Texte intégral
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Question : Le cadre des Nations unies s’est avéré rapidement très étroit. Comment se fait-il… ?
Hubert Védrine : Non, le cadre des Nations unies n’est pas trop étroit. Tous les pays du monde sont présents aux Nations unies. Mais c’était peut-être un cadre trop large dans lequel la motivation n’était pas tout à fait la même.
Donc, il fallait bien commencer par quelque chose. Si on mettait ensemble, au début dans de vastes assemblées qui traitent de toutes sortes de sujets en même temps, des pays pour qui ce n’est pas du tout un problème parce qu’il n’y a aucune mine chez eux, des pays qui n’en fabriquent pas, d’autres qui en fabriquent, une infinie variété de situations politiques et sociales, des degrés tout à fait différents de mobilisation des opinions, ce n’était pas un bon cadre pour commencer.
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Question : Quelle est la position de la France ?
Hubert Védrine : Pour nous, c’était simple : c’est une grande cause, alors que les discussions sur le désarmement sont généralement abstraites. On ne sait pas vraiment sur quoi cela porte, c’est compliqué, il faut être très technicien. Là, cela évoque quelque chose tout de suite. On voit bien de quoi il s’agit et on peut aboutir. Donc il fallait avancer. Je dirais, à la limite, toutes procédures qui permettaient d’avancer étaient bonnes.
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Les pays qui ne veulent pas s’engager, ce n’est pas pour des raisons formelles, mais parce que le processus ne leur plaît pas ou que l’enceinte où cela se produit ne leur plaît pas ou qu’ils voudraient qu’on procède autrement. C’est sur le fond.
Les pays qui ne veulent pas s’engager, c’est parce que, pour des raisons qui tiennent à leur situation militaire ou à des considérations stratégiques, ils ne veulent pas renoncer, pour le moment, à l’utilisation de cette arme ou, en tout cas, au fait d’en posséder ou d’en garder en stock. Donc c’est un raisonnement de sécurité.
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Question : Comprenez-vous la réticence des militaires à s’exprimer sur ce sujet ? Comment se fait-il qu’on a l’impression que, militairement, il y a malgré tout tant de réserves ?
Hubert Védrine : Dans tous les États de droit et de démocratie, les militaires sont soumis à la hiérarchie du pouvoir politique. Donc, ce n’est pas à eux de prendre les décisions. Ils mettent en œuvre les orientations politiques, ils traduisent sur le terrain, ils organisent, ils sont prêts à répondre à des demandes de tel ou tel pouvoir en matière de défense nationale ou en matière de maintien de la paix aujourd’hui. Mais ce n’est pas eux qui vont prendre la décision de faire ou de ne pas faire.
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Question : Quels sont vos arguments vis-à-vis des pays qui ne s’apprêtent pas à signer le traité d’Ottawa ?
Hubert Védrine : Je n’ai pas de doute sur le fait que c’est un très remarquable traité qui préfigure une interdiction générale à laquelle nous parviendrons. Nous mettrons le temps qu’il faudra, mais je crois que nous y arriverons. Je crois que les uns après les autres, les grands pays qui n’ont pas voulu renoncer complètement à cette hypothèse, même si au fond ils ont la même répugnance que nous pour ce type d’arme et sur ses conséquences, y viendront. C’est cela le travail précis technique d’expertise en matière de désarmement.