Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RFI et à l'Agence de presse égyptienne "Mena" le 22 novembre 1997, sur son prochain voyage au Proche-Orient et sur la crise irakienne.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine au Proche-Orient du 24 au 26 novembre 1997-à Tel-Aviv et Jérusalem (Israël) le 24, Ramallah (Autorité palestinienne) le 25, au Caire (Egypte) le 26

Média : Agence Mena - Mena - Radio France Internationale

Texte intégral

RFI le 22 novembre 1997, à Paris

RFI : Monsieur le ministre, vous entamez en début de semaine prochaine une visite au Proche-Orient. Ce sera votre première tournée dans cette région et vous commencez par Israël. Pour Israël et les territoires palestiniens qui sont deux visites que vous allez enchaîner, comment voyez-vous ce voyage ? Y voyez-vous un espoir de relance ? Quel peut être l’apport de la France ?

Hubert Védrine : D’abord, je vais dans cette région parce que c’est une région d’une très grande importance pour la France et pour la politique française. Elle est importance à tous points de vues, chacun le sait bien, historiquement, culturellement, politiquement, sentimentalement, affectivement. En plus, la situation actuelle du processus de paix préoccupe l’ensemble des puissances, que ce soient les pays européens ou autres. Je ne participe pas depuis le mois de juin à une réunion internationale sans que l’on s’interroge avec souci sur la situation du processus et sur la façon de contribuer à sa relance. C’est une motivation forte et naturellement, il y a un volet bilatéral qui n’est pas négligeable dans les relations franco-israéliennes, franco-palestiniennes, ou franco-égyptiennes, puisque ce sont les trois étapes de ce voyage. J’y vais pour ces raisons. J’éprouve le besoin de me rendre compte de la situation sur place. J’ai été souvent dans ces pays naturellement, mais j’ai besoin de me rendre compte sur place, en tant que ministre, de la situation politique. Ce n’est pas la même chose de voir les responsables des pays, les protagonistes du conflit, de les voir à Paris ou à New York ou de les voir chez eux.

RFI : Est-ce que la diplomatie française, comme il y a quelques mois sous un autre gouvernement, va proposer d’autres solutions que celles de la diplomatie américaine ou bien voyez-vous cela de manière complémentaire ?

Hubert Védrine : De toute façon, je vois cela d’une façon complémentaire. Je crois que le sujet est trop sérieux, trop grave pour que l’on s’amuse à des jeux de compétition. Ce n’est pas le problème. Ce qu’il faut, c’est que, me semble-t-il, tous les efforts, en Europe, aux États-Unis mais évidemment dans la région, les Israéliens, les Palestiniens et les autres, de bonne volonté puissent converger. C’est cela qui est important. Comment les idées, les propositions des uns et des autres peuvent-elles être utiles ? Comment peuvent-elles s’articuler pour, au bout du compte, s’orienter vers un processus de solutions politiques dont la France a toujours pensé que c’était la seule façon de garantir la satisfaction des droits légitimes des uns et des autres ? Donc, recherche d’une convergence utile.

RFI : Hubert Védrine, convergence, mais quel serait l’apport de la France lors de votre visite pour essayer de relancer un processus de paix dont force est de constater qu’il est au point mort ?

Hubert Védrine : Je ne pose pas la question de l’apport à l’avance. Je ne vais pas mettre une balance pour mesurer l’action et l’influence des uns et des autres. Ce n’est pas mon état d’esprit. La France a un avis sur ces questions, naturellement, elle ne prétend pas négocier ou conclure dans le détail à la place des protagonistes. Il ne s’agit pas d’imposer des solutions préfabriquées depuis l’extérieur. C’est très important que la France, comme d’autres grand pays, soit partie prenante dans les discussions et parle à tout le monde. J’ai besoin, pour savoir comment orienter notre action diplomatique dans les temps à venir, d’entendre les responsables de premier plan de ces pays afin de voir si les points de contradictions sont insurmontables ou si, comme nous l’espérons vivement, on peut trouver une façon de redémarrer. Donc, la question que vous me posez, j’y répondrai mieux après.

RFI : Pour le moment, ne pensez-vous pas que nous sommes déjà allés trop loin des deux côtés ?

Hubert Védrine : C’est-à-dire ?

RFI : Vous parlez d’un blocage que vous allez évaluer. Pour le moment, la position de M. Netanyahou s’est fragilisée même dans son propre pays, c’est dire à quel point la situation peut paraître bloquée. Ne pensez-vous pas que les protagonistes sont maintenant sur des positions trop éloignées pour que des pays tiers puissent réussir à les rapprocher.

Hubert Védrine : Qu’en concluez-vous, qu’il faut baisser les bras ?

RFI : Je n’en conclus rien, je vous pose la question avant que vous n’alliez là-bas. Que peut-on espérer avant un voyage comme celui-ci ? Qu’est-ce qu’un ministre des affaires étrangères d’un pays tiers peut espérer avant d’aller là-bas ?

Hubert Védrine : Aucune difficulté ne me fera conclure qu’il ne faut rien tenter.

RFI : Vous allez ensuite, après Israël et les territoires palestiniens, en Égypte. Pensez-vous que l’Égypte a un rôle clef encore à jouer ?

Hubert Védrine : Je pense que l’Égypte est un pays important, c’est une évidence politique et géographique, donc géopolitique de par sa situation. L’Égypte est un pays qui est également très mobilisé sur ces questions, dont la diplomatie est très présente, très active, souvent inventive. Depuis une quinzaine d’années, de très bonnes relations se sont nouées au sommet entre les deux pays. Ce sont des relations politiques, confiantes, et nous n’avons qu’à nous en louer sur ce plan. Je veux poursuivre, et intensifier si c’est possible, cette façon d’aborder les questions et c’est très intéressant pour moi d’avoir cet échange avec les Égyptiens. De toute façon, il n’y a pas, ni à choisir, ni à trier, ni à hiérarchiser. Pour la politique française, il faut avoir un dialogue politique étroit. Continu, soutenu avec les Israéliens, avec les Palestiniens, avec les Égyptiens, les Jordaniens, les Syriens, les Libanais, avec l’ensemble des pays et des peuples, des dirigeants de la région. Au-delà des dirigeants d’ailleurs, il y a également un dialogue à avoir avec les opinions, et avec d’autres représentants démocratiques.

RFI : Allez-vous rencontrer des opinions ? En Égypte, l’opinion islamique qui s’est exprimée très violemment cette semaine bloque les autorités.

Hubert Védrine : Je ne pense pas que l’on puisse confondre un groupe de terroristes avec l’opinion. Bien que mon voyage ne soit pas très long, parce que les emplois du temps des ministres des affaires étrangères ne laissent pas énormément de marge de manœuvre, en tout cas pas autant qu’on pourrait le souhaiter, en Israël, j’aurai des contacts à la Knesset. Je rencontre, en dehors des dirigeants politiques, un certain nombre de personnalités. Du côté palestinien, j’irai devant le conseil législatif. Donc, même avec un emploi du temps bien chargé, j’essaie d’avoir un éventail de contacts parce que ce sont des sociétés qui sont encore plus préoccupées que nous par la situation, vous le comprendrez. Donc, ce dialogue doit partir des responsables politiques, des gouvernements, c’est légitime, mais également s’élargir à toute une série d’autres forces.

RFI : À propos de l’Iraq, vous déclariez il y a quelques jours encore qu’il fallait désormais s’attaquer à des questions de fond. Pensez-vous que l’on se dirige vers ce genre de discussions ?

Hubert Védrine : D’abord, nous avons géré, traité, en tant que membre permanent du conseil de sécurité, cette crise iraquienne, par une extrême fermeté, une extrême cohérence du conseil de sécurité que nous avons contribué à maintenir d’un bout à l’autre. Il fallait trouver une issue à cette crise créée par le refus de l’Iraq de coopérer avec la commission spéciale, qui rende inutile un recours à la force. Ce premier point a été obtenu, c’est extrêmement important. Il a été obtenu lors de la réunion de Genève. Maintenant, il reste le problème de fond qui est que l’Iraq, au terme de ces résolutions, doit achever de démanteler ses programmes d’armes de destructions massives. Ce qui est sans doute déjà fait sur certains points qui sont à vérifier, en cours sur d’autres et pas sur d’autres. Il y a un cheminement et c’est l’application par l’Iraq de ces résolutions qui permettra, au bout du compte de sortir du tunnel et de lever l’embargo. Nous avons dit, et nous sommes je crois très cohérents avec nos propres positions, qu’il fallait être capable, pour les pays membres du conseil de sécurité, de dire très clairement et très fermement à l’Iraq : si vous ne coopérez pas, voilà les inconvénients croissants auxquels vous vous exposez. De la même façon, il faut être capable aujourd’hui de dire : si vous coopérez, voilà comment vous pourrez rejoindre progressivement la sortie, dès lors que vous aurez rempli vos obligations. Il ne faut pas laisser planer d’ambiguïtés sur le second point parce que nous fournissons à ceux qui, en Iraq, ne veulent pas vraiment jouer le jeu de mauvais arguments. Donc, nous avons beaucoup plaidé pour cette clarification. Notre position a été claire. À cet égard, à Genève, nous avons pu nous mettre d’accord dans ce communiqué avec les trois autres ministres qui étaient présents pour qu’un paragraphe prévoit que, au sein de la commission spéciale, une discussion puisse s’entamer sur la façon de rendre plus efficace le fonctionnement de cette commission spéciale. C’est la première fois, à ce niveau-là, que l’on débat de son fonctionnement. C’est un pas dans la bonne direction, si l’Iraq joue le jeu.


Entretien accordé à l’agence de presse égyptienne « Mena » - 22 novembre 1997

Mena : Quel est le but principal de votre visite ?

Hubert Védrine : En premier lieu, rendre visite à des pays amis, comme l’Égypte. Le peuple et les dirigeants égyptiens entretiennent depuis longtemps avec le peuple et les dirigeants français des relations de vraie sympathie amicales et confiantes.

Au-delà des échanges normaux entre amis, je souhaite d’abord m’entretenir avec les autorités égyptiennes des difficultés que connaît le processus de paix, et les moyens de le relancer.

Sur la crise iraquienne, nous avons eu des positions très proches. J’examinerai avec le président Moubarak et M. Amr Moussa ce que la France et l’Égypte peuvent faire ensemble ?

Lors de ce voyage, j’aurai aussi l’occasion de signer avec le Docteur Esmat Abdel Meguid un accord de siège sur la représentation de la Ligue arabe à Paris, ce qui marquera toute l’importance que la France apporte à la concertation entre pays arabes. Naturellement, je m’entretiendrai aussi avec lui des grandes questions du moment.

Mena : Comment voyez-vous l’avenir du processus de paix dans la situation de blocage actuelle ?

Hubert Védrine : Je reste très préoccupé. Nous avons approuvé et soutenu le voyage de Mme Albright au Proche-Orient et les nouveaux efforts américains. Malheureusement, les discussions entre Israéliens et Palestiniens ne semblent pas avoir donné grand-chose à ce jour et la situation reste bloquée entre Israël d’une part, la Syrie et le Liban de l’autre. Mais il ne faut pas se décourager. Nous devons continuer à proposer des idées et à rechercher les voies d’une solution. Il est important aussi que les opinions publiques, qui veulent la paix, pèsent de tout leur poids.

Mena : Y a-t-il une initiative française pour débloquer le processus de paix et reprendre les négociations ?

Hubert Védrine : L’action de la France est continue. Les initiatives n’en sont, quand elles paraissent utiles, que la partie émergée.

Mena : Quel est le rôle de l’Europe pour relancer la paix ?

Hubert Védrine : Le but de l’Europe est d’apporter la contribution la plus utile possible à la relance du processus de paix. D’où ses contacts constants et ses propositions. Certaines des idées qu’elle a mises sur la table sont déjà largement admises. Les contacts noués par l’envoyé spécial de l’Union européenne sont très appréciés. Nous allons continuer à encourager les États-Unis à rester très engagés. Nous mettrons encore d’autres idées en avant. C’est une affaire de longue haleine. Soyons persévérants.

Mena : La crise actuelle entre l’Iraq et l’ONU : comment voyez-vous la sortie de cette impasse ?

Hubert Védrine : Nous sommes sortis de la crise créée par le refus de l’Iraq de coopérer avec la commission spéciale. Il faut maintenant que l’Iraq remplisse ses obligations fixées par les résolutions pour que l’on puisse lever l’embargo.

Mena : Comment voyez-vous les relations entre l’Égypte et la France à la lumière de votre visite au Caire ?

Hubert Védrine : Elles sont exemplaires.