Extraits de la conférence de presse de M. Alain Richard, ministre de la défense, au Caire le 24 juillet 1997 et interview à "Al Ahram" le 11 août, sur la coopération militaire avec l'Egypte, en matière d'armement et de manoeuvres, la commercialisation du char Leclerc, notamment en Arabie saoudite, les relations entre la France et l'OTAN et le plan de paix au Proche-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de M. Alain Richard en Egypte et en Arabie saoudite du 24 au 27 juillet 1997

Média : Al Ahram

Texte intégral

Conférence de presse du ministre de la défense (extraits) – 24 juillet 1997

Moyen-Orient (processus de paix)

(...) J'ai confirmé au président Moubarak et au maréchal Tantaoui que la France revenait fréquemment vers ses partenaires européens, elle l'a encore fait lors de la dernière réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne à la fin du mois de juin, pour que ce soit la Communauté européenne, entière qui manifeste sa disponibilité et qui entreprenne des démarches pratiques pour soutenir la reprise du processus de paix.

Coopération militaire franco-égyptienne

Quant à la coopération de défense entre l'Égypte et la France, je rappelle qu'il s'agit d'un partenariat ancien et solide, le président Moubarak rappelait d'ailleurs que lorsqu'il était encore en service dans l'armée il avait lui-même participé au lancement de ce processus il y a plus de vingt ans alors que le Président Chirac était Premier ministre. Il y a donc une solide tradition déjà, une relation de confiance entre les forces armées des deux pays.

Exercices communs militaires France-Égypte (connaissance mutuelle des unités)

Nous comptons, en respectant les programmes de travail des deux systèmes de défense, renforcer la connaissance mutuelle des hommes et des unités, en particulier en poursuivant un programme de manoeuvres et d'exercices en commun sur les deux territoires, alternativement par des activités militaires en commun sur le territoire égyptien, ou sur la mer d'ailleurs, et sur le territoire français, et nous souhaitons aussi nous donner un programme ambitieux d'échanges d'officiers, d'échanges de militaires, pour que les uns les autres participent à des activités de formation commune.

Commission mixte franco égyptienne de coopération militaire (mise en place)

Pour mieux encadrer l'ensemble de cette coopération militaire, il faut vraiment nouer une habitude de partenariat qui corresponde à notre volonté politique. Le maréchal Tantaoui et moi-même sommes convenus ce matin de mettre en place une commission mixte de coopération militaire, composée de militaires, de manière à bien harmoniser les programmes de travail des deux armées.

Echanges franco-égyptiens de matériel militaire

Bien entendu, nous avons aussi parlé d'échanges en matière de matériel militaire et nous avons fait le point des programmes sur lesquels les industriels français peuvent fournir des propositions satisfaisantes aux forces armées égyptiennes. Nous avons vérifié que les différents programmes auxquels s'intéressait aujourd'hui l'armée égyptienne étaient en bonne voie et que l'appréciation portée sur les propositions, ou les prestations des industriels français, était positive.

J'ajouterai d'un mot que le développement économique que réussit l'Égypte en ce moment, la progression des capacités financières du pays, offre des possibilités d'intensifier la coopération sur le plan technologique entre nos deux pays, et que l'industrie égyptienne est considérée comme un partenaire tout à fait estimé et crédible par les industriels français dans des branches de haut niveau.

Je veux terminer en remerciant de son hospitalité et de l'excellente organisation de la visite, mon collègue le maréchal Tantaoui qui est un militaire de grande expérience et d'une grande largeur de vue et avec lequel nous nouons une relation de confiance et d'amitié tout à fait solide et agréable.

Coopération militaire franco-égyptienne (réalisation progressive)

Q. : Des accords ont-ils été déjà conclus dans le domaine de la coopération militaire ou non, et par ailleurs, allez-vous vous contenter de votre visite en Égypte, ou votre tournée va porter sur d'autres pays arabes ?

R. : Nous n'avons pas conclu d'accord sur des objectifs de coopération militaire supplémentaires, car nous sommes dans le développement d'un travail continu, avec beaucoup de dossiers qui sont en progression. Certains projets sont déjà décidés, et nos discussions portent sur leur réalisation progressive. D'autres projets sont en voie de négociation et nous en avons fait le détail avec le maréchal Tantaoui et les chefs militaires égyptiens.

Rencontres ministre français de la défense – ministre saoudien – chef d'état-major des Émirats-arabes unis

D'autre part, je vais me rendre en Arabie saoudite demain après-midi et je rencontrerai mon homologue saoudien, le prince Sultan ; et ce sera mon seul autre contact pour ce déplacement ci. Mais j'ai eu l'occasion d'être en contact à Paris avec cheikh Mohammed Ben Zayed des Émirats arabes unis il y a une quinzaine de jours, et nous prévoyons en effet d'avoir d'autres contacts d'ici la fin de l'année avec des collègues ministres de la défense de la région. Mais il est vraisemblable que dans l'intervalle, avant la fin de l'été, mon collègue, le ministre des affaires étrangères, réalisera une tournée dans le Proche Orient. (...).

Quant à la décision annoncée par la municipalité de Jérusalem de réaliser une nouvelle implantation à Jérusalem-Est, c'est à dire en plein quartier arabe, la France regrette l'annonce de ce projet. Nous notons l'opposition manifestée par le chef du gouvernement israélien à l'égard de ce projet, qui évidemment ne peut rien apporter à la situation actuelle du processus de paix, et nous attendons que des mesures concrètes soient prises, pour que cette volonté de la municipalité de Jérusalem ne puisse pas trouver d'aboutissement réel. D'une façon générale, vous me permettrez de répéter la position française qui considère que le statut de Jérusalem doit être l'aboutissement du processus de paix. Au stade actuel les accords signés doivent être respectés, et donc doit être maintenu le statu quo. La France a toujours marqué qu'elle était opposée à tout renforcement des implantations, dans le cadre des accords conclus entre le gouvernement israélien et l'autorité palestinienne.

Irak

Quant à votre question sur le nord de l'Irak, l'action de la France concernant l'Irak est entièrement encadrée par les engagements internationaux qui ont été pris à l'égard de ce pays, donc la France se borne à souhaiter le respect des résolutions de l'ONU.

Char Leclerc (commercialisation)

Q. : Concernant le char Leclerc, y-a-t-il des tentatives de commercialiser ce char, avez-vous essayé de vendre le Leclerc à l'Égypte, et concernant les exercices militaires entre la France et l'Égypte, la France a-t-elle l'intention de participer aux exercices « Bright Star » ? Par ailleurs, la France a-t-elle revendiqué le commandement sud de l'OTAN, et pourquoi ?

Vente d'armes (rôle du gouvernement français)

R. : Premièrement, le rôle du gouvernement français n'est pas de proposer des ventes qui relèvent d'entreprises. Comme vous le savez notre conception du rapport entre le gouvernement et les entreprises ne consiste pas à faire faire par les autorités publiques ce qui relève de l'initiative des entreprises.

Le char Leclerc est en effet un équipement militaire de très haute qualité, fabriqué par GIAT Industries qui déploie des démarches commerciales ; le rôle du gouvernement est d'éventuellement limiter ces démarches commerciales lorsqu'il y a un risque politique. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire sur cette question, sinon que bien entendu la France n'introduirait pas de limite politique à un accord commercial sur ce char, mais c'est une question qui relève librement de l'appréciation des autorités égyptiennes.

Manoeuvre « Bright Star » - présence d'une délégation parlementaire - sensibilisation de l'opinion publique française

Ensuite sur les manoeuvres, nous avons en effet le projet de participer à la manoeuvre « Bright Star » cet automne, et puisque je ne prévois pas de revenir pour y participer, j'ai demandé au Maréchal et au président Moubarak s'ils accepteraient qu'une délégation française comportant notamment des parlementaires, des commissions de la défense de nos assemblées puisse assister à certains moments de cette manoeuvre.

Ils m'ont très élégamment donné leur accord, parce que nous souhaitons que la coopération militaire franco-égyptienne soit mieux connue et mieux resituée dans ses objectifs politiques par l'opinion française : la France choisit, pour des raisons d'équilibre international et d'intérêt national, un certain nombre de grands partenaires dans sa coopération militaire, l'Égypte en fait partie, et nous souhaitons que les Français le comprennent et l'apprécient.

Commandement Sud de l'OTAN

En ce qui concerne le commandement sud au sein de l'OTAN, il faut que vous compreniez que le problème n'est pas particulièrement régional ; la France a décidé sous la conduite du général de Gaulle en 1966, il y a 31 ans, de quitter l'organisation militaire intégrée de l'OTAN, tout en restant un membre politique de l'alliance, et tous les présidents de la République successifs ont bien insisté sur le fait qu'en termes d'alliance politique, la France tenait à manifester qu'elle était un partenaire solide et fiable de l'ensemble des alliés.

Rapports OTAN-France

En revanche, le choix qui a été fait à cette époque de reprendre l'indépendance du dispositif militaire français, était un choix majeur, et l'expérience de trente années montre que cela n'a pas handicapé le développement des capacités opérationnelles des forces françaises ni la capacité de coopérer avec les pays de l'alliance sur un terrain spécifique lorsque la question se posait, et nous sommes à l'heure actuelle en opérations de façon conjointe. On peut donc être en dehors des structures militaires intégrées de l'OTAN et pour autant avoir une bonne capacité d'intervention en commun quand c'est nécessaire avec les pays de l'OTAN.

OTAN (position commune président de la République – gouvernement)

Ce qui a conduit le Président de la République à envisager une nouvelle négociation, il y a un peu moins de deux ans, à la fin de l'année 1995, c'est notre vision, c'est la sienne, c'est aussi celle du gouvernement que je représente, suivant laquelle l'Europe politique, l'Union européenne, devrait dans les années qui viennent se donner une structure de défense.

OTAN (conditions du retour de la France dans les structures militaires intégrées)

Or, l'analyse de la France oblige à constater que tous les partenaires essentiels d'une politique commune de défense au sein de l'Union européenne sont membres de l'organisation militaire de l'OTAN, et qu'il est logique que la France les rejoigne pour pouvoir réfléchir avec eux à ce que l'on appelle le pilier européen de l'alliance. Tous nos partenaires européens sont en faveur du retour de la France dans l'organisation militaire.

Dans la cohérence de cette position, il était logique que la France subordonne son éventuelle réintégration dans le système militaire de l'OTAN à une élévation du niveau de responsabilité des Européens, collectivement, dans ce système de commandement. C'est la raison pour laquelle la France avait demandé d'une part une nouvelle définition du rôle du « commandant adjoint européen », qui devait pouvoir obtenir des responsabilités de commandement plus importantes.

Ce point a été acquis, mais comme traditionnellement ce poste de commandant adjoint européen revient à un Britannique, que le commandement de la zone nord de l'OTAN revient à un Allemand, il nous paraissait logique, en cas de réintégration de la France dans la structure militaire, que le Commandement sud revienne à un Français. Il est vrai que la France, qui a certaines capacités maritimes et qui depuis bien des années cherche à sensibiliser ses partenaires européens à l'importance de la présence politique en Méditerranée, est candidate pour ces fonctions, mais j'insiste bien sur le fait que cela se situe dans la cohérence d'une composante européenne plus substantielle dans l'alliance.

L'analyse, le bilan que le gouvernement a fait en commun avec le Président de la République, est que des avancées avaient été faites de la part de nos partenaires sur cette part de l'Europe dans le commandement commun, mais que ces avancées ne nous paraissaient pas suffisantes : c'est la raison pour laquelle à Madrid, sans que cela déclenche de tension particulière, le Président Chirac a confirmé que la France estimait non réunies les conditions de la rentrée de la France dans la structure militaire de l'OTAN, donc la relation aujourd'hui bien rodée entre la France et la structure militaire de l'OTAN restera inchangée.

Coopération industrielle franco-égyptienne

Q. : Pourriez-vous préciser un peu la possibilité d'accroître la coopération industrielle avec l'Égypte dans les technologies de haut niveau ?

R. : Nous sommes restés dans les principes mais ce que nous constatons, c'est que nos partenaires égyptiens, comme d'autres grands partenaires économiques, souhaitent que les rapports de fourniture de matériel de la France, des industriels français à leur armée, ne soient pas strictement unilatéraux et que les industriels français, qui sont des ensembliers, puissent faire appel à des industriels égyptiens pour la préparation de certains des éléments des équipements qu'ils livreront à l'Égypte. J'ai indiqué au Maréchal que les consultations qu'avait fait la délégation générale à l'armement auprès des principaux fournisseurs concernés avant notre déplacement aboutissaient à un accord de principe et que nous allions maintenant discuter des éléments des différents programmes sur lesquels les industriels égyptiens pourraient devenir partenaires des fournisseurs français.

Q. : Au sujet du char Leclerc, avec les essais qui ont eu lieu avant votre arrivée, avez- vous l'impression que l'on est dans la dernière ligne droite et êtes-vous confiant. Deuxième sujet, pourriez-vous commenter la décision qui a été faite par le gouvernement français de fermer des bases en Afrique ?

Char Leclerc (vente)

R. : Je confirme que la discussion que nous aurons en Arabie saoudite comportera un volet sur la fin de la mise au point du char Leclerc. J'indiquais tout à l'heure que le gouvernement ne se donnait pas une responsabilité directe d'exportateur mais il est clair que le char Leclerc, qui va équiper les armées françaises, sera une opération d'autant plus équilibrée pour la France, qu'elle y trouvera des marchés substantiels chez nos amis et partenaires à l'étranger.

Arabie saoudite (essais du char Leclerc)

En ce qui concerne les essais et les vérifications qui sont en cours en Arabie saoudite, ils se déroulent normalement. Il s'agit d'un programme assez long et c'est normal puisque c'est une commande très importante et l'évaluation globale de ces essais ne sera pas terminée au moment de mon passage demain, mais je crois que les deux parties constatent en commun que le programme se déroule de façon satisfaisante.

Afrique (nouvelle politique française)

En ce qui concerne l'objet de ma visite au Gabon, au Tchad et en République centrafricaine, il porte en effet sur l'intention du gouvernement de réorganiser une partie du dispositif des forces stationnées, prépositionnées suivant le langage officiel, en Afrique, et il aura d'autres objets, notamment une réflexion en commun avec les chefs d'État et les ministres de la défense des pays sur l'évolution de notre coopération militaire, plus largement.

Mais comme il est normal dans des relations amicales entre États, je ne donnerai pas d'informations sur les sujets dont je dois discuter avec les chefs d'États concernés la semaine prochaine. Je dois préciser à ce sujet que les informations de presse qui ont été diffusées, et qui d'ailleurs ne se recoupent pas toutes, partent de sources non autorisées. Heureusement, il y aura un sujet réel à discuter avec les chefs d'État concernés, il s'agit d'un projet de redéploiement qui est à l'étude depuis de nombreux mois, qui avait été entrepris par le gouvernement précédent, et qu'il ne saurait être question de conclure avant une concertation réelle avec les pays intéressés.

Djibouti (point d'appui)

Puisque nous sommes en Égypte et que donc les questions régionales peuvent avoir une certaine pertinence, je dois préciser à cet égard que dans les prévisions de réorganisation du dispositif français, le point d'appui de Djibouti restera très important dans nos perspectives.

Coopération franco-israélienne (processus de paix au Proche-Orient)

Q. : Pensez-vous que la coopération entre Israël et la France sert actuellement le processus de paix ?

R. : La coopération entre Israël et la France est une tradition qui se poursuit sur une longue durée. On ne peut pas la faire varier de façon conjoncturelle en fonction de la position d'un gouvernement à un moment donné. Donc, la France examine avec beaucoup d'esprit de responsabilité l'ensemble des clauses de sa coopération avec tous les pays de la région et s'il y avait le moindre doute, il est évidemment confirmé qu'elle vérifiera qu'aucun élément de sa coopération avec Israël n'est de nature à dégrader l'équilibre de la région.

Q. : Concernant toujours le domaine de coopération militaire entre la France et Israël, que dites-vous du développement du système antimissile ? Ensuite, en ce qui concerne la sécurité de la Méditerranée et la coopération dans ce domaine, il y a un grand écart entre la sécurité des pays européens et celle des pays arabes ? Enfin, où en est-on des offsets ?

Israël (programme de missiles)

R. : En ce qui concerne la politique de mise en circulation des missiles, il va de soi que cela fait partie des domaines dans lesquelles la France, de longue date, a mis en oeuvre un système de contrôle par les autorités gouvernementales de tout accord pouvant comporter des répercussions sur l'équilibre militaire, et ceci s'applique dans la région du Proche-Orient comme dans toute autre avec une grande vigilance.

Convergence des intérêts arabes et européens

Deuxièmement, je ne partage pas votre appréciation, si je l'ai bien comprise, selon laquelle il y aurait une opposition dans les objectifs de sécurité des pays arabes et des pays européens. La France a au contraire employé depuis de longues années son crédit et beaucoup de ses efforts diplomatiques à démontrer que nos intérêts étaient au contraire convergents, et c'est une des raisons de notre convergence profonde avec les autorités égyptiennes car nous avons le sentiment d'avoir dans l'Égypte un partenaire spécialement convaincu de cette convergence d'intérêts de sécurité.

Marché offset (responsabilité des entreprises fournisseurs)

Quant à votre question sur le concept de marché offset, nous pensons qu'entre pays souverains et exerçant pleinement leurs responsabilités économiques, les compensations liées à des marchés de fourniture d'équipement militaire relèvent d'abord de la responsabilité des entreprises fournisseurs, et cela nous paraît aussi être la voie de la rationalité économique. C'est-à-dire qu'il ne nous paraît pas de la responsabilité de l'État dans un pays de libre entreprise de conclure des contrats qui engagent des entreprises tierces. Donc, autant que nous le pouvons, nous demandons aux partenaires-entreprises qui sont intéressés par des fournitures d'équipement militaire à l'étranger de discuter eux-mêmes et de prendre leurs responsabilités quant aux marchés industriels de compensations. C'est justement l'état de coopération et de négociation qui est atteint aujourd'hui dans nos relations avec l'Égypte, ce qui confirme bien que nous sommes dans un partenariat bien abouti, bien équilibré et il peut se produire bien entendu que s'il y a des défaillances, s'il y a des incompréhensions dans l'application de tels accords, les autorités publiques reviennent pour fournir une garantie de bonne fin des accords qui ont été passés, mais je crois que la relation la plus stable et la plus responsable consiste à ce que ce soient les entreprises qui assument d'abord leurs responsabilités.

Politique franco-arabe

Q. : Le changement du gouvernement va-t-il modifier la politique arabe de la France ?

R. : Il peut y avoir une différence dans certaines méthodes, puisque les responsables changent forcément, certaines relations vont être à renouveler, mais globalement la préoccupation d'équilibre, de coopération pacifique et l'expression en toute occasion de la communauté d'intérêt entre les partenaires du nord et du sud de la Méditerranée est une constante de la politique française.

Solidarité méditerranéenne

Les socialistes depuis bien des années, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition, ont contribué à mettre en avant ce concept de solidarité méditerranéenne. Le ministre des affaires étrangères, participait il y a trois semaines à un forum à Alger correspondant d'ailleurs à une initiative égyptienne, où les positions de la France ont, je crois, été bien comprises et bien appréciées des différents partenaires. Donc il s'agit vraiment d'un facteur fondamental et hi-partisan de la politique extérieure de la France. On peut s'en réjouir, c'est une chance pour Hubert Védrine comme pour moi d'avoir à servir dans ce nouveau gouvernement, sur des missions extérieures de la France qui donnent lieu à une bonne compréhension et une prise de responsabilité, collective de l'ensemble des partenaires de notre vie politique.

Relations franco-égyptiennes (partenariat privilégié)

Q. : Y-a-t-il un partenariat stratégique entre l'Égypte et la France ?

R. : La France et l'Égypte sont deux pays qui ont des ambitions et des responsabilités internationales, et qui l'une et l'autre ont pris des risques pour développer une conception coopérative des relations internationales, notamment au Proche-Orient où la situation est troublée. Nous sommes dans un processus de renforcement des relations de confiance sur le plan de la défense ; l'Égypte est une puissance régionale influente et qui joue un rôle très positif pour essayer de consolider le processus de paix au Proche-Orient. Je rappelle qu'elle en a subi de graves inconvénients lorsqu'elle a été la première à assumer ce choix à la fin des années 70, et tout ce qui s'est passé, depuis lors, nous a conduit à faire de l'Égypte un partenaire privilégié. Si nous nous rencontrons souvent, je vous l'indiquais tout à l'heure, c'est un peu dans le même esprit que je rencontre fréquemment mes collègues européens avec lesquels nous avons beaucoup de liens. La France a ainsi un certain nombre de partenaires privilégiés avec lesquels elle s'efforce de partager tous les choix de politique extérieure.

Q. : Sur le plan de la défense exactement, on sait qu'il y a beaucoup d'échanges entre les États-Unis notamment et l'Égypte, la France est plus discrète, pourquoi ?

R. : Nous n'avons pas forcément les mêmes méthodes de communication, l'Égypte a fait un choix de solidarité avec les États-Unis, dans un certain nombre de domaines, elle entend, le président Moubarak le rappelait très directement ce matin, ne pas choisir une seule alliance, et nous sommes des pays soucieux de notre indépendance, soucieux de notre liberté de décision, et la coopération militaire, sujet sur lequel nous sommes en relation avec nos amis égyptiens, suppose un fort niveau de confiance réciproque. Les États-Unis ont beaucoup d'alliés, ils ont parfois une perception pas tout à fait symétrique de leur relation d'alliance et je pense que nos amis égyptiens trouvent une forme d'équilibre dans leur relation avec la France.

Q. : Pensez-vous que quelques projets risquent d'aboutir dans les jours ou les semaines qui viennent ?

R. : Oui, d'une part nous développons pas mal d'exercices en commun, puisque l'armée égyptienne est une grande armée dans cette région. Et si nous voulons qu'en cas de coup dur nous puissions bien coopérer, il faut que les hommes se connaissent bien, comme nous l'avons fait avec tous nos grands alliés européens, c'est-à-dire que les états-majors se rencontrent souvent, qu'on fasse des manoeuvres en commun, qu'on fasse des entraînements d'officiers en commun, chez eux ou chez nous.

Sur le plan du matériel, ce qui a déjà commencé et qui est en bonne voie pour prendre de l'ampleur, c'est une coopération non pas sur les matériels d'armement à proprement parler, mais sur les systèmes de communication. La France est un pays très avancé en matière d'électronique de défense, il s'agit d'équipements qui ne sont pas parmi les plus coûteux dans l'équipement d'un pays, donc l'Égypte dispose là d'une certaine marge de manoeuvre et les relations de confiance font que sur des matériels de reconnaissance du terrain, de matériel de communication interne des armées, nous pouvons aller plus loin.

Char Leclerc (Arabie saoudite)

Q. : Vous continuez votre visite au Proche-Orient avec un séjour en Arabie saoudite et là il y a un gros sujet à débattre, c'est l'achat de chars Leclerc.

R. : Je discuterai d'abord avec les autorités saoudiennes, là aussi, de la situation régionale. C'est une grande puissance militaire de la région et leur analyse sur l'état du processus de paix nous importe grandement. Par ailleurs, en effet, l'Arabie saoudite a choisi depuis longtemps d'être partenaire de la France en ce qui concerne l'essentiel de l'équipement de ses armées. Elle a fait le choix du char Leclerc et nous veillons à ce que cette première action d'exportation du char Leclerc, qui est quand même une des grandes innovations françaises, donne lieu à une complète réussite par rapport aux objectifs qui ont été fixés en commun, cela fera partie des sujets de discussions.

Q. : Mais il y a deux grands concurrents, un Américain et un Britannique.

R. : C'est vrai, mais nous avons nos atouts, et les relations de confiance qui existent depuis longtemps avec l'Arabie saoudite, et qui ont permis à l'Arabie saoudite d'être satisfaite d'autres fournitures de matériel qui respectent son indépendance, ce qui est parfois un sujet de discussion complexe avec les États-Unis, nous donnent de bons espoirs de poursuivre la coopération.


Entretien avec l'hebdomadaire égyptien Al-Ahram - 11 août 1997

Égypte (visite du ministre de la défense)

Q. : L'Égypte est intéressée par les armes françaises, et le Maréchal Tantaoui a visité le Salon du Bourget lors de son récent séjour à Paris. Allez-vous négocier des contrats d'armes françaises avec l'Égypte ? Quelles sont les raisons de votre visite en Égypte ? En ce qui concerne les commissions mixtes entre la France et l'Égypte, quel est l'objet de ces commissions ?

Coopération franco-égyptienne

R. : La raison de ma visite est d'abord politique : l'Égypte est un pays qui, par sa taille, par l'étendue de ses responsabilités internationales, et par les risques qu'il a accepté de prendre au service de la construction de la paix dans la région, justifie une place particulière dans les préoccupations de la France.

Coopération franco-égyptienne en matière d'armement

Le Président Hosni Moubarak s'est entretenu récemment à Paris avec le Président Jacques Chirac, et m'a accordé un entretien samedi à Borg-el-Arab ; il m'a redit l'importance du partenariat stratégique entre nos deux pays, et le souhait de l'Égypte que la France puisse jouer un rôle moteur auprès de ses partenaires pour que l'Union européenne pèse d'une voix forte pour la relance du processus de paix, actuellement bloqué. La France y est d'autant plus sensible qu'elle est un pays méditerranéen et qu'elle estime que l'équilibre et la stabilité du bassin méditerranéen sont des clés pour la construction européenne. En ce qui concerne les programmes d'armement, les négociations sont menées, comme vous le savez, par les entreprises françaises concernées, et non pas par le gouvernement.

Exercices communs franco-égyptiens (« Bright Star » 1997)

Ma préoccupation, en tant que ministre de la défense, est de garantir un soutien et une continuité à l'ensemble des coopérations dans ce domaine, non seulement en ce qui concerne les matériels, mais les coopérations sur la formation des officiers et des spécialistes et sur les entraînements communs. C'est dans ce cadre que nous sommes tombés d'accord, le maréchal Tantaoui et moi-même, sur la création d'une commission mixte de coopération militaire, qui sera le cadre permanent de cette coopération entre forces armées.

Q.: La France participe régulièrement à des manoeuvres avec l'Égypte. Quelles sont les années qui y participent ? Quel est le plan à venir ? Quel est l'intérêt de la France à participer à des manoeuvres avec l'Égypte ? Ces manoeuvres ont-elles des raisons politiques et stratégiques, au-delà des les facteurs militaires ?

R. : Les forces navales, aériennes et terrestres françaises participent depuis plusieurs années à des exercices communs avec l'Égypte, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, comme dans le cas des manoeuvres « Bright Star » en 1995 et « Cléopâtre » en 1996. Pour l'édition 1997 de « Bright Star », la France y participera avec plus de 1 700 hommes des trois armées, sur le thème de la projection d'une force interarmées, afin de développer l'interopérabilité entre nos armées nationales, c'est-à-dire leur capacité à agir ensemble.

Au-delà de l'efficacité militaire, vous avez raison de le remarquer, le développement de tels exercices communs contribue de manière importante à la connaissance mutuelle des cadres militaires, l'une des clés de la compréhension mutuelle entre nos deux pays. Militaires français et égyptiens participent déjà, à cet égard, à des missions communes de maintien de la paix, comme c'est le cas actuellement en Bosnie. J'ai souhaité qu'une délégation parlementaire française assiste aux prochaines manoeuvres et je remercie les autorités égyptiennes de m'avoir donné leur accord.

Char Leclerc (évaluation opérationnelle en Arabie saoudite)

Q. : La France négocie un marché de vente de chars Leclerc à l'Arabie Saoudite en compétition avec les chars britanniques Challenger. Où en êtes-vous ? Est-ce qu'il y a d'autres contrats que vous négocierez avec l'Arabie Saoudite lors de votre visite à Ryad ?

R. : Je vous l'ai dit, le rôle du ministre de la défense n'est pas de négocier des contrats. Laissons les industriels le faire, c'est leur responsabilité. Le rôle de l'autorité politique est d'assurer que soient préservés les intérêts de la France comme du pays acheteur, la recherche d'un intérêt commun étant du reste le meilleur gage de la réussite des négociations au niveau des industriels. En ce qui concerne le char de nouvelle génération Leclerc, il a déjà fait ses preuves en France et aux Émirats arabes unis, où il a défilé lors des deux fêtes nationales et a fait l'objet, dans les deux pays, d'une évaluation opérationnelle au niveau des unités. Ce char fait actuellement l'objet d'une analyse approfondie en Arabie saoudite, où les essais en cours semblent donner satisfaction. Il s'agit donc d'une phase d'évaluation technique, qui ne préjuge en rien de la suite des discussions.

Émirats arabes unis (achat d'avions de combat)

Q : La France est également en compétition avec les États-Unis et certains pays européens pour la vente d'avions de combat aux Émirats arabes unis. La France propose l'avion Rafale alors que les États-Unis proposent le F-16, la Grande Bretagne et l'Espagne l'EuroFighter. Quelles sont les chances du Rafale d'obtenir de tels contrats ? La France propose-t-elle par exemple des conditions financières plus avantageuses et quel est le nombre des avions ?

R. : Je vous renvoie à ma réponse précédente, et vous fais remarquer que pour certains pays comme les États-Unis, plusieurs avions sont présentés en concurrence, ce qui confirme qu'il s'agit bien d'une affaire au niveau des industriels.

Rafale (partenariat technologique avec pays acheteurs)

En ce qui concerne le Rafale, l'avion le plus moderne dans sa catégorie, la France propose aux pays intéressés non pas un simple achat, mais un véritable partenariat technologique qui représente un avantage incontestable sur certains de ses concurrents, par l'accès qu'il ouvre aux plus récents développements technologiques.

Afrique (visite du ministre de la Défense)

Q. : Vous avez entamé une tournée en Afrique où la France a décidé de réduire son dispositif militaire. Quelles sont les raisons de cette décision ? Est-ce que cette réduction ne va pas affecter l'influence stratégique et politique en Afrique ?

R. : Vous faites certainement allusion à des informations de presse. Je peux vous assurer que la France n'a pas encore pris de décision, en ce qui concerne un dispositif résultant d'accords avec nos partenaires africains. La raison de mon voyage est précisément de faire le point avec des chefs d'État amis pour trouver ensemble les meilleures solutions permettant de concilier leurs intérêts avec les objectifs d'efficacité et de disponibilité qui guident notre réexamen du dispositif militaire en Afrique.

Capacité de projection militaire (priorité de la réforme)

Quant à l'influence d'un pays, pour la France comme pour les autres puissances, elle n'est plus fonction du nombre d'hommes stationnés outre-mer mais des capacités de projection de forces, l'une des principales priorités de la réforme des armées françaises. Du reste, rappelez-vous, la France n'a pas hésité, sans forces prépositionnées, à manifester sa solidarité avec ses alliés en s'engageant militairement, et à un niveau important, lors de la guerre de libération du Koweït. Les pays arabes avec lesquels la France a signé récemment des accords de défense en sont bien convaincus.

Par ailleurs je ne pense pas qu'on puisse réduire la présence et l'influence de la France en Afrique à la seule question de nos forces. Notre pays est un de ceux qui coopèrent le plus activement et fortement. Notre dispositif là aussi sera adapté et modernisé pour tenir compte du soutien comme de poursuivre en la transformant une relation d'amitié et de confiance.