Texte intégral
La Vie Française :
Alors que la bourse de Paris évolue près de son record, les cours de vos deux holdings, Marine-Wendel et CGIP, sont inférieurs de 25 % environ à leur plus haut. Comment expliquez-vous cette divergence ?
Ernest-Antoine Seillière :
Les évolutions de cours s'expliquent par la correction de valeur de notre participation de 26 % dans Cap Gemini après des années de forte appréciation. La hausse enregistrée depuis le 1er janvier 1998 par CGIP (+ 46 %) et Marine-Wendel (+ 32 %) reste en ligne avec celle de l'indice SBF 120. Nos priorités vont à la valeur de nos actifs et à la rentabilité de notre groupe sur les variations de court terme.
La Vie Française :
A quel niveau estimez-vous la décote sur actif net réévalué de vos deux holdings ?
Ernest-Antoine Seillière :
Celle de la CGIP ressort actuellement à 38 % et celle de Marine-Wendel à 35 %. Depuis le début de l'année, leur décote fluctue entre 35 et 40 % avant impôt.
La Vie Française :
Vous avez tenté, en vain jusqu'à maintenant, de réduire cette décote. Quels nouveaux moyens comptez-vous mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif ?
Ernest-Antoine Seillire :
L'équipe de CGIP a trois objectifs : trouver de bons actifs qui se valorisent, assurer la rentabilité du groupe et créer les conditions d'une bonne valorisation boursière de CGIP. Les deux premiers objectifs sont régulièrement atteints depuis notre création en 1977, puisque la valeur de nos actifs progresse en moyenne de 22 % par an. Le troisième n'est en revanche pas pleinement atteint du fait de la persistance d'une décote. Nous saisissons régulièrement notre conseil de cette question. Je note en passant que la capitalisation de la société d'investissement américaine dirigée par Waren Buffet à laquelle on compare parfois la nôtre, bien que notre taille soit inférieure, bénéficie au contraire d'une forte surcote.
La Vie Française :
Le groupe financier Warburg, qui a acquis plus de 10 % de votre capital, vous a amicalement invité en début d'année à simplifier votre organigramme. Qu'en est-il à présent ?
Ernest-Antoine Seillière :
Fusionner Marine-Wendel et CGIP, par exemple, n'est pas pour nous un tabou. Mais nous souhaitons préserver la structure actuelle du groupe car nous y voyons un avantage essentiel pour nos actionnaires. Un « écrasement » des deux holdings supprimerait sans doute leur différentiel de décote, qui ressort actuellement entre 8 et 10 %. Cette opération aurait pour conséquence de supprimer le contrôle de l'actionnariat familial sur le groupe en réduisant à 25 % environ la part des quelque 630 actionnaires qui la composent. Cela ne permettrait probablement plus à la CGIP d'avoir un accès « naturel » au capital de sociétés non cotées, ni de pouvoir ainsi développer les partenariats stratégiques qui ont, jusqu'ici, assuré la forte rentabilité de nos investissements.
Or, notre spécificité d'investisseur-entrepreneur de long terme indépendant, intervenant dans des sociétés pour en faire des leaders, nous confre un avantage compétitif précieux pour l'investissement. C'est sur cette base que nous avons pu développer des partenariats stratégiques avec Cap Gemini, BioMérieux, Bureau Veritas ou plus récemment Hebdo Mag International.
La Vie Française :
Dans quelle optique demanderez-vous le 2 juin aux actionnaires de la CGIP l'autorisation de réaliser un nouveau programme de rachat d'actions ?
Ernest-Antoine Seillière :
Notre premire préoccupation reste le développement de la réussite des sociétés pour lesquelles nous investissons. Notre participation aux augmentations de capital de Cap Gemini et de Valeo, ainsi que notre entrée en 1998 dans une nouvelle société, Hebdo Mag, en sont les dernires illustrations. Le nouveau programme de rachat de 10 % du capital, qui sera présenté à notre assemblée générale le 2 juin, ne traduit pas une absence de projets d'investissement. C'est la décote qui le justifie. Il donnera en effet la possibilité à ceux qui le souhaitent de vendre une partie de leurs actions au prix le plus attractif possible. Dans le mme temps, l'actionnaire qui ne répondrait pas à cette offre bénéficierait de son effet relatif sur le rendement et la valeur de ses actions.
La Vie Française :
Comment analysez-vous la dichotomie des traitements entre les valeurs du CAC 40 et celles qui n'en font pas partie ?
Ernest-Antoine Seillière :
Le marché se professionnalise très fortement en raison de l'abondance des capitaux disponibles, des recommandations données et de la forte disponibilité de l'information sur chaque société du fait, notamment, du développement d'Internet.
Ce nouvel environnement incite les investisseurs à s'intéresser en prioritŽ aux sociétés qui offrent le maximum de visibilité et de liquidité. De plus en plus jugés sur les résultats à court terme, ils se tiennent donc plus volontiers à l'écart des valeurs moyennes. Aussi ces dernières risquent-elles d'avoir du mal à s'adapter à cette nouvelle organisation mondiale des marchés financiers. En outre, le jugement sur les conditions économiques franaises actuelles conduit déjà nombre d'investisseurs à ne plus intervenir sur ces valeurs en France, ce qui explique,à mon sens, l'essentiel du mouvement de désaffection dont elles souffrent. Nous en sentons indirectement l'effet au niveau de Marine-Wendel puisque la valeur de ses participations dans Reynolds et Stallergnes est affectée par ce « trou d'air ».
La Vie Française :
Cela vous conduit-il à modifier cotre stratégie d'investissement ?
Ernest-Antoine Seillière :
Une petite société française, si elle a du potentiel, sera toujours susceptible de nous intéresser. En revanche, une grande entreprise française de 5 000 personnes, dont notre marché intérieur représente 80 % des débouchés, n'est probablement plus aussi intéressante, compte tenu des conditions d'attractivité relative de notre espace économique.
La Vie Française :
L'apparition d'une notion de taille critique boursière vous inciterait-elle à accélérer la mise sur le marché de certaines de vos participations ?
Ernest-Antoine Seillière :
Ni l'état des marchés, ni la question de la taille critique boursière ne sont pour nous de réelles préoccupations. Cela dit, l'actif de la CGIP est déjà représenté à 75 % par des sociétés cotées, Cap Gemini et Valeo.
Si tous nos actifs étaient cotés, la lisibilité de notre portefeuille s'en trouverait certes améliorée aux yeux des investisseurs. Mais ils pourraient en revanche reprocher à la CGIP de ne pas leur apporter d'intérêt supplémentaire par rapport à un investissement en direct dans chacune des sociétés qui composent son portefeuille.
Aussi, le quart de l'actif composé de sociétés non cotées reste-t-il pour nous essentiel. Si l'une de ces participations venait à être cotée, nous chercherions alors à en acquérir de nouvelles.
La Vie Française :
Comptez-vous néanmoins introduire prochainement certains de vos actifs ?
Ernest-Antoine Seillière :
Nous avons pris l'engagement vis-à-vis des actionnaires minoritaires de Bureau Veritas d'organiser une cotation de leur société. Pour BioMérieux, nous en déciderons en concertation avec Alain Mérieux et sa famille. Nous estimons qu'une introduction serait possible à la faveur d'une alliance ou d'une opération de croissance externe. Quant à Wheelabrator et Orange-Nassau, que nous détenons à 100 %, nous ne nourrissons aucun projet d'ouverture du capital. Nous jugeons en effet nécessaire de pouvoir éventuellement compter sur leur cash-flow pour amortir une opération de croissance externe ou alimenter notre dividende.
La Vie Française :
En quoi les stratégies d'investissement de CGIP et de Marine-Wendel se distinguent-elles ?
Ernest-Antoine Seillière :
CGIP est un actionnaire-entrepreneur stratégique qui intervient dans une optique de long terme pour construire des leaders. Marine-Wendel investit en revanche dans des sociétés de taille moyenne qui n'ont pas vocation à devenir des majors. La perspective de ces investissements est d'apporter aux actionnaires de Marine-Wendel une rémunération plus forte que le seul dividende perçu de CGIP. Les 35 millions d'euros (230 millions de francs) de plus-values réalisées par exemple lors de la mise sur le marché de 30 % du capital de Stallergnes sont supérieurs au seul dividende versé par la CGIP. Les participations de Marine-Wendel dans Reynolds, Stallergnes, Alain Afflelou et AOM ont été prises dans ce mme objectif d'améliorer le rendement de notre holding de tête.
La Vie Française :
Dans quels secteurs comptez-vous désormais investir ?
Ernest-Antoine Seillière :
Je suis frappé par l'importance croissante prise par les services spécialisés internationaux dans l'économie. Dans ce secteur, il y a énormément d'innovation et de nombreuses sociétés en démarrage qui peuvent avoir envie d'un partenaire pour se développer. C'est donc dans cette direction que nous concentrons nos recherches d'investissement. Nous sommes déjà le partenaire stratégique de Hebdo Mag International, avec 29 % de son capital. Cette entreprise détient 150 titres d'annonces classées dans le monde, qui sont consultés par 200 millions de personnes pour un chiffre d'affaires de 242 millions de dollars. Leader mondial sur son marché, elle dispose de ce fait d'une excellente base pour développer un réseau Internet. Elle possède déjà vingt-six sites à travers le monde. La richesse de ses bases Internet est aussi de pouvoir offrir des services d'assurance, d'entretien... La connaissance de l'identité, des besoins ou des envies de chaque personne qui se connecte représente les actifs d'avenir de la distribution. C'est pourquoi nous avons décidé d'investir progressivement 183 millions d'euros (1,2 milliards de francs) dans cette entreprise désormais dénommée Trader.com.