Interview de M. Alain Juppé, député RPR et maire de Bordeaux, à Europe 1 le 5 juillet 1999, sur l'aménagement de Bordeaux, la prochaine visite du Président de la République et la procédure en cours le mettant en cause dans le financement du RPR.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach
Le Président de la République entreprend en Gironde une tournée des provinces, que vient-il chercher à Bordeaux et que peut-il y trouver ?

A. Juppé
- « Ce qu'il vient chercher, ce n'est pas à moi de vous le dire. Ce qu'il peut trouver, c'est une ville qui s'éveille, qui se développe, qui se transforme. Ce que nous voulons lui montrer, c'est une grande métropole décidée à jouer pleinement son rôle sur la scène européenne. »

J.-P. Elkabbach
C'est certes une visite d'ami, mais est-ce que c'est une visite de nostalgie ou une visite d'avenir ?

A. Juppé
- « Nous voulons parler de l'avenir bien sûr. Quand je vous disais que la ville se transforme aujourd'hui, nous sommes en train de mener à bien un projet qui va changer complètement la façon de se déplacer, d'évoluer en ville, c'est notre tramway. Je pense que pour un président de la République, ce n'est pas sans intérêt de voir une grande métropole faire ce pari là qui va entraîner beaucoup de bouleversements. »

J.-P. Elkabbach
Mais je ne parlais pas seulement de Bordeaux et de sa communauté urbaine.

A. Juppé
- « Aujourd'hui nous sommes à Bordeaux et c'est de son avenir que je voudrais lui parler. Et puis, je voudrais profiter de ce déplacement pour faire passer quelques messages. Quand on est maire d'une grande ville, on se rend compte qu'il y a une réserve d'énergie, d'initiative, une volonté, un besoin de participer extraordinaire chez nos concitoyens. Décider, ça ne se passe plus comme hier. Il faut aujourd'hui un va-et-vient entre celui qui prend la décision et celui à qui elle va s'appliquer. Or, cette formidable réserve d'énergie est un peu paralysée par toute une série de complexités, par ce qu'on appellera la technocratie. J'ai envie de dire au Président de la République que nous avons besoin d'une nouvelle vague de décentralisation qui fasse confiance à ceux qui sont sur le terrain. »

J.-P. Elkabbach
Jusqu'où la décentralisation ? C'est amusant que vous qui autrefois symbolisiez la centralisation et l'Etat tout puissant, vous vouliez dire qu'il faut une France girondine.

A. Juppé
- « Ca fait quatre ans que je suis ici, quatre ans que je travaille à la tête d'une équipe extraordinairement dévouée et engagée dans l'avenir de la ville ; quatre ans que dans la communauté urbaine je travaille avec des collègues qui sont de toutes sensibilités politiques et peut-être que ça va changer. Si vous dites que je suis devenu Girondin, c'est peut-être une forme de compliment. »

J.-P. Elkabbach
Certains de vos amis du RPR s'étonnent que le Président de la République engage une sorte de stratégie de reconquête, une nouvelle fois à Bordeaux, auprès de vous.

A. Juppé
- « Je n'ai pas de commentaire à faire là-dessus, sinon que ce voyage était prévu depuis longtemps. »

J.-P. Elkabbach
Il n'a pas été annulé ou transféré vers une autre ville.

A. Juppé
- « On y aurait vu immédiatement un signe. Quoi qu'on fasse vous voyez, il y a des signes ! Les choses sont beaucoup plus simples que cela. Le Président va dans une grande ville, au contact de ses habitants. Nous aurons cet après-midi par exemple, une table-ronde sur l'insertion des jeunes dans la société. »

J.-P. Elkabbach
Je suis d'accord et n'essayez pas d'y échapper : il y a une dimension en plus. Il y a peut-être l'affection entre vous deux, la fidélité de Chirac, comme dit Sud-Ouest, et la fidélité à Chirac.

A. Juppé
- « Je ne vois pas dans ce voyage une étape politique nationale. »

J.-P. Elkabbach
Personne ne vous croira.

A. Juppé
- « Je vous dis ce que je pense et moi je ne le vois pas comme ça. Pour moi, c'est l'occasion de dire au Président de la République : voilà comment est Bordeaux aujourd'hui, voilà ce dont nous avons besoin, voilà ce que nous avons envie de vous dire. »

J.-P. Elkabbach
Et voilà ce que j'ai fait de Bordeaux, ce que je suis en train de faire avec les Bordelais.

A. Juppé
- « Voilà ce que les Bordelais sont en train de faire de leur ville, notamment une ville extraordinairement joyeuse et vivante. »

J.-P. Elkabbach
J. Chirac a trois ans de présidence devant lui. Depuis son élection à l'Elysée, il ne cesse de se comporter en challenger, en candidat. Il aime ça être candidat, comment l'expliquez-vous ?

A. Juppé
- « Je vais vous décevoir mais je ne suis pas un commentateur du chiraquisme à Bordeaux. »

J.-P. Elkabbach
Un fidèle du chiraquisme, ce qui est parfois assez rare même dans votre camp.

A. Juppé
- « Comme 55 ou 60 % des Français, si on en juge par les sondages. La grande force du Président de la République, on le voit bien depuis des années, c'est de savoir aller au contact, de savoir écouter. Je suis persuadé qu'il fera tout son profit de ce que nous lui dirons pendant ces 48 heures. »

J.-P. Elkabbach
Vous pensez qu'il cherche, qu'il doute en ce moment ?

A. Juppé
- « Je pense qu'il fait son métier. Il sort de deux mois dont il faut bien rappeler que ça a été deux mois de guerre. Pendant ces deux mois, il a fait preuve d'une lucidité, d'une détermination – vous allez penser que c'est encore l'affection ou l'amitié qui parle –, qui ont fait mon admiration. Dieu sait si au début de cette guerre, on a entendu les uns et les autres expliquer que ce n'était pas ça qu'il fallait faire. Finalement, cette stratégie qu'il a conduite avec énormément de sang-froid et une aura internationale considérable, a payé. Alors il est normal qu'aujourd'hui, sortant de cette période difficile, il vienne un peu se ressourcer dans une ville chaleureuse comme la nôtre. »

J.-P. Elkabbach
Après, il y a le mauvais coup des élections européennes. Il est l'objet de violentes critiques sur l'autorité et la fonction présidentielle qui s'affaiblissent, est-ce que vous croyez que le moment venu, J. Chirac pourrait renoncer à se représenter ?

A. Juppé
- « Il faut prendre tout cela avec beaucoup de philosophie. Il y a trois mois, je lisais des papiers expliquant que le Président de la République avait réussi un prodigieux rétablissement, qu'il avait redonné à l'institution présidentielle tout sens et toute sa force. Aujourd'hui, on subit le contrecoup d'une élection dans laquelle il n'était pas directement impliqué. »

J.-P. Elkabbach
Où on l'a impliqué.

A. Juppé
- « Les uns et les autres ont essayé de l'impliquer. Mais connaissez-vous une seule élection européenne depuis 20 ans qui ait entrainé un véritable bouleversement sur la scène politique nationale. Je n'en connais pas. Alors, il faut laisser les choses reposer, se décanter, sans naturellement sous-estimer le traumatisme qu'a connu la formation gaulliste. Mais je suis persuadé que nous avons en nous-mêmes le ressort nécessaire. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce qu'il pourrait renoncer à se représenter ?

A. Juppé
- « Comment voulez-vous que je vous dise cela? Je ne lis pas dans le marc de café chiraquien. C'est sa décision intime. C'est lui qui, le moment venu, fera connaître son choix aux Français. »

J.-P. Elkabbach
Mais vous entendez un certain nombre de critiques qui viennent même de votre camp.

A. Juppé
- « Certaines sont tellement excessives qu'elles finissent pas être dérisoires. Je lisais récemment un papier dans lequel on expliquait que depuis son accession à la présidence de la République, J. Chirac n'avait rien engagé qui comptera à l'avenir. Alors je voudrais quand même rappeler que le tournant de la guerre en Bosnie, c'est le jour où J. Chirac a dit : on ne tire plus sur des soldats français sans qu'ils ripostent. Ça a été un tournant dans la guerre. Je voudrais rappeler aussi que si la France est aujourd'hui qualifiée pour l'euro, c'est parce qu'en 1995, J. Chirac a dit : on va se qualifier pour l'euro. Les trois quarts du chemin ont été faits en juin 1997. La réforme de la Défense nationale dont nous allons voir un des aspects aujourd'hui à Bordeaux ou demain, avec le laser mégajoule, c'est Chirac. Donc vous voyez qu'il faut relativiser ces critiques acerbes qu'on entend depuis quelques jours et qui vont se calmer là aussi, j'en suis sûr. »

J.-P. Elkabbach
Vous faisiez allusion à un papier qui disait: c'est un septennat pour rien.

A. Juppé
- « Je rappelais un certain nombre d'éléments qui font qu'en toute hypothèse, l'impulsion donnée par J. Chirac marquera. »

J.-P. Elkabbach
Entre 1988 et 1997, vous étiez secrétaire général puis Président du RPR, à ce titre, vous avez rendez-vous avec la justice. Cherchez-vous un ultime recours de procédure cette fois ?

A. Juppé
- « Non, il fallait purger la question de la procédure. Cela a été fait et n'a pas été inutile puisque nous avons obtenu satisfaction sur plusieurs points devant la chambre d'accusation. Aujourd'hui, je souhaite que les choses aillent vite et j'aborde cette période dans l'état d'esprit qui était le mien l'an dernier lorsque je m'en suis expliqué devant les Français. »

J.-P. Elkabbach
C'est-à-dire ?

A. Juppé
- « J'observe qu'à aucun moment mon honnêteté personnelle n'a été mise en cause et pour moi c'est capital. Parce que la conception que j'ai de la politique, sur ce point, ne souffre aucun doute et aucune ambiguïté. Et puis, deuxième élément, j'ai été le patron de ce parti, j'assume les responsabilités. Je ne suis pas de ceux qui se défaussent sur les autres. »

J.-P. Elkabbach
Même si vous assumez, vous avez le sentiment de payer pour d'autres ?

A. Juppé
- « Non, j'assume. S'il y a eu des erreurs, je suis là pour rendre des comptes. Simplement, je voudrais souligner, comme je l'ai déjà fait, que non seulement je n'ai prêté la main à aucune opération douteuse mais je me suis efforcé pendant toutes ces années, de clarifier et de régulariser ce qui devait l'être. Quand je suis parti, les choses étaient claires. »

J.-P. Elkabbach
Mais tous les reproches ne sont-ils pas fondés ?

A. Juppé
- « Bien sûr, il y a un certain nombre de reproches qui peuvent être fondés, je n'en sais rien. Ce que je peux dire c'est que je conteste formellement la qualification d'un certain nombre d'éléments. Mais vous n'êtes pas juge d'instruction et je ne suis pas ici dans le cabinet d'un juge »

J.-P. Elkabbach
Et je n'ai pas envie de me substituer à un juge.

A. Juppé
- « Je le sais, mais je répondrai sur tous ces points sans aucune espèce de réticence. »

J.-P. Elkabbach
Mais vous pensez que le système favorisait alors des dérapages ?

A. Juppé
- « Bien entendu, toutes les formations politiques ont eu des problèmes d'adaptation à la nouvelle législation, le RPR comme les autres. C'est au chef de rendre des comptes. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce que vous croyez que la justice, quelle que soit la forme du procès, pourrait vous laver de ces soupçons ?

A. Juppé
- « N'anticipons pas. »

J.-P. Elkabbach
Pensez-vous que ce sera réglé avant mars 2001, avant les municipales, les élections pour la communauté urbaine ?

A. Juppé
- « Je ne suis pas maître des calendriers mais je le souhaite. »

J.-P. Elkabbach
Vous vous battez si j'ai bien compris.

A. Juppé
- « Non. Je n'aime pas beaucoup cette expression. Je m'expliquerai et je dirai ma vérité, qui est la vérité. »

J.-P. Elkabbach
Cet été à Bordeaux, j'ai vu qu'était organisée une animation de quartier, « L'arbre palabre. » J. Chirac adore l'Afrique et ses grands arbres. Cet après-midi, peut-être à l'ombre de « L'arbre palabre », qu'est-ce que vous direz à J. Chirac, de national ?

A. Juppé
- « Je lui dirai, voilà une grande et belle ville et voilà pourquoi il nous semble qu'il faut faire confiance aux élus que les Bordelais, les Girondins se choisissent. Je crois que nous sommes entrés, vis-à-vis des élus locaux, un peu dans l'ère de la méfiance et du soupçon. Ce n'est pas sain parce que finalement : proximité égale confiance. Plus on est proche du terrain, plus on a la confiance de ses électeurs. Si on veut que la France retrouve une harmonie, la confiance – ce mot me paraît important –, avec ceux qui la représentent, il faut centrer sur le terrain. C'est un peu la signification que je voudrais donner à ce déplacement. »

J.-P. Elkabbach
On sent bien que vous aimez votre ville. On dit qu'il y a une sorte de nouveau souffle depuis deux ans, depuis que vous êtes là vraiment à Bordeaux.

A. Juppé
- « Pour faire souffler le vent du changement, il faut du temps, je m'y suis employé dès 1995 et sans me faire d'illusions parce que je sais que tout est toujours très difficile. Je vois qu'aujourd'hui les choses bougent et changent et que nos concitoyens ici en sont conscients. »

J.-P. Elkabbach
Après les européennes, dans un RPR en crise, vous avez renoncé à tout rôle actif. Est-ce qu'à la rentrée, vous allez reprendre toute votre place ?

A. Juppé
- « Les choses ont été mal interprétées. Ce que je ne veux pas, ce que je n'ai pas voulu depuis 1997, c'est me remettre au premier rang dans la direction du RPR. Tout simplement parce que j'y ai été avant et qu'il faut aujourd'hui des têtes neuves. Il faut faire émerger de nouveaux responsables à la direction de notre mouvement. Si pour ma part, je peux être utile à quelque chose, c'est de manière différente. C'est peut-être en apportant ma propre contribution à l'effort de réflexion qui est nécessaire. »

J.-P. Elkabbach
Est-ce que vous aussi vous dites : ou militant de base ou le premier ?

A. Juppé
- « Je ne veux pas poser le problème en ces termes. Je suis militant, j'ai mes convictions politiques. Quand on est maire de Bordeaux, président de la communauté urbaine et député, on n'est pas tout à fait militant de base, mais en tout cas, je ne prétends à aucun poste de direction. Je le répète: il faut aujourd'hui faire émerger de nouvelles têtes, de nouvelles femmes, de nouveaux hommes qui prennent ces responsabilités. Nous avons fait déjà notre temps peut-être sur ce plan-là. »

J.-P. Elkabbach
Même pour la présidence du parti ou N. Sarkozy pourrait l'être ?

A. Juppé
- « Je ne suis pas en campagne ici à Bordeaux. Je pense qu'il faut partout une nouvelle génération. »

J.-P. Elkabbach
Hier, au Club de la Presse, F. Bayrou a proposé une fédération de la droite.

A. Juppé
- « Il y a quinze jours ou trois semaines – je ne cherche pas la paternité de telle ou telle formule –, j'ai dit à mes propres amis qu'il était absolument indispensable que nous regroupions nos forces et que nous évoluions vers une fédération de la droite et du centre avec la famille néo-gaulliste ouverte sur le monde et sur l'Europe, la famille libérale et la famille démocrate-chrétienne. Donc vous voyez qu'avec F. Bayrou, je suis tout à fait prêt à poursuivre le dialogue. »

J.-P. Elkabbach
La famille Pasqua vous la mettez où ?

A. Juppé
- « S'il y a chez nous des amis qui sont plus sensibles aux thèses souverainistes mais dont la position vis-à-vis du Président de la République que nous soutenons, est claire, alors il ne faut pas faire preuve d'ostracisme. Mais il y a un certain nombre de critères à préciser. »

J.-P. Elkabbach
Vous pensez comme Sud-Ouest que J. Chirac a encore le pouvoir de reprendre la main ?

A. Juppé
- « Bien sûr. Regardez la vie politique au cours des derniers mois ou des dernières années, tout change vite. »