Texte intégral
Le Nouvel Observateur - 2 octobre 1997
Le Nouvel Observateur : La droite républicaine n’a-t-elle pas commis une faute, à Mulhouse, en n’appelant pas à voter pour le candidat de gauche contre le FN ?
François Léotard : Quand on regarde les résultats du premier tour de l’élection de Mulhouse par rapport à 1974, on observe que la progression du FN vient d’un déplacement des électeurs de gauche, et non pas de droite. Ce n’est pas en rejetant systématiquement la faute sur la droite que la gauche pourra faire face à ses responsabilités. La gauche ne peut pas faire la politique dans laquelle elle s’est engagée, immigration, emplois Aubry, fiscalité, et, en même temps, nous demander de l’appuyer quand elle est en difficulté.
Le Nouvel Observateur : Contrairement aux autres leaders de droite, vous estimez cependant qu’il faut « diaboliser » le FN ?
François Léotard : Il faut en tout cas l’affronter. Les autres tactiques ont échoué. Pour moi, il n’y a rien de commun entre Le Pen et nous. Je conteste le terme d’extrême droite, parce que cela fait apparaître le FN comme un prolongement de la droite. Le FN est un en soi, comme disent les philosophes, un système autonome, un intégrisme.
Le Nouvel Observateur : Votre adversaire principal aux élections régionales en Provence-Côte d’Azur sera le FN ?
François Léotard : Non, j’aurai à me battre aussi contre le PS. Simplement, il faudra, le soir de l’élection, dire qui on veut comme président de région. De toute façon, la droite libérale ne fera pas élire Le Pen. J’espère que la gauche adoptera la même attitude.
Le Nouvel Observateur : Vous aviez déjà un accord avec le PS ?
François Léotard : Non. Mais le bloc républicain qui aura la majorité relative devra pouvoir faire élire son président. Cette règle est appliquée en Provence-Côte d’Azur depuis 1992. Je considère de mon devoir d’empêcher Le Pen d’être président de la région.
Le Nouvel Observateur : Il y a quelques mois, vous avez pourtant renvoyé dos à dos le Front national et le Front populaire. À l’époque, vous aviez choqué.
François Léotard : J’ai fait une erreur de formulation. Bien évidemment, le PS est un parti démocratique. Mais le PCF ne l’est pas.
Le Nouvel Observateur : Avez-vous fumé du hasch ?
François Léotard : Non, très franchement non. Si c’était le cas, je le dirais sans honte.
Le Nouvel Observateur : Faut-il dépénaliser la consommation de hasch, comme le souhaite Dominique Voynet ?
François Léotard : Il y a, dans ce débat, un aspect médical que je ne maîtrise pas, et la question me semble plus médicale que morale : quand une pratique est dangereuse, il faut le dire. Mais l’expérience montre que la répression ne suffit pas. Les États-Unis ont une expérience fâcheuse de la prohibition…
Le Nouvel Observateur : Vous seriez favorable à une commission d’experts sur la question du hasch ?
François Léotard : Oui. Le débat n’est pas illégitime. Sur les questions de société qui se sont posées récemment, comme les arrêtés des maires sur la mendicité, mon présupposé est un présupposé de liberté. Notre société aspire à une plus grande liberté des comportements individuels. Je suis farouchement libéral.
Le Nouvel Observateur : Plutôt la responsabilisation que la pénalisation…
François Léotard : La jeunesse d’aujourd’hui est très peu sensible à la coercition. Essayons sur ce sujet comme sur les autres, de jouer la pédagogie, de jouer le respect aussi des jeunes, sans les flatter, de jouer sur l’information, plutôt que de jouer sur la peur.
Le Nouvel Observateur : Vous vous êtes récemment prononcé pour une « France fédérale ». Qu’est-ce à dire ?
François Léotard : J’ai délibérément employé une formule provocatrice. Il faut bien voir que ce qu’ont fait les Britanniques cet été, vis-à-vis de l’Écosse et du Pays de Galles, donne aux régions françaises le visage de territoires occupés. Il faut ébranler l’édifice totalement vermoulu de l’État jacobin. Autour de nous, tous les pays, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne maintenant, sont tous peu ou prou fédéraux. Est-ce que les Corses se mettent en dehors de la communauté nationale parce qu’ils aspirent à parler leur langue ?
Le Nouvel Observateur : Il y a quelques années, les socialistes avaient essayé de faire admettre l’idée d’un peuple corse. Vous étiez contre.
François Léotard : Je fais amende honorable. Je m’y suis opposé et j’ai eu tort. À l’époque, c’est le mot peuple qui m’avait choqué. Mais je comprends parfaitement la revendication identitaire. Il faut l’intégrer dans une vision européenne. Valéry Larbaud disait : « Il y a un pays Europe. »
Le Nouvel Observateur : Vous êtes un adversaire de ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception française ».
François Léotard : Je ne suis pas pour la banalisation française, mais je suis pour le retour au droit commun sur des principes de bon sens. La vraie exception française doit se manifester, comme au Québec, sur le terrain culturel. Nous avons autre chose à dire, un autre message à faire passer. Mais dans le domaine de l’économie, dans le domaine de l’emploi, la France ne peut pas ignorer ce que font les autres.
Le Nouvel Observateur : Pourquoi disputer à Jacques Chirac le titre de chef de l’opposition ?
François Léotard : En tant que président de l’UDF, je ne suis pas dans la même situation que le président du RPR qui succède en quelque sorte à Jacques Chirac. Personnellement, je compte défendre avec ténacité l’autonomie de l’UDF. L’UDF ne se laissera pas dicter sa conduite de l’extérieur, quel que soit cet extérieur.
La Croix - 22 octobre 1997
Il faut savoir demander pardon pour les crimes d’hier, mais aussi rejeter avec force les discours de haine que l’on entend à nouveau
Peut-on vivre avec le simple doute de n’avoir pas entendu le cri des enfants, le fracas des portes enfoncées, le hurlement des ordres, le roulement des trains dans le silence du plus chrétien des continents ?
L’Église de France a demandé pardon. Elle sait mieux que chacun d’entre nous ce que signifie ce geste car c’est le pardon qui rassemble à la fois ceux qui le demandent et ceux qui l’accordent.
Tout acte d’humilité est un acte de courage lorsqu’il est posé au terme de l’oubli, ou de l’indifférence, lorsqu’il rompt – un tant soit peu – le silence.
Ceux qui avaient précédé cet acte, les prêtres fusillés, les chrétiens déportés, ceux qui s’étaient engagés aux côtés de leurs frères juifs, les évêques qui ne confondaient pas la France avec son histoire la plus opaque, tous ceux qui entendaient le mot juif comme un appel à une communauté de culture et de foi, tous ceux-là vivent – même à travers le silence de leur mort – une réconciliation tellement tardive qu’elle apparaît comme atténuée, cachée par la douleur.
Mais ceux d’aujourd’hui, croyants ou non, qui se réveillent au son des nouveaux imprécateurs, aux bruits insultants d’une Histoire recomposée, ceux-là se réjouissent de voir l’Église de France donner à son humilité la force d’un jugement.
Mais peut-on aller plus loin ? Non pas vers le passé qui peu à peu se découvre à nous, mais vers l’avenir qui, malheureusement, se dérobe et cache autant de haine et de mépris de l’homme qu’il nous apporte d’espérance et de fraternité ?
Si l’on veut éviter que ne reviennent vers nous les temps d’orage, si l’on ne s’arme pas contre eux de tout ce que l’on nous a enseigné sur la dignité singulière de la personne, alors il faut parler aussi pour aujourd’hui.
Toutes les analyses montrent que la résistance aux dérives de l’extrémisme et de l’intolérance est d’autant plus forte qu’elle s’exprime à travers une conception ouverte et vivante du message biblique, une présence attentive des Églises, un respect du plus pauvre et une attitude de fermeté sur l’essentiel des valeurs que ce pays a reçu du christianisme.
Alors il faut parler aussi pour aujourd’hui. Dans le désordre des consciences, dans le désarroi des jugements, dans l’emportement des colères que les injustices font naître, il faut une parole qui ne soit pas simplement de regret, mais qui rejette avec force ce qui est dit aujourd’hui du haut de certaines estrades où de nouveau le juif, l’autre, l’étranger sont présentés comme inquiétants avant même d’être inquiétés.
Alors il faut parler aussi pour aujourd’hui afin que notre pays, découvrant le sort que certains des siens ont jadis réservé à son honneur, refuse de laisser le silence, comme par inadvertance, recouvrir de nouveau l’insupportable.
C’est pour l’essentiel une force spirituelle qui a, voici peu de temps, ébranlé cet autre empire de la nuit qu’était le communisme. Ce n’est principalement ni à la puissance du marché ni à l’influence des médias que l’on doit cet affaissement d’un pouvoir totalitaire. L’histoire jugera que l’on ne sort du mépris qu’avec le concours d’une idée qui soit plus forte encore que lui.
Cette idée, c’est celle de la conscience de notre dignité d’homme, c’est-à-dire de la dignité de tout homme.
Il y a une vertu libératoire dans cette affirmation qui dépasse le règne conjugué – fin de l’Histoire et suprême pensée – de la science et du marché ; qui dépasse encore et surtout l’affirmation de l’inégalité des races, la peur de l’autre, la culture de l’insulte, le fantasme du complot…
Alors il faut parler aussi pour aujourd’hui. Si cet aujourd’hui ne ressemble à rien de connu, il emprunte parfois les images et les mots du passé, les impuissances et les silences aussi. Le Vel d’Hiv, les enfants d’Yzieu, les baraques de Drancy ne sont pas les produits, comme on essaie de nous le dire, d’une sorte de guerre civile qu’il faudrait préserver de tout jugement. C’est notre Histoire, encombrante et brutale.
On ne passe pas impunément à côté du monde qu’elle nous a laissé.
Alors il faut parler aussi pour aujourd’hui.