Interview de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, à RTL le 11 juin 1999, sur la nécessité d'instaurer une cohabitation pacifique entre les peuples des Balkans, sur les dangers des farines animales et de l'élevage industriel et sur la nécessité d'instaurer une Europe sociale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle
Le Président de la République a parlé hier de la « capitulation » de Milosevic, et qualifié cette journée d’ « historique ». C'est aussi votre avis ?

D. Voynet
- « Bien sûr. Il faut être conscient du fait que nous sommes peut-être sortis de la guerre. Ce n’est pas encore tout à fait la paix. Il y aura encore un travail considérable à réaliser pour faire vivre ensemble les Albanais et les Serbes dans cette région du monde. Le Kosovo doit être complètement reconstruit non seulement en ce qui concerne ses infrastructures dont on parle beaucoup – peut-être un peu trop -, mais aussi en ce qui concerne les liens entre les habitants de cette région.

O. Mazerolle
L'issue de la bataille justifie-t-elle l'engagement de la France ?

D. Voynet
- « Les Verts ont assumé leur responsabilité en la matière, et considéré que cette intervention était légitime, sinon agréable à assumer. Si nous arrivons à nouer avec le Kosovo, avec la Serbie en général, des liens durables, si nous arrivons à associer les États des Balkans - qui le désirent et qui respectent les droits de l'être humain - à la construction européenne, si nous arrivons à faire cohabiter mais aussi dialoguer ensemble les différentes composantes de cette région, je crois qu'on aura gagné la paix et on se dira rétrospectivement qu'on n'est pas seulement soulagé d'avoir interrompu l'épuration ethnique mais fier aussi d'avoir contribué à restaurer quelque chose qui relève de la cohabitation pacifique entre les peuples. »

O. Mazerolle
Les Européens disent : « pas d'aide à la Serbie tant que Milosevic sera au pouvoir. »

D. Voynet
- « Le Tribunal pénal international a inculpé Milosevic pour crimes contre l'humanité. II paraît normal d'aller jusqu'au terme de cette démarche, et de laisser le Tribunal pénal international faire son travail. »

O. Mazerolle
Il faudra aller chercher Milosevic en Serbie ?

D. Voynet
- « ... je crois que c'est aux Serbes d'assumer leurs responsabilités maintenant, et de tirer les conséquences de ce qu'a posé comme acte le Tribunal pénal international, et aussi de l'attitude des pays occidentaux. Les démocrates serbes - qui avaient manifesté massivement il y a quelques années contre la manipulation des résultats électoraux - sont certainement très conscients de cet état de fait, et feront en sorte que leur dictateur qui les a menés dans une voie aussi néfaste, qui a attiré sur eux l'opprobre de la communauté internationale, ne puisse pas parader et empêcher que leur pays revienne dans la communauté. »

O. Mazerolle
Tout le monde dit aujourd'hui qu'il faut une Europe de la défense. C'est aussi une priorité pour les Verts ?

D. Voynet
- « Pour moi, la priorité c'est une Europe de la sécurité commune. Je pense que le débat ne peut pas se réduire à la question de savoir s'il faut ou non constituer une force européenne de défense. J'aimerais que l'on consacre au moins autant de moyens à une coopération équitable avec les États de l'Est européen et des deux rives de la Méditerranée, qu'on consacre au moins autant de moyens à des méthodes de prévention des conflits qu'au renforcement de nos armements et à la constitution de cette Europe de la défense que certains appellent de leurs voeux avant une réflexion plus générale.

O. Mazerolle
Le poulet à la dioxine, les farines animales considérez-vous qu'il y a eu une carence des États ou bien de l'Europe dans cette affaire ?

D. Voynet
- « Il y a une carence à trois niveaux. La première, c'est que nous, n'avons jamais démocratiquement débattu des orientations néfastes de la politique agricole. Elle ne permet pas aux paysans de vivre décemment, elle détruit l'environnement, elle vide les campagnes, et elle ne rassure même pas les consommateurs quant à sa capacité à les nourrir de façon saine. Donc, ce débat doit avoir lieu. Deuxième niveau de difficulté : la prévention des situations de crise n'est pas optimale. Troisième niveau : nous devons, quand un problème est détecté, agir vite, de façon efficace, agir de façon coordonnée à tous les niveaux ; non seulement au niveau des États mais aussi au niveau des services de l'État et des administrations sur le terrain. Dans cette affaire, j'aimerais bien que l'on ne s'en tienne pas au traitement d'une situation de crise, parce que la crise passée on risquerait de retomber dans l'ornière. Dans l'urgence, il faut interdire les farines animales ; revoir les conditions d'autorisation et d'exploitation des élevages hors-sol qui sont en première ligne sur cette affaire ; moraliser ces filières. Et au-delà, il faudra mener le débat sur la politique agricole, parce que c’est une politique qui coûte fort cher et qui, aujourd'hui, ne convient ni aux paysans qui ne vivent pas dignement de leur travail, ni aux consommateurs qui ne sont pas rassuré sur la qualité de ce qu'on leur fournit. »

O. Mazerolle
Certains disent, notamment M. Lebranchu : « si l'on interdit les farines animales on ne pourra pas nourrir le bétail parce qu'on n'a pas suffisamment d'aliments végétaux. »

D. Voynet
- « C'est un cercle vicieux. Qui a décidé que la vache, qui est un herbivore, devait manger des débris animaux ? Qui a décidé que les poulets devaient dans les élevages industriels manger les plumes broyées de leurs congénères morts quelques jours auparavant ? Je crois qu'il y a vraiment quelque chose de fou dans cette agriculture là ! Le problème n'est pas que l'on ait ou pas suffisamment de produits végétaux à leur donner en alternative, le problème est qu'on a concentré dans des élevages hors-sol des quantités complètement faramineuses d'animaux. Ce sont d'ailleurs des viandes qu'on a beaucoup de mal à écouler sur les marchés internationaux. Jusqu'à une époque récente la Russie achetait des quantités importantes de porc, ça n'est plus le cas. Et les 23 millions de places de porcs français - comme les 25 millions de places de porcs au Danemark, les dizaines de millions de places de porcs qui existent en Espagne, en Angleterre, en Allemagne ou ailleurs - sont complètement excessives. Il faut donc absolument que l'on arrive à produire moins, mais à produire mieux avec une valeur ajoutée supplémentaire qui permette aux gens de sortir un revenu correct de leur travail. Aujourd'hui, manifestement, l'élevage industriel ne permet pas d'avoir à la fois la qualité et la dignité de la vie des paysans. »

O. Mazerolle
C'est la fin de la campagne. Finalement, D. Cohn-Bendit n'est pas si mal pour vous, alors qu'au début c'était couci-couça.

D. Voynet
- « D. Cohn-Bendit a été formidable dans cette campagne. Il est européen, il su faire partager cette envie d'Europe. Il est écologiste… »

O. Mazerolle
Vous l’avez découvert dans cette campagne ?

D. Voynet
- « Je le connais depuis longtemps. Simplement, c'est vrai que quand on a une star brillante pour mener une campagne, on a envie aussi qu'il tire complètement une campagne électorale mais aussi tout un mouvement. Et, je me réjouis vraiment de la façon dont ça s'est passé. Je crois qu'il a su faire partager son envie d'Europe, son désir d'Europe. Il a su aider les Verts à montrer qu’ils étaient vraiment porteurs de quelque chose de formidable en ce qui concerne l'Europe sociale. Et c'est encore plus nécessaire, peut-être, à l'heure ou MM. Blair et Schröder pondent des textes ensemble, et donnent l'impression qu'ils ne sont pas très désireux d'aller vite sur cette Europe sociale-là… »

O. Mazerolle
La France est isolée ?

D. Voynet
- « Non, la France n'est pas isolée ! Et je voudrais vous dire que tous les pays du sud de l'Europe - l'Espagne, l'Italie, le Portugal - partagent notre espoir d'Europe sociale, notre vision de la protection sociale, notre envie d'avoir des salaires coordonnés et un système de lutte contre l'exclusion qui soit coordonnée. Je n'ai l'impression que le Danemark, la Suède, la Finlande aient envie de brader leur modèle social. Donc, si c'est nécessaire, il faudra peut-être reconstituer ce lien entre le nord et le sud de l'Europe, et puis dire à T. Blair et G. Schröder : « soyez gentils de travailler de façon coordonnée avec vos partenaires. » On a besoin d'un Smic européen ; on a besoin de diminuer le temps de travail de façon coordonnée à l'échelle du continent européen ; on a besoin de travailler à un filet de sécurité pour les jeunes qui aujourd'hui ne trouvent pas de travail ; on a besoin de relancer un grand programme de travaux écologiquement et socialement utile - je pense notamment au logement, à l'assainissement, etc., il y a beaucoup d'emplois par million investi. »