Texte intégral
V. Parizot
Malgré les vacances que vous savourez encore, quel regard portez-vous sur la bataille BNP/Société Générale/Paribas ?
M. Blondel
- « Je suis non pas surpris du résultat – c’est secondaire – mais surtout quelque peu étonné du mode de transformation qui est en train de se faire. En fait, on peut dire tout ce que l’on veut – avoir une grande banque de type européenne, etc. – c’est quand même de la concentration capitalistique. Ça veut dire que ça va avoir des effets sur les emplois. veut dire qu’il va y avoir des réseaux concurrents qui vont en quelque sorte se ramifier et il y aura des départs. Alors ma grande interrogation – celle que je vais faire entendre d’ailleurs à M. D. Strauss-Kahn puisqu’il va intervenir maintenant – c’est : « Et le personnel dans tout ça ? »
V. Parizot
Ça veut dire que vous êtes – d’ailleurs comme la CFDT l’a fait savoir ce week-end – favorable à ce que les trois protagonistes se retrouvent, discutent d’un nouveau projet avec cette fois le souci du maintien de l’emploi ?
M. Blondel
- « Je ne veux pas m’immiscer dans le choix entre deux, trois, etc. Je ne suis pas l’opérateur politique dans cette affaire. Mais je suis étonné que tout ce débat ait eu lieu sans qu’on ait, un seul instant, le souci de l’emploi. Il faut remettre l’emploi, je ne dirais pas au centre, parce que dans un secteur d’activité comme celui-là, nous savions depuis X-années qu’il y avait des risques de pertes d’emplois – je rappelle le rapport Dautresme qui disait : « 45 000 emplois en moins. » Mais il est bien certain que, cette préoccupation existant, il faut absolument la mettre je dirais au centre du débat et elle ne doit peut-être pas conditionner les restructurations mais avoir une force telle qu’elle doit être prise en considération en permanence. »
V. Parizot
Vous allez le dire directement à D. Strauss-Kahn ?
M. Blondel
- « C’est le meilleur moyen. En plus, c’est lui, maintenant, qui a le dossier en main. C’est le meilleur moyen de se faire entendre, y compris la nécessité de la part de l’État de s’imposer et de dire « Ça doit se passer comme ça. »
V. Parizot
Ça bouge dans les banques, ça bouge ailleurs, par exemple dans l’aluminium, on l’a vu avec Péchiney. Si l’OPE·lancée avec un Canadien et un Suisse aboutit, c’est un fleuron·de l’industrie française qui va disparaître.
M. Blondel
- « Ça commence à poser de grands problèmes. Moi, je regarde toujours du côté de l’Aérospatiale. Vous savez, nous avons quelques secteurs d’activités industrielles où nous sommes disons en tête ou pas loin de la tête, où nous existons encore. Je comprends parfaitement – et tout le monde le constate même si c’est avec à regret – que la France ne peut plus seule être·sur des créneaux très importants qui demandent beaucoup d’investissement. Ceci étant, il faut garder quelques créneaux. Et je sais, par exemple, que sur l’Aérospatiale, les Américains sont très attentifs et prendraient un malin plaisir à nous bouffer. Ça, c’est évident ! Eh bien, c’est la même chose pour l’aluminium. Je ne suis pas sûr que les effets indirects de la mondialisation ne sont pas en train d’affaiblir considérablement le potentiel pour que la France puisse faire entendre sa voix dans le concert international. »
V. Parizot
Vous pensez qu’aujourd’hui l’État peut-être interventionniste en la matière ?
M. Blondel
- « Par la force des choses. Ce n’est peut-être pas de la même façon dans l’aluminium et dans l’Aérospatiale, mais il peut être interventionniste, bien entendu. L’État n’est quand même pas, à l’heure actuelle, complètement écarté des débats économiques et industriels. »
V. Parizot
Qu’est-ce qu’il peut faire ? Quels peuvent être ses moyens de pression sur ces sociétés, ces entreprises privées ?
M. Blondel
- « C’est très compliqué. Non seulement la participation étatique existe qu’on le veuille ou non, mais de surcroît, il y a toujours des possibilités d’échange. Ça fait un peu partie des secrets industriels, mais ça existe. Il y a toujours possibilité pour le ministre des Finances de faire savoir quel serait son désir. Maintenant, qu’il soit écouté, c’est autre chose. Mais il y a toujours possibilité de le faire. »
V. Parizot
On va jouer un peu les petits télégraphistes avec le ministre des finances, D. Strauss-Kahn, parce qu’il y a autre chose que vous souhaitez lui dire. C’est : « Relancez la consommation, s’il vous plaît ! », c’est cela ?
M. Blondel
- « Oui, oui. C’est un homme heureux. D. Strauss-Kahn est un homme heureux dans la limite où, si on fait le bilan du premier semestre des rentrées fiscales, il y a eu de très bonnes rentrées fiscales. Et c’est très symptomatique d’analyser les rentrées fiscales. C’est l’impôt sur les sociétés qui marche bien. Ce qui freine un petit peu, c’est la TVA. Donc, c’est clair que c’est la consommation qui baisse. Moi, je dis : « Il ne faut pas tarder, même si nous sommes en période où l’inflation est modeste, il ne faut pas tarder à faire le nécessaire pour que le maintien du pouvoir d’achat soit assuré et qu’on nous donne même un peu au-delà. » Je ne réclame pas des mille et des cents mais je crois qu’on ne peut pas négliger parce que c’est un élément de la croissance. Et puis, je vais tout vous dire : je crois que les dispositions qui vont être prises, notamment en ce qui concerne la deuxième loi sur les 35 heures, vont conduire à un blocage des négociations – notamment les dispositions prévues pour le Smic avec les augmentations successives, etc. Je crains qu’il n’y ait plus de marge de manœuvre qui permette aux syndicats de faire entendre l’expression des intérêts de ceux que nous représentons. Je ne parle pas des 35 heures, je parle des conséquences des 35 heures notamment sur les salaires. »
V. Parizot
Ça veut dire que vous demandez des augmentations salariales pour la rentrée ?
M. Blondel
- « Je demande qu’on négocie des augmentations salariales. Je ne demande pas des augmentations salariales. Je dis qu’il faut se mettre dans la tête qu’on doit négocier des augmentations salariales. C’est aussi clair que ça. »
V. Parizot
Et une éventuelle baisse de la TVA ?
M. Blondel
- « Bien sûr, parce qu’il faut toujours soutenir au maximum la consommation. »
V. Parizot
Les 35 heures et la deuxième loi et la période de transition d’un an : on sait que vous n’avez pas vraiment apprécié que M Aubry l’annonce par voie de presse. Bon, aujourd’hui, c’est peut-être un petit peu digéré. Vous pensez toujours que c’est un cadeau aux patrons. »
M. Blondel
- « Oui, je pense que c’est un moyen de faire avaler aux patrons les 35 heures. Il faut dire que ceux-ci résistent aux 35heures d’une manière, je dirais, forcenée. Ils en ont fait leur drapeau, le point de fixation, etc. Je voudrais au passage rappeler que, quand ils se plaignent qu’on aurait dû régler l’affaire par négociation, en février 95, nous avions réclamé, nous, la réduction de la durée du travail et on m’a dit qu’il n’y avait pas de mandat pour faire ce genre de choses. Donc, ils ont eu la loi et puis c’est tout ! Ceci étant, maintenant, à mon avis, plus vite nous l’appliquerons et plus ce sera clair et plus il y aura peut-être quelques effets sur l’emploi. Vous savez que c’est le point sur lequel nous sommes les plus sceptiques. On ne sait pas si les effets réels sur l’emploi seront aussi importants y compris que ceux – ça me vaut une petite querelle avec Mme Aubry – qu’elle annonce actuellement, parce que c’est difficile de faire une différence entre les emplois créés et les emplois sauvegardés. On ne sait pas très bien la marge de manœuvre. »
V. Parizot
Enfin globalement, il y a quand même eu près de 5 % de baisse du chômage en un an ?
M. Blondel
- « Oui, mais ça aussi ça mérite quelques réflexions et quelques analyses un petit peu plus affinées. »
V. Parizot
M. Aubry a tendance à dire que c’est, en partie, l’effet des 35 heures.
M. Blondel
- « Oui, « M. Aubry dit » Mais permettez-moi de faire remarquer aussi que nous sommes repartis sur une croissance soutenue. Vous savez, c’est une bagarre entre deux écoles : entre ceux qui veulent répartir le partage du travail et puis ceux qui pensent que c’est la croissance qui crée des emplois durables. Je suis plutôt de cette deuxième formule. »
V. Parizot
La rentrée sociale, vous la voyez comment ? C’est difficile de faire des prévisions, j’imagine, mais...
M. Blondel
- « Oui, je n’aime pas beaucoup et puis ça ne sert à rien. Et puis après, on sort la petite phrase « qui, que, quoi », etc. Mon rôle n’est pas d’essayer de définir l’avenir. Mon rôle est d’essayer de comprendre ce qui se passe. Pratiquement, je suis à peu près certain que nous aurons des problèmes sérieux dans le domaine de l’hospitalisation compte tenu des orientations qui ont été prises, voire annoncées ou semi-annoncées pendant les vacances et puis compte tenu des décisions prises en matière de Sécurité sociale. Et à mon avis, nous aurons vraisemblablement d’ici la fin de l’année une reprise des difficultés concernant notamment la retraite parce qu’en ce qui concerne la retraite et la sécurité sociale, c’est des choses sur lesquelles on ne peut pas abandonner le terrain sans qu’il y ait de grandes conséquences. »
V. Parizot
Est-ce que vous ne vous sentez pas de plus en plus isolé sur la scène syndicale aujourd’hui ?
M. Blondel
- « Qu’est-ce que vous voulez dire ? Qu’est-ce que ça veut dire « isolé sur la scène syndicale » ? Moi, je connais un Blondel isolé, c’est quand il est au 5e étage de son bureau et qu’il est tout seul. Mais quand il lit le journal ou quand il vous écoute, il entend que ses camarades de la banque sont en grève et se battent avec les autres, que les camarades, etc., etc. Ça veut dire que les organisations syndicales qui appartiennent à FO sont bien dans l’action syndicale avec les autres. Parfois même, elles prennent l’initiative. »
V. Parizot
Alors parlons de leur leader, parlons de N. Notat, de M B. Thibault.
M. Blondel
- « Êtes-vous bien sûr que ça empêche B. Thibault et N. Notat de dormir, le fait que nous ne nous rencontrions pas toutes les semaines ? Ils s’en foutent complètement, il faut être clair. Si nous nous rencontrons pour nous dire quelque chose qui est susceptible de donner un résultat concret, c’est-à-dire d’ouvrir une voie pour les salariés et d’essayer d’obtenir satisfaction à une revendication, moi, je suis tout à fait d’accord. Si on se rencontre simplement pour le plaisir de dire : « Il y a eu une réunion unitaire, regardez !» et puis faire un constat : on n’est pas d’accord, ça ne sert à rien. Au contraire, ça désarme en quelque sorte les salariés. Derrière tout. ça, il y a une vision de caractère politique du mouvement syndical. Il y a ceux qui souhaiteraient que nous ayons un mouvement syndical à l’italienne, etc. Eh bien, moi, je n’en suis pas. Chacun sa conception. Moi, je veux rester sur un syndicat qui reste essentiellement un syndical. Bon, c’est tout. Je ne vais pas en faire un drame mais croyez bien que je ne me sens pas du tout isolé, mais pas du tout. »