Déclaration de M. Michel Rocard, ministre de l'agriculture, sur le secteur viti-vinicole, le 22 juin 1984.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de la Confédération nationale des coopératives viticoles (CNCV)

Texte intégral

Lors de mon récent voyage à Montpellier, j'ai tenu à rencontrer les principaux responsables de caves coopératives et de groupements de la région Languedoc-Roussillon car je considère que l'écoulement et la valorisation de la production viticole passe par l'émergence ou le développement de groupements puissants, pugnaces, bien structurés au niveau commercial, capables de s'implanter de façon durable sur les marchés.

Le réseau coopératif est le support privilégié de la mise en place de l'organisation économique et en m'adressant à vous aujourd'hui, vignerons coopérateurs, j'ai la certitude d'être entendu par des hommes responsables, par des animateurs d'un mouvement qui oeuvre pour faire évoluer les structures économiques et sociales du secteur viti-vinicole. Votre confédération est au centre de l'élaboration et de la mise en oeuvre d'une nouvelle conception de la viticulture et je sais que je puis m'appuyer sur vous pour faire progresser les dossiers de l'avenir.

Cependant, avant d'aborder la préparation du moyen et du long terme, je voudrais profiter de la tribune que m'offre la CNCV pour dresser un tableau sans complaisance de la situation dans le secteur des vins de table.

Les viticulteurs sont inquiets : l'écoulement de la récolte reste difficile, les prix stagnent autour de 70 % des prix d'orientation.

Les viticulteurs sont déçus car ils avaient mis dans l'application de la réforme du règlement 337 des espoirs justifiés. Ils ont le sentiment que, par delà les difficultés propres au marché des vins de table, la situation qui prévaut actuellement est essentiellement due à des « erreurs » de gestion de la communauté à son incapacité à faire respecter ses propres règlements.

A la déception s'ajoute une grande irritation car si le bilan communautaire prévisionnel 83-84 n'avait pas été minoré par la sous-estimation flagrante des prévisions de récolte dans certains États-membres la distillation obligatoire prévue à l'article 41 du règlement de base aurait du être déclenchée en décembre 1983 et permettre le retrait de plusieurs millions d'hl de la communauté.

Le laisser-faire a conduit à un dérapage de l'organisation commune viti-vinicole et à un blocage de la mise en oeuvre des instruments de gestion prévus par le règlement de base. La commission, depuis plusieurs comités de gestion, a décidé de ne rien décider.

Une telle situation n'est pas admissible.

J'ai demandé à plusieurs reprises la mise en oeuvre de la distillation exceptionnelle, la délégation française a demandé au dernier comité de gestion la mise en place du relogement. Aucune réponse ne nous a été donnée.

Il faut que vous soyez bien conscient de l'extrême gravité de la situation et de la fragilité de l'édifice communautaire.

La présidence française, au cours des derniers mois a tenté, avec conviction et fermeté, de faire prendre conscience à ses partenaires qu'il était essentiel d'agir afin d'éviter un dérapage catastrophique du règlement viii-vinicole.

La construction d'un groupe à haut niveau lors du récent conseil agricole informel d'Angers répondait à cet objectif. Il faut très rapidement faire le constat des désordres actuels afin de débloquer la situation. Notre but est d'assurer un fonctionnement normal de l'organisation commune de marché par une application résolue du règlement 337 en améliorant si besoin est ses modalités (fiabilité des déclarations, mise en oeuvre de la responsabilité des Etats-Membres, automaticité de la distillation obligatoire, mise à l'écart des vins issus de raisins de table, vins déclassés…)

Sans vouloir noircir la situation je tiens à affirmer solennellement devant vous que de la réussite ou de l'échec des travaux de ce groupe dépend la mise en oeuvre normale des instruments de gestion de la fin de campagne 1983-1984 et du début de la campagne 1984-85.

Dans le contexte actuel de pénurie budgétaire il nous faut éviter la mise en oeuvre d'une limitation budgétaire aveugle qui consisterait par exemple à opérer des coupes sombres sur la garantie de bonne fin ou à restreindre l'accès au stockage à long terme. La France y est fermement opposée mais si rien n'est fait pour canaliser les débordements actuels, c'est une solution qui peut tenter nos partenaires du Nord.

A ce jour ce que je puis vous affirmer avec certitude c'est que les contrats de stockage à court terme seront financés. Mes services ont fait au ministère de l'économie des propositions tant pour la fin de 1984 que pour le budget 1985 en cours de préparation. Aucun doute ne doit subsister dans vos esprits et je pense que dès le mois de juillet le Conseil de Direction de l'ONIVINS pourra être saisi de cette question.

Les problèmes du très court terme sont très sérieux. Cependant il est clair que l'absence de maîtrise quantitative conduit la Communauté à l'accumulation d'excédents et à des coûts de gestion inacceptables et que rien de sérieux ne peut être envisagé si nous ne proposons aucune voie raisonnable pour l'avenir.

Le marché ne permet plus d'assurer le revenu normal des exploitations viticoles. Les distillations deviennent des instruments habituels de complément de revenu.

Cependant, il y a une viticulture qui souffre : celle majoritaire en France, qui se trouve sur les coteaux et qui n'a pas de surplus à distiller ; et une autre qui s'étend grâce à des interventions : celle qui installée dans des zones de la Communauté peu aptes à la production de qualité, peut irriguer pour accroître les rendements et faire distiller des quantités toujours plus importantes.

Cette situation n'est pas acceptable car elle risque à terme d'orienter l'ensemble de la viticulture vers une production à haut rendement inadaptée à l'évolution de la demande des consommateurs.

Il est clair pour la France qu'une bonne gestion du marché du vin ne passe pas par des mesures conjoncturelles accordées au gré de pressions de la rue.

Il est aussi primordial d'exiger de nos partenaires le respect intégral de la réglementation en vigueur.

D'une manière générale on peut affirmer que la France possède un système de contrôle fiable et qu'après quinze ans de marché commun viti-vinicole il convient de se poser très sérieusement la question : ou bien la communauté exige que les contrôles soient effectués, oui bien elle y renonce mais c'est alors la notion même de libre-circulation à l'intérieur du marché commun qui sera remise en cause.

Ce préalable conditionne la crédibilité de toute nouvelle réglementation communautaire. Il serait inutile de bâtir un nouveau système si les instruments actuels de gestion des marchés restent bloqués par le manque de fiabilité des données de base.

Nous estimons donc que face à l'accroissement de l'offre et la baisse régulière de la demande, la seule régulation conjoncturelle des quantités par le biais des distillations, du stockage n'est pas suffisante et qu'il faut envisager la mise en oeuvre d'une politique de maîtrise quantitative de la production. Nous affirmons avec force que cette voie implique que tous les pays producteurs soient contraints à appliquer sérieusement le règlement 337.

La position de la France tire toutes les conséquences de la situation actuelle : d'abord mettre de l'ordre dans la maison des 10 puis s'engager résolument sur la voie de la maîtrise quantitative seule garantie sérieuse de tout processus d'élargissement.

La démarche est difficile car il nous faut à la fois convaincre nos partenaires du bien-fondé de nos analyses et vous convaincre de l'efficacité des réformes que nous proposons.

Je suis conscient de vous faire suivre une ligne de crête mais il faut que vous soyez persuadés que notre objectif est d'apporter aux producteurs, dans une tranche de production limitée mais garantie, une meilleure sécurité du revenu que jusqu'ici le marché commun viticole s'est montré incapable de réaliser.

Je viens de vous parler longuement du secteur des vins de table qui connaît depuis de nombreuses années de graves difficultés. Cependant, je tiens à affirmer devant votre congrès qui rassemble des représentants de l'ensemble de la viticulture française que je n'admets pas le dualisme de l'économie viticole. Pour moi la viticulture est une et toute politique qui méconnaîtrait cette réalité précipiterait l'ensemble du secteur sur une pente dangereuse.

La collaboration étroite engagée entre les représentants des vins de table et des appellations dans le cadre de l'ONIVINS montre que sur des questions aussi difficiles que les interférences, et la maîtrise quantitative, les visions partisanes et les querelles de chapelle s'estompent.

Bien sûr il ne s'agit que d'un début et il faudra consolider l'esprit de dialogue. Mais je suis persuadé que les représentants de votre confédération, le président de l'Office à leur tête, seront les artisans les plus convaincus de cette collaboration.

Puisque j'aborde la question des appellations d'origine, je voudrais lever certaines ambiguïtés à propos des décisions prises lors de la fixation des prix communautaires.

En matière de plantations, on a trop parlé d'interdiction alors qu'il ne s'agit en fait que d'un régime d'autorisation comparable à celui qui existe en France depuis longtemps et qui a été étendu à l'ensemble de la Communauté.

En matière de chaptalisation la France n'a pas accepté la proposition de la commission fixant une échéance en 1989 pour la fin de cette pratique car nous avons estimé que les conditions économiques, techniques et de contrôle n'offraient pas de garantie suffisante.

Comme pour les plantations il faut bien reconnaître que le laxisme de certains de nos partenaires en matière de chaptalisation et de pratiques oenologiques crée une concurrence déloyale et qu'il faudra, au minimum, obtenir une certaine normalisation.

Je crois qu'il serait déraisonnable de rejeter, à priori, toute idée de changement de mode de chaptalisation. Discutions sur des bases sérieuses et nous serons plus forts lorsque nous aborderons de nouveau cette question à Bruxelles.

Je viens de dresser, je crois, un tableau aussi complet que possible des problèmes qui vous préoccupent très immédiatement mais devant les représentants de la coopération vinicole qui, comme l'a rappelé le Président VERDALE, ont toujours su aller de l'avant, il me faut à grands traits, dessiner les perspectives d'orientation de votre secteur.

Le secteur viticole se trouve actuellement dans une situation de concurrence ouverte vis à vis de ses partenaires européens. Cette situation entraîne pour la viticulture nationale, l'absolue nécessité d'une évolution. Face à un marché mondial ou la consommation de vin croît moins vite que les possibilités de production, rendant encore plus agressive la concurrence entre les opérateurs des différents pays il nous faut :

- élaborer des produits correspondants à l'attente des consommateurs ;
- réduire les coûts de production au niveau des exploitations et là où c'est possible, améliorer leur équilibre global par la diversification ;
- accroître la compétitivité des opérateurs de façon à leur permettre d'affronter la concurrence, notamment à l'exportation ;
- améliorer l'organisation de la mise en marché et l'efficacité des circuits de commercialisation.

Vous avez déjà réalisé des progrès considérables, que ce soit dans le domaine de l'encépagement ou que ce soit dans celui de la modernisation de l'outil de transformation mais vos efforts ont été freiné par une insuffisante rentabilité.

La politique de l'encépagement doit être maintenue et comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises j'ai demandé à la Commission de proposer la prorogation, pour une période significative, de la date d'échéance de la directive structurelle Languedoc-Roussillon qui régit la restructuration du vignoble.

Nous devons aussi mener une politique d'encouragement au regroupement et à l'organisation économique des producteurs, d'incitation à la rationalisation des programmes d'investissements.

Il conviendra d'encourager la constitution d'installations collectives de transformation, permettant l'application d'une politique d'amélioration de la qualité, grâce notamment, à la généralisation de la réception séparée de la vendange, en fonction de ses caractéristiques qualitatives, et de l'application de grilles de paiement du raisin différencié en fonction de l'état sanitaire, du cépage et du degré.

Il conviendra aussi de préconiser la constitution d'unités de mise en marché réunissant une gamme de produits ou susceptibles d'élaborer différents types de vins en vue de répondre aux possibilités offertes par les marchés intérieurs et extérieurs.

Si nous voulons maintenir tout à la fois les exploitations viticoles, l'emploi et le potentiel de production, il faut que nous nous dotions des outils capables d'être compétitifs.

L'ensemble de ces actions est soutenu par le Ministère de l'Agriculture dans le cadre des aides  aux investissements de stockage, conditionnement et vinification. Dans une région comme le Languedoc-Roussillon, en 1983, 239 projets ont été pris en compte pour un total d'investissement de 138,6 millions de francs. La plupart de ces projets ont été adressé au FEOGA - orientation pour obtenir une aide de 35 % éventuelle.

Ce soutien aux efforts sera maintenu puisque lors du Conseil des Ministres de l'Agriculture du 19 juin, le projet de modification du règlement 355 a été adopté. Ce règlement s'appliquera à partir du 1er janvier 1985 pour 10 ans avec le même taux d'aide. D'ores et déjà il est de nouveau possible d'adresser des dossiers au FEOGA et aucun retard ne devrait être provoqué dans la réalisation des projets.

Ce soutien sera aussi complété par la mise en oeuvre des contrats de plan Etat-Région. Le crédit de 150 millions de francs inscrit au budget de l'ONIVINS permettra pour la durée du IXeme plan, de financer des actions de recherche - expérimentation, de développement de l'organisation économique et sociale du secteur… Une affectation de 90 millions de francs pour les trois premières années est déjà intervenue. Elle marque avec force l'importance toute particulière qu'attache le ministère de l'agriculture à la mise en oeuvre d'une politique dans le secteur viticole.

L'avenir dans votre secteur, comme dans les autres secteurs de la vie économique, appartiendra à ceux qui auront su conquérir des marchés, se battre pour les garder et les développer.

Il est certain que la coopération vinicole est au centre du dispositif est que rien ne sera fait sans sa participation active. Je suis bien conscient des difficultés auxquelles vous êtes confrontés : renforcement de la concurrence sur les marchés extérieurs, concentration des circuits de distribution… Le marché des vins de table connaît une rude mutation, mais si les viticulteurs et tout particulièrement les coopérateurs ont la volonté de s'organiser, et je sais qu'ils l'ont, de commercialiser par l'intermédiaire de groupes puissants ayant la capacité d'imposer leur produit sur des créneaux porteur du marché national ou des marchés extérieurs, je suis persuadé que notre viticulture touchera les dividendes de ces efforts.

En guise de conclusion, permettez-moi, Monsieur le Président VERDALE, de vous dire que par delà ses problèmes économiques la coopération vinicole est pour moi, avant tout, un groupe d'hommes et de femmes attachés à leur terroir et à leur produit qui mène avec passion et compétence le rude combat de la promotion de la qualité.