Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR et président par intérim, dans "Sud Ouest" et déclaration à Bordeaux le 20 mai 1999, sur le rôle du RPR dans l'opposition et les propositions de la liste RPR - Démocratie libérale pour les élections européennes en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et de fiscalité.

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Circonstance : Campagne des élections européennes de la liste RPR - Démocratie libérale au Palais des congrès de Bordeaux-Lac le 20 mai 1999

Média : Sud Ouest

Texte intégral

SUD-OUEST : 20 mai 1999

« SUD-OUEST ». – Ce n’est pas trop dure de prendre la direction d’une campagne au pied levé, à mi-course ?

NICOLAS SARKOZY. – C’est extrêmement difficile, et c’est justement pour ça que tout le monde s’est mis d’accord sur ma candidature. Mais c’est passionnant. Une campagne est l’occasion de rencontrer beaucoup de gens, de dire ce qu’on pense, de faire partager sa vérité.

« S.-O. ». – L’opposition a décidé de présenter une motion de censure à propos de la Corse. Le RPR n’était pas très chaud il y a deux semaines. Pourquoi avoir changé d’avis ?

N.S. – Le problème était de déposer au bon moment. Jusqu’à ces derniers jours, le volet pénal se déroulait sous les yeux des Français. Or, la motion de censure, c’est la mise en cause d’une responsabilité politique. Le changement d’un préfet n’est pas une décision politique. C’est une décision administrative.

Il s’agira donc pour nous de mettre Lionel Jospin et son gouvernement devant leur responsabilité politique. Celle qui consiste à assumer les conséquences des graves dysfonctionnements de l’administration qu’ils étaient censés contrôler. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les différents ministères n’ont pas joué leur rôle.

« S.-O. ». – Quelle est votre marge de manœuvre (et votre conception de l’Europe) entre les « souverainistes » de Pasqua et les « fédéralistes » de Bayrou ?
 
N.S. – Je suis pour l’Europe. Je crois à l’Europe. J’ai voté oui à Maastricht et à Amsterdam. Je me sépare de ceux qui opposent la France et l’Europe : les communistes, le Front national et Charles Pasqua. Ceux-là se contentent d’expliquer que tous les maux de la France viennent de l’Europe sans proposer la moindre stratégie alternative. Je ne me reconnais pas dans cette version archaïque, frileuse, rabougrie d’une France nostalgique.

De l’autre côté, il y a ceux qui ne parlent que de l’Europe sans la France, qui veulent un État européen, un impôt européen et des nations qui deviendraient des régions européennes. C’est une vision fédéraliste intellectuelle déconnectée de la réalité quotidienne qui n’est pas la mienne.

« S.-O. ». – Êtes-vous pour ou contre le vote à la majorité qualifiée sur la PESC ?

N.S. – Je suis pour l’augmentation du nombre de votes à la majorité qualifiée dans les domaines économique, social et fiscal. Et je suis pour le vote à l »unanimité dans les domaines diplomatique et militaire. Qui peut imaginer que nous déciderions d’envoyer nos soldats se battre à la suite d’une décision qui nous aurait été imposée par d’autres gouvernements que le nôtre ?

« S.-O. ». – Les choses se seraient-elles déroulées différemment au Kosovo s’il y avait eu une Europe de la défense ? Et cette Europe de la défense, la croyez-vous possible ?

N.S. – On ne peut pas faire le procès aux nations européennes d’avoir suivi les États-Unis dans le conflit du Kosovo. Les accords de Rambouillet montrent le contraire. En revanche, lorsque nous sommes passés de la diplomatie à la phase militaire, les États-Unis ont pris une part importante, peut-être excessive. Je souligne la contradiction des listes Pasqua, FN ou PC, qui disent à la fois qu’il y a trop d’Amérique et trop d’Europe. Si l’on veut moins d’États-Unis pour assurer notre sécurité, il faut une Europe de la défense pour la prendre en charge.

« S.-O. ». – Peut-on s’opposer, comme vous le faites, à l’existence d’un impôt européen, et plaider dans le même temps pour plafonner à 50 % les prélèvements obligatoires ?

N.S. – Je suis tout à fait opposé à cet impôt européen, qui n’a été proposé que par François Hollande et François Bayrou. Il y a suffisamment d’impôts nationaux pour ne pas en rajouter. Je proposer en revanche un sixième critère de Maastricht, selon lequel un Etat européen ne pourrait prélever plus de 50 % en impôts et cotisations sur une personne physique. Lorsqu’on travaille plus de six mois par an pour l’État, on n’est plus dans l’Europe de la liberté que je souhaite.

« S.-O. ». – Mais pourquoi passer par l’Europe ?

N.S. – Je souhaite que l’Europe nous permette de construire une France moderne. C’est grâce à l’Europe que nous baisserons les impôts ! Par exemple, notre TVA est à 20,6 % et celle des Allemands à 15 %. Qu’est-ce qui justifie ce différentiel de plus de cinq points ?

« S.-O. ». – Où siégeront les députés RPR et DL élus avec vous ?

N.S. – Je suis pour l’union des droites en France. François Bayrou ne l’a pas voulue et je le regrette. Je suis aussi déterminé à construire l’union des droites en Europe, parce que c’est la seule façon de faire mieux entendre la voix de la France au Parlement européen. Et c’est le seul moyen d’empêcher la gauche d’être majoritaire dans ce Parlement. Je ferai donc tous les efforts possibles pour que mes colistiers siègent ou s’apparentent au PPE.

« S.-O. ». – Siégerez-vous, vous-même au Parlement européen ?

N.S. – Je siégerai au Parlement européen.

« S.-O. ». – Faudra-t-il additionner toutes les voix obtenues le 13 juin par les trois listes issues de l’opposition ?

N.S. – Dans un scrutin proportionnel à un tour, il ne sert à rien de faire des additions. C’est bon lorsqu’il y a deux tours. Or, à ces élections, on ne vote qu’une fois.


Déclaration : 20/05/99

L’union et l’unité sont les conditions essentielles du succès pour l’opposition.

Il y a un peu plus d’un mois, Philippe Séguin choisissait de quitter la présidence de notre mouvement et la tête de liste pour les élections européennes.

J’ai respecté sa décision. Je ne l’ai pas commenté, et j’ai demandé que chacun s’en tienne à cette sage réserve.

Je vous dis une explication sur mon attitude.

Elle est le fruit d’une longue observation de ce que furent, dans le passé, les échecs de la droite, et les raisons qui y conduisent, alors qu’à l’évidence, nos idées sont majoritaires en France.

Je me suis, comme chacun, interrogé sur nos échecs et sur les miens. Et c’est à dessein que j’ai choisi d’en parler, ici, à Bordeaux, devant Alain Juppé et, avec Alain Juppé.

Rassurez-vous, mon tempérament ne me porte guère au masochisme ! J’avoue même n’avoir que de faibles prédispositions pour l’autocritique, en tout cas lorsqu’elle est par trop systématique.

Et pourtant, je crois pouvoir expliquer une partie de nos échecs d’hier dans notre incapacité, à inscrire l’unité de la famille gaulliste et l’union de l’opposition au rang d’une absolue nécessité.

L’unité de la famille gaulliste. Je veux vous faire partager cette conviction : qu’elle est notre bien le plus précieux. De mon point de vue, cette idée est si forte qu’elle mérite d’être déclinée sous ses trois aspects prioritaires :

- D’abord unité derrière le Président de la République. Dans mon esprit, il ne peut pas y avoir la moindre divergence de vue entre le RPR et son fondateur. Et c’est justement parce qu’il n’y a pas d’espace pour les malentendus, que le RPR, aura toute son autonomie pour s’opposer sans concession à un gouvernement socialiste qui n’a à attendre aucune indulgence de notre part.

Toutes formes d’opposition entre le président de la République et le RPR est un service à rendre à Lionel Jospin et à son gouvernement.

Et moi, je vous le dis, le rôle de l’opposition ne doit pas consister à marquer des buts contre son propre camp.

Le président de la République a besoin de pouvoir s’appuyer sur une opposition forte, déterminée, décidée à l’aider dans une situation de cohabitation, où il nous revient d’être des éléments de clarification et surtout pas de confusion.

J’ajoute que c’est à l’inverse l’intérêt du RPR en particulier, et de l’opposition, en général, de pouvoir se réclamer du président de la République, dont l’action internationale et la personnalité sont largement plébiscitées par les Français.

Ensuite, il faut l’unité entre nous. Je forme l’espérance. Je me suis même fixé le but de faire comprendre à chacun, dans notre famille politique, cette idée simple : notre réussite sera collective ou elle ne sera pas !

Il est venu le temps de parler clairement. Nous avons profondément besoin les uns, les autres.

La France est diverse. Le RPR est un rassemblement.

Notre diversité peut être une chance à condition de savoir la maîtriser.

Il est plus que jamais nécessaire que nous apprenions à nous additionner pour gagner, plutôt qu’à passer notre temps à nous soustraire pour perdre.

Je vous le dis avec toute la force de mes convictions, alors qu’il m’est arrivé d’être moi aussi un facteur de division. La division ne mène nulle part.

Les Français ne supportent plus les oppositions de personnes, les jalousies, les affrontements stériles, l’idée même qu’il puisse exister un soupçon de haine entre nous, leur est profondément insupportable.

La conclusion est limpide : aussi différents que nous soyons, ou plutôt parce que nous sommes différents, nous avons le devoir de travailler ensemble.

Je mesure moi-même l’opportunité dans ce combat européen, que je mène dans les conditions difficiles que vous savez, de pouvoir être soutenu par un homme comme Alain Juppé.

Pour beaucoup de Français, nous voir ici rassemblés tous les deux devant tes amis, chez toi, mon cher Alain, c’est un symbole ; celui d’une unité retrouvée, forte, sincère, prometteuse pour l’avenir.

Et je puis vous le dire, j’ai besoin d’Alain Juppé, de son expérience, de ses conseils, de son amitié.

Croyez-moi, avec tout ce que j’ai aujourd’hui sur les épaules, c’est un soulagement de le savoir à mes côtés au RPR, comme dans cette campagne.

J’ai besoin également du soutien d’Edouard Balladur et de Philippe Séguin. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai souhaité qu’ils siègent au conseil politique du RPR.

S’agissant de Philippe Séguin, je souhaite qu’il reprenne rapidement toute sa place parmi nous. Il représente une sensibilité de notre mouvement, dont nous avons et dont nous aurons besoin.

Enfin, il faut l’unité entre toutes les générations qui ont fait le mouvement gaulliste. La presse a beaucoup commenté, parfois pour s’en moquer, ou s’en amuser. Le soin particulier que j’ai pris, alors que je venais d’être porté à la présidence par intérim, de rendre visite aux plus prestigieux de nos compagnons : Maurice couve de Murville, Olivier Guichard, Yvon Bourges ou encore Jacques Chaban Delmas. Et bien, si c’était à refaire, je le referais.

Je le referais, parce que c’est toujours l’expression d’une folle prétention que de penser que l’histoire d’une famille politique commence avec sa propre arrivée.

Notre force, c’est justement d’avoir toujours eu dans nos rangs, de grands hommes. Notre fierté, c’est justement de savoir nous souvenir de notre statut d’héritier d’une pensée, d’une action.

J’ai fait tout cela pour l’unité de la famille gaulliste, tout simplement parce que c’était mon devoir de le faire. Et cette unité, je la maintiendrai tant que j’exercerai mes fonctions à la tête de notre mouvement.

Et puis, il y a l’union de l’opposition. Cette union, je l’aurais souhaité plus large. J’ai toujours pensé qu’on se grandissant en mettant en exergue les convergences plutôt que les divergences.

J’ai proposé pour l’opposition le meilleur programme commun qu’il soit : toute la politique européenne de Jacques Chirac, rien que sa politique.

Hélas ! François Bayrou, et lui seul, ne l’a pas voulu. C’est une erreur.

Je ne doute pas, d’ailleurs, que le 13 juin, il comprendra vite ce qu’il s’est refusé à entendre avant.

D’ici là, j’ai bien l’intention de continuer à être un homme d’union. Je ne fera rien qui pourrait risquer de rendre plus difficile l’union demain, tout simplement parce que cela serait irresponsable ! Et mon devoir, c’est d’être un responsable ! Je crois d’ailleurs que la cause de l’union progresse. Et le soutien que m’a apporté hier le fondateur de l’UDF, Valéry Giscard d’Estaing, vient conforter cette idée évidente : la grande liste d’union de l’opposition existe : c’est la nôtre !

J’ai constaté une certaine agitation dans quelques officines politiques sur mes rendez-vous. Et bien, figurez-vous, si je suis un homme d’union, je suis également un homme libre. Je ne demande pas aux socialistes l’autorisation de penser différemment qu’eux, et je n’ai pas l’intention de demander l’autorisation de rencontrer qui souhaite me soutenir. Les soutiens sont les bienvenus, surtout qu’ils ne se gênent pas.

Mais j’ai l’intention, aussi, de jouer à fond la compétition que l’on a cherché à nous imposer.

C’est d’ailleurs bien pour cela que je trouve beaucoup de plaisir à faire cette campagne.

En votre nom, je veux pouvoir continuer à dire notre part de vérité. Je veux incarner une opposition qui aurait définitivement renoncé à ses frilosités, à ses complexes, à son manque de courage pour assumer ses valeurs, ses convictions, son idéal.

- Combattre le socialisme.

- Parler de la France et de l’Europe.

- Incarner le renouveau de l’opposition.

Voici mes objectifs : voici mon programme.