Interviews de Mme Christiane Lambert, présidente du CNJA, dans "Jeunes agriculteurs" d'octobre 1997, intitulée "Nous dénonçons les abus de certains agriculteurs" et de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "La Tribune" du 28 octobre 1997, intitulée "Nous sommes pour la monnaie unique sans aucune arrière-pensée", sur les pollutions engendrées par certains éleveurs et le soutien des agriculteurs à l'euro.

Prononcé le 1er octobre 1997

Intervenant(s) : 

Média : Jeunes Agriculteurs - La Tribune

Texte intégral

Date : Octobre 1997
Source : Jeunes Agriculteurs

Jeunes Agriculteurs : Les Agriculteurs sont de plus en plus mis en cause pour les problèmes environnementaux. Qu’en pensez-vous ?

Christine Lambert : L’irrationnel l’emporte souvent. Les abus de certains ternissent l’image de toute la profession. Nous les dénonçons car ils entravent le développement raisonné des exploitations d’élevage. Montrer du doigt les coupables conforte les arguments des associations écologistes. Mais dans la réalité, la plupart des éleveurs font des efforts en bâtissant leur système d’exploitation sur des bases scientifiques et techniques respectueuses de l’environnement.

Jeunes Agriculteurs : Leur engagement à régler les problèmes, notamment à travers le CNJA, est-il sincère ?

Christine Lambert : Oui. Depuis 1990, le CNJA prône une agriculture à visage humain et dénonce les excès. Pour être durable, l’agriculture doit se réconcilier avec la société, et donc avec l’environnement. Notre génération est de mieux en mieux formée pour cela. Concrètement, nous nous sommes investis dans Picagri (recyclage des produits phyto périmés), Fertimieux, Irrimieux, Farre et bientôt Phytomieux. Quant au PMPOA, nous y travaillons sans relâche.

Jeunes Agriculteurs : Quelles sont vos propositions pour débloquer le PMPOA en zone d’excédent structurel ?

Christine Lambert : Avant tout, il ne faut pas remettre en cause l’architecture générale du PMPOA. Pour les ZES, il faut maintenir la régularisation des élevages au 1er janvier 1994, sous la condition d’un plafonnement des surfaces figurant au plan d’épandage, tout en obligeant le traitement pour les plus gros élevages. De toute façon, il faut veiller à traiter équitablement toutes les régions et à pouvoir continuer à installer des jeunes agriculteurs sur des élevages aux normes. C’est sur ces bases que la concertation aboutira.


Date : 28 octobre 1997
Source : La Tribune

La Tribune : Quel est le sentiment du monde agricole face à l’euro ?

Luc Guyau : Nous sommes pour sans aucune arrière-pensée. Depuis longtemps, l’Europe est en permanence au cœur de la vie de nos exploitations. Les agriculteurs connaissent déjà l’Écu, l’Écu vert et l’effet de leurs variations sur les aides versées. Surtout, les phénomènes monétaires ont souvent été très préjudiciable au secteur. Les montants compensatoires monétaires se sont révélés extrêmement néfastes pour le développement de l’agriculture française. Conçus comme une mesure ponctuelle, ils avaient un sens. Mais en s’accumulant et en perdurant, ils se sont transformés en catastrophe. Nous avons également subi les dévaluations compétitives de certains de nos voisins, Italiens, Espagnols. À chaque fois, les quantités vendues restent inchangées, mais les producteurs perdent des parts de marché et les prix tombent. Après un grand plongeon, tout repart mais avec des prix plus faibles. Enfin la France en tant que premier exportateur mondial de produits agroalimentaires subit la pression du dollar. C’est une arme redoutable pour les États-Unis. La monnaie unique nous évitera le monopole du billet vert. Pour toutes ces raisons, les agriculteurs français ont bien compris que l’euro facilitera les échanges. Un sentiment partagé par tous les collègues étrangers, même les Anglais, que je rencontre au sein des organisations professionnelles agréées de l’Union européenne.

La Tribune : La fin du système agri-monétaire signifie la fin des taux verts spécifiques à l’agriculture. Craignez-vous, au moment de la transition, un recul des revenus des exploitants ?

Luc Guyau : Si les parités, fixées en 1998, s’établissent en toute transparence, il ne devrait pas y avoir d’incidences sur le niveau des prix institutionnels. Mais si, au moment du passage et de la détermination des taux de conversion, des fluctuations fortes apparaissent, alors cela pourrait altérer nos revenus. Pour autant, nous serons vigilants sur la prise en compte de l’aspect monnaie verte dans ces décisions. Les agriculteurs ne souhaitent pas d’euro vert. J’estime en effet qu’il vaut mieux se calquer sur les valeurs réelles. Toutefois au moment du passage les agriculteurs ne devront pas être pénalisés. Le mieux pour le secteur agricole serait d’avoir une monnaie unique avec un maximum de pays dès le départ. Si tous les États n’y figurent pas, il faudra établir des systèmes régulateurs aux frontières. Les services de la FNAE étudient d’ores et déjà des mécanismes pour éviter les effets pervers des dévaluations compétitives dans les pays exclus de l’euro.

La Tribune : Avec l’avènement de l’euro, les comparaisons entre les diverses agricultures nationales seront facilitées. Cela peut-il conduire à une exacerbation de la compétition et donc à des effets de concentration au détriment des petits producteurs ?

Luc Guyau : La concurrence sera plus saine. Pour autant, je ne vois pas poindre de spéculations liées à l’arrivée de l’euro. Les producteurs de viande bovine, tout comme les exportateurs de fromages, de vins ou de céréales bénéficieront d’une stabilité bienvenue. Tout cela, bien sûr, à condition que nous fassions un effort d’information et de formation sur cette nouvelle monnaie et que personne ne soit « plumé » par des gens peu scrupuleux. D’ailleurs nous travaillons à la mise au point de modules de formation pour toute la filière. Dans les faits, un agriculteur français affrontera directement un homologue européen sans l’interférence de la monnaie. Quand un producteur de lait français comparera le prix du litre avec son voisin allemand, les différences proviendront de la compétitivité de chaque exploitation, du coût de la main-d’œuvre, de la compétence de chacun, des divers types de sols ou de climats… Hélas les distorsions véritables resteront les mêmes. L’euro ne va pas rééquilibrer ces différences.