Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la mise en place d'une force de maintien de la paix en Afrique, les accords de coopération militaire et de formation des militaires africains et sur la préparation de l'exercice France-Afrique 1998, Dakar le 20 octobre 1997.

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Circonstance : Conférence réunissant 30 pays pour mettre en place une force de maintien de la paix en Afrique, à Dakar (Sénégal) du 21 au 24 octobre 1997.

Texte intégral

Avant tout, il me revient de remercier le Sénégal pour l’accueil, toujours chaleureux, de la conférence sur le maintien de la paix, qui revêt à mes yeux une importance exceptionnelle.

Chacun sait que nombre de régions du continent africain connaissent actuellement des moments difficiles en matière de sécurité et de droits de l’homme. C’est donc avec un grand à propos, mais sans doute également avec la plus grande gravité, que s’ouvriront demain des travaux aussi importants pour la mise au point des moyens de maintien collectif de la paix dont a besoin l’Afrique.

La France connaît la richesse humaine de ce continent, mais aussi sa complexité, et elle a su en suivre la rapide maturation. Elle a pu ainsi percevoir que l’Afrique doit de moins en moins s’en remettre à des moyens militaires extérieurs au continent pour assurer les missions de sécurité que ses États entendent désormais prendre en main.

Cependant, l’Afrique doit consacrer à son développement la totalité de ressources financières encore limitées. Elle n’est donc pas toujours en mesure d’assurer la formation comme l’équipement de ses forces de sécurité, ni le soutien lourd et complexe qu’appellent souvent les opérations de gestion de crise ou de maintien de la paix.

Les pays amis de l’Afrique, attachés à son développement et à la paix sur le continent, ont ainsi le devoir, avec l’aide de la communauté internationale, de lui apporter leur aide. Soutenir les Africains dans la préparation, et parfois dans la conduite, des opérations visant à rétablir la paix et la sécurité dans le cadre du droit est une priorité majeure de notre politique, pour aujourd’hui et pour demain.

C’est ce type de circonstances que reconstituera le thème de l’exercice France-Afrique 1998, dont la préparation entrera demain dans une phase cruciale.

Cet exercice verra ainsi s’entraîner une force interafricaine d’une constitution très proche de la réalité : trois pays africains fournissant de forts contingents la structureront ; plusieurs pays africains amis les renforceront par des contingents plus limités ; un pays occidental, en l’occurrence la France, fournira l’essentiel du soutien, tandis que d’autres, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, le renforceront dans cette fonction grâce à des contributions diverses.

Cet entraînement sur le terrain sera précédé d’un exercice de réflexion, tout à fait représentatif de cette concertation politico-militaire multinationale qui désormais réunit les nations chaque fois qu’elles doivent engager les armes pour la défense de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté.

La présence de représentants éminents des institutions internationales les plus importantes comme l’ONU, l’OUA et l’UEO, appelées à jouer un rôle capital dans ces engagements, me paraît très prometteuse et propre à assurer le succès de l’entreprise.

Vous l’avez compris, la France entend désormais conduire une large part de sa politique africaine dans un cadre multilatéral.

C’est ainsi qu’elle a décidé en mai dernier, avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, de créer un cadre ouvert à tous, visant à renforcer, par la formation et l’équipement, les capacités propres des forces armées africaines à maintenir la paix sur leur continent. L’exercice France-Afrique 98 constitue la première réalisation concrète que la France place sous l’égide de cette initiative commune.

Cet engagement se fonde, et sur le long terme, sur des principes de légitimité, d’ouverture et de transparence. La France appelle tous les pays africains, mais aussi les pays du monde entier, et en particulier les plus riches, à venir soutenir cet effort tripartite, dans le cadre du groupe de soutien qui se réunira d’ici la fin de l’année à New York.

Dès à présent, elle propose aussi à ses amis africains de participer à des actions concrètes. Elle s’efforcera ainsi de promouvoir le montage d’un centre régional de formation au maintien de la paix, en Afrique de l’Ouest. À l’occasion de l’exercice France-Afrique 98, elle mettra en place sur le sol africain l’équipement d’un bataillon de maintien de la paix et d’un hôpital de campagne. D’autres moyens, nécessaires à l’équipement de plusieurs bataillons du même type, suivront dans les mois à venir. Dès à présent, la France propose à ceux des pays riches qui souhaitent agir pour la paix en Afrique de s’associer à ces réalisations.

Ces actions seront bien entendu étroitement coordonnées avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, bien que les méthodes et les moyens employés soient parfois différents et donc largement complémentaires.

Au service de cette politique, la France dispose aussi des moyens que lui offrent son réseau de coopération et son dispositif de forces prépositionnées. Ce dispositif va être adapté à la nouvelle donne politique et militaire en Afrique, ses méthodes évolueront. Mais la France restera présente, et fortement sur le continent auquel la relient tant de liens.

Le réseau de coopération de la France s’étend sur 23 pays du continent. Elle en modifiera progressivement les modalités de fonctionnement, afin de poursuivre son évolution vers une relation toujours plus paritaire et plus flexible avec les forces africaines amies. Elle prendra soin de favoriser la coopération des armées de pays voisins, en particulier en matière de maintien de la paix. Elle incitera à ne pas limiter cette coopération sous-régionale aux pays francophones, et se tiendra à ce propos en étroite liaison avec les autres pays européens ou occidentaux fournissant déjà une assistance militaire, en particulier la Grande-Bretagne.

En outre, nos moyens de coopération devront agir dans une cohérence accrue avec nos forces prépositionnées.

À notre dispositif prépositionné, la France applique la réduction rendue nécessaire par le processus de professionnalisation de ses armées. Ce mouvement, tel qu’il est proposé aujourd’hui à nos partenaires africains, conduit à un format nouveau, à l’horizon 2002, de 5 550 hommes stationnés sur cinq bases africaines.

Les capacités opérationnelles de ces unités resteront équivalentes à celles d’aujourd’hui. Si l’on tient compte de la valorisation obtenue par la professionnalisation, l’amélioration des moyens de communication et de projection à partir de la France, c’est un potentiel opérationnel sensiblement amélioré qui sera stationné à l’avenir sur le continent. Il y préservera nos intérêts, et en particulier nos ressortissants. Il contribuera, selon des modalités nouvelles, à la stabilité et à la paix sur le continent. Il se tiendra à proximité de nos amis pour conforter leur sécurité.

Car la France n’oublie pas qu’elle est liée à huit pays africains par des accords de défense.

Elle entend les honorer dans cet esprit de fidélité qui est l’une des valeurs les plus profondes de ce continent, et que lui impose la dette qu’elle a contractée vis-à-vis de ceux qui sont morts pour sa liberté lors des deux guerres mondiales. Bien sûr ces accords, comme les accords de coopération d’ailleurs, méritent d’être réexaminés.

Souvent anciens, ils doivent être désormais relus dans le contexte d’un partenariat politique plus équilibré, du respect du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des États, d’organisation de capacités multilatérales de maintien de la paix qui prévaut dans le monde, prenant en compte en particulier le rôle éminent de l’OUA. Nos relations doivent ainsi mieux favoriser la coopération entre armées africaines voisines, et laisser mieux la place à la participation d’autres pays, en particulier européens, à la sécurité du continent.

Cet ensemble de moyens et d’accords doit, dans mon esprit, donner une image plus conforme de la politique dont ont besoin les pays africains, et que le président de la République et le Gouvernement de la France entendent désormais leur proposer.

Cette politique a pu faire l’objet d’interrogations lorsque la France a adopté, dans certaines crises récentes, une attitude de retenue, soit qu’elle n’ait pas été suivie dans ses initiatives, soit qu’elle n’ait pas trouvé réunies les conditions de son action.

L’effort actuellement fait par la France au profit de la mission interafricaine de suivi des accords de Bangui montre en revanche que notre politique n’est pas celle d’un retrait de l’Afrique, mais bien celle d’un soutien aux initiatives politiques et militaires africaines, dont nous constatons avec plaisir qu’elles ne cessent de se développer.

La France reste concernée par la sécurité des pays africains comme dans le cas de la RCA elle souhaite que, partout, la conduite politique du règlement du conflit soit le fait des Africains eux-mêmes, avec l’assentiment de l’OUA.

Dès qu’un accord politique est trouvé, elle soutient de toutes ses forces, mais elle sait que des soldats africains sont les mieux à même de le faire respecter. Elle n’hésite alors pas à aider à leur mise sur pied, à leur mise en place, à leur soutien logistique et, s’il le faut, opérationnel. Enfin, dès que la crise est réglée, elle aide à leur désengagement, pour un retour aussi rapide que possible à la pleine souveraineté du pays.

C’est dans cet esprit que la France aborde sa participation au séminaire de Dakar que je résumerai de la façon suivante :
    - non-ingérence dans les affaires intérieures des États ;
    - solidarité avec nos partenaires africains pour les aider à la formation de leurs forces armées et au renforcement de leurs capacités au maintien de la paix.

Cette politique n’est donc pas, j’y reviens, celle du retrait mais au contraire celle d’un engagement renouvelé conduit avec un souci accru de l’équilibre entre efficacité et respect de l’autonomie de décision des Africains.

Mesdames et messieurs je vous redis mon plaisir et ma fierté d’être aujourd’hui parmi vous, porteur du message de la France. Un message d’amitié à l’égard d’un continent qui garde une place à part dans le cœur des Français. C’est aussi un message de fidélité et d’encouragement dont témoigne l’engagement renouvelé de la France aux côtés de ses partenaires et amis africains dans le domaine de la sécurité.

La présence française en Afrique demeure sans égale mais la France se réjouit de voir aujourd’hui d’autres pays s’investir sur ce continent car la mise en commun des moyens est un progrès pour la sécurité des États africains.

Je suis persuadé que la conférence qui s’annonce sera passionnante et marquera un tournant pour la sécurité de l’Afrique. Elle permettra un échange entre tous ceux qui sont prêts à s’investir effectivement en vue de garantir la paix et la stabilité de votre continent.