Texte intégral
TF1
MIDI PRESSE
Réunion du 21 octobre 1984
Invité : Jean-Claude Gaudin, président du groupe parlementaire UDF
Emission animée par Pierre-Luc Séguillon avec la participation de :
Arlette Chabot, TF1
Georges Mamy, Le Nouvel Observateur
Christine Clerc, Le Figaro Magazine
M. SEGUILLON. - Bonjour.
Une fois n'est pas coutume, pour la première fois, depuis 1981, hier, les trois ténors de l'opposition : Monsieur Giscard d'Estaing, Monsieur Barre et Monsieur Chirac ont signé ensemble un communiqué.
Dans ce communiqué, ils protestent vigoureusement contre la suppression par la gauche des avantages fiscaux arrangés au fameux emprunt Giscard et ils promettent solennellement que le moment venu ils demanderont au Parlement de rétablir ces avantages de l'emprunt Giscard.
Une précision, Monsieur Gaudin, c'est quand le moment venu ?
M. GAUDIN. - Le moment venu, c'est lorsque l'opposition sera redevenue majoritaire dans ce pays.
En réalité, nous venons d'assister à quelque chose d'assez spectaculaire à l'Assemblée nationale, cette semaine pour la première fois, un gouvernement ne respecte pas la parole donnée par l'Etat français, c'est à mon avis, très grave !
Et indépendamment des aspects techniques de l'emprunt Giscard qui, c'est vrai, a coûté très cher au Trésor, mais qui, par ailleurs, a beaucoup profité aux épargnants français, il est sûr qu'après tout ce que nous avons entendu, car le député communiste qui a déposé l'amendement pour la modification de l'emprunt Giscard – ce n'est pas la première fois qu’il le fait, il le fait, chaque année, au moment du budget, chaque fois –, le gouvernement répondait qu'il ne pouvait pas lui donner satisfaction et qu'on ne pouvait pas remettre en cause la parole donnée par l'Etat.
Cette année, nous l'avons fait, qu'est-ce que cela veut dire ?...
Indépendamment du petit profit financier que l'Etat retirera de cela : 400 millions en 1986, seulement, ce n'est pas cela le fond du problème.
Le fond du problème est que, cette année, Monsieur Mitterrand, Monsieur Fabius ont besoin de faire plaisir aux communistes ; ils veulent faire plaisir aux communistes, ils voudraient obtenir du Parti communiste à ce que celui-ci, au minimum, s'abstienne sur le budget, moyennant quoi ils ont procédé ainsi.
M. SEGUILLON. - Mais, vous Monsieur Gaudin, vous qui n'avez pas de particule, qui n’êtes pas bardé de diplôme, qui n’êtes pas énarque, vous qui êtes le fils d'un artisan maçon, cela ne vous gêne pas de voir l'opposition se rassembler, se réunir pour la première fois, retrouver son unité, pour défendre, au fond, un privilège ?
M. GAUDIN. - Non, pas pour défendre un privilège, car je vous dis : l'aspect financier est important dans cette affaire, encore que, pour une fois qu'un emprunt profitait à ceux qui l'ont souscrit, 1a gauche ne devrait pas se plaindre, puisqu'elle prétend toujours défendre les défavorisés…, mais en réalité, c'est vrai, c’est une opération qui a coûté cher au Trésor. Mais on voit que le gouvernement ne respecte pas la parole donnée, cela ne s'est jamais vu !
Or, par ailleurs, je crois que c'est une bonne leçon pour ceux qui nous gouvernent : pour Monsieur Mitterrand, pour Monsieur Fabius, ils croyaient jouer de nos divisions, dans l’opposition, de la rivalité éventuelle…
M. SEGUILLON. - Monsieur Gaudin, sur ces problèmes intérieurs à l'opposition, vous allez pouvoir vous expliquez en répondant aux questions de :
Christine Clerc du Figaro Magazine.
Georges Mamy du Nouvel Observateur.
Arlette Chabot qui suit vos pas à l'Assemblée nationale, puisque, je le rappelle, vous êtes président du groupe UDF à l'Assemblée nationale.
Mme CHABOT. - Si l'on oublie un peu l'emprunt Giscard, nous y reviendrons tout à l'heure, je voudrais dire, tout d'abord, Monsieur Gaudin, que vous êtes un homme tout à fait admirable parce que vous arrivez à maintenir une cohésion au groupe UDF, alors qu'il y a une bagarre, une lutte très importante entre barristes et giscardiens.
Petit exemple : à la convention du Parti républicain, Monsieur Chirac et Monsieur Giscard d'Estaing seront là, mais Monsieur Barre sera absent.
A la Fête de la liberté, à laquelle participera Monsieur Barre, cet après-midi, nous ne verrons pas Monsieur Giscard d'Estaing ni Monsieur Chirac.
Je vous demande, combien de temps allez-vous pouvoir garder ce visage souriant et pratiquer cet œcuménisme au sein du groupe ?
M. GAUDIN. - En réalité, tous les ans, lorsqu'il y a les grands congrès politiques : Parti républicain, Centre démocrate social, Parti radical, Parti socialiste, les chefs de partis invitent - c'est bien naturel - les autres chefs de partis, les autres grands responsables de l'opposition. Cela s'est toujours fait !
Alors cette année, deux sur trois se rassemblent…, deux sur trois, cela vous dit quelque chose ? C'est le livre de Giscard d'Estaing ; ce sont deux Auvergnats sur trois qui ont voté pour Monsieur Giscard d'Estaing, il n'y a pas si longtemps…
Il y a déjà deux sur trois des grands leaders de l'opposition qui sont aujourd'hui rassemblés…
Mme CHABOT. - Trois sur trois, ce serait mieux, tout de même.
M. GAUDIN. - Je ne désespère pas qu'il y ait rapidement les trois sur la même tribune ou s'exprimant ensemble devant les Français ; en tout cas, comme Pierre Guillaume le faisait remarquer tout à l'heure, ils l'ont déjà fait hier.
Monsieur Barre est à Laval, c'était prévu depuis de nombreux mois ; Monsieur Giscard d'Estaing et Monsieur Chirac se retrouvent pour la clôture du Parti républicain, c'est très bien.
En tout cas, mon rôle de président du groupe UDF, vous le savez, c’est de rapprocher ces personnalités et surtout de rapprocher les analyses de ces personnalités.
Nous ne tomberons pas dans le piège d’une opposition des hommes ???? débat d’idées qui peut éventuellement nous ???? il y a plusieurs thèmes, si vous ???
???? y a débat d’idées, précisément, sur le thème que nous avons abordé tout à l’heure, c’est-à-dire les emprunts qui offrent de trop gros avantages. Vous avez oublié qui, en 1971, demandait qu’on mette fin au privilège exorbitant aussi qu’offrait l’emprunt Pinay, il s’appelait Monsieur Marette, et il parlait au nom des gaullistes.
Et en 1973, Monsieur Giscard d'Estaing a lui-même remboursé à l'avance, il en avait le droit, comme aujourd'hui, nous avons le droit de ce qu'on a fait, il a remboursé l'emprunt Pinay qui était aussi un avantage considérable.
Aujourd'hui, vous vous réunissez pour défendre un privilège.
M. GAUDIN. - Monsieur Mamy, vous venez de citer le nom d'une personnalité et je ne crois pas que ce soit un bon choix ce que vous faites là pour démontrer la thèse qui est la vôtre.
Car, en réalité, Monsieur Pinay est la personnalité française qui a rétabli l'économie de notre pays, et à deux reprises.
Vous savez que cette personnalité était unanimement respectée et qu'il aurait pu être, si Monsieur Pinay avait voulu, président de la République, à une époque déterminée.
M. MAMY. - Cela n'a rien à voir…
M. GAUDIN. - Vous me parlez de l'emprunt… Vous savez combien la gauche, depuis qu'elle est au pouvoir, a contracté d'emprunts sur le plan intérieur : 13 emprunts depuis 1981, pour une somme de 160 milliards de francs, c'est-à-dire qu'elle a emprunté 1 milliard par semaine… Alors vous savez, ceux qui nous gouvernent ne sont pas tellement qualifiés pour nous donner des leçons.
Je me suis expliqué, tout à l'heure, sur l'emprunt Giscard, je vous ai dit que cet emprunt a coûté cher au Trésor, c'est vrai, personne ne le conteste ! Mais c'est un emprunt qui a profité à ceux qui l'ont souscrit.
J'ai là, dans la séance du 14 octobre 1983, à l'Assemblée nationale, ce que Madame Lalumière, s'exprimant au nom de Monsieur Delors, répondait aux députés communistes qui la questionnaient : vous voulez que je vous lise cette phrase, vous la connaissez :
« On ne peut pas remettre en cause la parole de l'Etat »…
M. MAMY. - On ne remet en cause que la fiscalité…
M. GAUDIN - Nous venons d'assister au fait que l'Etat ne respecte pas la parole donnée, c'est très grave… pour 400 millions à récupérer… Je suis d'accord avec Monsieur Chirac, Monsieur Barre et Monsieur Giscard d'Estaing, nous rétablirons cela…
M. MAMY. - … Le privilège.
M. GAUDIN. - … Ultérieurement.
M. MAMY. - Vous vous souvenez, tout de même, Monsieur Gaudin, que Monsieur Pinay, en 1973, disait « il y a manquement à la parole donnée ».
M. GAUDIN. - Ce qu'il faut dire, pour être complet, sur cet emprunt Giscard, c'est que lorsqu'il a été contracté, on ne pouvait prévoir que trois ans après il y aurait les accords de la Jamaïque qui indexeraient les emprunts sur l'or, et par conséquent, c'est à partir de là, qu'effectivement, il y a eu un très grand décalage.
Cette année, la gauche a voulu rectifier cela… Elle l'a fait, il nous appartiendra de faire autrement quand nous le pourrons.
Mme CHABOT. - Monsieur Gaudin, vous dites que c'est pour faire un cadeau aux communistes, vous croyez franchement que le gouvernement aujourd'hui peut encore espérer quelque chose des communistes ?
M. GAUDIN. - En tout cas, il ne cesse pas, le gouvernement, Monsieur Mitterrand, Monsieur Fabius, les élus socialistes à l'Assemblée nationale ne cessent pas de faire des appels du pied au Parti communiste et de garder la même ligne, celle dite de l'union de la gauche dont on voit qu'elle n'existe plus aujourd'hui, mais ils persistent dans ce mythe.
En réalité, Madame Chabot, Monsieur Fabius n'aurait pas loupé son entrée au gouvernement, entrée précipitée imprévue, car en définitive, c'est la loi Savary, c'est la volonté des Français exprimée le 24 juin qui bouleverse tout cela : le départ de Monsieur Savary qui n'était pas prévu ; le départ de Monsieur Mauroy qui lui n'était pas non plus prévu : Monsieur Mauroy a eu un peu de dignité, il est parti. Et la nomination de Monsieur Fabius plus tôt que prévu, car elle ne devait pas intervenir à ce moment-là…
M. MAY. - Vous êtes très informé !
M. GAUDIN. - Monsieur Mamy, Monsieur Fabius aurait créé l'événement, dans ce pays, si sortant de l'Elysée, au moment où il venait d'être désigné par le président de la République, si Monsieur Fabius avait dit : « moi, je ne veux plus des communistes au gouvernement », alors leur opération tactique dite du recentrage, leur décrispation et tous les gadgets qui suivent, cela pouvait provoquer dans le pays un impact, ils l'ont loupé…
M. MAMY. - Vous pensez qu'il n'y a rien de changé ?
M. GAUDIN. - Ils l'ont loupé complètement… En tout cas, il n'y a rien de changé dans le langage et dans l'amabilité de Monsieur Jospin…
M. MAY. - Et dans le vôtre ?
M. GAUDIN. - Et dans l'amabilité de Monsieur Jospin, dans les amabilités que Monsieur Jospin nous témoignent à longueur de semaine, ici même, il n'y a pas très longtemps.
M. MAMY. - C'est un peu plus difficile que d'habitude, tout de même : autrefois, vous dénonciez carrément, cela faisait au moins quatre paragraphes, le gouvernement socialo-communiste… c'est un peu plus difficile là…
M. GAUDIN. - Ce n'est pas plus difficile… car vous savez il y a un peu l'habillage qui a changé. Et avec Monsieur Mauroy, c'était la politique de l'acte de foi. Avec Monsieur Fabius, c'est l’acte de contrition.
On dirait que Monsieur Fabius ne peut pas, ne veut pas se laisser prendre le doigt dans la portière. Sans arrêt, Monsieur Fabius explique qu'il ne veut pas faire ceci, qu'il ne veut pas faire cela… Alors qu'il le dise : quelle politique veut-il faire ?... Et s'il veut faire une politique différente de celle du Parti socialiste, s'il veut faire une politique libérale excusez-moi, nous sommes mieux placés que Monsieur Fabius pour faire cette politique.
Mme CLERC. - Il me semble qu'il y ait un problème infiniment plus grave, actuellement, que celui de l'emprunt, qui est celui des « nouveaux pauvres », que Monsieur Fabius a abordé mercredi soir.
Existe-t-il des propositions communes de l'opposition sur ce problème ? Et pensez-vous que si elle revenait au pouvoir, l'opposition devrait rétablir les indemnités de chômage qui ont été supprimées ou réduites par Monsieur Bérégovoy en 1982 ?
M. GAUDIN. - De la nouvelle pauvreté, il faut en discuter, c'est vrai !... Et ce n'est pas une invention des politiques. Hélas, elle existe.
Vous savez qu'avant 1981, le gouvernement précédent avait beaucoup fait pour les personnes âgées, pour les handicapés, par les crédits, d'une manière substantielle, mais aussi pour éviter la solitude de toutes ces personnes.
Aujourd'hui, nous nous trouvons avec une pauvreté différente qui nous agresse beaucoup plus nettement, pourquoi ? Parce que c'est une nouvelle catégorie sociale ; ce sont des hommes, des femmes qui ont, quelquefois, pas plus de 40 ans ou toutefois guère plus… qui se trouvent tout d'un coup à la fin de leur droit de chômeur, et qui, tout d'un coup, n'ont plus rien alors que, précédemment, ils avaient quelquefois des situations relativement confortables.
Je pense à un de mes amis, je pense à quelqu'un qui a fait ses études à Marseille, qui a beaucoup de talent, qui pourrait très bien jouer un rôle dans l'animation, dans les maisons de la culture ou autres, je n'arrive pas, depuis des années, à lui trouver de ce fait un emploi.
Et, en réalité, il a perdu tous ses droits, il vit sur les ressources de son épouse. Alors là, je crois qu'il va falloir faire quelque chose, car il y a 1 million de personnes actuellement dans ce cas, il faut enrayer cela !...
La solution n'est pas de dire, comme on l'a fait cette semaine à l'Assemblée nationale : « On va prendre un peu plus sur 2 000 contribuables », enfin excusez-moi, le Parti socialiste confond encore une fois la solidarité et la charité.
M. MAMY. - Quelle est votre proposition ?
Le décret Bérégovoy est tripartite, il est patronal, syndical…
M. GAUDIN. - Monsieur Mamy, je dis que le problème de la pauvreté, comme celui de l'immigration, ce sont des problèmes tellement importants que nous pouvons - tout au moins, moi je le souhaite et mes amis de l'UDF aussi - souhaiter un consensus.
Et si le gouvernement veut que nous réfléchissions ensemble, que nous travaillions ensemble pour essayer de régler, d’une manière claire et précise, ces problèmes, nous accepterons de dialoguer, de discuter dans le cadre du Parlement sur ces sujets.
Vous me disiez : que faut-il faire ?
Mon ami Adrien Zeller est un homme qui a beaucoup étudié, qui a fait déjà des propositions à Madame Georgina Dufoix pour essayer de régler la nouvelle pauvreté. En réalité, on pourrait s'inspirer de ce qui se fait à l'étranger. A l'étranger, il y a un revenu minimum d'existence et ce revenu minimum d'existence est géré, quelquefois, par les collectivités locales…
M. MAMY. - Alimenté comment ?
M. GAUDIN. - Je n'en sais rien… tout cela peut se discuter avec Madame Dufoix, avec Monsieur Bérégovoy…
M. MAMY. - Vous demandez encore l’allégement de 30 milliards des charges…
M. GAUDIN. - Oui, on peut supprimer… on peut supprimer les « danseuses » du Président, excusez-moi, tous ces grands projets de Paris, à l'heure actuelle, on pourrait en supprimer deux ou trois, cela ferait beaucoup d'économies à la France et, par conséquent, cela permettrait peut-être d'aider la nouvelle pauvreté.
On peut toujours faire un certain nombre d'économies. Mais je dis : « il faudrait donner l'argent aux collectivités locales ».
Voyez-vous, depuis 15 ans, à Marseille, je suis administrateur de ce qu'on appelle « l'accueil… », une maison gérée par les frères de Saint-Jean-de-Dieu, qui accueille, toutes les nuits, les déshérités de la ville. Le nombre n'a pas cessé d'augmenter : la ville de Marseille donne 50 millions d'anciens francs pour aider au fonctionnement de cette maison. Les autres collectivités départementales ou régionales… rien. Il y a là moyen d'aider - c'est un exemple précis que je vous donne - bien sûr, il faut dégager un peu d'argent… là, on vient d'en trouver… cette semaine, un peu au Parlement, c'est facile… comme je vous le disais : « supprimons quelques "danseuses" du Président », sous la forme des grands travaux, bien entendu, et à ce moment-là, vous pensez bien que nous pouvons régler un certain nombre de problèmes.
Mme CHABOT. - Vous ne faites pas un peu de démagogie en disant cela, par hasard Monsieur Gaudin ?
M. GAUDIN. - Je ne sais pas, si je fais de la démagogie, en tout cas, Monsieur Séguillon avait la courtoisie de le signaler, tout à l'heure, moi je suis un enfant du peuple, mon père a été artisan maçon, toute sa vie, et ma mère a travaillé dans une corderie à Marseille. Je ne suis pas né en poussant les grilles d'une maison de maître… Si je fais de la démagogie, je le regrette, Madame Chabot, et je ne souhaite pas en faire sur un problème aussi difficile, mais qu'on ne me dise pas qu'on ne peut pas dégager quelques crédits pour cela.
Mme CHABOT. - Cela veut-il dire que c'est un problème suffisamment grave pour que l'opposition n'en fasse pas un thème de combat politique : cette nouvelle pauvreté, et que chacun, des deux côtés, travaille ensemble pour résoudre ce problème ?
M. GAUDIN. - Quand ce sont des hommes, comme Adrien Zeller, Pierre Méhaignerie, qui proposent les solutions, je ne pense pas que ce soit des hommes politiques qui se sont beaucoup appuyés sur la démagogie.
Mme CLERC. - Est-ce que ces solutions ne vont pas à l'encontre du libéralisme prôné par ailleurs ?
M. GAUDIN. - Je crois qu’il s'agit-là d'une évolution des mentalités.
En 1981, les Français ont cru dans le socialisme car il y avait eu beaucoup de promesses qui ont été formulées et ils ont pensé que l’Etat providence allait tout régler : le chômage, l’emploi, les prestations. Et aujourd'hui, trois ans et demi ont passé et ils se rendent compte que ce n'est pas une idéologie qui peut régler quelque chose.
En réalité, l'Etat ne doit pas tout contrôler, l'Etat ne doit pas tout faire, il doit laisser s'exprimer un certain nombre de libertés, de décisions, de volontés, et à mon avis, je crois que dans ce domaine-là, nous avons beaucoup de choses à dire.
Mme CLERC. - Vous pensez remplacer l'Etat par les collectivités locales ?
M. GAUDIN. - Non, je dis qu'il faut toujours l'Etat comme arbitre et pas, forcément, tout le temps comme décideur.
M. MAMY. - Mais votre libéralisme, n'est-il pas un peu « l’auberge espagnole » ? Parce qu’on n'entend pas toujours la même tonalité selon les gens qui parlent de libéralisme.
Parlez-vous de libéralisme avancé ?... dont parlait Monsieur Giscard d'Estaing… Etes-vous adepte du libéralisme reaganien plus dur ?... Est-ce que le libéralisme de Madame Thatcher, en Grande-Bretagne, vous donne actuellement satisfaction ?... On l'a porté aux nues, il y a deux ans encore, est-ce que aujourd'hui les résultats : grèves, chômage, vous donnent satisfaction ?
M. GAUDIN. - Monsieur Mamy, je ne pense pas qu'il faille remplacer le mot « socialisme » par le mot « libéralisme », cela ne veut pas dire grand chose : dans notre pays, le socialisme, en trois ans et demi, a fait beaucoup de dégâts !
M. MAMY. – Il a fait seulement des dégâts ?
M. GAUDIN. - En tout cas, si nous venions à gouverner et si nous gouvernons demain, nous ne ferons pas la même chose, nous ferons autre chose…
M. MAMY. - Quoi ?
M. GAUDIN. - Il faut, actuellement… Ecoutez, si nous voulions relancer l'économie aujourd'hui, i1 faudrait provoquer un sursaut de l’investissement, de l'épargne. Nous avons proposé dans le budget, c'est mon ami Alphandéry qui l’a proposé, la création d'un livret d’épargne retraite, l’aide à l’investissement, i1 faut, Monsieur Mamy, diminuer la ponction fiscale qui démobilise les personnes les plus dynamiques ; il faut donner les coudées franches aux chefs d’entreprise au lieu de les gêner par je ne sais combien de lois, de carcans, en facilitant toujours contre eux la CGT qui démolit tout dans ce pays… Il faut avoir le courage de le dire, là aussi…
Voilà ce que nous ferions si nous étions au gouvernement, nous ne ferions pas pareil que les socialistes, c'est l'évidence même…
M. MAMY. - Vous savez combien i1 y a eu de journées de grève en France par rapport à ce qui se passait avant 1981 ?
M. GAUDIN. - Surtout, moi, ce que font les amis de Monsieur Krasucki dans l'industrie de l'automobile française, je ne peux pas m’empêcher, comme sans doute beaucoup de millions de Français, de le regretter.
M. MAMY. - Vous pensez que la crise de l'automobile tient exclusivement à cela ?
M. GAUDIN. - Non, mais la CGT joue un rôle déstabilisateur ; quelquefois, on empêche le droit au travail et, à mon avis, tout cela est très grave, i1 faut le dénoncer.
Mme CHABOT. - Monsieur Gaudin, vous dites « nous ferons nous ferons », mais je me demande si les Français sont bien convaincus, ils ne sont peut-être pas contents du film, comme le dit Monsieur Mitterrand lui-même, mais je me demande s'ils sont impatients de connaître le vôtre ? Les derniers sondages publiés, il y a une semaine, marquent un très net recul des leaders de l'opposition.
M. GAUDIN. - Il vaut mieux quelquefois, en parlant de film, une bonne rediffusion qu'une mauvaise exclusivité… Mais ce n'est pas cela ce que nous préparons : nous préparons une nouvelle version ; nous ne voulons pas faire une restauration, nous ne sommes pas là pour remettre en place les mêmes hommes qu’hier, avec les mêmes méthodes qu’hier, nous ne le voulons pas…
Mme CHABOT. - Vous n'arrivez pas visiblement à convaincre les Français encore…
M. GAUDIN. - C'est vrai…
Mme CHABOT. - Vous bénéficiez d'un vote sanction de la gauche, mais vous n'arrivez pas à créer un climat de…
M. GAUDIN. - C'est vrai… Il nous reste 500 jours pour convaincre… Vous avez parfaitement raison, à l'heure actuelle, nous gagnons par défaut ; nous gagnons parce que la gauche s'est démobilisée, par ce que la gauche est déçue des erreurs de ceux qui gouvernent et, pour autant, je ne pense pas qu'il y ait une franche adhésion à la politique que nous défendons, j'espère que dans les 500 jours qui viennent, nous pourrons convaincre les Français.
Tout ce qui est fait, ce matin : la présence de Monsieur Chirac, de Monsieur Giscard d'Estaing ensemble, demain, avec Monsieur Barre…
M. SEGUILLON. - Vous êtes content de voir Monsieur Chirac ?
M. GAUDIN. - En tout cas, les responsables sont satisfaits qu'il y ait chez les militants un pincement au cœur en pensant que, peut-être, cette visite de Monsieur Chirac, si elle était intervenue entre les deux tours de l'élection présidentielle, en 1981, aurait été plus profitable. Mais la rancune a été jetée à la rivière et vous savez quand Monsieur Giscard d'Estaing a prononcé cette phrase, lorsque je l'ai invité, à la fin de l'année 81, avec les députés de mon groupe, à déjeuner et Monsieur Giscard d'Estaing a jeté, c'est vrai : « la rancune à la rivière », et moi je souhaite que nos trois présidentiables - car ils le sont tous les trois - se mettent d'accord et, en tout cas, rassurez-vous, nous ne donnerons pas la joie à Monsieur Mitterrand d'arbitrer nos conflits.
Car lorsque Monsieur Mitterrand devra se retirer, puisqu'il dit tout le temps qu'il ne se présentera pas, j'aimerais bien savoir comment cela va se régler au Parti socialiste pour désigner le successeur de Monsieur Mitterrand.
En tout cas, 88, ce n'est pas pour demain, nous, ce qui compte, aujourd'hui, ce sont les élections de 86.
Nous voulons gagner les élections législatives et convaincre les Français qui ont été complètement vaccinés par l'expérience socialiste qu'il faut faire une autre politique pour notre pays.
M. CLERC. - Vous espérez amener les trois chefs à signer un programme commun ?
M. GAUDIN. - Nous aurons certainement un programme, actuellement, nous avons déjà élaboré ensemble, en matière économique, en matière de défense, un certain nombre d'orientations ; ceci n'est pas un problème ; nous ne ferons pas les gaffes du gouvernement actuel… car les gaffes, on en fait tous les jours, ne parlons pas de celles ou parlons de celle de Monsieur Cheysson faite encore hier.
M. SEGUILLON. - Monsieur Gaudin, pour aller à ces élections de 86, Monsieur Barre est partisan du scrutin majoritaire ; Monsieur Giscard d'Estaing est partisan d'une dose de proportionnelle, comment allez-vous les réunir là-dessus et quelle est votre position ?
M. GAUDIN. - C'est un débat d'idées très important qu'on ne peut pas régler en deux minutes, mais vous avez raison de l'évoquer, moi je considère qu'à partir du moment où le président de la République veut changer de scrutin, c'est qu'il se sent menacé par le scrutin actuel.
Et je dis toujours à mes amis, au risque de me répéter, que le président de la République a encore deux avantages :
- il a le canoë de sauvetage, c'est la loi électorale. Vous savez que je suis placé pour vous dire qu'on peut avoir plus de voix que son adversaire dans une élection et pour autant ne pas être élu - je peux en faire la démonstration quand on veut ;
- puis il a aussi la bouée de sauvetage qui est la mobilisation anti-droite avec l'épouvantail que l'on peut présenter…
M. SEGUILLON. - Monsieur Gaudin, je suis obligé de vous arrêter, car nous arrivons au terme de l'émission, êtes-vous pour ou contre ce scrutin majoritaire ?
M. GAUDIN. - La proportionnelle présente trop de danger, elle est peut-être plus juste, mais elle vous amène à la situation de la Corse ou à la situation de la Knesset en Israël, c'est à mon avis, très grave.
En tout cas, ce qu'il faut, c'est toujours une majorité qui doit se dégager des urnes pour pouvoir gouverner notre pays.
Je suis prêt à en reparler avec vous quand vous le voudrez.
M. SEGUILLON. - Monsieur Gaudin, merci.