Texte intégral
LES ECHOS
Deux ans après votre arrivée au ministère des Finances, vous allez céder le Crédit Lyonnais. Vos objectifs sont-ils atteints ?
Dominique Strauss-Kahn
Oui. Nous sommes passés de la catastrophe annoncée au Crédit Lyonnais sauvé. En juin 1997, le Crédit Lyonnais, comme tout le secteur public financier, était mal parti. Les efforts de l’entreprise étaient obérés par l’irréalisme des plans de redressement de 1993 et 1995, l’absence de négociation sérieuse avec la Commission européenne et la création d’un mauvais système de défaisance.
Dès le départ, avec le Premier ministre, nous avions deux objectifs : rendre un avenir au Crédit Lyonnais et réduire la facture pour le contribuable. Les deux étaient liés. Une faillite du Crédit Lyonnais aurait provoqué celle de nombreuses PME et la perte de milliers d’emplois. Elle aurait aggravé les pertes. Elle aurait nié le redressement mené sous la direction de Jean Peyrelevade et de Pascal Lamy et auquel les salariés ont énormément contribué.
Ces objectifs sont atteints. L’Etat n’est plus seul à croire au Crédit Lyonnais. Sept partenaires de premier plan vont prendre des participations significatives. Je suis sûr que les Français y croient aussi et achèteront ces actions. Dans le même temps, la réforme de CDR que j’ai décidée fin 1997 a permis, sous l’égide de Raymond H. Lévy, de réduire les pertes sur les actifs de la défaisance.
LES ECHOS
Le CDR, qui a repris une partie des actifs du Crédit Lyonnais pour permettre son redressement, aura coûté 90 à 100 milliards de francs. A combien estimez-vous la facture finale pour le contribuable ?
Dominique Strauss-Kahn
Cette facture ne sera définitivement connue qu’une fois vendus tous les actifs de CDR et toute la participation de l’Etat dans le Crédit Lyonnais. Contrairement à certains, je ne me risquerai pas à donner un chiffre définitif. Disons simplement que la facture, qui avait doublé entre 1995 et 1997 pour atteindre 100 milliards de francs, a depuis lors été réduite d’environ la moitié. Ceci est dû à la fois à l’accroissement de la valeur du Crédit Lyonnais et à la baisse des pertes de CDR. Il y a quelques années, personne ne voulait acheter le Crédit Lyonnais. Aujourd’hui, il est valorisé, au vu de la fouchette de prix, entre 41 et 48 milliards de francs. Compte tenu du niveau habituel des primes d’introduction dans ce genre d’opération, ceci correspond à une valeur d’équilibre de l’ordre de 50 milliards de francs. A l’automne dernier, les meilleurs experts et la Commission européenne l’estimaient à 36 millliards de francs. La différence reflète la progression des marchés et le redressement de l’entreprise.
LES ECHOS
Il y a dix ans, le Crédit Lyonnais valait autant que la Société Générale ou la BNP, qui pèsent aujourd’hui chacune plus de 120 milliards de francs en Bourse. Malgré ses déboires passés, le Crédit Lyonnais ne vaut-il vraiment que le tiers de la Société Générale ou de BNP ?
Dominique Strauss-Kahn
Il vaut plus du tiers et en tout cas plus que le prix évoqué par la presse il y a quelques jours... L’évaluation du Crédit Lyonnais est un exercice difficile : il faut notamment valoriser le potentiel de développement de la banque. Des expertises approfondies ont été menées. Les analyses de marché ont été examinées. Ces travaux sont pris en compte dans la fourchette de prix proposée. J’ai la conviction qu’avec la commission des participations et des transferts présidée par François Lagrange, nous parviendrons à un prix juste et équitable, conforme à la réalité de l’entreprise et aux intérêts du contribuable.
LES ECHOS
N’aurait-il pas mieux valu attendre un an de plus pour que son redressement apparaisse plus tangible et que sa valorisation soit plus forte ?
Dominique Strauss-Kahn
Ce gouvernement n’a eu le choix ni du principe ni de la date de la privatisation. Ils résultent d’un engagement solennel pris par le précédent gouvernement auprès de la Commission européenne en 1995. Lors des négociations que j’ai menées en 1998, je n’ai pas voulu le remettre en cause car il en allait de la parole de l’Etat et du sauvetage de la banque. La violation de cet engagement aurait conduit la Commission à demander des contreparties beaucoup plus - beaucoup trop - lourdes. J’en profite pour rendre hommage à Karel Van Miert qui aura été un grand commissaire à la concurrence et qui, dans ce dossier, s’est toujours montré soucieux de l’intérêt public et de la parole donnée.
LES ECHOS
Le Crédit Lyonnais a-t-il les moyens d’assurer seul son développement ?
Dominique Strauss-Kahn
Le Crédit Lyonnais va pouvoir s’appuyer sur les partenaires qui, au total, ont pris un tiers de son capital. Cette méthode est la bonne. Elle va permettre au Crédit Lyonnais de surmonter définitivement les difficultés et de reprendre la voie du développement après les réductions de périmètre imposées par les règles européennes. Ceci démontre que la restructuration par la coopération, cela peut marcher. En tout cas, je me félicite qu’à l’issue d’une procédure transparente, menée sous le contrôle de la commission des participations et des transferts, l’offre de partenariat la plus complète soit venue d’une banque française.
LES ECHOS
Dans la recomposition bancaire actuelle, le Crédit Lyonnais a-t-il vocation à terme à se rapprocher de son premier actionnaire, le Crédit Agricole, ou à se fondre dans un ensemble européen avec ses autres partenaires du groupe d’actionnaires partenaires ?
Dominique Strauss-Kahn
L’examen des offres montre que les partenaires ont des projets différents. Le Crédit Agricole a manifesté sa volonté de tisser des liens de long terme avec le Crédit Lyonnais. Son offre porte sur des partenariats nombreux et profonds. Deux assureurs, Allianz-AGF et AXA, ont fait des offres fondées sur des complémentarités de produits. Trois grandes banques étrangères, Commerzbank, BBV et Intesa, ont fait le pari de la complémentarité géographique. Le CCF a quant à lui adopté une approche plus sectorielle. Si, à l’avenir, le Crédit Agricole et le Crédit Lyonnais s’orientaient de plus en plus vers un avenir commun, je ne pourrais que m’en féliciter. Ce sera le choix des deux entreprises et de leurs actionnaires ou sociétaires. Et ce ne sera certainement pas incompatible avec des coopérations intelligentes avec des banques européennes.
LES ECHOS
La BNP et la Société Générale ayant été dissuadées d’entrer dans le capital, c’est le Crédit Agricole qui fait figure d’actionnaire de référence. Après Crédit Mutuel-CIC et Groupama-GAN, c’est le troisième mutualiste à jouer un rôle majeur dans une privatisation du secteur financier. Avez-vous une préférence en la matière ?
Dominique Strauss-Kahn
Non ! La vieille querelle franco-française entre les banques AFB et les banques mutualistes mériterait d’être dépassée à l’heure de l’euro. Et puis elle me rappelle de mauvais matchs de football. Si cela se passe mal, c’est toujours la faute de l’arbitre... Depuis deux ans, l’Etat a agi en toute transparence. Le CIC et le GAN ont été cédés sur la base de critères financiers, industriels et sociaux définis dans un cahier des charges. Si la BNP, la Société Générale ou le CCF n’ont pas été retenus pour le CIC, c’est, entre autres, parce que leur offre financière était inférieure à celle du Crédit Mutuel. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs validé la procédure.
Pour le Crédit Lyonnais, je n’ai jamais varié : personne n’était exclu. Il suffisait de se porter candidat et de faire la meilleure offre au regard de critères définis dans un cahier des charges connu de tous. J’aurais donc été heureux que la BNP ou la Société Générale se portent candidates. Elles ne l’ont pas voulu. C’est leur choix, pas le mien.
LES ECHOS
La moitié des 33 % du GAP sont détenus par des étrangers. En quoi le fait que quelques banques européennes prennent chacune 3 % ou 4 % du capital de la Société Générale serait-il différent et vous gênerait-il ?
Dominique Strauss-Kahn
Avec le gouverneur de la Banque de France, nous avons pris position dès le lancement des offres de la BNP. Ce qui compte, c’est que les acteurs concernés privilégient les solutions les plus respectueuses du bon fonctionnement de la place, des intérêts industriels et sociaux et de l’intérêt national. Il ne faut pas se leurrer. Même des prises de participation faibles peuvent modifier la localisation des centres de décision. Ce n’est pas le cas pour le Crédit Lyonnais, dont le groupe de partenaires est emmené par le Crédit Agricole. Je souhaite que ce ne soit pas le cas pour d’autres banques françaises.
LES ECHOS
Le gouvernement a-t-il mis en garde la Société Générale contre la montée en puissance de l’espagnol BSCH dans son capital ?
Dominique Strauss-Kahn
Comme je vous l’ai dit, le gouvernement et la Banque de France ont pris position depuis plus de deux mois en soulignant l’importance qu’ils attachaient à l’intérêt national dans les restructurations en cours dans le secteur financier. Partout en Europe, les rapprochements bancaires se sont d’abord faits sur une base nationale. La France était en retard dans ce mouvement. Quant aux contacts que nous pouvons avoir avec les trois banques concernées, je n’ai pas à les commenter.
LES ECHOS
Depuis trois mois, toutes les instances (comité des établissements de crédit, CMF, COB) qui ont eu à statuer sur les projets concurrents, SBP et SG Paribas, ont toujours été dans le sens de la BNP. Les pouvoirs publics ont-ils une préférence ?
Dominique Strauss-Kahn
Je vais vous répondre avec encore plus de fermeté que pour la querelle AFB-mutualistes : non ! J’ai, depuis le début de la bataille boursière, fait le choix de la neutralité, qui n’est pas le choix de l’indifférence. Le projet SG Paribas, que j’ai salué le jour de son lancement, a été agréé par toutes ces instances au même titre que le projet SBP. Depuis plus de deux mois, les pouvoirs publics n’ont pas relâché leurs efforts pour qu’un compromis se dégage : il n’est pas souhaitable que ces trois grandes entreprises remettent leur destin au seul hasard des marchés.
LES ECHOS
Pourquoi deux banques qui ont décidé de fusionner, après avoir étudié et écarté d’autres hypothèses, devraient-elles négocier avec une troisième qui veut les forcer à faire une opération différente ?
Dominique Strauss-Kahn
Dans les deux cas, il s’agit d’opérations financières entre acteurs privés. Aucun d’entre eux n’a demandé ou recherché l’accord préalable des pouvoirs publics. Chacun a fait ce qu’il croyait devoir faire.
LES ECHOS
Il ne va plus rester qu’une seule banque dans le secteur public : Hervet. Est-ce que cette exception a encore un sens ?
Dominique Strauss-Kahn
A chaque jour suffit sa peine... Pour Hervet comme pour toutes les entreprises publiques, il s’agira de voir quelle est la solution la plus respectueuse de l’intérêt de l’Etat, de l’entreprise et de ses salariés. Ce que montre en tout cas votre question, c’est à quel point le paysage financier français a évolué depuis deux ans. Sept dossiers difficiles auront été réglés dans le secteur public : CIC, GAN, SMC, CNP, Crédit Lyonnais, Caisses d’Epargne, Crédit Foncier. Une réforme d’ensemble a été conduite. J’aurai l’occasion d’en présenter les grandes lignes dans un Livre blanc qui sera publié dans les prochaines semaines.