Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le directeur général,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chers collègues,
Je suis à la fois heureux et honoré de participer à cette 29e session de la Conférence générale.
Elle fait suite au Sommet mondial de l'alimentation de novembre 1996, qui a permis d'attirer l'attention internationale sur les perspectives d'ajustement difficile entre l'offre et la demande alimentaire au début du XXIe siècle. Il a conclu sur la nécessité de protéger nos ressources naturelles et s'est achevé sur notre engagement à réduire de moitié, d'ici 2015, la population souffrant de la faim dans le monde. C'est un objectif trop modeste, mais qui reste malgré tout ambitieux. Car il ne s'agit pas là d'une simple déclaration d'intention, mais d'un engagement clair et solennel, un engagement qui prend date pour le siècle prochain, assorti d'un objectif chiffré.
Cela situe toute l'importance des débats qui vont se dérouler dans cette enceinte.
Nous savons tous ici que, si le problème de la faim n'épargne plus les pays industrialisés, il demeure principalement concentré dans les pays en développement.
Il ne s'agit plus, à ce stade, de fournir des sacs de blé ou des boîtes de lait en poudre pour répondre à telle ou telle situation ou pour faire la soudure avec la prochaine récolte. Ce qui est en jeu, c'est la mise en place des conditions durables de la sécurité alimentaire des populations de nos pays.
En tant que représentant d'un État signataire de la déclaration de Rome, en tant que ministre de l'agriculture et de la pêche d'un État de l'Union européenne, où s'ouvrent les débats sur l'avenir de l'agriculture européenne et sur ses relations avec une majorité d'État du Sud, je souhaiterais vous faire part d'une triple conviction :
- conviction que la politique agricole commune doit s'inscrire dans la perspective du XXIe siècle, afin qu'elle continue de jouer pleinement son rôle pour de la sécurité alimentaire mondiale ;
- conviction de la nécessité d'une approche associant les pays en développement et les pays européens, dans le cadre d'un partenariat rénové, qui ne s'en tiennent pas à l'acceptation passive du simple jeu des forces du marché ;
- conviction du rôle premier que doit jouer l’O.A.A., notre Organisation, dans l'établissement des conditions durables de la sécurité alimentaire mondiale.
Oui, les Européens doivent préparer leur agriculture à entrer dans le 3e millénaire, sans mésestimer les enjeux de la sécurité alimentaire mondiale. L'Union européenne devra adapter sa politique agricole, sans oublier ses obligations envers les pays en développement. Pour ma part, je considère que ce grand projet européen doit viser :
- une agriculture performante, qui réponde aux besoins non seulement de l'Europe, mais aussi d'un marché mondial pour lequel les perspectives d'ajustement entre offre et demande apparaissent de plus en plus tendues ;
- une agriculture soucieuse de la qualité des produits et qui réponde à l'attente des consommateurs : je souligne, à ce titre, le rôle essentiel de notre Organisation dans ses fonctions normatives ;
- une agriculture qui contribue à l'aménagement du territoire et à l'emploi ;
- une agriculture économe des ressources naturelles et dont le développement respecte notre environnement ;
- une agriculture, enfin, qui ne soit pas repliée sur elle-même et qui participe à la solidarité internationale. Je souhaite vivement, en effet, que l'agriculture et le secteur agroalimentaire européens soient parties prenantes d'un partenariat rénové avec les pays en développement.
L'objectif de ce « nouveau partenariat » doit être la mise en place de programmes pluriannuels de développement, de formation et de recherche, ainsi que de coopération commerciale. À cet égard, l'Union européenne et les pays ACP ont, depuis longue date, jeté les bases d'une relation privilégiée et solidaire, qu'il convient aujourd'hui d’adapter.
En effet, les principes qui régissent nos relations commerciales dans le cadre de l’OMC, ne sont pas susceptibles, à eux seuls, d’assurer la sécurité alimentaire de la planète. Lors de l’Uruguay Round, la France, soutenue par ses partenaires européens, a promu le principe d’une « exception alimentaire », réaffirmée lors de la conférence ministérielle de Singapour en décembre dernier. La sécurité alimentaire ne dispose cependant toujours pas, dans les faits, d'un traitement spécifique qui puisse la soustraire aux aléas de la mondialisation.
Il est urgent de faire prévaloir une vision moins mercantiliste des échanges agroalimentaires mondiaux. À cet égard, je me réjouis des discussions en cours sur la mise en place d'un code de conduite internationale sur l'aide alimentaire, dont l'objectif est l'amélioration de son efficacité pour les pays du Sud. Je fais le vœu que l'ensemble des donateurs s’engage rapidement dans cette voie, en privilégiant l'intérêt à long terme des pays bénéficiaires de l'aide sur leurs intérêts commerciaux à court terme.
Ne craignons pas de faire montre d'imagination et d'audace pour proposer de nouveaux concepts, basés sur l'intérêt à long terme des pays en développement et l'intérêt conjoint, bien compris, des pays industrialisés :
- en rendant applicable la déclaration ministérielle des accords de Marrakech en faveur des pays les moins avancés et des pays en développement importateurs nets de denrées alimentaires ;
- en rééquilibrant les termes des échanges Nord-Sud, facteur premier de la pauvreté de nombreux pays en développement ;
- en favorisant l'émergence d'entités régionales susceptibles de devenir, demain, de véritables marchés communs capables de protéger des agriculteurs du Sud aux « désavantages comparatifs » trop évidents.
Pays du Sud et du Nord, de l'Est et de l'Ouest, doivent tirer parti de leurs complémentarités, pour créer les conditions nécessaires à un véritable décollage économique. Il y va de leurs intérêts réciproques. La sécurité alimentaire mondiale est manifestement au cœur de cette approche.
Nous pouvons utilement dans ce contexte faciliter et accompagner tous les partenariats et donner toutes ses chances aussi à la coopération Sud-Sud qui se développe à grands pas et à laquelle le directeur général de l’O.A.A. apporte et souhaite apporter encore un soutien efficace, ce dont je me réjouis.
Notre Organisation doit s'engager, aujourd'hui, plus fortement encore dans sa réflexion. Elle doit s'affirmer, par ses capacités techniques, par son rôle de forum international, face à d'autres instances, dans lesquelles les déclarations des pays les plus nantis couvrent parfois la voix des plus démunis.
Je souhaiterais rappeler combien sont importantes ses missions de conseil en politiques agricoles et alimentaires, de vulgarisation des progrès techniques et de formation, ainsi que de mobilisation des systèmes de recherche, particulièrement dans le cadre de la mise en œuvre du plan d'action du Sommet mondial de l’alimentation.
Alors que nous sommes entrés dans la civilisation de l'information, que la multiplication des situations de crise nécessite de plus en plus d'interventions d’urgences, je voudrais réaffirmer tout l'intérêt des activités de l’O.A.A. dans la collecte, le traitement et la diffusion des données, notamment celle du SMIAR (système mondial d'information et d'alerte rapide).
Ces informations sont sur le point de départ d'un programme de terrain, cohérent avec le mandat de l’O.A.A. et susceptible de valoriser les compétences de l'Organisation au plus grand bénéfice des pays du Sud et de leur sécurité alimentaire. À cet égard, je rappelle l'appui de la France à la mise en œuvre du programme spécial de sécurité alimentaire.
Les activités normatives, enfin, je les ai déjà rapidement évoquées. Montrons-nous à la fois vigilants et responsables pour l'adoption de textes internationaux consensuels, et veillons particulièrement à ce que les normes alimentaires du Codex alimentairius ne nous entraînent pas vers des modèles de consommation uniformes, où nous perdrions collectivement la diversité de nos cultures, qui est aussi notre richesse. Permettez-moi aussi, à ce sujet, d'insister sur la nécessité de prendre en due considération les attentes des consommateurs dans l'établissement des normes de qualité des produits.
Chers collègues, nous devons renouveler notre confiance dans cette Organisation et lui donner les moyens d'agir. La discussion que nous aurons sur le projet de programme et de budget est, à ce titre, essentielle. Naturellement, les positions divergent ; montrons-nous collectivement responsables dans la recherche d'un compromis viable.
Les organismes internationaux ne peuvent échapper aux contraintes budgétaires auxquelles sont soumis leurs membres. L’O.A.A. doit poursuivre les efforts d'économie entrepris. La contrainte budgétaire doit également constituer une opportunité de recentrage sur les tâches que nous considérons prioritaires.
Cependant, n'exigeons pas de notre Organisation des efforts démesurés, que nous-mêmes ne pourrions accepter. N’entravons pas, par une rigueur excessive, le bon accomplissement de ses responsabilités internationales, alors même que nous souhaitons leur donner davantage d’écho.
Rendons hommage ici au travail considérable des personnels de l'Organisation sous l'impulsion du directeur général M. Jacques Diouf.
Enfin, commençons par appliquer la rigueur au règlement rapide des arriérés de contribution qui pénalisent toujours lourdement le fonctionnement de cette institution.
À l'aube du XXIe siècle, un an à peine après le Sommet mondial de l'alimentation, rappelons-nous que les engagements que nous avons pris en faveur de la sécurité alimentaire ne sont pas une simple déclaration d'intention ; confirmons notre confiance dans l’O.A.A. pour appuyer la conduite du plan d'action adopté. 2015, ce sera la 38e conférence, c'est presque déjà demain.
Je forme le vœu que nous ayons alors, non pas atteint, mais dépassé notre objectif de réduction de moitié de la population souffrant de la faim. Nous seuls pouvons l'exaucer !