et il n’est pas indifférent qu’il soit mis en exergue à Hanoï. L’observatoire des droits de l’homme qui devrait être mis en place n’a pas pour objet, à mes yeux, de condamner, mais de réfléchir ensemble. Puisque ces 49 Etats comprennent ceux qui peuvent revendiquer un état de droit à peu près achevé – ce n’est jamais parfait -, et d’autres qui en sont très loin, on peut penser qu’une réflexion collective pèsera sur le cours des choses. Je préfère en discuter avec ceux qui sont considérés comme n’en faisant pas assez, plutôt que d’avoir une posture d’absence moralisatrice qui ne fait rien avancer.

La Croix : Qu’attendez-vous sur le plan économique ?

Charles Josselin : Le Vietnam qui nous reçoit a mis l’accent sur ce point. Il veut certes mettre l’accent sur sa nouvelle réalité économique et espère une attention plus soutenue des investisseurs occidentaux. Mais ne négligeons pas la dimension Sud-Sud. Il y avait des entreprises africaines au forum économique réuni à Ho Chi Minh-Ville, ou ouverture du sommet. Ce genre de relations me paraît très intéressant. Quand on dit dimension économique, il ne faut pas comprendre espace économique francophone comme il y a un espace économique européen. Mais on peut entendre meilleure information économique réciproque, échange d’expériences, concertation pour la formation des cadres.

La Croix : Où se trouve alors l’intérêt de pays comme ceux d’Europe centrale qui sont candidats ?

Charles Josselin : Il y a chez eux une élite qui a gardé des relations avec la France ou au moins un bon souvenir d’études suivies dans notre pays. Ils le vivent comme une richesse qu’ils veulent transmettre, car une langue de plus c’est une richesse de plus. La francophonie, en ce sens, c’est aussi le refus de la culture unique. L’appartenance à la francophonie, c’est un réseau, c’est une chance de plus d’affirmer son identité. Et les Français, qui ne le savent pas, sont sans doute ceux qui ont le plus à gagner de la francophonie.