Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 29 juillet 1999, sur la réduction du temps de travail, notamment la deuxième loi sur les 35 heures, les créations d'emploi, l'allégement des charges, les heures supplémentaires et les retraites.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Quelle note donnez-vous au projet de M. Aubry sur les 35 heures ? La moyenne, en-dessous de la moyenne ?

- "Ecoutez, je ne donne pas de note. Je considère tout simplement qu'elle est dans l'obligation de faire une deuxième loi puisque la première initiait la seconde, eh bien elle la présente ! Ceci étant, ça ne change pas le fond du problème."

Q - Vous n'avez jamais été convaincu par les 35 heures ?

- "Attention, je suis tout à fait d'accord pour la réduction de la durée du travail. Où je suis tout à fait nuancé et quelque peu sceptique, c'est sur les effets réels sur l'emploi. Je crois d'ailleurs que c'est un glissement qui est une perversité. Février 1995, nous demandons au patronat de discuter et de faire un accord-cadre sur la réduction de la durée du travail, avec, comme objectif, les 35 heures à l'an 2000. Nous avions dit à M. Gandois : "Si c'est possible, tous les ans, on réduira d'une heure, puis on ira comme ça vers la réduction à 35 heures à l'an 2000". Par contre, on le fera de manière décentralisée et plus adaptée aux circonstances et aux secteurs d'activité. Je rappelle qu'en 1936, quand il y a eu les 40 heures, il y a eu des décrets qui étaient des décrets justement par secteur parce que les effets sont différents entre une entreprise de production et une entreprise de commerce, par exemple, qui doit rester ouverte, etc. M. Gandois nous a renvoyés balader en disant qu'il n'avait pas de mandat pour discuter de la chose. Puis arrive la dissolution, arrive en fait la politisation de l'affaire. A ce moment-là, on se rend compte que ce qui était une revendication - c'est-à-dire la réduction de la durée du travail - devient une espèce d'instrument et peut-être l'instrument principal pour essayer de régler une partie du problème de l'emploi. C'est toute la perversion."

Q - Là, vous parlez comme la droite, comme le patronat ?

- "Je m'en fous de parler comme la droite ! Je parle comme le ressentent les salariés. Pour eux, la réduction de la durée du travail, c'est une revendication : on veut travailler moins. Au demeurant, 35 heures, 32, voire 36, peu importe, mais le souhait naturel, c'est de travailler moins. Je ne suis pas sûr que l'objectif des salariés soit de dire que ça va avoir un effet réel, immédiat sur l'emploi, etc."

Q - 101 000 créations d'emplois dit A. Aubry. Dites-vous que le chiffre n'est pas bon ?

- "Je ne suis pas tout à fait dans la même situation que M. Aubry. Je ne dirige pas le service de statistiques du ministère. C'est elle, la patronne de la Dares. Alors je lui laisse la responsabilité de ce chiffre."

Q - Alors vous n'y croyez pas ?

- "Je n'y crois pas du tout parce que là-dedans, il y a ce qu'on appelle les effets d'aubaine, c'est-à-dire des créations qui auraient eu lieu avec ou sans décision en matière de durée du travail parce que la croissance conduit effectivement les entreprises à embaucher. Les emplois sauvegardés signifient... Prenez Elf par exemple : Elf annonçait 1 500 à 2 000 suppressions d'emplois avec le plan Jaffré. C'est annoncé comme ça au comité d'entreprise. Du côté de la Dares, on dit : "Voilà 2 000 emplois qui vont être supprimés. M. Jaffré retire son projet, ça signifie qu'on a sauvegardé 2 000 emplois." C'est ridicule de dire ce genre de choses parce que, dans quelques semaines, on risque d'avoir la même situation compte tenu de la fusion éventuelle Total-Elf.

Q - Quand M. Aubry dit que cette loi va relancer les négociations ?

- "Non écoutez, ça aussi, ça a quelque chose de..."

Q - Vous dites "non" à tout aujourd'hui !

- "Ce serait très à la mode d'ailleurs. Vous avez remarqué que M. Hossein fait un spectacle là-dessus : ceux qui ont eu le courage de dire "non" à un moment donné. C'est très délicat à  expliquer parce qu'il faut être un peu technicien des négociations pour comprendre cela. Le système M. Aubry est tellement pluridisciplinaire, c'est-à-dire qu'il touche tellement de problèmes : problèmes de cotisations, d'heures supplémentaires, de financement, etc., qu'au contraire, après le 1er janvier de l'an 2000, au moins pour les Smicards mais au-delà des smicards, jusqu'à 1,8 fois le Smic, on va geler les relations jusqu'en 2005. Donc, elle ne relance pas la négociation, au contraire. Tout est dans tout et réciproquement. Les effets de l'un sur l'autre sont tels que demain, lorsqu'on va essayer de négocier les salaires dans une entreprise ou lorsque, fin de cette année, on va discuter pour revoir l'Unédic, la convention, et qu'on décidera par exemple d'augmenter la cotisation de 0,10 % ... Ah, attention ! Ça va avoir des effets sur les exonérations, etc. Elle va tout geler. Ça, je lui reproche."

Q - Prenons deux points particuliers : est-ce qu'il y a trop d'allègements de charges qui doivent justement inciter les entreprises à passer aux 35 heures ?

- "Nous savons que pour que cela ait un effet réel sur les 35 heures, un effet sur l'emploi, un effet d'ailleurs sur base technocratique, sur base bureaucratique - les calculs disent qu'en moyenne, c'est 4 % de gain de productivité, cela reste à démontrer - eh bien on va y mettre plus de 100 milliards. Cela veut dire qu'en définitive on se retrouve dans une situation qui est quasiment celle, rappelez-vous, des Gouvernements précédents, quand ils intervenaient pour l'emploi et où nous posions la question de savoir si ce genre d'aide était quelque chose d'efficace pour l'emploi. Mieux, au bout d'un moment, les patrons disaient : "ça ne l'est pas."

Q - Autre point : les heures supplémentaires. 10 % à partir de la 36e heure, l'année prochaine. Il faut taxer plus ou pas ?

- "Ce n'est pas simplement que c'est insuffisant, ça devrait être 25 %. C'est la logique. Il faut, d'une certaine façon, les dissuader y compris de faire des heures supplémentaires. Mais en plus, quelque chose alors de psychologiquement inadmissible pour les salariés : ils vont faire des heures supplémentaires et, les 10 %, ils ne vont même pas les avoir. On va les mettre dans un fonds. Je connais un petit peu ce qu'est une entreprise. Quand on travaille plus longtemps que la durée légale, on veut en avoir le fruit, le résultat. Eh bien, compte tenu de la modération salariale, je crois que c'est tout à fait logique. Là, psychologiquement, c'est vraiment, là aussi, un réflexe que je ne voudrais pas qualifier de bureaucratique. Ça n'a rien à voir avec la réalité concrète de l'entreprise."

Q - Qu'est-ce qui doit changer lors de la discussion de la loi, à votre avis ? Vous irez assister aux débats qui auront lieu à l'automne ?

- "Je vais y aller. J'aime bien d'ailleurs aller au Parlement."

Q - Mais comme vous ne pourrez pas participer, qu'est-ce que vous attendez les uns des autres ?

- "Plus que participer. Quand on va au Parlement, on regarde et on voit un petit peu la spontanéité, la sincérité de ceux qui interviennent. On voit aussi que beaucoup de gens font des déclarations. Puis quand il s'agit de discuter des dossiers, ils ne sont pas là, parce qu'on ne peut dire qu'obligatoirement il y a toujours une forte présence au Parlement, mais enfin je ne vais pas faire de l'antiparlementarisme primaire. Ce que je regrette, c'est que, encore une fois, vraisemblablement, on va avoir un débat qui va être un débat de politisation, pendant qu'en définitive... Lorsque Mme Aubry dit : "Monsieur Seillière n'est pas beau joueur". C'est quelque chose de trop sérieux pour assimiler cela je ne sais pas moi, au domino. Ce n'est pas un petit jeu de rôles entre le patronat et Mme Aubry. Cela la valorise peut-être un petit peu. Elle utilise le terrain, c'est son droit le plus absolu. Moi je dis que c'est la réalité concrète des entreprises et que c'est la réalité des salariés dans les entreprises. Alors, je pose la question, et elle est relativement simple : est-ce que ce qui était une revendication au début n'est pas devenu maintenant quelque chose dont les salariés ont peur, parce qu'en contrepartie de cela, il y a l'annualisation, il y a la flexibilité, il y a l'obligation pour certains de venir travailler le dimanche, il y a des rythmes de travail qui vont s'accélérer, etc. Je ne suis pas sûr que les salariés vont considérer cela comme un acquis. C'est quand même une occasion ratée !"

Q - Question simple et courte, même si c'est un grave problème : les retraites. Vous avez rencontré M. Aubry. Vous allez bouger sur le problème des retraites à la rentrée, en reprenant la discussion ou pas ?

- "C'est le point, vous savez, le plus important. Les problèmes de la durée du travail, les salaires, etc., ça n'est rien par rapport à la Sécurité sociale et les retraites, parce que le jour où on remet en cause la Sécu et les retraites, on ne reviendra pas aux dispositions antérieures. Donc, c'est très clair."

Q - Mais vous êtes plein de bonne volonté pour discuter, ou vous êtes un peu bloqué ?

- "Ah non, moi je ne suis pas bloqué. Je dis qu'il ne faut pas discuter des retraites mais des retraités. C'est-à-dire de la place des retraités dans la société future, parce qu'effectivement il y a une espérance de vie plus grande. Et surtout, il ne faut pas transformer ce qui est une espérance. Enfin, vous comme moi, on devrait essayer de vivre le plus longtemps possible. C'est l'espoir de tous. On ne va pas transformer cela en contrainte et en obligation. Encore une fois, remettre en cause les situations qui sont d'ailleurs très, très modestes pour les retraités, il ne faut pas se faire d'illusions..."

Q - On a parlé d'Elf-Aquitaine, Totalfina. Il y a aussi la guerre des banques qui continue. Quand on est responsable d'une organisation syndicale, on regarde le film en attendant les résultats ?

- "On regarde deux choses : la première chose que je regarde, c'est que les banquiers racontent des histoires en disant qu'ils ne vont pas faire d'économie d'échelle, notamment sur les effectifs. Société Générale et Paribas, on a dit : "Ça touchera l'étranger". Maintenant, on rentre dans le cadre du rapport Dautrem : 45 000 salariés en trop dans la banque. La perte d'emploi est toujours une préoccupation. Donc, ma première démarche c'est cela ; et la deuxième démarche, j'ai sursauté  quand j'ai entendu le président Bouton expliquer qu'il faudrait se dépêcher de mettre des fonds de pension en France, parce qu'il veut dominer ses investisseurs, et que pour l'instant, comme investisseurs, dans le cadre de ses fusions, il a les fonds de pension américains. Je trouve que, là, on nous oriente. On prend un prétexte sur la retraite pour nous orienter vers une forme de capitalisme. Peut-être que c'est nécessaire sur le plan économique. Mais il n'y a aucune raison que ce soit avec la caution des organisations syndicales. Moi je ne suis pas banquier."

Q - Pour terminer, on vous a entendu ce matin, vous avez l'air assez en forme. Il y a des rumeurs, ces derniers temps, sur votre état de santé. Ça va ou ça ne va pas. Vous avez maigri, mais ça va ?

- "Le problème est de savoir si lorsque je faisais un quintal, je faisais de la surcharge pondérale, cela pouvait être grave pour moi, et si maintenant, en faisant 82 kilos, ce n'est pas mieux. C'est tout. C'est cela la différence."