Texte intégral
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Un mot sur votre syndicat : deux adhérents de votre syndicat, ont annoncé leur volonté de se présenter contre vous. Vous avez dit, il y a 48 heures, que le débat était libre. Et puis, hier, on s'aperçoit qu'un de vos vice-présidents - qui n'est pas n'importe qui puisqu'il est président de la Caisse nationale de l'allocation familiale - s'est vu retirer ses mandats. Chez vous, il vaut mieux ne pas trop parler ? Quelle méthode !
A. Deleu
- « Cette décision est une décision importante, et qui n'a pas été prise à la légère. Dans une équipe, il y a des règles du jeu, et quand elles sont vraiment enfreintes, on en arrive là. »
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Quel avait été le « crime » ?
A. Deleu
- « Non, il n'y a pas de crime. Et je crois qu'il ne faut pas épiloguer sur cela. »
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Non, mais pour démettre un vice-président de ses mandats, c'est quand même...
A. Deleu
- « On peut avoir tous les débats internes que l'on veut, mais au niveau du débat public, il y a des limites à ne pas dépasser. Elles sont dépassées et le Conseil confédéral ne l'a pas supporté, et il a réagi comme il l'a fait. Voilà ! »
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Il vous a accusé d'avoir la main mise sur le syndicat.
A. Deleu
- « Oui, je l'ai lu, mais je ne vais pas commenter cela. Les réalités nous les vivons. Les propos publics qui se décalent trop fortement par rapport aux réalités, cela ne se passe pas dans le mouvement. C'est rejeté. »
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Il fait toujours partie de votre mouvement ?
A. Deleu
- « Oui, bien entendu. Et s'il y a deux, trois, quatre, cinq, huit candidats à la présidence, tant mieux ! »
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Il y a 48 heures vous avez rencontré B. Thibault, le nouveau patron de la CGT. C'est la première rencontre depuis dix ans entre votre syndicat la CFTC et la CGT. Est-ce que cela veut dire qu'une nouvelle période s'ouvre dans le syndicalisme en France ?
A. Deleu
- « Je ne crois pas que ce soit le fait que la CFTC et la CGT se rencontrent qui le prouve. Mais c'est vrai qu'une période nouvelle s'ouvre. Nouvelle, parce que le CNPF a changé - c'est le Medef - il a une stratégie qui va se différencier par rapport au CNPF progressivement, parce que l'entreprise a vraiment changé, beaucoup changé ces dix dernières années, et parce que le syndicalisme lui-même a changé, et donc que l'Europe est là. Tout le paysage change, donc nous devons changer. Et je pense que dans la mesure où la CGT a annoncé sa volonté d'ouverture à l'égard de ses partenaires syndicaux dans le respect mutuel, eh bien banco, allons-y ! Et cette rencontre avec B. Thibault a été très intéressante parce que vous savez bien qu'entre la CFTC et la CGT il y a un monde - on l'a senti. Mais en même temps on est quand même des confédérations syndicales, on est des syndicats, on défend les salariés. On a à en dire des choses, et on se le dit »
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Vous avez l'impression que des actions communes seraient possibles entre CFTC et CGT ?
A. Deleu
- « Cela arrive sur le terrain parfois. Ce que je pense c'est qu'on est un peu une alternative : ou bien le Medef au bout de sa réflexion s'engage dans une vraie relance du partenariat avec les syndicats, et dans ce cas on aura une dynamique de dialogue qui va se développer et on pourra peut-être espérer que la CGT elle-même y entre, au moins en partie. Ou bien le Medef prend le risque d'avoir une attitude de limitation du dialogue sur les questions essentielles, et dans ce cas alors on risque d'avoir des convergences syndicales. Parce que ce dialogue syndical va forcément avoir des répercussions sur les comportements. Même si on n'agit pas ensemble, peut-être qu'on agira de façon plus convergente et cohérente entre nous. Il y a un choix qui est plutôt entre les mains du Medef, qu'entre les mains des syndicats. »
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Vous considérez qu'avec M. Thibault, et puis même un peu avant, la CGT a beaucoup changé ?
A. Deleu
- « Je n'en sais rien. Si je devais absolument répondre à la question, je dirais que je ne le sens pas. Mais la question n'est pas là : le monde a changé. La CGT s'appuyait sur un courant politique, sur une situation mondiale qui n'est plus là. Le Mur de Berlin est tombé. Il est tombé pour la CGT. Et donc la CGT doit changer. Je ne dis pas qu'elle a changé, mais je dis qu’elle devra changer. »
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Et vous ?
A. Deleu
- « Et nous aussi, bien sûr, et on essaye de le faire. On a un Congrès à la fin de l'année, c'est le but. »
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Les retraites : le rapport Charpin fait beaucoup de bruit. C’est un rapport qui préconise le recul de l'âge de la retraite et donc une durée de cotisations à ramener à 42 ans et demi pour tout le monde, quel que soit son, statut. Alors on a entendu une levée de bouclier de la CGT, de FO, de la FSU, la CFTC est plus nuancée. Je voudrais savoir ce qu'en pense la CFTC ?
A. Deleu
- « Nous pensons qu'il faut que nous soyons responsables par rapport aux retraites et à l'avenir des retraites. »
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C’est-à-dire considérer qu'il y un problème ?
A. Deleu
- « Pour nous ce sont nos retraites, et aussi nos enfants, qui auront à les payer d'une manière ou d'une autre, que ce soit par répartition ou par épargne. C'est toujours ce financement-là qui va fonctionner. C'est leur activité qui fera nos retraites. Et donc, au bout du compte, il y a un vrai problème. Il faut que le débat s'ouvre. Le rapport Charpin est un rapport destiné à ouvrir un débat. C'est un outil de travail. Ce sont des propositions, c'est normal, mais ce n'est pas un choix politique gouvernemental. C'est un outil de travail : il en faut un pour travailler, première chose. Deuxième chose, ce que je voudrais c'est qu'on ne dramatise pas cette situation. Elle est sérieuse, elle mérite un vrai travail de fond et, par définition, le travail de fond est un peu le contraire de la dramatisation. »
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Vous ne dites pas là, qu'il n’y a pas urgence ?
A. Deleu
- « Je ne dis pas qu'il n'y a pas urgence. Je dis qu'il y a urgence à travailler sur le fond. Ne perdons pas un an, c'est vrai, mais travaillons sereinement sur ces questions. Dire 42 ans on peut dire toujours l'écrire, 45 ou 48 pourquoi pas ? En réalité, c'est quoi : les deux-tiers des gens sont partis avant 60 ans. Pourquoi voulez-vous qu'on dise 42 ans ? Cela veut dire quoi ? On les met en retraite avant, de fait, en chômage, cela revient au même. Enfin, c'est pire ! Voilà, la réalité. Regardons cela et au niveau de l'activité économique, de remploi, des salaires, de la démographie, de la politique familiale. Personne n'en parle de la politique familiale. Autant dire que, dans le fond, on pourrait dégager des excédents des branches famille pour payer des retraites. Bravo ! On voit la démarche. C'est-à-dire : après moi le déluge. »
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Il y a des gens qui disent : pourquoi allonger la durée du temps de travail alors que finalement il y a tant de jeunes au chômage ? Ils disent que c'est un peu incohérent que de demander aux gens de travailler très âgé alors que finalement il y a un million et demi de jeunes au chômage.
A. Deleu
- « Aujourd'hui, vous faites tout ce que vous voulez. Il y a tant d'emplois en France, et tout le travail que l'on fait par ailleurs c'est pour augmenter l'emploi. Cela marche un peu, vous voyez ! C'est cela l'essentiel. Donc, en premier, l'enjeu essentiel c'est l'emploi. Deuxièmement, il y a des règles démographiques qui font que, dans 20 ans - et même avant -, on aura des problèmes majeur pour financer les retraites. Donc, il y a les deux. »
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Il faut quand même allonger le temps de travail, à votre avis ?
A. Deleu
- « Il faudra raisonner plutôt en durée de travail, c'est sûr. Nous pensons qu'à l'heure actuelle la dominante n'est sûrement pas de maintenir plus longtemps au travail les anciens alors que les jeunes attendent. C'est clair, aujourd'hui c'est comme cela. Dans 10 ou 15 ans, j'espère qu'on aura vaincu ce problème et qu'on pourra faire autrement. »
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Vous avez entendu Mme Aubry dire, hier, que finalement la tendance était bonne sur le terrain du chômage et de l'emploi : vous pensez que c'est vrai, qu'elle a raison ?
A. Deleu
- « La tendance est bonne au sens effectivement où l'année dernière on a gagné 400 000 emplois et plus. C'est considérable. Le RMI dure moins longtemps, à l'inverse le chômage de longue durée s'accroit à la fois en, nombre de personnes et en durée de ce chômage. Par contre, pour les jeunes cela va plutôt mieux. Il faut continuer dans ce sens. C'est contrasté. Il y a précarité derrière tout cela. Il y a plus d'emplois, mais d'emplois très précaires et pas forcément pour des raisons justifiées - c'est parfois des raisons injustifiées. Donc le paysage est assez contrasté. Globalement saisissons ce contexte économique qui est meilleur effectivement - et cela est l'affaire de chacun - pour là où cela est possible créer des emplois. C'est vraiment un enjeu d'aujourd'hui. Cela concerne tout le monde. Ce n'est pas seulement le Gouvernement, le patronat et les syndicats. C'est chaque décideur, chaque entreprise qui doit se dire : que puis-je faire pour l'emploi ? »
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Et M. Allègre alors ? Qu'est-ce que vous en pensez : est-ce qu'il fait du bon travail en le présentant mal ou est-ce qu'il fait du mauvais travail en le présentant mal ?
A. Deleu
- « La réforme de l'Éducation nationale est absolument nécessaire. Elle doit être profonde, radicale : on maintient des gaillards de 14, 15, 16 ans sur une chaise toute la journée en leur enseignant des choses. Cela ne correspond pas à leur réalité personnelle. Ils apprendront en faisant, en agissant. Donc on est très loin du besoin. Cela est clair. Alors on est en face, il a dit un ''mammouth" - c'est encore récent le mammouth - c'est le dinosaure presque parfois. C'est vrai cela n'est pas simple et il s'y prend peut-être un peu mal, c'est un géologue, il connait peut-être mieux la tectonique des plaques que les relations humaines, une certaine façon. C'est un problème. Mais enfin nous, ce que nous voudrions, c'est qu’on n’aille pas à l'immobilisme parce que il y a des réticences corporatistes. »
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Est-ce que son attitude n'empêche pas précisément les réformes qu'il veut faire ?
A. Deleu
- « Oui. La manière dont il engage les affaires par une forme de provocation est, sympathique, spectaculaire. Mais c'est totalement inefficace. Il s'adresse à des gens qui sont des éducateurs, qui - on ne s'en rend compte - sont traumatisés dans le contexte où ils sont. On voit des comportements défensifs et ceci est égal à des situations de crainte, de peur, de pression. Voyez l'environnement des enseignants aujourd'hui, ce qu'ils vivent ! Et donc ils ont peur. Ils se sentent mal-aimés. Évidemment, il faut changer - je le dis moi-même - radicalement. Mais commençons par les reconnaître les respecter ; et construire, là encore, avec eux et pas contre eux. Avec eux ! »