Texte intégral
Q. Pour quelle raison avez-vous pris la parole à l'Assemblée nationale avant-hier, pour l'affaire Y. Piat et F. Léotard ?
R. Parce que je suis le président du groupe UDF à l'Assemblée nationale et que c'était au président du groupe, pour une question de cette gravité ou de cette solennité, de s'exprimer à la place de ceux qui, on le comprend bien, avaient du mal à le faire puisque c'était d'eux-mêmes qu'il s'agissait. Lorsque les choses sont lourdes, c'est normal que le président assume ses responsabilités.
Q. Tout le monde a vu ça à la télévision. Cela vous faisait quelque chose de parler à côté même de F. Léotard - car il était à côté de vous ?
R. J'avais souhaité qu'il vienne à côté de moi. Ce n'est pas sa place habituelle dans l'hémicycle, il est à l'autre bout de la rangée. C'est V. Giscard d'Estaing qui, d'habitude, est à côté de moi. Mais il m'a semblé nécessaire de montrer physiquement quel était le sentiment de solidarité de ceux qui ont à affronter ensemble une situation qui est sans exemple, sans précédent depuis la Guerre.
Q. Qu'avez-vous pensé de la réponse du Premier ministre L. Jospin à votre question ?
R. D'abord - peut-être puisqu'on en était à l'ambiance - j'ai été frappé par le silence absolument inhabituel ; c'est la première fois qu'à l’Assemblée nationale, dans une séance de questions d’actualité, on entendait une mouche voler dans l'hémicycle.
Q. On entendait le silence ?
R. C'est dire. Quelques députés socialistes ou un député socialiste ont essayé de dire un mot, les autres les ont fait taire. Parce que naturellement, la question dépasse de beaucoup un groupe, ou les personnalités qui sont mises en cause. Qu'on puisse écrire, en France, en République, impunément, des choses aussi graves que celles-là !
Q. Impunément jusqu'à présent...
R. Impunément jusqu'à présent, mais enfin que des maisons d'édition puissent penser qu'on peut le faire impunément, c'est un signe de dégradation de l'esprit public et c'est un signe dangereux. Alors, la réponse du Premier ministre : bon, je pense qu'il était important qu'il dise qu'il n'opposerait pas le secret défense mais tout le monde voit bien qu’il manquait un chapitre, sans vouloir polémiquer le moins du monde. Et je pense que s'il avait eu plus de temps pour y réfléchir, le Premier ministre l'aurait ajouté. C'est que, comme vous le savez, en France, il y a deux manières de saisir la justice : la première manière, c'est les particuliers, c'est l'action privée. Les particuliers se sentent mis en cause et ils saisissent la justice. Deuxième manière : c'est l'action publique.
Q. A condition qu'il y ait une plainte ?
R. Non, pas du tout, pas du tout justement. Même si les particuliers, on le comprend pour mille raisons, ne sont pas en mesure de saisir la justice, à ce moment-là c'est les procureurs de la République qui, au nom de la République, saisissent la justice parce que quelque chose de grave s'est produit, que la société ne peut pas accepter. Et s'il y a un sujet, un cas dans lequel la société ne peut pas accepter, sans réagir, que la situation continue, c'est celui où on peut écrire impunément qu'un ministre est mêlé à l'assassinat d'un parlementaire, par les fonctionnaires qui étaient sous ses ordres. C'est pourquoi la réponse de M. Jospin était insuffisante mais nous n'avons pas voulu polémiquer au sortir de l'hémicycle parce qu’il était plus important encore de manifester que le fait était assez grave pour dépasser les confrontations politiques habituelles.
Q. On a eu le sentiment que F. Léotard a quelque intuition sur l'endroit d'où viennent les attaques qui lui sont portées, et que ça viendrait de son propre camp. C'est l'impression que vous avez eue aussi en l'écoutant ?
R. Bon. C'est vrai que ce n'est pas par hasard, que c'est une affaire qui est aussi minutieusement alimentée qu'elle est montée. Alors, chaque fois qu'il y a une affaire de cet ordre, l'interrogation c'est : d'où cela vient-il, à qui le crime profite ?
Q. Alors ?
R. Alors, je ne sais pas, mais c'est clair que ça n'a pas été fait ni par hasard, ni par des lubies individuelles. Enfin, il y a eu quelque chose de grave qui s'est produit.
Q. Les conséquences politiques, M. Bayrou : certains pensent, y compris à l'UDF, que les dégâts sont tels que F. Léotard n'est plus en mesure de mener une liste gagnante aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte-d'Azur dans moins de cinq mois. Est-ce que c'est votre avis ?
R. Ce genre d'affirmation - que je n'ai pas entendue venir de l'UDF, entre nous...
Q. Pas officiellement...
R. Non, ni officiellement, ni officieusement. Ce genre d'affirmation est honteux. Vraiment ! Au moment où quelqu'un reçoit des coups de cette gravité et de cette nature, des coups qui doivent être ressentis comme un traumatisme par tous ceux qui aiment la démocratie et la liberté, en profiter pour y ajouter une petite banderille politicienne minable, eh bien ça qualifie les auteurs. Cela veut dire que ce ne sont pas des gens dignes de confiance.
Q. Quand M Muselier, qui n'est pas de l'UDF mais qui est le patron du département, de la fédération du RPR dans le département des Bouches-du-Rhône, dit « qu'il faut revoir la stratégie de l'opposition » ?
R. Eh bien, la phrase précédente s'appliquait à ce genre de réaction.
Q. Vous pensez que c'est un coup bas de M. Muselier ou bien il n’y a pas de réalité politique ? C'est-à-dire que vous pensez que M. Léotard peut gagner les élections au nom de l'opposition en mars prochain ?
R. Ceci est l'affaire de F. Léotard et des hommes qui, sur place, assument la responsabilité politique. Simplement, l'affirmation qui est faite à l'occasion de cette affaire honteuse, cette mise en cause est minable. Alors, ajouter le minable au honteux, en tout cas moi, ce n'est pas ce que je souhaite pour la politique française.
Q. Vous, vous désirez que F. Léotard continue de mener le jeu ?
R. Je soutiens F. Léotard dans le combat difficile qui est le sien.
Q. Est-ce que le Front national est au tiroir-caisse d'une affaire comme ça, politiquement, j'entends ?
R. Écoutez, ce n'est pas la peine qu'on se dissimule les choses. Il y a en France, aujourd'hui, une crise de confiance de la démocratie qui est entretenue et dont bénéficie l'extrémisme. Mais peut-être ceux qui nous écoutent ne se rendent pas compte que c'est eux-mêmes et leurs enfants qui sont en jeu, que ce que nous sommes en train de vivre, ça s'apparente aux années 1930. Et qu'après les années 1930, on sait ce qu'il y a eu. Et que rien n'est plus important, grave, lourd de conséquences que de ressaisir l'esprit des citoyens normaux, de bonne foi, et qu'ils se rendent compte et qu'ils mesurent ce qui est en train de se dégrader en France !
Q. Il faudrait que les politiques y mettent du leur aussi ?
R. Les politiques y mettent du leur. Écoutez, il y en a marre aussi qu'on soit dans un jeu perpétuel où l'on considère que tout le monde est pourri ! Il y a eu des fautes graves de partout, et des fautes qui venaient aussi du fait que la démocratie n'était pas organisée comme elle aurait dû l'être. Mais il y a des politiques qui sont honnêtes, transparentes, qui n'ont jamais de leur vie mis l'ongle du petit doigt dans des affaires de cet ordre. Il est temps que ces politiques, que ceux qui aiment la démocratie disent et assument eux-mêmes la volonté de propreté qui est indispensable lorsqu'on veut construire un pays comme le nôtre.