Texte intégral
Le Nouvel Observateur
La gauche a gagné les européennes, et pourtant elle se déchire. Cohn-Bendit règle ses comptes. Chevènement parle de complot. Que se passe-t-il ?
Dominique Voynet
Avec des élections, il y a toujours des excès de langage. Soit par déception, soit par une sorte d'ébriété due à la fatigue. C'est classique. Je ne voudrais pas que cela occulte l'essentiel, c'est-à-dire une nouvelle donne politique au sein de la majorité.
Le Nouvel Observateur
Mais Jospin conteste cette analyse !
D. Voynet
Il dit cela pour rassurer ceux qui, dans le gouvernement, ont mal vécu le résultat des élections. Dans une majorité, les rapports de force s'établissent surtout lors des législatives. Mais comment contester qu'au fil des scrutins la gauche s'épure et repose désormais sur trois piliers essentiels : le socialiste, l'écologiste et le communiste ?
Le Nouvel Observateur
C'est ce que vous direz à Jospin quand vous le rencontrerez avec Cohn-Bendit ?
D. Voynet
J'ai vu le Premier ministre en tête à tête dès le lendemain des européennes! Nous avons déjà parlé politique. Quant à « Dany » et Lionel Jospin, ils ne se connaissent pas personnellement. Je vais les mettre en rapport dans un cadre amical, c'est-à-dire loin de Matignon. Ni plus ni moins.
Le Nouvel Observateur
Pourquoi ne pas faire la même chose avec Chevènement ?
D. Voynet
J'ai dit à « Dany » que ses piques sur la santé de Jean-Pierre Chevènement n'étaient pas très heureuses. En mme temps, ce qu'il a subi durant la campagne n'était pas non plus du meilleur goût. Ce n'est pas lui qui a commencé : raison de plus pour arrêter le premier. Nous avons avec Jean-Pierre Chevènement des différends politiques trop profonds pour nous laisser embarquer dans des polémiques subalternes. Les souverainistes de gauche soulèvent des débats, sur la sécurité ou l'immigration par exemple, que je ne balaie pas d'un revers de la main. Mais débattre, ce n'est pas asséner des vérités toutes faites sur un ton méprisant. Il n'y a pas une seule façon, estampillée MDC, de parler de la République. Dans le mouvement des sans-papiers, par exemple, je sens une volonté originale et positive de participer à la vie républicaine.
Le Nouvel Observateur
On vous a connue moins sereine dans vos relations avec vos partenaires de la majorité.
D. Voynet
Cette sérénité est aussi la caractéristique du vote vert. Il était autrefois protestataire. Il est désormais constructif. Il témoigne d'une nouvelle maturité et d'une exigence citoyenne qui doit être au service de toute la gauche. Nous aspirons "la tolérance, la mixité, l'ouverture. Cet état d'esprit doit nous permettre de nouer un dialogue positif avec des franges de la société qui se sentent agressées par des changements qu'elles ne maîtrisent pas et que les responsables politiques expliquent mal. Je pense aux paysans, aux ouvriers du nucléaire ou de l'industrie de défense. Je pense aussi aux chasseurs, mais je pourrais évoquer les routiers. Tous savent, au fond d'eux-mêmes, qu'un monde est en train de disparaître. Je voudrais leur montrer qu'ils doivent trouver leur place dans celui qui est en train de naître.
Le Nouvel Observateur
C'est l'enseignement que vous tirez des européennes ?
Dominique Voynet
Il y a, à gauche, une réalité politique en mouvement qui témoigne aussi de profondes évolutions électorales, sociales et culturelles : qu'on en tienne compte. Il y a un message des électeurs: qu'on l'écoute. Robert Hue le fait au PC, avec persévérance. Pourquoi serait-il le seul à réfléchir à une nécessaire mutation ?
Le Nouvel Observateur
N'est-ce pas ce que propose Cohn-Bendit quand il lance le concept de troisième gauche ?
Dominique Voynet
Le concept m'intéresse. Nous en débattrons cet automne lors des assises de l'écologie politique. Mais il faut lui donner du contenu. S'il s'agit seulement de recycler les vieux de la vieille de l'autogestion, gente PSU passés au PS dans les années 70, avec le souci essentiel de tuer le PC pour devenir le partenaire privilégié du PS, cela ne fera pas le compte! Pour moi, la troisième gauche doitêtre un produit de synthèse réunissant ce qu'il y a de dynamique dans les traditions socialiste, communiste et écologiste et ce qui monte comme comportements nouveaux dans la société civile.
Le Nouvel Observateur
Cette synthèse ne se fait-elle pas au sein du gouvernement ?
Dominique Voynet
Lionel Jospin ne veut pas que le séminaire gouvernemental du jeudi devienne le bureau politique de la gauche plurielle. On y parle donc trop peu des questions politiques de fond. C'est pourquoi je plaide pour que ce débat ait lieu entre les partis de gauche. On avait su le faire avant les législatives de 1997 dans le cadre des Assises de la Transformation sociale, en associant les syndicats et les associations et en sachant écouter des forces qui, à l'extrême-gauche ou dans le mouvement social, nous critiquent. Je voudrais qu'on renoue avec cette méthode de travail.
Le Nouvel Observateur
Cohn-Bendit y aura-t-il sa place ?
Dominique Voynet
« Dany » vit à Francfort. Il siégera à Strasbourg. Il est député européen français. Il a noué avec les Verts des rapports chaleureux. Ils se renforceront si nous respectons sa spontanéité et si nous avons ensemble la mme démarche d'élaboration collective d'un nouveau projet politique.