Interview de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, à RMC le 7 juillet 1999, sur les restructurations industrielles et financières, le deuxième projet de loi sur les 35 heures, le problème des langues régionales et la préparation par l'opposition des élections municipales de 2001 à Paris.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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Philippe Lapousterle : Vous êtes donc responsable de Démocratie Libérale. Est-ce que votre famille politique soutient l’énorme mouvement de restructuration industrielle et financière qui existe en France en ce moment ? Est-ce une bonne chose que ces géants se…

Claude Goasguen : Je crois qu’il faut que les groupes se restructurent. Je vois que M. Strauss-Kahn, de temps en temps, se pavane en disant que tout ça c’est grâce à lui. De temps en temps, il est plus sceptique quand même. J’ai remarqué qu’il faisait quelques interventions d’État, des survivances… Mais enfin, le mouvement est tellement fort, il est mondial, qu’on ne voit pas pourquoi l’État, notamment en France, se mettrait au milieu. Je sais bien que ça doit démanger le Parti socialiste mais c’est comme ça.

Philippe Lapousterle : C’est nécessaire, c’est indispensable ?

Claude Goasguen : Oui, je pense que ça doit se faire. Je crois que les grandes entreprises françaises doivent s’adapter à la concurrence mondiale. Bien sûr, il faut sauvegarder, il faut faire des plans qui permettent de ne pas licencier massivement. C’est le rôle de l’État de discuter de l’application sociale de ce genre de restructurations. Il n’appartient pas à l’État de venir décider ce qui peut être l’intérêt des entreprises.

Philippe Lapousterle : Ça ne vous surprend pas que la gauche accompagne ces mouvements ?

Claude Goasguen : Non, ça ne me surprend pas, parce que je vois quand même que la gauche, par ailleurs, récupère d’une autre manière le pouvoir qu’elle donne l’apparence de perdre. Moi je suis très intéressé de voir la démarche de Mme Aubry sur les 35 heures car j’entendis M. Strauss-Kahn qui nous fait des cours de libéralisme en disant que tout va bien, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais enfin… Je viens de lire l’avant-projet – enfin je viens d’essayer de comprendre l’avant-projet usine à gaz – de Mme Aubry…

Philippe Lapousterle : Le deuxième projet de loi sur les 35 heures.

Claude Goasguen : Que dit ce projet ? Il dit en réalité que l’État, c’est-à-dire le contribuable, va donner de l’argent aux entreprises qui signeront. C’est-à-dire que l’État n’a pas abandonné son pouvoir de dirigisme économique et récupère, par l’intermédiaire du social, ce qu’il est en train d’abandonner dans les restructurations. Donc l’État n’a pas perdu du tout sa velléité socialiste de tout contrôler.

Philippe Lapousterle : C’est une situation provisoire.

Claude Goasguen : Non, néo-dirigisme : on s’adapte. Alors les socialistes changent de look, mais fondamentalement l’idée est la même : l’État ne veut absolument pas abandonner son rôle de contrôle de la démarche économique. Je dirais que le projet de Mme Aubry va faire le contraire du dialogue social. Désormais, les patrons, les syndicats – les syndicats notamment qui s’en plaignent – vont se retrouver dans des situations au sein des entreprises qui vont être tout à fait inconfortables.

Philippe Lapousterle : Et pourtant des patrons signent…

Claude Goasguen : Les patrons signent parce qu’on leur donne de l’argent. C’est le contribuable qui paye. Ils auraient tort de se priver. Mais est-ce que c’est véritablement le rôle du contribuable que d’aider une entreprise ? Moi, je suis plutôt favorable au dialogue social dans toutes les démocraties modernes, c’est-à-dire où les syndicats, les représentants des salariés et le patron, décident de l’avenir économique et social de leur entreprise. C’est le contraire qui est en train d’être fait, puisque l’État se mêle de tout en disant : « puisque vous n’êtes pas d’accord, eh bien vous n’aurez pas la sucette que le contribuable doit vous donner ! » C’est un néo-dirigisme économique qui est mis en place et qui accompagne les cours libéraux de M. Strauss-Kahn.

Philippe Lapousterle : Sur les langues régionales : on avait cru comprendre – on avait compris – que le Président de la République avait refusé la modification constitutionnelle permettant la signature de la Charte européenne. Et, à Bordeaux, voilà que le même Président nous a dit son attachement aux langues régionales.

Claude Goasguen : Oui, moi je n’en ai jamais douté. J’ai regretté la décision du Conseil constitutionnel que devraient connaître les Français quand même car c’est une vision tellement simplificatrice de l’unité nationale qu’elle mériterait d’être connue. Je dois dire que les sages, comme on dit, du Conseil constitutionnel, ont fait une interprétation un peu « excessivement » jacobine de la Constitution française.

Philippe Lapousterle : Vous êtes d’accord sur la proposition présidentielle de demander au Gouvernement une loi-programme ?

Claude Goasguen : Je ne renonce pas pour autant, à côté de la loi-programme, à ce qu’on étudie la possibilité d’une adaptation de la Constitution. Ce n’est pas incompatible. Il faut un débat à l’Assemblée nationale. Nous aurons ce débat. Il mérite d’être tenu. Je regrette d’ailleurs que le ministre de l’intérieur, M. Chevènement, qui parle beaucoup – qui avait dit pourtant dans le temps qu’il ne fallait pas parler, mais qui se rattrape – que M. Chevènement ait tenu des propos à l’égard des langues régionales en parlant de « balkanisation éventuelle de la France », à propos des langues régionales, qui sont inconvenants et incongrus. M. Chevènement ferait mieux de s’occuper de la sécurité, du contrôle des flux migratoires dont il ne s’occupe pas, dont il parle beaucoup et qu’il ne surveille pas, plutôt que de donner des leçons de morale civique à l’ensemble de la population française.

Philippe Lapousterle : Alors à Paris, l’opposition, votre camp, a l’air quand même empêtrée dans des affaires compliquées. À votre avis, l’opposition doit-elle tout faire pour essayer de conserver la mairie de Paris dans deux ans ? Et quels sont les moyens indispensables qu’elle doit se donner pour y parvenir éventuellement ?

Claude Goasguen : Je ne le présenterais pas comme ça. L’objectif n’est pas que l’opposition nationale conserve la mairie de Paris. Il faut qu’à Paris, un vrai changement s’opère car on voit bien que Paris a des problèmes et que les Parisiens souhaitent qu’une nouvelle équipe se mette en place. Cette équipe sera-t-elle de gauche ou de droite ? C’est le choix des Parisiens, ce n’est pas le choix des partis politiques. Il faut donc donner la parole aux Parisiens. Je souhaite personnellement que la nouvelle majorité municipale se retrouve dans des rangs qui sont proches de l’opposition actuelle.

Philippe Lapousterle : La nouvelle majorité, c’est-à-dire ?

Claude Goasguen : C’est-à-dire la future majorité municipale. Mais je souhaite surtout que la future majorité, si elle doit être dans nos rangs, prenne des positions qui sont des positions de vrais changements dont Paris a besoin sur la sécurité. Il y a un vrai problème de sécurité à Paris, sur lequel il faudrait d’ailleurs que le ministre de l’intérieur s’explique par l’intermédiaire de son préfet de police. Vous me direz que j’en veux beaucoup à M. Chevènement, aujourd’hui. Il y a un vrai problème d’environnement : on voit bien que Paris perd des habitants. Les gens vont vivre ailleurs parce qu’ils se sentent mieux. Cela n’est pas très inquiétant, mais c’est quand même un signe qu’il faut examiner. On voit bien que les habitants de Paris veulent que davantage de problèmes soient réglés près de chez eux, dans les arrondissements – il n’y a pas de démocratie locale à Paris. On est sur un système encore préfectoral. Bref, il y a d’énormes changements à faire.

Philippe Lapousterle : M. Tibéri peut-il conduire une liste gagnante pour l’opposition. Peut-il être le candidat de l’opposition ?

Claude Goasguen : Il peut être candidat, tout le monde peut être candidat. Mais je ne le pense pas, En tout cas, ça ne sera pas mon candidat. Maintenant, il a parfaitement le droit d’être candidat à la candidature. Chacun a le droit de dire ce qu’il pense de ce qu’il souhaite pour l’avenir de Paris. Ce ne sera pas mon candidat. Je ne crois pas qu’il soit le mieux placé pour le faire, mais je ne veux pas en faire un procès de personne.

Philippe Lapousterle : Est-ce qu’à Démocratie Libérale, vous admettez que le RPR a naturellement la tête de liste d’une liste éventuelle de l’opposition ? Ou bien M. Madelin peut-il être candidat ?

Claude Goasguen : Je viens de dire un peu le contraire : que la parole est aux Parisiens d’abord et aux partis politiques après. On ne fera pas le maire de Paris dans une discussion d’état-major.

Philippe Lapousterle : Donc il faut une primaire ?

Claude Goasguen : Non, il faut une discussion où les Parisiens soient associés, arrondissement par arrondissement. Il faut qu’ils s’expriment, par les sondages, par des réunions, par des propositions, par des projets. Il faut ouvrir complètement le débat. Ça ne serait pas rendre un service à l’actuelle majorité municipale – si elle veut changer – que de se résigner à une discussion entre trois ou quatre dirigeants politiques pour dire : le rex designatus, c’est M. Untel. Ça serait une erreur. Les Parisiens ne le comprendraient pas et il y aurait un coup de torchon politique.

Philippe Lapousterle : Vous qui êtes un observateur politique averti et un acteur politique, vous pensez qu’on est en pré-campagne présidentielle d’ores-et-déjà, au jour d’aujourd’hui ? Est-ce que les deux cohabitants sont entrés en campagne ? Est-ce que ça peut durer trois ans ?

Claude Goasguen : Je ne le crois pas mais, vous savez, la cohabitation conduit, lorsqu’elle est de ce type – c’est-à-dire lorsque le Président n’est pas dans la même tendance politique que le Premier ministre –, à des frictions permanentes et donc à un climat de pré-campagne électorale.

Philippe Lapousterle : Ça peut durer trois ans ? C’est imaginable que la France vive trois ans de politique comme ça ?

Claude Goasguen : Je crois que ça durera trois ans car les institutions sont telles. Faut-il les réformer ? Ça, c’est un autre débat. En tout cas, moi je ne suis pas de ceux qui souhaitent une cohabitation qui soit une cohabitation souriante. Je souhaite que le Président de la République affirme des positions différentes de celles du Gouvernement.