Texte intégral
Sud-Ouest. – Depuis l’arrivée à Matignon de Lionel Jospin, on n’a cessé de parler d’une nouvelle politique africaine. Or, qu’il s’agisse du Congo ou d’ailleurs, les lignes de force n’en apparaissent pas très clairement.
Charles Josselin. – J’ai conscience qu’entre le discours qui affiche la politique et la pratique constatée, il n’y a pas encore suffisamment de différence. Trois orientations sont claires. Nous entendons sortir la relation de la France à l’Afrique du « pré carré » ; sans abandonner les pays liés à nous par la francophonie, nous ouvrons le jeu vers les territoires lusophones ou anglophones. Nous voulons mieux participer à l’ensemble des politiques de développement, y compris au travers de l’Europe, du FMI, de la Banque mondiale. Nous entendons enfin donner plus d’importance aux critères de bonne gouvernance.
Sud-Ouest. – À l’expression près, c’est une antienne bien connue !
Charles Josselin. – Certes. Mais le temps est venu de procéder à quelques choix géographiques en conséquence. Nous ne pourrons mener à bon port nos politiques de coopération que si les Français se les approprient. Ils veulent plus de transparence. Que ce soit dans la renégociation des accords euro-africain de Lomé ou dans nos propres opérations, le dialogue politique doit tenir plus de place.
Sud-Ouest. – Vaut-il mieux aider le Mali que le Gabon, par exemple, alors que la pratique est inverse ?
Charles Josselin. – Le Mali a davantage besoin d’aide que le Gabon, qui présente le visage d’une Afrique plus riche, avec son pétrole, sa forêt. J’espère que nous saurons donner plus de flexibilité à nos interventions, pour accentuer notre aide en faveur des plus pauvres. En tenant compte, aussi, des efforts faits par les gouvernements pour se sortir de cette situation.
Sud-Ouest. – Lors de la tournée africaine qu’elle vient d’achever, la secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, a apporté un soutien remarqué au président Kabila. L’ex-Zaïre fait-il partie de cette géographie polluée dont la France ne voudrait plus ?
Charles Josselin. – La France n’est pas le seul pays à maintenir une attitude réservée à l’égard des pays de la région des grands lacs. Et pas seulement à cause de l’histoire récente, dans laquelle la France s’est trop impliquée. Mais l’histoire de Lionel Jospin avec les grands lacs n’est pas tout à fait la même que celle de ses prédécesseurs : il est de ceux qui ont marqué leur opposition au soutien « jusqu’au-boutiste » de Mobutu. Ce point de vue, que je m’emploie à tenir aux dirigeants de cette région, est entendu. Nous sommes disposés à participer au sauvetage de l’économie congolaise. Mais nous voudrions que les conditions politiques nous permettent d’établir des relations plus normales.
Sud-Ouest. – Vous vous faites doubler par les Américains ?
Charles Josselin. – Relativisons, s’il vous plaît, la présence américaine en Afrique. L’Afrique vit un moment de flirt avec l’Amérique. Séduisant, mais pas au point de faire oublier l’alliance entre l’Europe et l’Afrique. D’ailleurs, celle-ci ne s’y trompe pas. Les sommes que Madeleine Albright a annoncées sont fort modestes. Et l’expérience prouve que les sommes annoncées par les Américains sont rarement versées.
Sud-Ouest. – De nombreux jeunes Africains partent faire leurs études en Amérique du Nord parce que la France leur ferme sa porte. Ça laissera des traces.
Charles Josselin. – Faire ses études aux États-Unis, c’est à la mode aussi en France. Cela dit, j’admets qu’il existe des difficultés qui tiennent au dispositif « anti-immigration ». Nous avons donné des instructions pour que les besoins des étudiants, professeurs ou hommes d’affaires d’obtenir des visas pour raisons professionnelles soient mieux intégrés. La loi Chevènement devrait légaliser cette priorité. Je suis convaincu comme vous que c’est là une bataille que la France doit gagner.
Sud-Ouest. – De l’Élysée, du Quai d’Orsay, de la coopération, du Trésor, de l’intérieur, on ne sait plus qui définit la politique africaine de la France. On parle toujours de remettre de l’ordre. C’est l’Arlésienne ?
Charles Josselin. – Détrompez-vous. Ce sera fait le 14 janvier. Le voyage que nous entreprenons cette semaine avec Lionel Jospin dans trois pays gros émetteurs d’immigration – Maroc, Sénégal et Mali – sera l’occasion de finaliser notre projet. Ensuite quel sera le dispositif institutionnel ? Le choix ne m’appartient pas. Mais notre souhait est clair : un ministre identifié, des services identifiées et un budget identifié.