Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire général de la CFDT, dans "Le Journal du dimanche" du 12 octobre 1997, à France Inter, France 2 et dans "Libération" le 13, dans "La Nouvelle République du Centre Ouest" du 17 et article dans "Le Nouvel Observateur" du 16, intitulée "Il fallait une impulsion", sur la décision gouvernementale de réduire la durée légale du travail à 35 heures et la réaction du CNPF.

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Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail à Paris le 10 octobre 1997

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission Journal de 19h - France 2 - France Inter - La Nouvelle République du Centre Ouest - Le Journal du Dimanche - Le Nouvel Observateur - Libération - Télévision

Texte intégral

LE JOURNAL DU DIMANCHE - 12 octobre 1997

Q. Ce 10 octobre 1997, qui a instauré la réduction du temps de travail, est-ce une date importante pour les salariés ou pour l’économie française ?

R. C’est une date importante pour l’emploi, qui, grâce à la réduction du temps de travail, se développera en même temps que la précarité reculera. Mais c’est aussi une date importante pour l’économie française car cela va permettre à toutes les entreprises qui le veulent de se moderniser, de se développer, de se réorganiser de manière intelligente. C’est au total un ensemble de dispositions qui permet aux entreprises, aux salariés et aux chômeurs d’être gagnants compte tenu de la démarche engagée. A condition bien sûr qu’on ne la caricature pas.

Q. Justement est-ce la bonne démarche ?

R. Oui. D’ailleurs, on ne partait pas de rien. Déjà 1 000 accords ont été signés dans les entreprises prouvant l’efficacité d’une démarche fondée sur la négociation. Ce qui a été décidé vendredi, loin d’être un coup d’arrêt ou une pause, va permettre de marquer une accélération du mouvement engagé.

Q. D’où sans doute la colère de Jean Gandois à la sortie de la conférence. Comment l’expliquez-vous ?

R. Je vois bien où était le point que le patronat considérait comme un chiffon rouge : l’existence même d’une loi qui fixe la diminution de la durée légale du temps de travail. Le patronat considère en effet que cela va à contre-courant des besoins de souplesse, de diversité que réclament les entreprises. Je peux entendre le coup de colère de Jean Gandois par rapport à une décision qu’il ne voulait pas, mais je ne peux pas comprendre qu’il ne reconnaisse pas que le dispositif adopté écarte tout modèle standard. Car il permet aux entreprises de concevoir un changement d’organisation sans mode d’emploi uniforme et une réduction du temps de travail qui n’est pas enfermée dans la seule semaine. Il faut laisser la colère retomber pour que le patronat et les entreprises s’aperçoivent qu’un bon usage du dispositif retenu donnera satisfaction à tous ceux qui ont une vision moderne des changements et des mutations que notre pays doit effectuer tant du côté de l’entreprise que du côté de l’emploi. Personne ne peut soutenir que la situation actuelle de chômage et de précarité doit rester en l’état.

Q. Les syndicats européens ont décidé d’abandonner leur revendication des 35 heures hebdomadaires, la jugeant dépassée, les Français ne sont-ils pas en décalage ?

R. Cette remarque ne correspond pas à la réalité. Je suis moi-même vice-présidente de la Confédération européenne des syndicats. Notre dernier congrès a désigné la réduction du temps de travail comme un moyen supplémentaire – et non pas un moyen unique ou magique – d’accompagner l’effort de développement de la croissance pour qu’il ait un impact sur l’emploi. Notre réflexion a été de dire que le slogan des 35 heures ne devait pas être compris dans la seule vision hebdomadaire. C’est une réduction qui s’inscrit certes dans la semaine mais aussi sur l’année, voire la vie. Ce n’est donc pas un abandon au niveau européen des 35 heures, c'est une meilleure manière de concevoir la réduction du temps de travail pour qu'elle ne se fasse pas à contre-temps du développement de l'entreprise et de l'emploi.

Q. Ne pensez-vous pas cependant que la France peut apparaître isolée dans cette affaire ?

R. Que la France joue aujourd'hui un rôle de locomotive et s'engage avec force dans ce mouvement de la réduction du temps de travail, je ne le vois pas comme un signe d'archaïsme mais comme le signe d'une plus grande volonté de s'attaquer au chômage. Il s'agit donc d'une démarche novatrice dont j'espère qu'elle aura un effet d'entraînement dans d'autres pays.

France Inter – 13 octobre 1997

Q. Quels commentaires faites-vous à l'annonce de la démission-surprise ?

R. C'est une décision-surprise. J. Gandois était un homme avec lequel j'ai eu souvent à discuter, à me confronter, voire à avoir des désaccords - nous en avions un dernièrement sur la question du temps de travail. Mais c'était en tout cas pour moi un homme de conviction, un homme de parole. J'ai pu m'en rendre compte. C'était un négociateur déterminé.

Q. On comprend bien que vous ayez des politesses à son encontre le soir où il part.

R. Non, très franchement, je pense ce que je vous dis ce soir sur J. Gandois. Sinon, je ne vous aurais pas fait de déclarations. Je veux vous dire que quelles que soient les raisons, et même si les raisons de sa démission portent sur le désaccord que nous avons eu sur la durée du travail, l'estime et l'amitié, le respect que je lui portais, de la fonction qui est la mienne vers la fonction qui est la sienne, est réel.

Q. Qui doit être le bon président du CNPF ? Le bon patron pour une bonne négociation avec vous ?

R. Là, je sortirais de mon rôle en désignant le profil ou en désignant le successeur de J. Gandois. Je crois que nous avons besoin à la tête du CNPF d'un homme qui reste un homme partisan du dialogue social, un homme qui reste partisan de compromis équilibrés. Ma foi, je veux croire que malgré la décision de J. Gandois, le CNPF saura trouver la personne qui sera en capacité d'assumer cette nouvelle responsabilité.

France 2 – 13 octobre 1997

J. Gandois quitte sa fonction, je crois qu'il est maintenant de la responsabilité des instances du CNPF de trouver un successeur qui puisse assumer les responsabilités qu'on attend d'une organisation patronale aujourd'hui ; qui reste ouvert au dialogue social, ouvert à la négociation collective dans la confrontation parfois dure, mais au moins qui sache je crois ce que veut l'organisation patronale.

LIBÉRATION - 13 octobre 1997

Q. Après le plan Juppé qui reprenait vos revendications sur l’assurance maladie, et maintenant avec les 35 heures selon une formule qui répond à vos souhaits, n’êtes-vous pas devenue une sorte de ministre bis des Affaires sociales ?

R. Laissez-moi à la place qui est la mienne et à laquelle je tiens. Je ne peux que me satisfaire de ce que le Gouvernement ait poursuivi et amplifié la réforme de l’assurance maladie et que le pouvoir actuel reprenne une conception de la réduction de la durée du travail qui ne se voulait pas seulement un nouvel avantage pour les salariés, mais aussi et surtout un levier pour l’emploi. C’est la voie qui a été choisie vendredi, en fonction du principe d’efficacité pour l’emploi et, à l’évidence d’un intérêt politique à un moment donnée.

Q. Vous vous attendiez à un tel succès de vos thèses ?

R. Vendredi matin, on était face à quoi ? Certains voulaient réduire le temps de travail sans changer quoi que ce soit à l’organisation du travail. D’autres – le patronat – voulaient changer l’organisation du travail, mais sans avoir à réduire le temps de travail. D’autres imaginaient que l’on pouvait réduire le temps de travail au bénéfice de l’emploi sans répercussion sur les politiques salariales. Lionel Jospin a tranché ce débat. Il faudra en même temps changer l’organisation du travail, dans l’intérêt des entreprises, et réduire le temps de travail pour créer des emplois. C’est l’un et l’autre qui ont été retenus. A la fois une « évolution maîtrisée des salaires », comme l’a expliqué le Premier ministre, et l’articulation de trois éléments (aménagement, réduction et rémunérations) laissées aux négociateurs.

Q. Donc pour le moment, ce n’est pas 35 heures payées 39 ?

R. Non. Ce n’est évidemment pas non plus 35 heures payées 35. Aucun syndicat ne l’accepterait. Ce sera ce que les négociateurs, avec les salariés, décideront. Les accords de Robien fournissent en la matière une panoplie d’exemples.

Q. Le CNPF a-t-il vraiment été « berné » ? Jean Gandois se disait hier victime d’un [illisible]

R. Personnellement, je n’ai pas participé au débat entre le patronat et le Gouvernement. Les propos de Jean Gandois lui appartiennent. Mais personne ne peut être étonné de la colère du CNPF. Il y avait deux chiffons rouges pour lui. Le premier, c’était la réduction du travail elle-même. Rappelez-vous les offensives contre la loi Robien. Le CNPF était contre, les patrons s’en sont pourtant servi. Le problème, c’est que le patronat n’a jamais voulu la concevoir comme un point d’appui possible dans les changements qu’il appelle de ses vœux. Ce n’est pas nouveau : rappelez-vous les suites de l’accord du 30 octobre 1995, signé par le CNPF. Il y est écrit que « la réduction de la durée du travail constitue un élément de lutte contre le chômage lorsque de nouvelles formes d’aménagement du travail permettent des gains de productivité et le maintien ou la création d’emploi par des réductions d’horaires ». Dans les négociations de branches qui ont suivi, les organisations patronales l’ont soit saboté, soit tenté de le vider de sa substance. Quelques-unes en ont respecté la lettre et l’esprit. Le deuxième chiffon rouge, c’était l’annonce d’une loi : le summum de l’inacceptable pour le CNPF.

Q. C’était pourtant prévisible…

R. A la table ronde, le CNPF a clairement fait savoir qu’il serait en désaccord si le Premier ministre devait annoncer une loi sur la réduction de la durée légale. Le reste de la journée, Lionel Jospin n’a plus rien dit. Le CNPF pouvait espérer qu’une autre solution sorte de la réunion. Je peux d’ailleurs témoigner que ce n’était pas la seule qui était étudiée dans les milieux gouvernementaux.

Q. Les déclarations de guerre du CNPF permettent-elles encore de négocier ?

R. Jean Gandois n’a pas appelé au boycottage des négociations dans les entreprises. Pouvait-il le faire ? La diversité existe dans les branches, certaines devraient réfléchir avant de se dessaisir de leur part de responsabilité. Quant aux entreprises, elles regarderont ce qui est vraiment sur la table. Elles verront qu’elles ont à y gagner.

Q. C’est-à-dire ?

R. L’affichage du slogan sur les 35 heures, ou des 32 heurs, fait penser que la réduction est cantonnée à la semaine. Mais on sait tous aujourd’hui qu’il faudrait parler de 35 heures par semaines en moyenne sur l’année.

Q. C’est l’annualisation du temps de travail. Vous ne la refusez pas ?

R. C’est une manière parmi d’autres, d’éviter d’aller vers des modes d’organisation du travail fondés sur un abus des heures supplémentaires, sur la précarité, sur les temps partiels imposés. Nous savons bien qu’il faut travailler dans des conditions qui permettent de gérer les sautes d’activité auxquelles les entreprises peuvent se trouver confrontées. Ce que nous voulons, c’est que ce soit géré autrement que par une précarisation accrue. Je regrette que le patronat ne l’ait entendu. Derrière l’affichage de la durée légale, le Premier ministre a dit aux entreprises : « Nous prenons en compte les besoins de compétitivité des entreprises ». Si le patronat ne l’entend pas comme ça, que lui faut-il ?

Q. Le Gouvernement a donc ouvert une porte se sortie au patronat et celui-ci ne l’a pas vue ?

R. Le plus important est la logique de négociation arrêtée avant la baisse de la durée légale.On n’est pas dans un modèle de réduction du temps de travail standard, où on descend tous les horaires de 4 heures par semaine le 1er janvier 2000. Si tel avait le choix, la CFDT s’y serait opposé. Mais le CNPF voulait bien prendre ce qui lui convient du côté de la généralisation de la souplesse, à condition de ne pas avoir à mettre en œuvre, en contrepartie, la généralisation de la réduction du temps de travail. Il est peut-être en train de louper le coche de la modernisation négociée.

Q. La convergence syndicale constatée vendredi est-elle durable ?

R. Je compte sur la dynamique créée. Contrairement à ce que l’on peut croire souvent, les salariés n’ont pas une conception étroite de leurs intérêts. Même quand ils ne sont pas au chômage, ils savent que cela n’arrive pas qu’aux autres. Les salariés accepteront de bouger pour que l’emploi soit gagnant. Ils feront la preuve qu’ils prennent en compte l’intérêt collectif.

Q. La CGT, par-exemple, acceptera-t-elle de négocier sur la modération salariale ?

R. Je connais des entreprises où la CGT a déjà accepté ce type d’accord. Le principe de réalité fait que les syndicats, poussés par les salariés, regardent les choses de manière plus ouverte.

LE NOUVEL OBSERVATEUR - 16 octobre 1997

Au sortir de la Conférence nationale sur l’emploi, les salaires et la durée du travail, je n’ai pas caché la satisfaction de la CFDT de voir retenue une conception de la réduction du temps de travail qui en faisait un levier pour l'emploi. L'idée est aujourd'hui largement partagée, et ce point-là n'a pas soulevé d'objection, que la croissance économique, même si elle est durablement plus forte et plus régulière que depuis le début des années 1990, sera insuffisante pour faire reculer le chômage. C'est un premier point essentiel parce qu'il permet de circonscrire le débat par rapport à tous ceux qui misent tout sur la croissance.

A Matignon, ce 10 octobre 1997, l'histoire n'a pas bégayé pour une deuxième fois. Rien n'autorise le patronat et d'autres à reprendre les arguments éculés selon lesquels la réduction du temps de travail va se révéler catastrophique pour les entreprises, la compétitivité et donc pour l'emploi. Les 1 000 accords signés dans le cadre de la loi Robien - en l'espace de dix mois - sont là pour démontrer le contraire. Quels sont les ingrédients du succès ?

La volonté des chefs d'entreprise, des syndicalistes et des salariés de réussir un deal gagnant à la fois pour le développement et la compétitivité des entreprises, l'intérêt des salariés de disposer de plus de temps, et le développement de l'emploi. Cela suppose de négocier avec la volonté de trouver un accord au plus prés des réalités, parce que ce n'est qu'à ce niveau-là que peuvent être trouvées les bonnes solutions pour l'organisation du travail et les formules qui conviennent aussi bien aux besoins des entreprises qu'aux attentes des salariés.

Tout cela est à vrai dire assez banal, et nous le savions depuis longtemps ; mais pour que cela fonctionne, il faut un investissement initial que ni l'entreprise ni les salariés ne peuvent engager, mais que la collectivité, qui, elle, supporte le coût du chômage, a tout intérêt à faire. C'est ce que la loi Robien a initié. Le retour attendu ne sera pas que comptable, mais il s'inscrira aussi dans un climat plus confiant et donc plus favorable à la croissance même.

Ce que demandait la CFDT avec l'exigence d'une articulation entre une loi-cadre et des négociations, c'est l'impulsion et la généralisation de ce type de processus. C'est ce que les mesures annoncées permettront. Si un horizon est fixé, ce n'est qu'en l'an 2000 que la loi arrêtera la durée légale actuellement hebdomadaire et tout ce qui ira avec, sur la base d'une évaluation de ce qui se sera effectivement passé d'ici là. C'est donc à tort et à contresens qu'est agité l'épouvantail d'une loi guillotine. L'important, pour tout le monde, c'est ce qui va se passer d'ici à l'an 2000. C'est l'amplification des négociations, c'est le nombre et la qualité des accords. Les enjeux n'en sont rien d'autre que la modernisation négociée des entreprises, rendue compatible avec l'intérêt des salariés et des chômeurs.

L'exercice qui consiste à désigner gagnants et perdants dans la Conférence est non seulement futile, mais ne sert qu'à fournir un alibi aux très divers partisans de l'immobilisme. En cette année anniversaire de Cervantès, il y a beaucoup mieux à faire que de mener des assauts contre des moulins à vent.

La Nouvelle République du Centre-Ouest - 17 octobre 1997

NR : A l'issue de la conférence sur l'emploi, vendredi dernier, le dialogue social n'a-t-il pas perdu la guerre en France ?

Nicole Notat : Le dialogue social en a vu d’autres. Disons qu’il y a un nœud, qui s’apparente à une mauvaise crise, avec tout ce que cela suppose de tentations à se replier sur son avenir, en renouant peut-être avec un certain esprit de revanche, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants, ceux qui pensent juste et ceux qui pensent mal. Honnêtement, je ne crois pas que le patronat puisse durablement rester sur cette ligne. Sinon, ce serait sa disparition en tant qu’organisation et je n’imagine pas qu’il ait envie de se saborder.

NR : L’affichage d’une date-butoir pour les 35 heures valait-il de prendre le risque d'un tel clash avec Je CNPF ?

N.N. : La question n’est pas la date butoir. C’est sur la philosophie de l’utilisation de la réduction du temps de travail qu’il y a désaccord. On l’a déjà vu avec la loi Robien. Le patronat était droit debout contre son principe. Pour lui, travailler moins longtemps n’est qu’une simple contrepartie à des conditions de travail difficile et à des changements qui peuvent coûter chers salariés. Pour nous, ce n’est pas un avantage social supplémentaire avec effet nul sur l’emploi, mais bien un outil à articuler avec le changement de l’organisation du travail.
C’est le compromis du « gagnant-gagnant », où des changements dans l’organisation sont acceptés si les salariés y trouvent leur compte. Et à la condition qu’ils aient le sentiment que cette réduction soit profitable à l’emploi.

NR : Face à un patronat plus guerrier, quels accords escompter ?

N. N. : Je ne crois pas acquis l’idée que nous aurons en face de nous un patronat plus guerrier. Et je ne prends pas de pari sur le profil du nouveau président du CNPF qu’on nous présente comme devant être automatiquement un tueur. Le patronat est traversé d’idées et de conceptions différentes sur son rôle.
Mais, si l’acte posé par Jean Gandois est de nature à clarifier la doctrine patronale, alors il n’aura pas démissionné pour rien. Nous dialoguerons, de toute façon, avec le président qui sortira de l’élection du 16 décembre.

NR : La convergence syndicale qui est apparue au terme de la conférence peut-elle être durable ?

N.N. : Je ne suis pas sûre que les satisfactions affichées par les uns et par les autres portaient toutes sur des raisons identiques. Il y a des visions syndicales différentes sur la réduction du temps de travail et la façon de l’utiliser. Au moment de l’élaboration de la loi, et de sa discussion au Parlement, on va voir refleurir les nuances sur ce que chacun attend de la législation.

NR : N’est-il pas urgent que les syndicats constituent un front uni sur les 35 heures ?

N.N. : Le meilleur rapport de forces sera le nombre d'accords qu'on pourra mettre devant les parlementaires en l’an 2000, afin de prouver le bien-fondé d’une certaine conception de la réduction du temps de travail. Celle qui ne se fait pas au détriment de la compétitivité et du développement de l’entreprise, qui pratique le sur mesure en s’ouvrant à toutes les modalités, à la semaine, à l’année ou sur la vie active, et qui prend surtout en compte son effet principal sur l’emploi. Le verdict tombera le jour où l’on pourra dire combien elle a permis de créer d’emplois. A ce titre, l’année 1998 va être décisive. Il va nous falloir multiplier le nombre d’accords. Et c’est aux partenaires sociaux qu’incombe cette responsabilité.

NR : Avec ou sans maintient de salaire ?

N.N. : Sur cette question, on entretient actuellement un certain flou. Il faut tenir un langage de vérité. Mais, pour que la question salariale ne soit pas un obstacle dans la négociation, il faut qu’elle puisse être relativisée, grâce à l’investissement de la collectivité. C’est le cas avec l’outil incitatif proposé par l’État.
Démonstration a d’ailleurs été faite, avec le dispositif de Robien, qui se voit maintenu sous une autre forme, que la question salariale peut être traitée sans dramatisation. Mais on ne doit pas imposer aux salariés une solidarité pour l’emploi. Ce sont eux qui doivent la décider, sinon ils la rejetteront. Une modération salariale, pendant deux ou trois ans, c’est déjà un effort. Tout cela doit être discuté, et variera beaucoup selon les secteurs et le revenu des salariés. Le fait que le pouvoir d’achat augmentera de 1,10 % au 1er janvier, grâce à la réforme de la CSG, peut jouer comme un élément de facilitation à la négociation, en créant un environnement porteur.

NR : Quelle stratégie développer pour pousser les entreprises à négocier sur les 35 heures ?

N. N. : La plus erreur du syndicalisme serait de miser sur la bonne volonté du patronale. Nous sommes bien toujours dans les logiques qui, sans s’affronter toujours, ne sont pas spontanément convergentes. Il s’agit donc d’accroître la pression pour mettre le patronat en situation de comprendre qu’il y a matière à une négociation gagnant-gagnant. Si au niveau des branches professionnelles, on risque un temps de silence radio, il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. Car les entreprises ont besoin d’un cadrage. Mais je ne crois pas durablement possible un boycott du patronat au niveau des branches.

NR : L’État n’a-t-il pas un devoir d’exemplarité en tant que patron ?

N. N. : L’État n’a pas toujours considéré qu’il devait s’appliquer à lui-même les principes de droit qu’il attendait du secteur privé. Mais il n’y a pas de raison qu’il ne le fasse pas. Ce qui est important aujourd’hui c’est, moins une date butoir sur les 35 heurs dans la fonction publique, que le principe selon lequel l’État ne s’exonère pas des responsabilités et exigences qu’il exprime à l’égard du privé.

NR : La généralisation du dispositif de retraite Arpe pour les salariés de 56 ans ayant 40 ans de cotisations, est-il possible avec l’aide financière proposé par le Gouvernement ?

N. N. : C’est insuffisant pour débloquer les fonds nécessaires, 80 000 personnes ont déjà bénéficié de ce système de préretraite et notre volonté, qui est claire, est d’aboutir à sa généralisation en éliminant toute condition d’âge. Nous souhaitons un accord le plus tôt possible. Mais nous sommes dans une période qui ne permet pas de fixer des dates d’une manière précise. En tout cas, le moment venu, l’État devra faire un effort supplémentaire.