Article de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, paru dans "Le Monde" du 8 juin 1999, sur l'alliance entre le PS, les radicaux de gauche et le Mouvement des citoyens, les 21 engagements pris par les partis socialistes et sociaux démocrates européens dans leur manifeste pour le XXIème siècle, l'alliance avec les citoyens européens, intitulé "Construisons notre Europe".

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Par François Hollande, tête de liste du Parti socialiste pour les élections européennes, Catherine Lalumière (PRG), Sami Naïr (MDC) sont respectivement 4e et 3e sur cette liste

 « Construisons notre Europe », tel est le titre de notre liste. Toute formule réduit. Celle-là exprime au contraire l’essentiel du contrat que nous proposons aux Français. Construisons : le pluriel n’a rien de majesté, il traduit une alliance. Une triple alliance.
D’abord, celle qui est entre les partis socialistes et sociaux-démocrates. Ils existent dans les quinze États de l’Union européenne. Ils ont travaillé ensemble pour s’accorder sur un manifeste, définir 21 engagements pour le XXIe siècle sur lesquels nous nous battrons dans le nouveau Parlement européen. La gauche gouverne en France et chez la plupart de nos partenaires. Mais les Gouvernements ont besoin de la pression des Parlements pour avoir le soutien nécessaire et pour aller plus vite, plus loin.
Ensuite, l’alliance entre le PS, les radicaux de gauche et le MDC. A la proportionnelle intégrale, il était tentant pour chacun de faire cavalier seul. La prolifération des listes le rappelle. Doit-on se réjouir que le supermarché électoral soit si bien garni, ou regretter que tel lobby ou telle secte utilise un scrutin sérieux pour une propagande peu civique ? Au moins une partie de la gauche plurielle est-elle parvenue à s’organiser, pour peser davantage demain à Bruxelles et Strasbourg, pour ne pas seulement protester, mais aussi œuvrer ensemble à la réorientation des choix européens.
Enfin, nous voulons construire une alliance avec les citoyens. La Communauté européenne est plus que quadragénaire, le Marché unique est en place, l’euro est acquis. D’une certaine façon, l’Union européenne est irréversible. Seuls les nationalistes font mine de l’ignorer. Mais la construction est inachevée. Avec les horreurs, hier en Bosnie, aujourd’hui au Kosovo, personne n’en doute. L’Europe est déjà une grande puissance économique, elle peut devenir une source de stabilité monétaire, mais elle souffre·d’une faiblesse politique et d’une impotence militaire. De même, l’Europe sociale, qui a progressé notamment dans les domaines de la sécurité, de la santé au travail et des comités d’entreprise européens, doit maintenant accomplir de grands progrès. Enfin, l’Europe démocratique existe, on ne rejoint l’Union que lorsque l’on a rompu avec la dictature, mais la citoyenneté européenne reste cependant à définir concrètement.
Nous avons une conception de l’Europe très différente de celle des droites, qui ont épuisé leur projet avec l’avènement du grand marché, et plus cohérente que celles de nos concurrents de gauche, car nous savons que nous devrons faire demain ce que, nous disons aujourd’hui. Nous ne sommes pas là pour pousser des slogans ou pour faire un tour avant de passer à autre chose, mais pour tracer une vision à long terme et présenter un programme de législature. Notre vision est claire, pour qui veut bien s’intéresser au contenu et ne pas s’arrêter seulement aux jeux franco-français : la priorité à l’emploi, la coordination des politiques économiques pour plus de croissance, la mise en œuvre de l’Europe sociale, l’obligation faite à l’Europe d’assurer par elle-même sa propre sécurité. Sur chacun de ces points nous avançons des propositions précises qui peuvent être réalisées au niveau communautaire d’ici à 2004.
Déjà, le Gouvernement Jospin s’est engagé dans cette voie, au plan national. Déjà, il a pesé pour infléchir l’Europe, en obtenant que l’euro soit ouvert à tous, et notamment aux pays du Sud, en imposant la création du conseil de l’euro, en exigeant le pacte pour l’emploi, en obtenant que l’harmonisation de la fiscalité soit inscrite sur l’agenda européen. Il le fera avec les députés socialistes européens en demandant, demain, des grands travaux, financés par un grand emprunt européen, en avançant vers la baisse commune de la TVA sur les activités à forte main-d’œuvre. Nous travaillerons pour un traité social instaurant progressivement un salaire minimum européen, pour la négociation de conventions collectives européennes, pour un combat plus vif contre toutes les formes de discrimination, pour renforcer la directive sur le travail des enfants.
La droite, au lieu de se polariser sur la Corse, alors qu’elle aurait tellement intérêt à faire oublier ses compromissions d’hier et d’aujourd’hui, ou sur les impôts, qu’elle nous demande de baisser quand c’est elle qui les a relevés, ferait mieux de ferrailler sur le débat européen lui-même. Jusqu’à présent, elle le fuit. Tous ceux qui suivent les travaux du Parlement européen savent que, sur les sujets concrets, le pseudo-centre et les vrais conservateurs s’opposent à la gauche. Car, pour les conservateurs, l’Europe est achevée. Il n’y a plus rien à retoucher ou à rajouter au grand marché, si ce n’est de l’élargir encore et de niveler les droits sociaux et les coûts salariaux.
Qui ne voit que le libéralisme économique engendre tout à la fois la précarité sociale, l’exclusion et l’affaiblissement du civisme ? Il met en cause le lien social et l’idéal européen lui-même, qui se réduit à la peau de chagrin des marchés. Nous proposons un autre avenir. C’est le sens de notre proposition d’une charte des droits civiques et sociaux qui affirmerait le socle commun de protections et des garanties qui s’attachent à tout résident de notre continent. Ce texte prendrait sa place dans la perspective d’une Constitution européenne fixant clairement la responsabilité de l’UE.
Dans une grande partie de l’Europe, des couches entières de la population ont été progressivement érigées en victimes expiatoires d’un capitalisme sans règles : les femmes, les jeunes, mais aussi les immigrés, qui on été, au mépris des plus élémentaires considérations morales, rendus responsables de nos doutes identitaires. On ne le répétera pourtant jamais assez : l’intégration de tous dans la société est le défi du prochain siècle. Les jeunes demandent de pouvoir accéder à la citoyenneté, d’avoir un futur, alors qu’ils ne distinguent plus le présent de l’urgent. Pour cela, il faut lutter contre la ségrégation territoriale, favoriser la mobilité sociale, notamment par l’appui dans le parcours éducatif, réprimer le racisme à l’embauche et au travail, promouvoir les expressions culturelles, affirmer clairement les exigences de la laïcité. L’UE doit donner sa véritable dimension à la formation, à la culture et au travail : à ce qui prépare la communauté de destin des générations futures.
Tel est le défi français, le défi européen. L’Europe des citoyens sera celle de la reconnaissance des droits et devoirs, de la dignité sociale par l’emploi. C’est la meilleure façon d’éviter que la production de richesses ne se développe sur un champ de violences sociales.
L’Europe citoyenne implique aussi l’Europe de la justice. Nous devons avancer vers des éléments de politique commune en matière d’immigration, de droit d’asile, d’accueil des réfugiés, d’aide au retour. Sans quoi, l’incohérence des politiques nationales dans une Union sans frontières nuira à ceux qui fuient la misère, comme à ceux qui veulent mieux vivre chez eux. L’Europe de la justice nous permettra aussi de lutter efficacement contre la grande criminalité transnationale. Les mafias et les trafics prolifèrent. Ils piétinent les États et le droit. Ils produisent de l’incivisme et de la violence. Nous ne les réduirons pas avec moins d’Europe, mais avec une Europe plus sûre d’elle-même et plus efficace.
Ne nous engluons pas dans des batailles théologiques autour de mots académiques. L’Europe est un être hybride et évolutif : fédéral déjà et respectueux des nations qui la constituent. Ce qui compte, c’est que l’Union puisse décider clairement des politiques qui relèvent de son seul niveau. Là, il nous faut substituer le vote à la majorité qualifiée au vote à l’unanimité. C’est notamment vrai pour le domaine social et fiscal. Ce qui compte, aussi, c’est que l’UE ne se substitue pas aux États, car l’Europe est parfois présente là où elle n’est pas nécessaire et absente là où elle est réclamée. Ce qui vaut pour l’Europe sociale, citoyenne, de la justice vaut pour l’Europe dite politique. Le drame du Kosovo devrait convaincre les plus rétifs. Il devrait d’abord mettre les élections européennes au centre de nos débats, au lieu de les en écarter d’une façon désinvolte. Les barbaries consécutives aux déchirements de la Yougoslavie prouvent que l’Union est suffisamment forte pour faire de la paix un acquis irréversible. Mais aussi qu’elle est trop faible pour empêcher la guerre à ses portes. Nous en déduisons l’impérieuse nécessité de construire une Europe ayant sa propre politique étrangère, sa propre défense, ses capacités propres de prévenir et de porter soutien rapidement aux populations civiles dans les crises.
Cette vision repose sur les principes fondamentaux de la gauche : la nécessité d’une action politique pour maîtriser les choix essentiels et d’abord ceux qui concernent l’économie et donc l’emploi, pour donner des règles sociales à un marché désormais unifié, pour protéger les plus fragiles, pour empêcher que les plus forts et les plus puissants n’en fassent qu’à leur tête, pour ne pas laisser le cours des choses se confondre avec le cours des bourses.
Depuis qu’ils existent, le socialisme français et ses frères ou cousins, « citoyens » ou radicaux agissent dans le même sens. L’heure est venue de porter cette conviction à l’échelle de l’Union européenne.
Telle est la raison d’être de notre campagne. Nous ne la faisons pas seuls, mais avec les quinze partis socialistes de l’UE, parce que c’est ensemble, si nous sommes majoritaires au Parlement de Strasbourg, que nous construirons notre Europe.
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