Interview de M. Pierre Mauroy, sénateur PS, à Europe 1 le 26 octobre 1992, sur les élections présidentielles aux États-Unis et le PS.

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Média : Europe 1

Texte intégral

P. Lapousterle : B. Clinton peut-il l'emporter alors que Bush et Pérot sont en train de remonter ?

P. Mauroy : Je suis revenu des États-Unis persuadé que B. Clinton allait l'emporter. J'apprends que R. Pérot fait une poussée. Dans ces conditions, l'écart se resserre entre Bush et Clinton. Il est important de savoir qui sera Président des États-Unis demain. Mais, pour moi, ce n'est pas le plus important : j'ai été très impressionné par la volonté qu'ont les Américains de vouloir parler de politique intérieure, on ne veut parler que de la récession et des problèmes économiques. J'ai vu que ceux qui soutenaient G. Bush rasaient les murs. J'ai rencontré des Américains qui sont des républicains depuis toujours et qui m'ont dit : « on est foutus ». Voilà la tonalité de la campagne.

P. Lapousterle : L'Amérique va-t-elle traverser une nouvelle phase de protectionnisme ?

P. Mauroy : Le rêve américain, pour la première fois sans doute, recoupe le modèle européen. C'est l'échec de toute façon du libéralisme, une mise en cause par les Américains de leur société inégalitaire. Eux qui n'aiment qu'on les critique doutent de leur image parce qu'on n'a pas résolu leurs problèmes. Ils parlent de plus en plus du travail, de la main-d'œuvre, de la nécessité de créer une société où on prenne en compte davantage les travailleurs. Les Américains sont en train de découvrir que la société de l'économie de marché est tout à fait insuffisante, qu'il faut un État encore plus puissant qui puisse intervenir et qu'il est nécessaire de faire la part à tout ce qui est public.

P. Lapousterle : N'y a-t-il pas une crise du modèle européen ?

P. Mauroy : Il y a manifestement une crise de ce qui était le modèle américain. Les Américains rêvent à quelque chose qui ressemblait au modèle européen. Le libéralisme est en complète difficulté : c'est l'échec du libéralisme, c'est l'échec de Reagan, Bush, Thatcher et Major. Partout le libéralisme est en échec.

P. Lapousterle : Et dans quel état est la social-démocratie ?

P. Mauroy : Elle montre la voie dans laquelle il faut s'engager. Il est nécessaire de l'adapter et de lui donner du souffle. Je suis persuadé que le 21ème siècle lui appartient. Il est absolument indispensable avec l'économie de marché d'aller vers une société qui soit davantage sociale.

P. Lapousterle : Que manque-t-il actuellement au PS ?

P. Mauroy : L'expression : « il a fait son temps … », je la récuse complètement. Avec ce que j'ai vu aux États-Unis et dans le monde, c'est, au contraire, le modèle social-démocrate qui doit s'imposer. Qu'est-ce que cela veut dire de dire : « le PS a fait son temps » ?

P. Lapousterle : Souhaitez-vous sanctionner ceux qui critiquent le PS ?

P. Mauroy : Ceux qui, au gouvernement, font ces critiques, il est grand temps qu'ils se taisent ! S'ils continuent de s'exprimer comme ils le font, ce serait intolérable. Ils ne pourraient certainement pas rester au gouvernement. Il est nécessaire de mettre de l'ordre. Si le PS a été miné par ses courants, actuellement, les grands courants, Fabius, Jospin, Rocard ou moi-même, ont dit la même chose. Il y a une convergence, c'est très bien. Ce sont nos minorités infimes qui s'expriment bruyamment. Qu'ils aient beaucoup de place dans les médias, c'est la règle du jeu. En tout cas, on ne doit pas se tromper sur ce plan-là.

P. Lapousterle : Que manque-t-il au PS ?

P. Mauroy : Sa cohésion. Il faut que les socialistes se disent que les élections législatives seront dures. Mais au-delà des législatives, il y a les présidentielles. Si la social-démocratie manque de flamme, à eux de serrer les rangs, de se battre contre la droite pour avoir le meilleur score possible en mars et pour défendre leur bilan qui est un bon bilan.

P. Lapousterle : Le Premier ministre doit-il être le chef de la campagne ?

P. Mauroy : Il ne manquerait plus qu'on ait une difficulté pour savoir qui doit mener la campagne, du Premier ministre ou du premier secrétaire ? J'ai fait ce travail avec Jospin. Le Premier ministre nécessairement doit, plus que tout autre, travailler politiquement à rassembler la majorité la plus large. On comprend le rôle important du Premier secrétaire du PS qui doit faire en sorte que le PS soit rassemblé, que le PS ait des propositions et qu'il se batte contre la droite pour obtenir le meilleur score possible et remporter si possible les élections. On dit aux socialistes : « c'est la défaite ». Eh bien ! debout. Cette défaite, il faut la réduire. Il faut tout tenter pour réussir, en sachant qu'au-delà des législatives, il y a d'autres élections.