Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les relations franco-lituaniennes et l'élargissement de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 9 octobre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite en France de M. Vytautas Landsbergis, président du Parlement lituanien-réception à l'Assemblée nationale le 9 octobre 1997.

Texte intégral

Monsieur le Président,

Je tiens tout d'abord à vous dire combien je suis heureux de vous recevoir dans cette maison que vous connaissez déjà et qui est celle de tous les démocrates, donc la vôtre.

Votre pays, Monsieur le Président, a dans l'imaginaire français, un aspect un peu fabuleux, situé qu'il est dans ce septentrion d'où viennent les légendes. « Venez, je vous conduirai en esprit vers une contrée étrange, vaporeuse, voilée, murmurante. C'est Liêtuva, la Lituanie, la terre de Gedymin et de Jagellon ». La grande voix de Milosz nous dit aussi combien cette terre nous est proche, par les chemins de l'esprit.

La Lituanie a donné à la France en ce siècle, en Milosz, un de ses plus grands poètes lyriques et mystiques. Elle lui a donné aussi en Emmanuel Levinas, né à Kovno, un de ses plus profonds philosophes qui, en affirmant que « rien n'est supérieur à l'approche du prochain », en mettant au dessus de tout la reconnaissance et le respect de l'autre, a tiré une leçon lumineuse des horreurs de ce siècle. Je pourrai citer d'autres noms.

Que ces hommes, aux destins si différents, aient choisi la France et sa langue pour y vivre et y créer, est pour nous un grand honneur, et tisse entre nos pays des liens particuliers. Je dois vous dire. Monsieur le Président, combien nous sommes sensibles à l'attrait ressenti dans votre pays, entre les deux guerres et à nouveau depuis que la Lituanie a recouvré son indépendance, pour la langue et la culture françaises. J'ai tenu à ce que nous ayons aujourd'hui avec nous plusieurs personnalités qui témoignent de l'intérêt porté en France à la Lituanie, et du renouveau des échanges intellectuels et culturels entre nos deux pays, dans tous les domaines, parmi lesquels je ne saurais bien sûr, devant vous, oublier la musique.

La Lituanie, dont la population et la langue sont parmi les plus anciennes d'Europe, a prouvé dès les origines, sa volonté et sa capacité de résister aux forces qui menaçaient son identité, en défendant son sol, et, quand la patrie y trouvait son ultime refuge, sa langue. C'est avec joie que la France, qui n'avait jamais reconnu le fait accompli, a vécu la restauration de son indépendance ; elle a tenu à être parmi les premiers États à rétablir son ambassade à Vilnius.

La Lituanie s'est aussi toujours caractérisée par son ouverture et son goût des échanges. La grande Lituanie du Moyen Age s'étendait de la Baltique à la Mer Noire et prolongeait ses contacts, par Byzance, jusqu'à Bagdad. A la Renaissance, une université de grande qualité s'épanouissait à Vilnius et la Lituanie adoptait le latin pour mieux communiquer avec l'Europe savante.

Vous avez, aujourd'hui, renoué avec cette tradition d'échanges et de dialogue en vous réinsérant pleinement dans votre environnement régional et européen. Vous participez activement aux organisations auxquelles vous avez adhéré, que ce soit au niveau régional, au sein des organisations nordiques, ou à l'échelle de notre continent, au Conseil de l'Europe ou à l'OSCE. Vous avez pris des initiatives marquantes dont le sommet de Vilnius tenu il y a quelques semaines.

L'attachement à son identité, l'ouverture sur l'universel, ne sont-ce pas là les caractéristiques mêmes de l'esprit européen ? Que la Lituanie appartienne à l'Europe va sans dire. L'Europe occidentale doit de son côté être consciente du soutien qu'elle doit à la Lituanie. Les périls apaisés peuvent toujours renaître. Il faut donc être toujours vigilant et travailler sans relâche au maintien de la paix. C'est légitimement que la Lituanie est soucieuse de sa sécurité.

S'agissant de l'Union européenne, qu'il n'y ait aucune ambiguïté : la Lituanie est un membre de la famille, pour toutes les raisons que j'évoquais à l'instant. Sa vocation est indiscutable. Les questions qui peuvent se poser sont des questions de calendrier et de procédure. Elles ont toutefois leur importance car le processus est complexe et sa réussite exige qu'il fasse l'objet de la préparation la plus soigneuse. De la part de la Lituanie, comme cela a été le cas de tous les pays adhérents au cours des élargissements successifs, des adaptations sont nécessaires. Il incombe tout autant à l'Union telle qu'elle est aujourd'hui de se préparer à accueillir de nouveaux membres.

C'est donc le souci de voir l'élargissement couronné de succès, apporter des avantages tant aux nouveaux membres qu'à l'Europe dans son ensemble, qui amène la France à mettre aujourd'hui l'accent sur les obligations qui s'imposent aux actuels États de l'Union : il leur appartient de mettre en ordre la maison européenne, de la doter d'institutions capables de fonctionner efficacement, de réformer ce qui doit l'être. Nous ne le demanderions pas avec autant de constance si nous n'étions pas persuadés que c'est l'intérêt même des pays candidats. J'ai la conviction que ces tâches seront menées à bien, et que les avenirs de nos pays seront de plus en plus solidaires.

C'est dans ce sentiment que je voudrais, Monsieur le Président, vous adresser tous mes souhaits ainsi qu'à vos compatriotes qui vous accompagnent ou qui travaillent ici. Je suis heureux avec chacun d'applaudir votre personnalité, votre pays et l'amitié entre la Lituanie et la France.

(Lever de verre)