Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la coordination des politiques économiques sur l'emploi et la lutte contre le chômage comme objectif prioritaire de l'action des Etats de l'Union européenne, Luxembourg les 20 et 21 novembre 1997.

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Circonstance : Conseil européen extraordinaire sur l'emploi, Luxembourg les 20 et 21 novembre 1997

Texte intégral

Au Conseil européen d’Amsterdam en juin dernier, sur la suggestion de la France mais avec l’accord de tous, une démarche nouvelle a été engagée avec la résolution sur la croissance et l’emploi qui illustrait la volonté des Etats de l’Union de faire de la lutte contre le chômage un objectif prioritaire de leur action. Le nouveau chapitre consacré à l’emploi dans le Traité s’inscrivait également dans cette inflexion. C’est dans ce contexte qu’a été décidée la tenue d’une réunion extraordinaire du Conseil européen consacré à l’emploi.

Si certains ont pu croire ou craindre qu’il pourrait s’agir d’une initiative sans lendemain, les derniers mois ont montré qu’il pouvait en aller autrement et peu à peu, la démarche a acquis une réelle crédibilité.

Cette évolution positive est, en premier lieu, à mettre au bénéfice de l’action déployée par la présidence luxembourgeoise et, en particulier, par M. Junker personnellement. De nombreuses réunions ont été consultés : toutes ces initiatives ont créé un climat de confiance et permis des échanges fructueux.

La Commission européenne a proposé un cadre et des lignes directives qui ont grandement contribué à la convergence de nos réflexions.

Enfin les apports et les propositions faites par les gouvernements des Etats membres traduisent la prise de conscience collective que pour lutter contre le chômage, il nous faut à la fois une croissance forte et des politiques nationales de l’emploi plus concertées au niveau européen.

1. Une plus grande concertation des politiques est nécessaire pour conforter la croissance économique et la rendre plus créatrice d’emplois

J’espère que nous avons tous conscience que la lutte contre le chômage passe d’abord par le retour à une croissance forte et durable en Europe. Les conditions sont aujourd’hui réunies pour qu’un nouveau cycle de croissance s’engage. La rentabilité des entreprises s’est redressée, les finances publiques ont été considérablement assainies, l’inflation est à nouveau historiquement bas et la perspective d’une union monétaire rapide a contribué à la convergence des taux d’intérêts vers les taux les plus bas de l’Union. Si nous voulons que le cycle de croissance qui s’amorce soit suffisamment durable, il nous faut maintenir les conditions favorables à une croissance et non inflationniste par des décisions nationales opportunes sans doute mais aussi par une coordination plus étroite de l’ensemble de nos politiques économiques.

Ce sera l’un des enjeux de notre prochain rendez-vous en décembre d’avancer dans la voie d’une plus grande coordination de nos politiques économiques.

La croissance ne suffira cependant pas à abaisser fortement le niveau du chômage, si elle ne s’accompagne pas de politiques visant à rendre cette croissance plus créatrice d’emplois. Ces politiques sont principalement de la responsabilité des Etats membres et chacun doit mettre en œuvre dans ce domaine une politique adaptée à son contexte institutionnel et social. C’est ainsi par exemple que le Gouvernement français met l’accent au plan national sur le développement de la négociation collective relative au temps de travail ainsi que sur des emplois pour les jeunes dans des besoins nouveaux. Mais, le chômage européen a aussi des caractéristiques que l’on retrouve, toutes à des degrés divers, dans la majorité de nos nations, je pense en particulier au chômage des jeunes ou au chômage de longue durée. C’est pourquoi une mobilisation de l’ensemble des Etats membres autour d’objectifs volontaristes est nécessaire si nous voulons que les cinq prochaines années voient reculer le chômage de façon significative, condition pour redonner espérance à nos peuples.

2. Cette initiative doit se traduire par des engagements concrets et crédible

Cette réunion n’est pas une réunion comme les autres comptes tenus des enjeux : 18 millions de chômeurs en Europe dont près de 5 millions de jeunes de moins de 25 ans, des situations dramatiques de sous-emploi et l’apparition de situation d’exclusion dangereuses pour la stabilité de nos sociétés. Au moment où les perspectives de croissance sont plus favorables, l’opinion ne comprendrait pas que les pays européens ne se mobilisent pas fortement pour traduire cette situation sur le terrain de l’emploi.

Il est donc impératif de prendre aujourd’hui des décisions concrètes et précises.

L’idée du Président Juncker de retenir une « méthode de convergence » appliquée au domaine de l’emploi me paraît tout à fait intéressante. Cette méthode devrait reposer sur la définition d’orientations communes à tous nos Etats et précisément définies. Ces orientations conduiraient chaque Etat à prendre des engagements précis, concrets et, pour certains, chiffrés, et feraient l’objet d’une procédure de suivi et de surveillance multilatérale annuelle.

A cet égard, un certain consensus semble s’être dégagé ces dernières semaines sur quelques objectifs, notamment, sur le chômage des jeunes, le chômage de longue durée et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’emploi et de formation professionnelle. Sur la base des propositions de la Commission, il s’agirait d’offrir une action de formation, d’embauche ou de réinsertion à tout adulte avant qu’il n’ait 12 mois de chômage et à tout jeune dans les 6 mois de sa mise au chômage. En outre, la réduction des charges pesant sur le travail pourrait être un autre objectif, plus qualitatif celui-là.

D’autres objectifs pourraient aussi être examinés :

- la création d’emplois liée aux nouvelles technologies, notamment celles de la société de l’information, ou encore dans des services répondants à des besoins non satisfaits : à cet égard, il paraît important d’examiner les moyens à mettre en œuvre pour favoriser ces créations d’emplois ;

- l’accroissement de la part des travailleurs bénéficiant d’une formation permanente pour éviter, précisément, de connaître des situations de chômage et pour améliorer la compétitivité européenne : en effet, la formation tout au long de la vie des salariés constitue un élément important de leur sécurité et représente un des aspects fondamentaux du modèle social européen :

-l’accroissement des investissements des Etats membres en recherche-développement et dans les nouvelles technologies ;

- l’encouragement à la création d’emplois dans les PME, grâce, notamment, aux engagements de la BEI ;

La mise en œuvre de ces orientations, le suivi régulier de leur réalisation et leur croissance plus forte devraient permettre, comme le souligne la Commission européenne, d’engager une réduction significative du chômage dans l’Union.

Sur cette base, les Etats-membres devraient élaborer des plans d’action nationaux concrétisant, y compris par des engagements chiffrés, chacun pour ce qui les concernent, les moyens à arrêter pour mettre en œuvre les lignes directives. Ces plans d’action devraient être présentés au prochain Conseil européen prévu à Cardiff en juin 1998.

En outre, je souhaiterais insister sur des points complémentaires auxquels mon Gouvernement attache une importance particulière.

Il conviendrait d’arrêter des décisions permettant une approche plus concertée des restrictions industrielles, impliquant notamment la consultation des partenaires sociaux aux niveaux appropriés, afin d’en mieux prévenir les effets économiques et sociaux.

Par ailleurs, le Conseil devrait inciter au renforcement du dialogue social au niveau européen, en particulier en proposant aux partenaires sociaux des sujets sur lesquels un besoin de dialogue et de proposition se fait sentir. Je pense, notamment, à l’harmonisation des législations sociales : le récent conflit routier en France – que nous nous sommes efforcé de résoudre aussi vite que possible – illustre, s’il en était besoin, la nécessité et l’urgence de progrès en la matière au niveau européen. Je considère également que la modernisation de l’organisation du travail, y compris la réduction du temps de travail, devrait être un thème important d’un dialogue social plus dynamique et constructif.

Enfin, il serait utile de définir une méthode pour mieux connaître et comparer les situations de chômage et de sous-emploi en Europe.

Notre travail n’est pas achevé avec la réunion d’aujourd’hui. Au contraire, je considère qu’elle constitue le point de départ d’un processus nouveau.

Les plans nationaux devraient être présentés d’ici notre prochain Conseil européen prévu en juin à Cardiff.

L’idée émise par M. Juncker d’un rendez-vous annuel consacré à l’emploi, non pas par une réunion spécifique comme celle-ci mais à l’occasion du Conseil européen de décembre, me semble devoir être retenue. Un tel rendez-vous périodique permettrait le suivi des mesures prises par les Etats membres pour réaliser les objectifs définis en commun ainsi que l’analyse des conséquences à tirer des échanges de bonnes pratiques.

Il traduirait de façon claire la volonté des Etats membres, au moment où ils préparent, pour beaucoup d’entre eux, le passage à la monnaie unique, de répondre aussi aux attente de leurs peuples qui sont, nous le savons bien, centrées sur l’emploi. Ainsi, aux critères de Maastricht touchant la monnaie s’ajouteraient les objectifs de Luxembourg visant la croissance et l’emploi.