Texte intégral
Q - Avez-vous tenu compte des critiques qui ont été formulées contre votre premier projet de loi, pour la seconde loi des 35 heures ?
- « Bien sûr, sinon ça ne servirait à rien de faire une concertation et de travailler avec ceux qui sont les premiers concernés. »
Q - Ça, on vous a reproché le manque de concertation, aussi bien du côté du patronat que des syndicats !
- « Pas du coté des syndicats. Je n'ai d'ailleurs entendu qu'une seule critique. »
Q - B. Thibault disait : « moi, j'ai appris la loi par la presse.»
- « Nous nous sommes quand même beaucoup vus et encore cette semaine. Je pense que ce n'est pas cela qu'on peut nous reprocher. En tout cas, une loi qui touche autant la vie des gens, qui touche l'organisation des entreprises, ce n'est pas tout à fait anormal qu'elle entraîne beaucoup de réactions. Ces réactions étaient d'ailleurs, pour certaines, contradictoires. Certains nous disaient : ça va trop vite, 2000 - 2001 avec la période d'adaptation. D'autres nous disaient : il ne faut pas de période d'adaptation. Certains nous disaient : il y a trop de choses dans la loi ; d'autre qui disaient : il n'y en a pas assez. Mais aussi, certaines critiques étaient communes. Je pense par exemple aux cadres. Les organisations syndicales nous ont dit : ce que vous prévoyez en nombre de jours maximum travaillés est insuffisant. »
Q - Il y en avait 222 prévus, on passe à 217.
- « On passe à 217 jours travaillés maximum pour les cadres. Ça revient à peu près à donner dix jours de repos complémentaires. C'est d'ailleurs ce qui est prévu au minimum dans la quasi-totalité des accords. Il y a une demande de toutes les organisations et bien sûr, nous en avons tenu compte. »
Q - Les cadres vous disent c'est très bien, mais sur chaque jour de travail, on peut travailler indéfiniment, il n'y a pas de plafond.
- « C'est un des sujets dont il faut que l'on discute, y compris d'ailleurs avec les cadres eux-mêmes et on a le temps d'ici le mois de septembre, pour le faire. Si l'on veut mesurer effectivement la durée quotidienne, il faut accepter que cette mesure soit faite et, notamment par exemple que l'on soit badgé. Tout le monde ne l'accepte pas. »
Q - Avec des pointeuses ?
- « Avec des pointeuses ou bien que l'on fasse une auto-déclaration. Ça fait partie des points qui sont en discussion, y compris au sein des organisations syndicales. Sur ces sujets-là, je n'ai pas d'avis a priori, donc j'attends qu'on me dise ce qui est souhaitable. »
Q - Pour le mode de calcul et les majorations des heures supplémentaires, il y a une année à deux années de transition suivant les cas. Les critiques de gauche, c'est : avec ça, la réduction effective de la durée du travail ne sera pas là au 1er janvier comme promis. »
- « Là-dessus, je crois que maintenant, tout le monde s'est à peu près retrouvé. Tous ceux qui sont pour les 35 heures - et vous dites les critiques de gauche, je crois qu'à gauche tout le monde est pour les 35 heures -, veulent que ça réussisse. Donc, le problème n'est pas de faire une loi qui plaise ou qui déplaise, qui aille plus vite ou moins vite, c'est de faire une loi qui réussisse. Pour qu'elle réussisse, il faut que la négociation ait le temps de se développer. Or nous l'avons vu dans cette première période, ce n'est pas facile la réduction de la durée du travail. Ça change la façon dont est organisé le travail. Ça pose des problèmes entre la vie familiale et la vie professionnelle, qu'il faut améliorer. Ça change aussi le dialogue dans l'entreprise. Il faut trouver les moyens de financer tout cela. Il faut du temps, entre six et neuf mois, nous montre l'expérience de cette année et demi déjà passée. Alors, nous avons donné cette période pour que la négociation puisse s'engager. »
Q - Mais vous dites ça, dos au patronat.
- « Cette loi n'est faite ni pour plaire ni pour déplaire, elle est faite pour réussir. Elle est en train de réussir et moi, c'est la seule chose qui m'intéresse. Je crois que maintenant, tout le monde a compris que c'est par la négociation : une entreprise sur deux négocie aujourd'hui ; un salarié sur quatre dans les entreprises de plus de 20 salariés est déjà aux 35 heures ; plus de 100 000 emplois créés depuis le mois d'octobre. Personne n'avait pensé à cela il y a un an, même pas un an, quand la loi a été votée. Donc, continuons sur cette ligne : la loi fixe des garanties, fixe les normes ; la négociation fixe les conditions pratiques pour qu'elle soit gagnante pour tout le monde : entreprises, salariés et emplois. »
Q - La première année, les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de 10 %. Ils vont à qui ? Aux salariés ou à un fonds ?
- « Là aussi, c'est très simple. Nous avons essayé, dans cette loi, de simplifier la réglementation sur la durée du travail parce que dieu sait si elle est compliquée et en même temps, d'apporter les garanties minimales aux salariés, c'est-à-dire celles sur lesquelles ils peuvent compter. C'est très simple : pendant la première année, la taxation des heures supplémentaires, c'est-à-dire entre 35 et 39 heures est de 10 %. Lorsqu'on a négocié sur les 35 heures, ces 10 % vont aux salariés. Lorsqu'on n'a pas encore négocié, donc on est encore à 38 ou 39 heures, ces 10 % vont vers un fonds qu'on utilisera pour l'emploi. »
Q - Là, vous poussez les salariés à revendiquer pour qu'il y ait un accord.
- « Oui, on souhaite qu'il y ait des accords. Et puis, un an qu'est-ce que c'est ? Quand on se retournera dans quatre ou cinq ans pour voir, le succès des 35 heures et voir comment notre pays a changé grâce à cela, on ne se dira pas est-ce qu'on l'a fait à six mois près, on se dira : est-ce que ça a créé des emplois ; est-ce que les entreprises fonctionnent mieux ; est-ce que les salariés ont de meilleures conditions de vie ? Pour moi, c'est le seul sujet. Au bout d'un an, 1er janvier 2001, régime définitif : 25 % de taxation d'heures supplémentaires comme c'est le cas aujourd'hui. Si on a signé un accord sur les 35 heures, ces 25 % vont aux salariés et c'est à la négociation de dire si c'est sous la forme de repos ou sous la forme de taxation, c'est-à-dire d'argent. Si on n'a pas encore négocié, 10 % continuent à aller au fonds et 15 % vers les salariés. Donc, c'est simple, clair et je crois que ça va dans le sens de pousser effectivement à la négociation et de laisser la place à la négociation sur les choix entre le repos et l'argent car je crois que là-aussi, les salariés doivent pouvoir s'exprimer. »
Q - La loi n'est pas applicable au temps partiel. Les syndicats découvrent avec stupéfaction que le temps partiel commence à 34 heures. Il suffirait de signer un contrat de 34 heures ?
- « Non. D'abord c'est une protection. On avait une réglementation très compliquée, on était à temps plein au-dessus de la durée légale, on était à temps partiel 20 % en-dessous de la durée légale et entre les deux, on était dans un no man's land; une espèce de flou, sans réglementation qui s'appliquait à ces salariés. Aujourd'hui, on est à temps partiel et c'est d'ailleurs la réglementation européenne, en-dessous de la durée légale, c'est-à-dire en-dessous des 35 heures ou des 32 heures si on est à 32 heures dans l'entreprise. Et toutes les garanties du travail à temps partiel que nous étendons dans cette loi, vont s'appliquer à ces salariés. Ils auront par exemple droit à une proratisation du salaire. Quand ils travaillent 34 heures, ils ont droit à 34/35e si la durée est de 35 heures. Si, dans l'entreprise, on a réduit la durée du travail et s'il y a des salariés payés au Smic par exemple qui ont une indemnité différentielle pour ne pas perdre leur salaire, eh bien le travailleur à temps partiel aura au prorata aussi, cette indemnité différentielle. Donc, il n'y a pas de différence de statut. On étend la proratisation, ce qui est la règle la plus simple. Vous avez, en fonction de votre durée du travail, les avantages du travailleur à temps plein. »
Q - Autre critique encore ....
- « Mais vous voyez bien que ces critiques tombent au fur et à mesure. »
Q - C'est que les allègements de charges sociales pour les entreprises ne sont pas subordonnées à la création d'emplois. Il suffit de signer un accord sur les 35 heures mais ne pas embaucher.
- « Ce qui n'est déjà pas mal. On s'en est expliqué et je crois que maintenant aussi les choses sont claires. Beaucoup, et notamment la CGT, ont dit avec juste raison : il ne faut pas donner des aides aux chefs d'entreprise s'il n'y a pas de contrepartie. La baisse des charges sociales va être très importante : 21 500 francs de baisse des charges au Smic, 11 900, 1,3 fois le Smic et encore 4 000 francs à 1,8 fois le Smic ; ce qui touche 90 % des salariés non qualifiés en France. Nous souhaitons que cette baisse des charges soit liée aux entreprises qui montrent leur volonté de créer ou de préserver les emplois, c'est-à-dire qui passent aux 35 heures. Le lier à des créations n'aurait pas grand sens. Quand un grand groupe, qui est dans la téléphonie, crée des emplois, c'est normal, il est sur un marché porteur. Quand l'habillement essaye de préserver des emplois malgré la concurrence terrible, elle n'aurait pas le droit dans ce cas-là, à ces baisses de charges alors que c'est peut-être elle qui en a le plus besoin. Aussi, je crois que maintenant, chacun s'accorde à cela. L'important, c'est que le passage aux 35 heures soit vérifié comme étant favorable aux salariés. C'est la raison pour laquelle nous demandons un accord qui soit, soit signé par les syndicats représentatifs, soit, à la demande d'un signataire, approuvé par la majorité des salariés. »
Q - Quand M. Seillière dit : mais tout ça est une usine à gaz invraisemblable, un talent français pour l'économie administrée, heureusement il y a D. Strauss-Kahn qui nous protège des bêtises faites par ses collègues.
- « D'abord, D. Strauss-Kahn est un excellent ministre de l'Économie et des Finances, donc je comprends que M. Seillière le reconnaisse. Deuxièmement, je n'ai jamais entendu D. Strauss-Kahn critiquer les dispositions de cette loi. Donc, je pense que M. Seillière a parfois quelques petits fantasmes, peut-être. Je crois que nous sommes tous d'accord au Gouvernement sur le fait que cette loi est un des éléments majeurs pour réduire le chômage et elle le montre bien d'ailleurs et qu'il faut continuer dans la même ligne en faisant confiance à la négociation. »
Q - B. Kouchner a quitté le secrétariat à la santé, quand sera-t-il remplacé ? On n'a pas l'air pressé de le remplacer alors que c'est un secrétariat intéressant.
- « C'est un secrétariat d'État excessivement important puisque vous avez vu tout ce qu'il a fait, notamment sur la douleur, les soins palliatifs, la lutte contre l'hépatite C, les réseaux sur le cancer etc. Il faut le choisir et il faut bien le choisir. Il ne doit pas y avoir de précipitation. Le Premier ministre le décidera le moment venu. En attendant, ne vous inquiétez pas, la santé n'est pas en jachère, je m'en occupe. »
Q - D. Cohn-Bendit, vous allez l'aider à devenir Français ?
- « D'abord, il faudrait qu'il choisisse entre être Français ou Allemand. Et puis, il ne remplit pas tout à fait les critères parce qu'il n'est pas en France. »
Q - Oui, mais il a dit : je suis un artiste de la politique, donc j'ai droit à une dérogation !
- « C'est vrai, les sportifs de haut niveau ont droit à des dérogations, je pense qu'il fait partie des sportifs de haut niveau. On va donc regarder avec attention son dossier. »
Q - Bientôt Français alors ?
- « S'il choisit d'être Français. Mais il ne pourra plus être Allemand car nous avons signé la convention de Strasbourg qui impose de choisir. »
Q - Quel dilemme ! Mais il sera toujours Européen !
- « Oui, c'est essentiel. »