Interviews de M. Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, dans "Le Parisien" et à RTL le 23 août 1999, sur les rapports de force au sein de la majorité plurielle après le score des Verts aux élections européennes notamment la question de la participation au gouvernement et les relations avec le PCF, la préparation des prochaines échéances électorales, la situation humanitaire des sans-papiers et le démontage d'un Mc Donald's par les agriculteurs de l'Aveyron.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Parisien - RTL

Texte intégral

LE PARISIEN le 23 août 1999

Bruno Jeudy : Robert Hue dit que la majorité resterait majoritaire sans les Verts…  

Jean-Luc Bennahmias (secrétaire nationale des Verts). – Robert Hue se trompe. Tout le monde sait qu’en France un gouvernement qui ne réunirait que le PS et le PC ne correspondrait pas du tout à une majorité relative et encore moins à une majorité absolue. Bien sûr, le Premier ministre dispose sans les Verts d’une majorité à l’Assemblée nationale. Mais c’et de la pure arithmétique. Je ne crois pas qu’il ait envie de ce formidable retour en arrière.

Bruno Jeudy : Ce sont les Verts qui ont évoqué les premiers l’hypothèse de leur possible départ du gouvernement…

Jean-Luc Bennahmias :Aujourd’hui, seule une relance de la politique nucléaire nous ferait quitter la majorité plurielle. Nous le disons depuis que Dominique Voynet est entrée au gouvernement. Nous n’avons donc pas changé d’avis. Pour le reste, nous disons et répétons que la stratégie de la majorité plurielle est valable, et doit continuer. Mais il est normal que, après une série d’élections victorieuses (cantonales et régionales en 1998 ; européennes cette année), nous demandions à être reconnus à notre poids réel : entre 8 et 10 %. On ne demande pas plus… mais pas moins ! C’est pour cela qu’on considère que le compte n’y est pas au niveau gouvernemental.

Bruno Jeudy : Robert Hue ne dit-il pas tout haut ce que pense tout bas Lionel Jospin ?

Jean-Luc Bennahmias : Je ne sais pas. En tout cas, Lionel Jospin, comme ses alliés, a devant lui une échéance politique majeure : l’élection présidentielle. Et il sait qu’il ne la gagnera pas sans nous.

Bruno Jeudy : Pourtant, le Premier ministre ne paraît pas décidé à accepter une de vos revendications majeures : l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les législatives…

Jean-Luc Bennahmias : La proportionnelle est une revendication très forte. C’est même une des revendications majeures des Verts et du PC. Mais ce n’est pas un motif de sortie du gouvernement. Je sais bien que Lionel Jospin ne veut pas en entendre parler. Mais je crois que, dans les six mois qui viennent, on peut le faire changer d’avis. On va donc tout mettre en œuvre pour faire pression sur le chef du gouvernement et sur le PS.

RTL - le 23 août 1999

Richard Arzt : Qu’est-ce qui provoque le mécontentement actuel dans les rangs des Verts ? Est-ce que c’est parce que vous n’êtes pas l’objet dans la majorité plurielle, de toute la considération que vous estimez mériter ?

Jean-Luc Bennahmias : Un mécontentement : le mot est un peu fort. Qu’on ait un peu mal digéré la façon dont le Gouvernement a été restructuré fin juillet, c’est une certitude. Nous pensons depuis maintenant deux ans que les Vert pèsent dans la société française entre 8 et 10 %. Nous ne sommes pas représentés au niveau gouvernemental à ce niveau-là. Et puis le score des élections européennes, qui est un assez joli score – 9,7 % – nous permet de penser qu’on doit exister plus dans la vie politique française pour transformer la vie politique française.

Richard Arzt : R. Hue, ce week-end, a déclaré que la majorité resterait majoritaire si les Verts partaient. Il rappelle que les communistes ont 35 députés alors que les Verts n’en ont que six. Vous ne pouvez pas dire que c’est faux ?

Jean-Luc Bennahmias : Non, ça n’est pas faux. Mais ce qui existe aujourd’hui comme système électoral en France, fait qu’effectivement au système majoritaire les Verts n’ont que six députés – et encore avec une alliance forte que nous devons continuer avec le Parti socialiste. C’est pour cela que nous demandons une surface de proportionnelle aux prochaines élections législatives pour que les Verts soient vraiment représentés à l’Assemblée nationale à leur juste niveau. Vous savez on avait fait 4,5 % à l’époque, on a fait 7 % à 8 % aux cantonales et aux régionales de 1997, et 9,7 % aux européennes. Si on remet cela au niveau des élections législatives, ça donne, en gros, 50 députés. A ce niveau-là nous pèserions un peu plus.

Richard Arzt : Quand R. Hue dit que les Verts font de la gonflette sociale-libérale. Ce n’est pas une amabilité.

Jean-Luc Bennahmias : Non, c’est assez méchant pour la rentrée politique. Ce n’est pas vraiment agréable. “Sociale-libérale” je ne vois pas. C’est vrai que nous défendons au niveau social notamment, la hausse des minima sociaux ; c’est vrai que nous pensons qu’une société non-autoritaire est une bonne société.

Richard Arzt : Justement, au-delà de l’arithmétique parlementaire, comment définissez-vous ce que les Verts apportent à la majorité ?

Jean-Luc Bennahmias : Une idée précise de ce qui peut changer la vie quotidienne des Français : au niveau de la qualité de l’eau, de la qualité de l’air, de la qualité de la nourriture. Qu’on revienne à tous les sujets importants, qui sont des sujets financiers, économiques et environnementaux, qui coûtent des milliards de francs et qui sont des sujets de proximité. Voilà ce que nous apportons.

Richard Arzt : Dans les sujets de mécontentement récent apparus chez les Verts, il y a le nucléaire. Pensez-vous que le Gouvernement s’apprête à relancer le nucléaire ? Est-ce que la nouvelle génération de réacteurs peut être décidée rapidement ?

Jean-Luc Bennahmias : Rapidement je ne sais pas. Ce que nous voyons, nous, c’est qu’un certain nombre de pays européens – je pense à l’Allemagne en novembre dernier, à la Belgique en juin dernier – commencent à réagir maintenant et à sortir de l’énergie nucléaire dans les 15, 20 ou 25 ans. Et nous ne voyons pas le Gouvernement français, ni la France, sortir du nucléaire. Nous sommes un peu inquiets. Nous pensons que la France au niveau économique, financier, environnemental doit, elle aussi, sortir du nucléaire, et voir comment on diversifie l’ensemble des ressources énergétiques.

Richard Arzt : Vous pourriez craindre, de votre point de vue, que les choses se décident en douceur ?

Jean-Luc Bennahmias : C’est comme ça qu’en France le nucléaire s’est imposé dans les années 70. Et nous pensons, nous, qu’en ce moment, des choses peuvent se passer maintenant, effectivement.

Richard Arzt : Est-ce que vous pensez – comme certains le disent chez les Verts – que les Verts peuvent déposer des listes autonomes sans alliance avec le reste de la gauche, dans les villes où la liste Cohn-Bendit a obtenu plus de 15 % aux européennes ?

Jean-Luc Bennahmias : Les municipales c’est quand même encore dans deux ans. Donc c’est un peu lointain. Le débat est intéressant sur la façon de gérer et de transformer la société au niveau local. Et je pense qu’il est utile pour les Verts de disposer maintenant, en 2001, de plusieurs grandes mairies de plus de 20 000 habitants ; montrer comment nous pouvons, nous aussi, participer à la gestion collective de ce pays dans la transformation et au niveau local.

Richard Arzt : Et ça passe par des listes autonomes ou par un accord avec le reste de la majorité ?

Jean-Luc Bennahmias : Je pense que ça passe largement par un accord au premier tour avec les autres partenaires de la majorité plurielle. Mais nous sommes dans les municipales dans ce cadre-là, dans une projection. Les municipales c’est au niveau local, comme chacun le sait, et dans ce cas-là il y aura toutes les solutions, toutes les possibilités qui existeront. Dans les villes, certaines villes, il y aura des listes majorité plurielle, dans d’autres il y aura des listes autonomes-Verts. On peut aussi envisager des listes Vert-PC, PC-Verts, Verts-PS, PS-Verts. On peut tout envisager au niveau des municipales. Il n’y aura pas d’accord national à cent pour cent au niveau des élections municipales.

Richard Arzt : Après les municipales, un an après, il y a les législatives, en 2002. Et là, la pomme de discorde, vous l’avez dit tout à l’heure, c’est la proportionnelle, une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin. Etes-vous sûr que L. Jospin ne veut pas de cette réforme, et est-ce que c’est si grave que ça ?

Jean-Luc Bennahmias : Pour nous c’est grave, oui. C’est grave car c’est remettre en cause des engagements pris entre les Verts et le PS dans l’accord Verts-PS pour les élections législatives de 97 et des engagements pris aussi par le PS lui-même, dans sa convention Démocratie, sous la direction de L. Jospin, en 96, qui demandait une base de proportionnelle aux élections législatives. A ce niveau-là c’est le respect des engagements. Pour nous, c’est important.

Richard Arzt : C’est-à-dire qu’il faut que L. Jospin ait sa parole ?

Jean-Luc Bennahmias : Sa parole, et si on veut que les Verts pèsent exactement ce qu’ils doivent peser dans la vie politique française, c’est aux élections législatives que ça pèse. Et on ne nous dira plus, et R. Hue ne pourra plus nous dire après s’il y a une dose de proportionnelle : “Vous n’avez que six députés au Parlement et vous ne pesez rien dans une future majorité.” Si on a vraiment ce que les électeurs nous donnent, c’est-à-dire une quarantaine à une cinquantaine de députés nous pèserons dans une majorité plurielle tout autant.

Richard Arzt : S’il n’y a pas cette réforme dans les six mois c’est un motif de sortie du Gouvernement pour les Verts ?

Jean-Luc Bennahmias : Non, non, car il y a les échéances qui vont venir, de discussions fortes avec le Parti socialiste et le Parti communiste, tranquillement. Vous savez nous sommes dans une rentrée politique tranquille, il n’y a pas d’échéances extrêmement importantes dans les semaines qui viennent. Donc, il faut y aller vraiment, calmement, tranquillement.

Richard Arzt : Le fonctionnement de la majorité plurielle, est-ce qu’il est suffisamment au point pour supporter toutes les mises en cause que l’on voit, en ce moment, de la part des Verts ?

Jean-Luc Bennahmias : “Les mises en cause de la part des Verts”, non. On essaie de dire : “Respectons nos engagements, essayons chacun d’être pris à son juste niveau.” Nous pensons, c’est vrai, que nous ne sommes pas pris à notre juste niveau point. Les échéances après des rencontres que nous aurons avec le Parti socialiste ou le Parti communiste font que nous allons en discuter. On n’en discute pas suffisamment tous les trimestres. Nous demandons plus régulièrement, les Verts, depuis longtemps, qu’il y ait des réunions – tous les trois mois, tous les quatre mois – des partenaires de la majorité plurielle en tant que formation politique.

Richard Arzt : Quand N. Mamère dit que D. Voynet doit accepter que sa majorité à elle, à l’intérieur du parti, soit plurielle que lui répondez-vous ?

Jean-Luc Bennahmias : Que N. Mamère fait partie de la majorité plurielle des Verts. Il y est le bienvenu, il y est déjà.

Richard Arzt : Si D. Cohn-Bendit avait été reçu par L. Jospin, comme il l’a demandé, au soir des résultats des européennes, il y aurait moins d’agitation maintenant ?

Jean-Luc Bennahmias : Ca regarde et Dany Cohn-Bendit et L. Jospin. J’ai déjà répondu à cette question en disant : “C’est vrai qu’un coup de téléphone, un geste de L. Jospin, félicitant D. Cohn-Bendit…”, il adore ça ! Nous, on n’a pas hésité à le féliciter, on y est allée vraiment. Parce qu’il a réussi exactement ce qu’on attendait de lui. Bon. Dans la majorité plurielle c’est vrai que la liste Verte a fait un joli score, la liste de F. Hollande aussi pour, le Parti socialiste. Donc un petit geste qui aurait dit : “Ecoutez, on est bien content que l’ensemble des partenaires de la majorité actuelle aient fait de bons scores” aurait été très bien. Mais ça va venir. Je crois que L. Jospin recevra Dany Cohn-Bendit dans les semaines qui viennent évidemment.

Richard Arzt : Sur les sans-papiers, il y a eu une manifestation, samedi, à l’occasion de l’anniversaire de Saint-Bernard. On en parle moins ?

Jean-Luc Bennahmias : Nous n’avons pas changé d’avis, nous, les Verts, sur cette question. Nous pensons que l’ensemble de ceux qui ont déposé des dossiers devraient être régularisés. Juste un mot : quand E. Barber gagne une médaille d’or au nom de la France – et qu’elle a été naturalisée extrêmement rapidement –, je me félicite de cette médaille d’or, et je me féliciterais aussi que les plongeurs-restauration ou des choses comme ça, puissent être régularisés aussi rapidement.

Richard Arzt : C’est-à-dire que pour les sans-papiers un effort doit être fait ?

Jean-Luc Bennahmias : Un effort doit être fait, oui.

Richard Arzt : Ils ne sont pas tous athlètes…

Jean-Luc Bennahmias : Non, ils ne sont pas tous athlètes évidemment. Il faut de tout pour faire un monde.

Richard Arzt : Vous pensez que c’est un combat qui reprendra ?

Jean-Luc Bennahmias : Le mot “combat” n’est pas le bon mais le mot “humanitaire” est vraiment le bon.

Richard Arzt : Parmi les agriculteurs en colère qui ont été mis en prison après avoir saccagé un McDonald’s, certains sont sympathisants des Verts.

Jean-Luc Bennahmias : Oui, et alors ! Je n’emploierais pas le mot “saccagé” mais “démonté” un McDonald’s. Dans le monde rural, il y a un certain nombre de paysans qui veulent combattre pour qu’il y ait une agriculture saine. Je pense qu’il faut les soutenir et c’est ce qu’ils demandent, et c’est ce qu’ont demandé ces agriculteurs de l’Aveyron, qui ont “démonté” un McDonald’s et non pas “saccagé” un McDonald’s.

Richard Arzt : Ça veut dire quoi “démonté” ?

Jean-Luc Bennahmias : “Démonté” c’est-à-dire : boulon par boulon. Donc le McDonald’s peut être reconstruit s’ils le désirent.