Texte intégral
Libération : Existe-t-il toujours une situation coloniale dans la Nouvelle-Calédonie de 1997 ?
Jean-Jack Queyranne : Sur le plan des institutions, non. C’est là le principal effet des accords de Matignon signés en 1988. Le pouvoir est désormais partagé, et les responsables kanaks y participent. Ils ont accédé aux responsabilités et dirigent la province nord du territoire et celle des îles. Ils sont aussi associés à la gestion de la province sud, dominée par le RPCR, et siègent au bureau du Congrès.
En revanche, du chemin reste à faire sur le plan de l’émancipation, de l’égalité des chances et de l’accès aux responsabilités sociales. Il n’y a, par exemple, que deux médecins kanaks sur le territoire et seulement cinq professeurs d’origine mélanésienne dans les lycées calédoniens.
Libération : La Nouvelle-Calédonie est-elle engagée dans un processus inéluctable d’indépendance ?
Jean-Jack Queyranne : Ce n’est pas à moi de répondre à cette question mais aux Calédoniens. Les accords de Matignon prévoient un référendum d’autodétermination, qui serait organisé entre le 1er mars et le 31 décembre 1998. Aujourd’hui, il y a, dans chaque camp, une volonté pour qu’un référendum n’ait pas lieu sur une question aussi tranchée que : « Etes-vous favorable ou non à l’indépendance ? ». Il importe donc de trouver une formule consensuelle, un accord partagé.
Libération : À quelles conditions le FLNKS et les anti-indépendantistes du RPCR y sont-ils prêts ?
Jean-Jack Queyranne : Le FLNKS est un parti qui préconise l’indépendance. Mais, aujourd’hui, ses dirigeants sont prêts à envisager une nouvelle étape. De son côté, le RPCR aimerait reporter la date d’un scrutin d’autodétermination à une période équivalant à trois à cinq mandats du Congrès, soit dix-huit à trente ans.
Dans les deux communautés, la tendance dominante est aujourd’hui d’éviter un référendum couperet. L’idée serait alors d’y substituer une autre consultation qui porterait sur une solution globale. Il s’agit maintenant de voir ce que nous allons mettre dedans.
Libération : Quel sera alors le rôle de l’État ?
Jean-Jack Queyranne : Le Gouvernement sera un partenaire actif et non un simple arbitre. D’ailleurs, les deux partenaires calédoniens ne veulent pas que l’État français se retire. N’oublions pas non plus qu’au plan financier il joue un rôle de premier ordre. L’État est le garant des accords de Matignon et il le sera de la future solution négociée.
Côté calendrier, notre date butoir est fixée au 31 décembre 1998.
Je précise que mai 1998 sera aussi une date importante, avec l’inauguration du centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa. L’ouverture d’un tel lieu traduit une reconnaissance du rôle historique de Jean-Marie Tjibaou et de la culture kanake. Le cheminement politique du territoire suit son cours.
Libération : Quelle est aujourd’hui l’ambition politique du Gouvernement pour la Nouvelle-Calédonie ?
Jean-Jack Queyranne : Tout d’abord, faire vivre ensemble les communautés dans un modèle politique qui reste à inventer. Ensuite, s’appuyer sur la Nouvelle-Calédonie, comme sur la Polynésie, pour marquer la présence française dans le Pacifique. Cette présence politique, culturelle, économique, est désormais souhaitée par toutes les principales puissances régionales ; c’est un changement profond de la part de ces États, avec lesquels le contentieux nucléaire est maintenant réglé.
Libération : Quelles solutions institutionnelles s’offrent au Gouvernement pour éviter un référendum « couperet » ?
Jean-Jack Queyranne : Les pistes existent ; nous les explorerons dans les mois à venir. Si les signataires des accords de Matignon veulent faire évoluer la question soumise au référendum, nous trouverons les adaptations juridiques, institutionnelles, voire constitutionnelles, nécessaires. Et si on parvient à un accord partagé, où chacun s’y retrouve, je suis persuadé que l’ensemble des forces et des responsables politiques français le valideront.
Libération : Les Calédoniens sont-ils prêts à prendre ensemble leur avenir en main ?
Jean-Jack Queyranne : C’est une société qui, aujourd’hui encore, a du mal à regarder son avenir en face. Mais l’appréhension et la compréhension entre les communautés sont très différentes de celles des années 80. Cela se traduit dans l’état de leurs relations. S’il reste encore des inégalités sociales fortes, la perception psychologique a changé. Les différentes communautés calédoniennes sont conscientes qu’elles n’ont d’autre choix que de vivre et de construire ensemble.