Texte intégral
Chers camarades,
Chacun s’en souvient : il y a seulement quelques années, le siècle était déclaré « achevé », avec ce que l’on appelait « l’écroulement du communisme ». Davantage même : à en croire certains, célébrant ce qu’ils considéraient comme une victoire totale et définitive du capitalisme, c’était rien moins que « la fin de l’histoire »...
Eh bien, non : ni le siècle ni l’histoire ne se sont achevés dans les années quatre-vingt.
I. Le Parti communiste français et les défis de l’an 2000
QUEL siècle que ce XXe siècle ! Que de bouleversements, que d’avancées considérables ! Avancées, et souvent même véritables révolutions dans les connaissances, les sciences et les technologies. Mais aussi dans les modes de vie, la médecine, les arts, la culture, la communication entre les hommes comme entre les peuples. Dans l’organisation même de la société, dans celle du monde. Et, en même temps, que de malheurs, d’injustices, d’humiliations, de destructions ! Que de chances gâchées pour le bonheur humain, pour la civilisation !
Sans aucun doute, l’un des traits distinctifs de notre siècle aura été le rôle moteur de l’action des êtres humains pour le progrès. Cela porte un nom : c’est de la politique. La politique au sens vrai et noble du terme. C’est-à-dire l’intervention consciente et organisée des hommes, des femmes, des peuples, leurs luttes auxquelles ont contribué, de façon souvent décisive, le mouvement social et humaniste né au XIXe siècle et le mouvement de libération des peuples des grands empires coloniaux né au début de notre siècle.
Mais, d’une part, la perversion du communisme, transformé en étatisme refusant de donner aux titres humains les pouvoirs faisant d’eux les auteurs et les acteurs de la transformation sociale, de la transformation du monde, a conduit à un échec dramatique de l’expérience de libération humaine engagée sous les auspices de « l’abolition » du capitalisme ; et, d’autre part, le capitalisme développé, l’ultralibéralisme, se proclamant vainqueur, a multiplié drames, misères et violences faites aux hommes, aux peuples et aux nations, à la civilisation elle-même.
Il y a quelques années, François Furet concluait son livre « le Passé d’une illusion » en affirmant sa conviction que nous étions condamnés « à vivre dans le monde où nous vivons ». Mais, reprenant la plume – à quelques semaines de la victoire de la gauche en France, à quelques jours de sa mort brutale –, il constatait que, je le cite : « La critique des méfaits du capitalisme a gagné en virulence supplémentaire, à la fois parce qu’elle dénonce un mal dont la visibilité est universelle et parce qu’elle est libérée du devoir complémentaire de célébrer un socialisme policier ». Avant de remarquer avec une lucidité amère et désabusée : « Le capitalisme est victorieux... Mais plus il est triomphant, plus il est détesté ».
C’est qu’en effet la leçon du siècle ne saurait être seulement l’échec de la perversion du communisme. Le capitalisme n’en est pas pour autant devenu meilleur. Au contraire, tout confirme pleinement ce que les révolutionnaires, le mouvement ouvrier avaient pour leur part découvert au siècle dernier : à savoir que le capitalisme est destructeur de vie, de société, d’humanité. En sorte que la question de son dépassement, de la construction de son « au-delà » – tout ce qu’exprime avec force la visée du communisme, d’un communisme de notre temps – n’a pas fini de se poser. Et de se poser avec une vigueur renouvelée.
Cela ne signifie évidemment pas que nous pourrions « tourner la page » avec légèreté. Je pense, pour ma part, qu’il ne suffit pas que le temps s’écoule et que le passé s’éloigne pour qu’il « se tasse », comme le café après le passage de l’eau. Au contraire. Nous n’avons pas seulement à condamner des conceptions et des pratiques qui nous révoltent. Il nous faut en connaître les ressorts pour que les hommes puissent s’en garder à jamais. Nous avons besoin de l’analyse fouillée des historiens pour comprendre comment – au-delà même des monstruosités et des crimes qui ont pu l’entacher ignominieusement – le beau mot de « communisme », qui condense une formidable espérance de libération des peuples et des êtres humains, a pu se transformer en un étatisme autoritaire et brutal conduisant à leur asservissement et à leur dépossession de leur rôle citoyen, indispensable à la transformation sociale.
Le vrai visage du « capitalisme triomphant »
En même temps, en cette fin de siècle, le capitalisme soi-disant triomphant montre son vrai visage, avec tout ce que l’ultralibéralisme, le règne de « l’argent-roi », la domination écrasante des marchés imposent d’exploitation, d’exclusion, d’aliénation, de subordination de tout – choses et personnes – à la « loi d’airain » de la rentabilité financière, de guerres économiques prédatrices, meurtrières, ravageuses. Qui pourrait oser sérieusement prétendre qu’il n’y a que les convaincus, les « adversaires a priori » du capitalisme, les communistes en un mot, pour s’en inquiéter, y réfléchir et chercher à s’en libérer ?
D’autant que, sous la domination de l’ultralibéralisme, les avancées en tous domaines réalisées dans notre siècle tendent à être détournées, voire retournées contre les êtres humains, avec des régressions aux conséquences incalculables. Au point que l’idée même de progrès – cette conviction que la conquête de pouvoirs et de savoirs nouveaux devait se traduire en mieux être – se trouve aujourd’hui ébranlée et mise en cause. Aux fléaux anciens – je pense au sous-développement, à la famine, à certaines maladies, à l’analphabétisme, à l’esclavage des enfants – qui sont loin d’être éradiqués, quand ils ne s’aggravent pas, s’ajoutent désormais des fléaux moderne, comme le chômage massif, le trafic de la drogue, les violences urbaines, la pollution et la destruction de l’environnement, le développement des mafias en tout genre, la violence et le délitement du tissu social.
À ces souffrances du présent s’ajoute une terrible angoisse pour l’avenir. Car des repères et des acquis solides apparaissent désormais impitoyablement brisés.
Ainsi, il semblait évident que les inégalités sociales devaient aller en se résorbant. Elles explosent.
Il semblait aller de soi que les enfants vivraient mieux que leurs parents. C’est le contraire qui s’affirme. L’avenir se bouche pour de nombreux jeunes.
Le droit de tous au travail paraissait si évident qu’il fut inscrit dans la Constitution française. Le chômage est désormais tenu dans la pensée dominante pour une « variable » nécessaire, une fatalité « intégrée », avec un « seuil incompressible ». Et un récent rapport du Commissariat général au plan soulignait – je le cite – que, « derrière le chômage, ce qui est angoissant, c’est la précarisation de la société française dans son ensemble ».
On vantait les pays accordant à leurs citoyens les meilleurs niveaux de vie. On vante aujourd’hui ceux où l’on fait baisser le « coût du travail » et où l’on réduit les acquis sociaux pour être mieux placés dans la « compétition mondiale ».
Contre la guerre, on prônait la coopération des peuples. On les livre aujourd’hui à une concurrence sauvage, à coups de précarisation, de délocalisation, de déréglementation, de mise en cause de droits. Et les plus pauvres parmi les pauvres se voient enfermés dans leur dénuement, leur détresse, le pillage de leurs richesses, l’étranglement financier.
Qu’on me comprenne bien : en évoquant ces bouleversements, je ne sombre pas dans je ne sais quelle nostalgie passéiste. Parce que je n’ai pas du passé une vision idéalisée, qui ne se justifierait absolument pas. Et parce que nous, communistes d’aujourd’hui, sommes pour la modernité. Résolument pour. Mais modernité ne peut pas signifier recul de civilisation. Or c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui, avec la déferlante ultralibérale, dont l’alpha et l’oméga, la loi suprême, est celle de la croissance financière contre la croissance réelle, de l’argent qui fait de l’argent, érigé en fin absolue devant laquelle tout – les personnes, les peuples, comme la nature – n’est que moyen.
On glose beaucoup, il est vrai, dans certains milieux sur le « dynamisme » dont ferait preuve le capitalisme d’aujourd’hui, avec la « mondialisation ». Sur sa capacité à franchir les frontières et à unifier la planète. Sur son efficacité à introduire les « pays pauvres » dans le concert de « l’économie moderne ». Sur sa puissance conquérante et novatrice à « secouer » des sociétés anciennes. Et toute contestation de ces assertions est présentée comme relevant d’un moralisme étroit, d’un attachement dépassé à l’ordre ancien, d’un repli attardé sur la nation.
Que l’on ne compte pas sur nous pour nous laisser impressionner ! Unifier la planète, y accroître les richesses, dans la justice et non dans le lucre et la rapine, y déployer les savoirs et les technologies de pointe, y étendre les coopérations et non la destruction du concurrent, contribuer au développement des peuples, nous sommes pour ! « Mondialiser », « globaliser » l’égalité, la démocratie, tous les droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, la culture, établir des relations internationales plus civilisées et plus confiantes, nous sommes pour ! Construire une Europe qui soit une véritable communauté tournée vers le progrès social, les coopérations et la paix et non vers la guerre économique et son cortège de dévastations, nous sommes pour, nous voulons y travailler ! Mais ce n’est pas à cela que vise la mondialisation ultralibérale. Elle vise à mondialiser le règne tout-puissant de la finance, la soumission aux « marchés », la loi du plus fort. Et l’on aura du mal à nous convaincre – et à en convaincre beaucoup d’autres avec nous – que cette mondialisation-là rime avec... civilisation et progrès humain pour les peuples.
Mais en réalité – et, là aussi, il est permis de mesurer le chemin parcouru en quelques années –, il ne se trouve guère de « mercenaires » de la pensée unique assez fous pour tenter de convaincre qui que ce soit que l’ultralibéralisme serait un humanisme de notre temps ! On tente plutôt une opération d’intoxication, présentant la toute-puissance des marchés comme allant de soi : fatalité inexorable devant laquelle les pauvres « politiques » seraient impuissants. Le « réalisme » devant alors conduire à s’y soumettre ou à se démettre.
Mesurons bien l’enjeu dans cette affaire. Nous, communistes – et cela tient précisément à notre identité de communistes, c’est notre singularité, notre apport en la matière –, nous affirmons que cette toute-puissance des marchés, cette financiarisation aux conséquences désastreuses résultent, en fait, de décisions, de choix politiques et économiques précis répondant à des intérêts précis.
Le retour de la lutte des classes
Le conflit des routiers et, auparavant, les réactions patronales à l’annonce des 35 heures ont suscité des commentaires et des articles de presse sur le thème du « retour de la lutte des classes ». Elle se rappelle ainsi au bon souvenir de chacun. On reconnaîtra, sans doute, qu’en ce qui nous concerne nous ne l’avions pas perdue de vue. Même quand il était de bon ton de clamer qu’elle s’était éteinte depuis longtemps, si elle avait jamais existé.
« On connaît le nombre des pruniers en Allemagne, pas celui des riches en Europe », notait récemment un des articles que je viens d’évoquer. Eh oui ! Parler de classe capitaliste en montrant qu’elle est et demeure la classe dominante de la société, cela reste tabou. Et il n’est pas ici question seulement de vocabulaire, mais d’identification du système social dans lequel nous sommes. De sa règle fondamentale de fonctionnement : l’appropriation capitaliste des résultats du travail – qui ne se confond pas avec la question de la forme juridique de propriété – ; la concentration des pouvoirs, des savoirs et des richesses ; le rapport social d’exploitation et l’aliénation.
Nous avions noté au 29e Congrès que, bien évidemment, dans une société comme la nôtre, « la lutte des classes prend une dimension et des contours nouveaux ». Et nous avions invité – c’est encore une citation – à « prolonger et à développer, sous des formes diversifiées, entre communistes comme entre tous ceux qui souhaitent y contribuer, le travail engagé pour mieux connaître et comprendre l’évolution des rapports de classes et le mouvement de la société française ». Cette recommandation doit trouver maintenant des applications concrètes, en liaison avec les recherches et travaux qui, outre les articles que j’ai évoqués, se développent à ce sujet.
Je reviens à mon propos : on tente de brouiller les cartes en présentant les politiques comme impuissants face aux marchés financiers. Et l’enjeu, disais-je, est important. En effet, le désarroi que j’évoquais tout à l’heure, provenant des points de repère brisès, l’angoisse face à un avoir incertain et menaçant se conjuguent à cette prétendue impuissance proclamée des gouvernants des pour approfondir « la crise de la politique », dont nous avons à plusieurs reprises analysé les effets dans notre pays.
Crise de la politique et citoyenneté moderne
Et, bien au-delà de la France, comment s’étonner que, dans ce contexte de fatalité résignée, d’attente inquiète, de « progrès » qui sont ressentis comme autant de dangers, mais aussi de dignité bafouée, d’identité menacée ou perdue, de « quête d’un sens » qu’on ne trouve pas et d’une volonté que des dirigeants ou des élites sont incapables d’incarner, s’instillent de dangereux poisons. Celui du rejet des autres, perçus comme autant de rivaux. Celui des tensions, de la haine, du déchirement d’un tissu social et des solidarités. Celui de l’intégrisme ou du repli communautaire. Quand ce n’est pas celui du nationalisme et du populisme fascisants que des forces politiques, comme le Front national dans notre pays, s’emploient à canaliser et à entretenir pour parvenir au pouvoir.
Pourtant rien n’est simple. Notre époque est aussi celle de la montée d’aspirations des peuples à ne plus subir, à intervenir pour refuser l’inacceptable, pour changer le cours des choses. L’opinion, on le ressent bien, ne veut plus seulement être étudiée, scrutée, analysée. Elle veut être entendue. Mieux même : elle ne veut plus être seulement une « opinion », mais une capacité d’action, d’intervention, d’initiative, de décision. Autre chose que l’addition anonyme de réponses à des questions : c’est de citoyenneté dans une société moderne qu’il s’agit. Un citoyen, une citoyenne qui ne veut plus subir ce qu’on lui impose, même s’il n’a pas une vue très claire de ce qu’il faudrait faire ou de ce que l’on pourrait faire. Un citoyen, une citoyenne qui veut compter, mêler la voix des « sans-voix » au chœur de ceux qui décident, être reconnu dans sa dignité d’individu comme dans celle de membre d’une collectivité citoyenne. Un citoyen, une citoyenne qui veut de nouvelles formes de vie et de pratiques politiques, à l’opposé de la « politique politicienne » qu’il rejette. Tout cela est évidemment porteur d’un avenir différent, pour peu qu’on sache le remarquer, s’y ouvrir et s’inscrire dans cet élan.
C’est l’ensemble de ces défis qui découlent de notre époque et de la situation que je viens d’évoquer à grands traits que le Parti communiste a choisi d’affronter et de relever. Les communistes français ont refusé la voie de l’abandon. Ils ont considéré au contraire qu’étaient plus que jamais nécessaires pour notre peuple la présence, l’action, les initiatives d’un Parti communiste porteur d’une perspective rassembleuse. Et cela afin de trouver et de faire vivre des réponses de progrès social et humain aux problèmes de notre temps. Non dans le sens d’un simple « encadrement », d’un aménagement des ravages du capitalisme. Non dans la voie de la recherche d’un « équilibre » impossible entre ses « exigences » économiques et les « aspirations de la société ». Mais dans la voie du dépassement du capitalisme lui-même, dans la recherche d’une société faisant prévaloir dans tous domaines la logique de l’épanouissement humain sur celle de la rentabilité des capitaux et de l’argent.
Dépasser le capitalisme
Le Parti communiste affirme ainsi haut et fort sa visée transformatrice. Il ne sombre pas pour autant dans un messianisme d’un autre âge – ou dans un prophétisme chimérique et de faible portée. Il n’oppose pas à une gestion limitée du présent un idéal grandiose, mais lointain et sans consistance. Au contraire. C’est dans les plaies vives de la réalité telle qu’elle existe aujourd’hui comme dans ses avancées – autrement dit : dans ses contradictions – qu’il décèle les possibilités d’un autre avenir. Il propose à notre peuple de s’approprier ces possibilités pour construire cet avenir.
Ainsi, par exemple, on vante « le dynamisme » du capitalisme, son « efficacité » à déployer les sciences et les innovations technologiques dans la production et les services. On sait à quel point cette affirmation est discutable. Mais comment ne pas voir, dans les conditions de notre temps, que l’efficacité maximale et profitable aux êtres humains se trouve non pas du côté de la soumission aux contraintes de la concurrence, mais du côté de la recherche des coopérations, du partage des coûts ? Si, au lieu de se retourner contre les hommes et leurs emplois, cette efficacité prenait appui sur leur formation, leur information, leurs droits d’intervention, ne serait-elle pas décuplée ? Nous le pensons. Et c’est aujourd’hui que le problème se pose, et pas pour une société à construire demain ou... après-demain. Mais c’est alors une autre place pour les êtres humains qu’il faut conquérir dans le travail. Aux antipodes des exigences de la rentabilité financière, mais à l’unisson des besoins d’une société moderne et des aspirations à participer, si fortes chez des millions d’hommes, de femmes, de jeunes d’aujourd’hui.
Ou bien encore, comment ignorer que l’irruption sans précédent des sciences et des technologies dans les activités économiques pose de façon cruciale et urgente la question de la nécessaire réduction du temps de travail. Le capitalisme y répond à sa manière : par la croissance du chômage, l’extension de la précarité, la baisse du coût du travail. Mais l’époque et les aspirations qui la traversent poussent au contraire dans le sens du dépassement des formes sclérosées du rapport entre temps de travail – et temps de formation – temps libre. N’y a-t-il pas là, s’exprimant avec force, l’exigence de voir dès aujourd’hui entrepris le dépassement du marché capitaliste du travail ?
De façon plus générale, peut-on concevoir qu’une économie est vraiment moderne et efficace quand elle conduit aux régressions sociales dont j’ai parlé ? N’est-ce pas l’harmonisation des exigences de la modernité et de celle d’une civilisation pleinement humaine qui est à l’ordre du jour ? Ces interrogations, ou d’autres qui leur sont semblables, c’est bien aujourd’hui qu’elles existent. Et toutes appellent, posent avec force et dans l’urgence la question d’une mise en cause, d’un dépassement de la toute-puissance de l’argent pour l’argent.
J’ai parlé de cette exigence grandissante aujourd’hui à dire son mot, à être entendu, à participer aux décisions. Ne pousse-t-elle pas, ici et maintenant, pour faire face aux problèmes quotidiens, à contester la confiscation des pouvoirs dont se plaignent légitimement les citoyens et qui engendre la « crise de la politique » ? Ne conduit-elle pas à l’exigence que ces pouvoirs leur soient acquis ou restitués ?
On le voit, vouloir changer la société n’a rien d’un pari arbitraire proposant un saut dans l’inconnu. Car c’est bien dans la société actuelle que s’inscrit cette ambition. Et c’est bien dans les interrogations de notre peuple, dans la recherche de solutions positives aux problèmes qu’il rencontre, que s’alimente la visée communiste que nous proposons à son intervention. C’est dans l’action résolue pour faire prévaloir des solutions progressistes, dans le débat nécessaire à la construction d’une alternative aux politiques ultralibérales, d’un projet politique de changement, que cette visée, cette perspective, peut se fortifier et s’épanouir.
Se hisser à la hauteur de l’ambition
Oui, le Parti communiste français a choisi de relever le défi de la transformation sociale, alors même que tout a été mis en œuvre pour convaincre les peuples – le nôtre en particulier – qu’une telle ambition serait aujourd’hui totalement hors de saison.
C’est un choix exigeant pour le Parti lui-même. Il faut, en tous domaines, nous hisser à la hauteur de cette ambition.
Être – et cela ne se décrète pas mais se construit chaque jour – un Parti communiste capable d’apporter des réponses modernes aux grands défis de notre société et de notre époque, et ainsi de donner une consistance concrète à une visée communiste de construction novatrice d’un dépassement du capitalisme. Être – et cela aussi exige l’effort quotidien sur soi-même – un Parti communiste profondément ouvert sur la société, sur les attentes de l’opinion, sur ce qui y grandit et y palpite, afin d’être utile à notre peuple et de contribuer efficacement à ses débats, ses initiatives, ses conquêtes, à l’élaboration de son projet transformateur. C’est dans cet esprit que les communistes ont choisi de poursuivre et d’amplifier la mutation de leur parti, de ses conceptions, de ses pratiques, de ses comportements, de son mode de vie.
Notre mutation n’a pas son but en elle-même. Elle vise à permettre au Parti d’être le mieux possible le Parti communiste moderne et novateur dont notre peuple a besoin pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté, en dépassant le capitalisme, qui, aujourd’hui, l’empêche de leur apporter les solutions nécessaires.
On voit bien alors pourquoi, dans ces conditions, nous avons rejeté la notion de « parti-guide ». Non seulement parce que nous voyons bien ce que cette prétention a d’injustifié et d’insupportable. Mais, surtout, elle est totalement incongrue. Ce dont les citoyens ont besoin pour être les auteurs et les acteurs d’un projet politique de dépassement du capitalisme, ce n’est pas d’un « guide » les regardant de haut, mais d’un Parti prenant les initiatives et formulant les propositions pour qu’ils puissent élaborer, construire le changement qu’ils souhaitent et le réaliser à leur rythme. Qu’il y ait là une rupture nécessaire à opérer avec ce que fut tout un temps la « culture communiste » est une évidence. L’historien Marc Ferro le relevait dans « l’Humanité » il y a quelques jours. Évoquant la conviction qu’avaient les bolcheviks russes de posséder « une avance de savoir sur le reste de la société », il poursuivait : « Le Parti communiste français n’a-t-il pas un peu conservé cette idée qu’il incarne un savoir supérieur ? S’il rompt avec, il se modernise pour de bon. » Eh bien cette rupture, nous l’avons entreprise !
De la même façon, l’un des traits dominants de notre mutation est notre volonté d’ouverture totale à la société. Pour jouer le rôle que nous ambitionnons, notre parti ne peut - ni dans ses conceptions ni dans ses comportements – se situer « à côté » ou « au-dessus » de la société, mais bel et bien « dedans ». En vivant ses problèmes, ses colères, ses espoirs. En la voyant telle qu’elle est et non telle que nous voudrions qu’elle soit. En voyant les salariés, les citoyens, l’opinion tels qu’ils sont, tels qu’ils se perçoivent, tels qu’ils se comportent, sans se raconter d’histoire ou ne voir que ce qui nous « arrange ».
Et, troisième trait fondateur de notre mutation : être ainsi un parti de plain-pied dans la société suppose que nous considérions comme essentielles la libération, la mobilisation des capacités d’initiative de tous les individus communistes. Celles et ceux qui ont fait le choix d’être membres de notre parti, cela va sans dire. Mais aussi, et dans une même dynamique, celles et ceux dont nous avons parlé au 29e Congrès et qui se considèrent comme des « communistes de cœur ». Ils ne souhaitent pas aujourd’hui être membres du Parti, constatons-nous. Sont-ils pour autant des « non-communistes », eux qui portent, comme nous, et de plus en plus souvent avec nous, les valeurs transformatrices du communisme français ? Et n’est-ce pas appauvrissant de nous adresser aux autres en commençant par les définir au moyen de la négation de ce que nous sommes ?
II me semble qu’il y a là matière à réflexion, si nous voulons contribuer à libérer pleinement la créativité des hommes et des femmes communistes en même temps qu’à mettre en mouvement dans l’action transformatrice l’ensemble de ce que nous avons appelé « la force communiste », dans laquelle ils sont appelés à se retrouver avec celles et ceux que je viens d’évoquer. Car nous le voyons bien, c’est tout un ensemble d’hommes, de femmes, de jeunes, ayant chacun son expérience, sa personnalité et sa richesse, qu’il convient de rassembler pour que se fortifient et prévalent dans le débat commun les idées et 1a volonté de changement.
C’est en s’appuyant sur cette mutation, et avec la volonté de la poursuivre, que notre 29e Congrès a défini des orientations pour une stratégie communiste permettant d’avancer vers la transformation sociale dans les réalités de notre temps. C’est dans ce cadre qu’il avait décidé de travailler à la création des « conditions politiques du changement », afin que l’échéance des élections législatives prévues alors pour 1998 puisse y contribuer, en s’inscrivant dans la perspective plus large d’un mouvement transformateur de la société française et du monde.
On sait que ce calendrier a été bouleversé, et les conséquences qui en ont découlé. Cela m’amène à la deuxième partie de ce rapport.
II. – Juin 1997 – Les Français ont décidé – Nous avons répondu « présents »
CHACUN sait comment, espérant en tirer profit, Jacques Chirac a décidé de provoquer un scrutin législatif anticipé. Les Françaises et les Français ont déjoué son plan. Ils ont expressément manifesté leur rejet de la droite au pouvoir. Ils ont exprimé haut et fort leur exigence d’un changement de politique. Et en donnant la victoire à une majorité nouvelle forte de la diversité de ses composantes de gauche et écologiste, ils ont clairement indiqué leur volonté de voir se constituer un gouvernement issu de cette « gauche plurielle », avec la participation des communistes.
Chacun sait également comment, après avoir consulté les communistes, nous avons décidé de répondre « présents » à cette attente du pays.
Cette décision importante, nous ne l’avons évidemment pas prise à la légère. Nous nous sommes efforcés de soupeser les difficultés de l’entreprise, ses risques, mais aussi d’évaluer les possibilités que recelait la situation. Et c’est – je crois – en toute connaissance de cause que nous avons proposé au Parti de se déterminer comme il l’a fait.
En toute connaissance de cause, en premier lieu, de l’état de la réflexion, des projets politiques, des ambitions de nos partenaires de la majorité, principalement le Parti socialiste.
Ainsi, nous savions bien que le « droit d’inventaire » à l’égard de la politique menée dans les années quatre-vingt avait été revendiqué par Lionel Jospin, mais que l’inventaire n’avait été qu’à peine ébauché. Nous connaissions également tout le poids du libéralisme dominant dans les conceptions et les méthodes de gestion depuis plusieurs décennies. Nous savions le Parti socialiste, en dépit des conditions qu’il mettait et dont tout montrait, selon nous, qu’elles ne seraient pas totalement réunies, pleinement engagé dans la course à l’euro, c’est-à-dire dans la poursuite de la construction d’une Europe dominée par les « marchés ». Nous n’ignorions pas – Lionel Jospin l’avait d’ailleurs laissé entendre – quelle serait sa conception de la « cohabitation » avec un président de droite. Une conception marquée par les pratiques « d’alternance » gauche-droite des années quatre-vingt, sur fond de politiques inspirées par les mêmes dogmes de l’ultralibéralisme.
En même temps, nous connaissions sa crainte d’un nouvel échec et sa sensibilité aux doutes – et même aux soupçons – existant dans son propre électorat quant à sa volonté réelle de faire une autre politique. Ces doutes, ces soupçons l’ont d’ailleurs conduit à affirmer son refus d’un retour aux politiques et aux comportements des années quatre-vingt, qui avaient abouti au désastre électoral que l’on connait. C’est vrai notamment de l’engagement pris par lui de refuser toute nouvelle cure d’austérité, de sa volonté affichée de « gouverner autrement », loin de l’arrogance des « notables » et des pratiques écartant les citoyens.
De même, nous avions noté une prise de conscience que l’attitude d’hégémonie politique et idéologique, revendiquée et exercée dans les années quatre-vingt, n’était plus de mise. Personne – nous l’avions souligné lors de la campagne électorale – ne pouvait prétendre s’identifier seul à toute la gauche, avec en conséquence ou la requête de la soumission ou l’accusation de « grand écart ». La situation était bien différente, avec une « gauche plurielle ». C’est-à-dire une gauche ouverte à la culture du débat ; une gauche affirmant du même pas sa volonté d’union et l’originalité de ses différences, de son pluralisme constitutif. Une gauche dont les électeurs n’auraient pas admis que le Parti socialiste cherche à en étendre indûment les frontières vers la droite par une « tentation centriste », comme ce fut naguère le cas. Une gauche enfin dont il allait de soi, pour les progressistes, que le Parti communiste – qui loin de disparaître ou de se saborder avait entrepris sa mutation et commencé à reconquérir de l’audience – était pleinement partie intégrante. Et cela au point que, je tiens à insister, la volonté s’est largement exprimée, jusque dans l’électorat socialiste, de voir notre Parti tenir toute sa place au gouvernement. En voyant là comme une « garantie » qu’on ne retournerait pas aux erreurs et aux impasses du passé.
Être attentifs aux attentes des Français telle qu’elles sont
En second lieu nous avons pris décision en nous efforçant de bien saisir les attentes de l’opinion dans toute leur complexité, voire leurs contradictions. À cet égard, nous avons noté la force de l’aspiration au changement exprimée dans le scrutin, mais sans que les contours de ce changement voulu aient pu se préciser. « Entre la radicalité des aspirations – avons-nous dit au Comité national qui a suivi l’élection – et la radicalité des propositions à faire vivre pour les satisfaire, la concordance n’est pas immédiate. Elle suppose du temps. » Or à l’évidence, le temps a manqué.
De même, nous avons relevé que différents aspects « se télescopaient » dans les attentes des Français. Ainsi le refus de l’insupportable que venait bien souvent contrecarrer un certain sentiment d’impuissance ; l’idée selon laquelle « on ne peut pas faire grand-chose », issue d’années de ce que nous avons appelé une « pédagogie des contraintes ». Avec le poids d’angoisses profondes nées des blessures de la société, de l’incertitude de l’avenir et qui pouvait parfois chez la même personne conduire aussi bien à la révolte la plus déterminée et la plus impatiente qu’à la recherche désespérée d’un « moindre mal » sensé permettre d’éviter le glissement dans « le pire »
Nous n’avons donc pas enjolivé artificiellement la situation dans l’euphorie de la victoire. Au contraire. Nous nous sommes efforcés d’être attentifs afin de voir les aspirations des Françaises et des Français telles qu’elles étaient. En y remarquant aussi bien ce qui constituait un point d’appui pour aller de l’avant que ce qui y faisait obstacle. Nous y avons ainsi noté l’ampleur d’atouts considérables. Par exemple, la perception grandissante – que n’a pas démentie l’épisode récent du « krach » boursier – que « de l’argent, il y en a en France. Il faut l’utiliser autrement ». Ou bien encore la conviction fondée sur l’expérience que les « recettes » de l’ultralibéralisme, même appliquées par des gouvernements de gauche, conduisent à l’échec. Ou bien enfin la volonté de « ne pas se laisser raconter d’histoire » ; l’exigence d’être entendu, d’influer sur les décisions, de chercher les moyens d’une intervention efficace sur le cours de choses.
C’est donc en nous efforçant de bien appréhender les réalités : les difficultés, les obstacles, mais aussi les possibilités, les atouts, que nous avons décidé de répondre « présent » à l’attente des Français et de participer à la majorité et au gouvernement. Le choix des communistes n’a pas été dicté par la recherche de la facilité, mais par un sens élevé des responsabilités dont j’ai la conviction qu’il est partie intégrante de notre identité de Parti communiste français, qui a plusieurs fois su répondre présent à des moments importants de notre histoire.
Notre participation : un choix des électeurs
L’expérience gouvernementale de la gauche plurielle est donc en cours depuis cinq mois. Remarquons d’abord ce que cette situation a de nouveau pour notre parti. Car la gauche ne l’a pas emporté en gagnant les électrices et les électeurs à programme de changement conclu entre les différentes composantes. Il n’y a à cet égard rien de comparable avec ce que nous avons connu dans le passé.
Notre participation au gouvernement n’est pas le résultat en quelque sorte « mécanique » d’une démarche d’union autour d’un programme, ou comme en 1981, d’un engagement derrière les propositions sur lesquelles un président venait d’être élu. Elle est au contraire le résultat d’un choix – exprimé comme tel – des électeurs de gauche, qui ont voulu cette majorité pluraliste, avec davantage de députés communistes et apparentés, et qui ont souhaité que ce pluralisme se retrouve au gouvernement pour que ce dernier réponde mieux à leurs attentes.
Nous sommes donc dans une situation profondément inédite. Elle découle, je viens de le rappeler, de considérations touchant à ce qu’est la gauche aujourd’hui, et à ce que sont les attentes des Français. Elle découle également de la mutation de notre parti. Il a décidé de prouver concrètement son utilité. Celle-ci ne va pas de soi. Elle ne peut être décrétée par nous, mais doit se faire reconnaître et apprécier par notre peuple.
Cela implique naturellement – et nos congrès en avaient avancé l’hypothèse – que nous sachions désormais relever le défi de la mise à l’épreuve de la validité des solutions que nous avançons sur tous les terrains de l’action politique. Notamment, lorsque c’est possible, dans la gestion des affaires de l’État.
Nous savons bien que toute une culture communiste passée, fortement teintée d’étatisme, nous conduisait à « aller au pouvoir » comme nous disions, pour le « prendre ». Cette culture n’est plus la nôtre. Ce n’est pas pour le « prendre » que nous voulons participer au pouvoir, mais pour contribuer à le « rendre ». À le « rendre » aux attentes des Français en nous efforçant de faire en sorte qu’il y réponde le mieux possible dans la mise en œuvre d’une politique nouvelle. À le « rendre » aux citoyens, au déploiement et à la dynamique de leur intervention, à la satisfaction de leurs aspirations. Aspirations dont nous ambitionnons d’être, selon une formule qui nous est désormais familière, des « relais ».
La situation que nous connaissons est donc bien inédite, le mot n’est pas trop fort. Inédite, en ce que nous attendons de notre activité dans les conditions ainsi créées par le choix de notre peuple qu’elle convainque celui-ci de l’utilité de notre parti, et de l’intérêt que trouveraient les salariés, les citoyens à ce que ses idées, ses propositions, son apport, son audience se renforcent dans la vie nationale. Inédite, en ce que nous faisons plus de la conquête d’une position dominante pour notre parti la condition préalable à son engagement résolu, et à tous les niveaux, dans la mise en œuvre d’une politique de gauche, mais en ce que nous espérons que son implication constructive dans le succès de cette politique aura pour résultat de lui gagner une confiance élargie dans le pays. Inédite en ce qu’il s’agit, nous le voyons bien, « d’inventer », comme nous l’avons dit au Comité national de juin dernier, « une voie française et citoyenne de la transformation sociale, avec une gauche pluraliste, et dans une construction européenne nouvelle ». Et nous décidons de tout faire pour l’expérience en cours puisse y contribuer.
Inédite, la situation l’est encore en ce que nous avons décidé d’aller au gouvernement avec, sur des questions importantes, et même – je veux le souligner – sur ces questions les plus importantes de toutes que sont les réformes structurelles à entreprendre et l’avenir de la construction européenne, des différences d’appréciations et des divergences avec nos partenaires de la majorité, voire des « problèmes » non résolus entre nous. C’est bien d’ailleurs pourquoi nous avions envisagé, dans ce qui était alors le calendrier prévu, des initiatives politiques pour, pendant plus d’un an, « travailler » ces questions avec les citoyens, avec nos partenaires, et pour préciser dans le débat un certain nombre de nos propres conceptions.
Nous serons jugés non pas sur un programme mais sur notre efficacité
Les conditions dans lesquelles la gauche a remporté la victoire, celles dans lesquelles nous agissons désormais au gouvernement, au sein de la majorité comme dans l’ensemble du pays, font donc que nous ne sommes pas et que nous ne serons pas jugés sur la mise en œuvre du programme de notre parti, ni sur celle d’un « programme » de la gauche qui, je l’ai rappelé, n’existe pas. Je l’ai souligné à l’instant : nous ne sommes pas dans la situation de 1981 où le gouvernement s’était constitué sur la base de la mise en œuvre des propositions sur lesquelles venait d’être élu François Mitterrand. En juin 1997, le gouvernement a été constitué en constatant à la fois un accord entre les différentes composantes de la gauche plurielle sur un certain nombre de grandes orientations – indiquées notamment dans la déclaration commune PCF-PS – et l’existence de différences, voire de désaccords sur certain nombre de questions que je viens d’évoquer.
Et personne – je dis bien personne – n’a émis la prétention – cela n’aurait d’ailleurs pas été accepté – que sur ces questions ce soit le programme de tel ou tel qui devienne la référence de tout le gouvernement. Au contraire, la règle qui a été expressément retenue c’est celle de la discussion, du travail en commun pour rechercher les solutions les meilleures en rapport avec les attentes des Françaises et des Français. Cela exclut de notre point de vue aussi bien l’opposition systématique à tout ce qui s’écarte de nos propres propositions que l’alignement pour cause de solidarité gouvernementale sur les positions du Parti socialiste. C’est dans cet esprit que nous travaillons. Avec la conviction que nous sommes et nous serons jugés sur l’efficacité de nos efforts et de notre apport pour que des réponses positives soient apportées aux attentes sociales, aux aspirations de notre peuple.
De ce point de vue, il nous faut, je crois, bien comprendre ce qui s’exprime à notre égard depuis juin dans l’opinion en général, celle de l’ensemble des électeurs de gauche, celle de l’électorat communiste. On le sait, le jugement porté est très positif. Des récentes élections partielles l’ont confirmé. Toutes les enquêtes montrent qu’il trouve ses racines et ses raisons dans l’appréciation de notre comportement constructif et dans le rôle qui nous est attribué lors des décisions les plus appréciées du gouvernement.
Sans doute, et j’y reviendrai, ne mesurons-nous pas assez nous-même l’importance de l’apport des communistes dans la politique mise en œuvre depuis juin. Sans doute aussi nous faut-il bien percevoir ce qui conduit l’opinion à l’apprécier favorablement. Car pour juger de ce qui nous est dû est nous en attribuer le bénéfice, les Françaises et les Français qui sont dans cet état d’esprit ne comparent pas ce que fait le gouvernement avec ce qui est contenu dans le programme de notre parti. Mais bien plutôt ils ressentent dans la politique mise en œuvre une approche, une « touche », des « éléments » positifs différents de ce dont le Parti socialiste a été porteur ces dernières années. C’est précisément cela qu’ils attendaient de la participation des communistes au gouvernement. Et ce sont cette approche, cette « touche », ces éléments qui vont dans le sens de ce qu’ils souhaitent qu’ils portent bien naturellement au compte de la participation et de l’activité des communistes.
J’ajoute d’ailleurs – et c’est tout aussi important à noter – qu’ils ne nous font pas « porter le chapeau », comme on dit, des mesures qu’ils attendent et qui ne sont pas prises ou insuffisamment. Je pense aux mesures de relance par la consommation. Tout le monde sait bien, par exemple, que les communistes auraient souhaité une hausse du SMIC plus importante en juillet dernier et qu’ils posent avec force la question d’un gain de pouvoir d’achat qui serait favorable à l’emploi. Je pense aussi aux mesures pour orienter l’argent autrement. Là encore, tout le monde sait bien que nous souhaitons ardemment une réforme de la fiscalité, que nous voulons, par exemple, fortement augmenter « l’impôt sur la fortune » afin de financer un plan d’urgence ambitieux contre l’exclusion.
Toute cela, qui n’est pas fait ou pas suffisamment, n’est pas porté à notre débit. Mais nous ne saurions nous en satisfaire, car revanche, voyons-le bien, l’on compte sur nous pour que ces réformes nécessaires soient enfin mises en chantier.
À ce point du rapport – et m’appuyant sur le travail de réflexion, d’élaboration de propositions et d’initiatives accompli par le Bureau national et le Comité national depuis septembre –, je veux revenir sur ce que soit être notre rôle de parti au gouvernement, membre d’une majorité plurielle, dans le rapport de forces de l’on connaît.
Nous avons dit depuis le début que nous ne devions pas nous conduire à l’égard du gouvernement en comptable sourcilleux dressant chaque jour le relevé des bons et des mauvais points. Cela demeure naturellement à mon sens toujours d’actualité. Dans le même mouvement, nous avons souligné qu’il convenait non d’être à la remorque du calendrier gouvernemental, où de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais bien plutôt de prendre les problèmes le plus possible en amont. Et cela afin de pouvoir jouer tout notre rôle de force constructive contribuant à l’élaboration des réponses qu’ils appellent, selon nous.
Prendre les problèmes en amont
Cette préoccupation est toujours justifiée, et ne doit pas nous quitter. D’autant qu’il est des questions sur lesquelles nous avions beaucoup à réfléchir et à débattre entre nous avant même les élections. Je pense, par exemple, aux rapports privé-public et à la conception de la mixité, au problème du financement de la protection sociale, à plusieurs sujets touchant les institutions, comme les questions de l’indépendance des magistrats, de la réforme de la justice ou du cumul des mandats. Je pense également à nos propositions pour réorienter la construction européenne et donner du sens à l’Europe. Sur tous ces points et quelques autres, des réflexions, des travaux sont en cours. Ils doivent, selon moi, se poursuivre, s’accélérer. Les communistes doivent être informés de l’évolution des discussions, des idées et propositions émises, des solutions envisagées. Et ils doivent être appelés à donner leur avis.
En même temps, se pose la question du rapport entre les mesures envisagées par le gouvernement, les décisions qu’il prend et nos propres propositions. Je souhaite sur ce point formuler une idée qui m’apparaît importante. Je m’attacherai à la présenter en partant de quelques exemples.
Prenons d’abord celui du plan emploi-jeunes. Comme pour chaque mesure gouvernementale, nous avons franchement fait connaître notre opinion. Nous avons souligné ce qu’il y avait de nouveau dans la démarche proposée, dans la volonté de définir de nouveaux métiers à partir des besoins existants et le progrès que cela constituait par rapport aux « petits boulots » précaires offerts hier comme seul horizon. En même temps, nous en avons souligné certaines lacunes, voire certains dangers, certaines limites. Et les parlementaires communistes ont fait des propositions d’amélioration, dont certaines ont d’ailleurs été retenues, au moins partiellement. Tout cela est bien sûr indispensable. Mais nous ne pouvons, me semble-t-il, en rester là. Tout le monde conçoit bien, en effet, que même pleinement réalisé ce plan ne résoudra pas le problème de l’emploi et de la précarité pour les jeunes. Ce que l’on est en droit d’attendre du Parti communiste, c’est que tout en agissant pour la réussite de ce plan, il avance d’autres propositions et prenne des initiatives pour que les citoyens interviennent sur cette question décisive de l’emploi. En lui donnant toute sa dimension et en formulant les mesures structurelles radicalement nouvelles qu’elle appelle. Je pense, par exemple, à des mesures de relance par la consommation et donc aux hausses de revenues – salaires, retraites, allocations – qui sont nécessaires ; à des mesures incitant à une orientation de l’argent vers l’emploi plutôt que vers la finance, par une grande réforme de la fiscalité et du crédit ; aux droits nouveaux d’information, de contrôle et d’intervention qu’il convient de conquérir pour les salariés et les citoyens, afin que la priorité absolue à l’emploi soit bien effective ; à la politique de développement audacieuse dans l’industrie et les services qu’il convient de stimuler, et au rôle moteur que peut jouer en ce sens un secteur public rénové et démocratisé. Autrement dit, la « lisibilité », comme on dit, de l’utilité du Parti communiste ne peut résulter de la seule expression de l’appréciation que nous portons sur le plan emploi-jeunes, même assorti des propositions – retenues ou non – que nous avons faites pour l’améliorer. L’apport constructif du Parti communiste ne sera pleinement reconnu par l’opinion que si nous montrons, et si nous aidons à faire l’expérience, que l’on peut avancer dans des réformes structurelles permettant de faire réellement et massivement reculer le chômage et la précarité.
Autre exemple : France Télécom. Nous ne sommes pas d’accord avec ce qui est mis en œuvre, et nous l’avons dit. Nous avons affirmé notre conviction que l’on pouvait résoudre les problèmes de cette entreprise et assurer son développement avec d’autres mesures que la mise en Bourse d’une partie de son capital. Il fallait le dire. Mais cela est-il suffisant ? Je ne le pense pas. Car ce que les salariés de cette entreprise, et bien au-delà d’eux ce que les français sont en droit d’attendre du Parti communiste, c’est qu’il les aide à avoir une autre perspective que celle de la résignation à un processus qui peut effectivement conduire à la privatisation. Cela implique, me semble-t-il, que nous avancions des propositions concrètes pour la conquête des droits nouveaux pour les salariés de France Télécom, avec l’objectif qu’ils aient ainsi les moyens d’empêcher que les décisions qui viennent d’être prises débouchent inéluctablement sur la privatisation totale de leur entreprise. Cela suppose certes un grand travail de discussion, d’élaboration, d’action avec eux, dans lequel l’utilité, l’apport du Parti communiste seraient immédiatement « lisibles » pour tous.
Réorienter l’Europe
Troisième exemple : l’Europe. Nous avons, chacun le sait, désapprouvé la ratification du pacte de stabilité et la soumission aux critères maastrichtiens de l’euro. L’accord de Munster entre Paris et Bonn sur la « coordination des politiques économiques » après le passage à l’euro nous préoccupe. Il confirme notamment que, comme le notait le quotidien « La Tribune », l’euro sera bien géré « à l’allemande ».
Il est évidemment d’autant plus nécessaire de réaffirmer notre point de vue, en montrant la réalité des projets maastrichtiens, que tout est fait pour tenir les français dans l’ignorance de ce qui se prépare réellement tout en leur affirmant que désormais « tout est joué », « rien ne peut plus être modifié ».
Mais là encore nos concitoyens sont en droit d’attendre autre chose du Parti communiste. C’est pourquoi nous avons pris l’initiative de proposer que la France agisse auprès des partenaires européens pour une réorientation de la construction européenne dans le sens indiqué par la déclaration commune PCF-PS du 29 avril dernier. Et nous avons appelé tout le Parti à une campagne vigoureuse et novatrice pour créer les conditions de l’intervention citoyenne en faveur de cette réorientation.
Que le Parti communiste, s’affirmant clairement et de façon offensive non pas « eurosceptique » mais « euroconstructif », ouvre ainsi la perspective pour notre peuple d’intervenir et d’influer sur une construction européenne dont il est aujourd’hui totalement tenu à l’écart, cela me semble correspondre pleinement à ce qu’attendent de lui celles et ceux qui se sont prononcés pour sa participation à un gouvernement dont les autres composantes approuvent pour l’essentiel l’actuelle marche à l’euro.
Notre campagne sur cette question doit maintenir prendre toute son ampleur. Avec « l’adresse des communistes aux autres citoyens » conçue pour permettre l’échange d’idées, de propositions, la détermination d’actions communes pour la réorientation de la construction européenne et la consultation de notre peuple par référendum. Avec la multitude de points de rencontre, de discussions au porte-à-porte, de rencontre publiques que cela implique. Avec le « temps fort », que sera le 14 décembre prochain, la tenue d’un « carrefour européen pour une Europe sociale, de progrès, de paix et de sécurité ». Et avec ce point de convergence de toutes les initiatives, de toutes les interventions citoyennes que sera le grand rassemblement national du 18 janvier prochain à Paris.
Et là encore, j’ai la conviction que l’utilité du Parti communiste pour permettre à notre peuple d’influer sur le cours des choses peut apparaître, avec cette campagne, concrètement « lisible ».
Naturellement, j’ai bien conscience qu’un tel comportement de parti de gouvernement dans les conditions et le rapport de forces que j’ai évoqués demande bien des efforts. Il oblige à la créativité, à une véritable émulation en matière de propositions et d’initiatives, à une ouverture toujours plus large à la société. J’ai la conviction que les communistes ont commencé à s’y impliquer pleinement, et vont réussir.
Cette conviction, c’est du Parti lui-même que je la tiens. Du Parti tel qu’il débat aujourd’hui, tel qu’il prend à cœur avec la pleine conscience de l’effort à faire et avec un grand esprit de responsabilité les tâches nouvelles qui lui incombent. Du Parti tel qu’il se renforce actuellement de milliers d’adhésions – dont de très nombreux jeunes – et de l’activité souvent renouvelée de milliers de ses cellules.
Impulser le débat
Il y a dans le Parti des interrogations, quelquefois des doutes, un débat souvent vif ? N’est-ce pas tout à fait naturel lorsqu’il s’agit de faire face à une situation inédite dans laquelle il nous faut assurer de grandes responsabilités. Des avis différents s’expriment. Mais – et c’est pour moi très important –, il y a un refus général de laisser s’installer des clivages, des étiquetages. C’est un débat enrichissant pour tous, pour le Parti tout entier. Un débat entre les communistes qui, tous, quelles qu’aient été leurs positions lors de la consultation pour l’entrée au gouvernement et quelles que soient leurs positions aujourd’hui, cherchent à faire le mieux possible pour leur parti et pour leur pays dans cette situation inédite. Et il est de la responsabilité des directions communistes à tous les niveaux – de la cellule au Comité national – d’être à l’initiative de ce débat dans le Parti, de l’impulser, de l’enrichir de leurs réflexions. De contribuer ainsi à ce que l’unité du Parti pour mettre en œuvre sa politique s’enrichisse pleinement de sa diversité.
Évoquant les discussions des communistes, je me dois de dire un mot d’une question qui y est apparue. Elle concerne le travail des députés communistes à l’Assemblée nationale. Plus particulièrement leurs votes. Ce travail, dynamique et constructif pour que soient prise en compte les attentes des Français, est apprécié positivement. Cependant devant des différences d’attitudes, exprimées et médiatisées, des camarades ont parlé de « cacophonie ». Le groupe en a bien sûr discuté lui-même : cela relève avant tout de lui est des ses règles de vie. Mais chacun en connaît les retombées politiques. Le Bureau national a donc également évoqué cette question. Pour conclure qu’il n’était bien sûr pas question de limiter si peu que ce soit la liberté de chacun, et que le problème est celui de la responsabilité de tous pour que des comportements répercutés et amplifiés par les médias ne mettent pas en doute la crédibilité du groupe et, au-delà, celle du Parti lui-même. Il faut donc – c’est ma conviction, celle du président du groupe, celle, majoritaire, du groupe lui-même et aussi celle du Bureau national – trouver un juste équilibre entre liberté et responsabilité, entre choix individuel et appartenance à un groupe. De façon à ce que des attitudes pouvant conduire à brouiller la perception de la politique du Parti et à susciter craintes et inquiétudes chez les communistes et dans l’opinion ne puissent se produire.
J’ai à plusieurs reprises, dans ce rapport, souligné la complexité de la situation, son caractère nouveau, les questions inédites qu’elle nous conduit à examiner avec audace et imagination. Chacun comprend bien que rien ne serait plus facile dans une telle situation que de céder à la tentation du repli devant les difficultés. Mais – qu’on me permette d’insister – ce n’est pas cela que l’on attend de nous. Ce n’est pas cela qu’attendent l’opinion progressiste, les électrices et les électeurs qui ont donné la majorité à la gauche et souhaité notre présence au gouvernement, ni les communistes qui ressentent fortement ce que nous savons d’expérience, à savoir que le Parti paierait très cher une attitude de repli.
C’est dans cet esprit de construction, de novation, de mutation que nous avons, avec les députés communistes, « passé le cap » difficile de la discussion du budget de la protection sociale en nous appuyant d’ailleurs sur les réflexions du Comité national à ce sujet. Nous n’avons pas choisi la voie de la rupture pour manifester notre opposition à la CSG, mais celle de l’expression franche de nos positions et de nos désaccords. Du même pas nous avons formulé des propositions. Certaines – et non des moindres – ont été prises en compte. On me dira peut-être qu’il ne s’agit que d’intentions. C’est vrai. Mais ces intentions affichées n’ouvrent-elles pas la voie à une intervention suffisamment forte – si nous y jouons notre rôle constructif – pour les rendre effectives ?
Je veux rappeler en m’appuyant sur cet exemple qu’il ne suffit pas de répéter : « Nous ne sommes plus un parti guide », mais qu’il faut en tirer toutes les conséquences dans nos actes. Et cela non en prétendant détenir et apporter de l’extérieur aux citoyens la « vérité », la « bonne parole », la « bonne solution », la « bonne société ». Mais en travaillant, en débattant, en construisant les réponses, avec eux tels qu’ils sont.
III. – Pour une nouvelle étape : celle des réformes structurelles nécessaires
Je viens d’évoquer les cinq mois écoulés depuis la formation du gouvernement. Comment évaluer l’apport des communistes durant cette période ? On ne peut se cantonner à une approche comptable. Il faut considérer bien entendu l’ensemble des mesures prises ou mise en chantier par les ministres communistes eux-mêmes, ce que les députés communistes et apparentés ont contribué à faire adopter ou à faire mûrir dans le débat parlementaire, ce que nous avons permis par nos initiatives dans tout le pays, je pense notamment aux « rencontres citoyennes » et aux « espaces citoyens » qui commencent à se mettre en place.
Tout le monde a noté le sérieux, le côté créatif du travail des ministres communistes dont l’autorité s’est affirmée dans leurs domaines de compétence. Et l’on sait que dans le gouvernement pluriel ils apportent dans chaque décision leur contribution originale et constructive.
Sur un dossier aussi significatif que les 35 heures, nous nous sommes appuyés sur les engagements pris dans la déclaration PCF-PS pour défendre l’idée d’une loi cadre avec date butoir pour les 35 heures sans diminution de salaire. On sait que telle n’était pas la position de départ de tous les partenaires du gouvernement. Et l’opinion publique – comme aussi le CNPF – a mis en relation le respect des engagements prix et la participation des communistes à la majorité. De même, pour la forte ponction sur les bénéfices des grandes sociétés.
Les batailles menées depuis des années contre la précarisation des emplois, comme les discussions menées au gouvernement et au Parlement, on influé sur la nature des emplois proposés avec le plan emploi-jeunes – avec leurs limites certes, et l’ai dit – mais aussi avec les points d’appui qu’ils offrent. On sait aussi les efforts des parlementaires communistes pour infléchir la loi de finances initiale 1998.
Sur toute une série de questions, l’apport des initiatives de terrain, combiné à celui des députés et sénateurs, de l’ensemble de nos élus, et pour la part qui leur revient aux ministres, cet apport communiste et identifiable directement. Et surtout, il est sensible dans l’attention à ce que les engagements soient respectés, à ce qu’une autre manière de gouverner soit réellement mise en œuvre, à ce que les attentes de notre peuple soient écoutées et prises en considération.
Cet apport ne concerne donc pas que les décisions gouvernementales ou législatives. Il touche à la nature même du débat engagé dans le pays sur les changements à opérer. Ce débat ne peut ignorer les questions et les propositions avancées par les communistes.
Consolider la majorité de gauche plurielle
L’apport des communistes c’est aussi en second lieu une volonté de consolider au plan politique la majorité de « gauche plurielle ». Avec notamment notre proposition d’aller dans l’union à la bataille des élections régionales. Nous voulons en effet en finir avec l’anomalie paradoxale qui fait que la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale mais que la droite dirige vingt régions sur vingt-deux, et la majorité des conseils généraux. Dans la foulée de la victoire de juin dernier, c’est ainsi un nouvel élan qui peut être donné à la politique nouvelle avec la conquête de nombreux conseils régionaux et généraux, avec une nouvelle défaite infligée à la droite et un coup d’arrêt porté aux idées de haine, de violence et d’exclusion du Front national.
A cet égard, je veux rappeler que, lors du Comité national de juin dernier, j’avais évoqué l’idée d’un « tournant que pourrait prendre la politique de la France et la société française ». Non bien sûr d’un « tournant » vers le pire, comme nous en avons trop souvent connu dans notre histoire, tout récemment encore, en 1983, avec le « tournant de la rigueur » sanctionnant l’abandon des engagements et le renoncement au changement. Mais si j’ose dire un « tournant vers le mieux », un tournant prenant force et dynamisme dans l’intervention citoyenne que nous nous engagions à développer pour qu’un ressort nouveau soit donné à l’action gouvernementale.
Il ne s’agissait alors que d’une idée. Ne prend-elle pas aujourd’hui une consistance plus concrète ; une portée nouvelle ? La défaite confirmée en mars prochain d’une droite que l’on voit en proie au doute et à la division, le Front national stoppé, la gauche dirigeant dans son union et son pluralisme en plus grand nombre de conseils régionaux et généraux, possédant un plus grand nombre d’élus, cela ne donnerait-il pas du corps à cette perspective ? Cela ne donnerait-il pas à la gauche les moyens politiques nécessaires pour passer à une étape nouvelle ? Une étape au cours de laquelle les réformes structurelles attendues et indispensables pour consolider le changement pourraient être décidées et mises en œuvre ? Tel est en tout cas le but que nous nous assignons. Et nous disons aux Françaises et aux Français qui ont élu cette majorité de gauche et souhaité la présence des communistes au gouvernement qu’ils peuvent compter sur nous pour y contribuer de façon imaginative, efficace, constructive.
Conscients de notre apport depuis cinq mois, celles et ceux qui ont élu cette majorité et souhaité la présence de communistes comptent en effet sur nous, sur le Parti communiste français, pour que s’engagent les réformes de structures sans lesquelles les attentes exprimées avec tant de force en juin ne pourraient être satisfaites, avec tous les risques d’échec qui en découleraient.
Ces réformes de structures à mette en œuvre sans attendre sont celles que nous avions définies ensemble avec le Parti socialiste dans la déclaration commune du 29 avril.
Des réformes de structures indispensables
Avec refus de nouveaux sacrifices, nous insistons sur la relance du pouvoir d’achat et de la consommation, par un relèvement sensible des salaires. Ce qui implique une augmentation du SMIC autrement significative que le léger coup de pouce accordé en juillet. La lutte contre le chômage et pour l’emploi constitue une priorité absolue, disons-nous. J’ai dit l’intérêt que revêt le plan emploi-jeunes, et la grande signification de la décision de la réduction de ramener le temps de travail à 35 heures sans diminution de salaire. Mais si l’on veut orienter l’argent vers l’emploi, la production, les services, la formation, et donner à l’État et aux collectivités locales les moyens de créer des emplois, il faut engager une réforme du système fiscal et une réforme du crédit, pour alléger les charges financières qui pénalisent notamment les PME-PMI. Dans le même ordre d’idée un rôle nouveau pourrait être dévolu à la Banque européenne d’investissements.
La défense et la promotion des services publics, avec leur rénovation et leur démocratisation, sont des leviers puissants pour enrayer la spirale du chômage, et contribuer à une véritable politique de relance de la production et des services – ce qui implique d’arrêter les processus de privatisation.
Aussi essentielle pour nous, toujours dans l’esprit de la déclaration commune, la nécessité de créer les conditions pour la conquête de droits nouveaux des salariés dans les entreprises, notamment sur l’orientation de l’argent et sur les choix qui touchent à l’emploi.
Faire franchir une nouvelle étape à la démocratie française demande de nourrir ne démocratisation des institutions par des droits nouveaux réels, aux citoyens, leur permettant d’intervenir et de peser sur les décisions qui les concernent.
Enfin, il s’agit de réformer en profondeur les relations de la France avec les autres pays, par la réorientation de la construction européenne, et en se fixant l’orientation d’une politique de coopération et de codéveloppement.
Telles sont les grandes orientations qui permettraient, selon nous, d’engager le pays dans une « nouvelle étape » pour le changement qu’attendent les Françaises et les Français, d’asseoir leur confiance et leur espérance sur le socle solide de réformes profondes. Et, à mon sens, notre parti se doit, pour témoigner concrètement de son engagement constructif dans le succès de l’expérience en cours, de prendre toutes les initiatives nécessaires pour y contribuer.
J’ai évoqué les obstacles et les résistances à surmonter pour cela. Mais de quels atouts dispose-t-on pour y parvenir ?
Quels atouts pour surmonter les obstacles ?
D’abord, nous le voyons bien, les aspirations qui ont conduit à la victoire de la gauche, le refus de l’insupportable, l’exigence du respect de la parole donnée : tout cela demeure bel et bien, dans l’opinion. On l’a vu d’ailleurs à l’occasion de l’action des routiers.
Et puis, il y a la détermination des communistes. J’ai souligné la vitalité de leurs débats. Elle n’est en rien paralysante pour l’action. Au contraire. Notre parti à l’initiative. Précisément parce que s’y renforce non pas la volonté de faire marche arrière, mais bien plutôt la perception de plus en plus nette que l’heure n’est pas à « la pause », et qu’il faut aller de l’avant et contribuer aux avancées plus fort et plus vite. J’ajoute que les hommes et les femmes qui tendent à se retrouver dans ce que nous avons appelé « la force communiste » témoignent d’une réelle disponibilité, d’un véritable intérêt pour le débat, pour tout ce qui peut permettre d’intervenir pour avancer dans la voie des changements tant attendus. Parce qu’ils ressentent bien, eux aussi, qu’il ne faut décidément pas s’arrêter en cours de route, sous peine d’être contraints à reculer pour finalement échouer.
En même temps, dans les autres forces politiques de gauche, comme au sein du mouvement social et associatif, des réflexions se font jour et progressent, avec le souci de ne pas retomber dans les ornières du passé, de chercher des voies neuves pour que l’action politique et sociale « porte mieux » les exigences des salariés, des citoyens. Et du coup se créent peu à peu les conditions de rassemblements d’un type nouveau, dont on ressent bien qu’ils seront nécessaires pour avancer vers des changements plus « radicaux ». N’est-ce pas au fond ce que nous avions recherché nous-mêmes en imaginant la démarche novatrice du « pacte unitaire pour progrès » dès 1994 ?
Et, bien entendu, au nombre des atouts sur lesquels s’appuyer pour aller de l’avant en France, je veux souligner les possibilités grandissantes de convergences dans les attentes et les luttes des peuples, notamment en Europe. Avec le poids que peuvent avoir, par exemple, l’affirmation convergente du refus des cures d’austérité liées au passage à l’euro, l’exigence d’une harmonisation par le haut des législations sociales, la volonté plus nettement affirmée d’une Europe agissant pour l’emploi et le progrès social.
On le voit, nous avons toutes les raisons pour poursuivre dans la voie que nous avons choisie. Et nous ne manquons pas de moyens pour contribuer à créer les conditions de la dynamique sociale et citoyenne nécessaire pour faire prévaloir cette « nouvelle étape » dont je viens à grands traits d’esquisser les contours.
Il ne s’agit bien sûr pas de je ne sais quelle surenchère. Tout au contraire, Il s’agit de notre apport de communistes, de notre apport constructif à la réussite de l’expérience engagée. Car, je veux y insister encore une fois : sans ces réformes structurelles, les attentes exprimées avec tant de force en juin dernier par les Français ne pourront être satisfaites. Et – je le répète – si tel était le cas, l’échec serait au rendez-vous. Avec les conséquences que l’on devine.
Nous voulons de tout notre cœur, de toute nos forces, la réussite et non l’échec. Parce qu’il y va du mieux-être de notre peuple, du renouveau de notre société, de notre pays, et de la construction d’une Europe répondant aux aspirations, aux espérances de progrès et de paix des peules.
Nous voulons la réussite et non l’échec, parce que nous voulons aider notre peuple à faire l’expérience qu’il a en lui les forces et les capacités nécessaires pour réaliser les avancées dont il a l’urgent besoin, et se donner ainsi les moyens d’aller plus loin pour construire la société, l’avenir auxquels il aspire.
Une visée transformatrice
En même temps, chacun le sait bien, nous ne bornons pas notre horizon et notre ambition à la réussite de l’actuel gouvernement. Nous avons une visée transformatrice plus ample. Et nous avons la conviction que c’est dans le débat et l’action pour trouver des solutions concrètes au problèmes posés que l’on peut le mieux convaincre de la nécessité de changer la société, de faire reculer la logique dévastatrice qui y règne, de faire prévaloir la priorité à l’épanouissement humain qui nous mobilise.
C’est ainsi qu’on peut le mieux créer les conditions pour que des millions de Françaises et de Français perçoivent ensemble la nature des changements à opérer, mesurent les possibilités de les réussir, et rassemblent leurs forces pour y parvenir.
C’est dans ce travail concret quotidien pour modifier les réalités, dans ces investissements de tous les jours dans les contradictions de la société, dans les contradictions d’une action politique menée dans les conditions et les rapports de force déjà rappelés, c’est dans ce travail et par cet investissement que notre visée transformatrice prendra vie et force.
On le voit : quel formidable contresens ce serait de considérer que l’action pour la transformation sociale pourrait être renvoyée à plus tard, et notre visée communiste mise entre parenthèse, pour cause de participation gouvernementale !
IV. – Avec audace, sans complexe : le PCF tel qu’il est
Oui, la transformation sociale, la visée communiste, c’est bien cela qui est au cœur de notre stratégie. Parce que c’est notre raison d’être, notre identité de communistes d’aujourd’hui.
De toutes parts on ne cesse d’invoquer la « fatalité » du règne des « marchés » et de proclamer périmée la dignité de l’action politique. Notre visée communiste refuse ce « destin » que l’on veut imposer aux sociétés humaines. Elle est une autre façon de dire l’exigence imprescriptible des êtres humains de voir reconnus leur liberté, leur droit à construire et maîtriser leur avenir.
Cette visée, ce choix résolut de l’épanouissement de l’humanité en chaque individu, cette conviction que tout ne se joue pas dans le dos des peuples mais que leur histoire dépend d’eux-mêmes et qu’ils peuvent s’y faire entendre, nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. Ils sont constitutifs de ce que nous sommes. Avec notre idéal de libération des exploités, des opprimées, des humiliés, né il y a bien des siècles, et que devint projet politique en France au XIXe siècle, en s’affirmant dans le combat ouvrier. Et ce que nous voulons aujourd’hui, ce que nous avons décidé, ce n’est bien sûr pas d’y renoncer, c’est au contraire de le poursuivre. En le mettant bien à l’heure des enjeux de notre temps. Car tout comme c’est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à sa source, c’est par la mutation de ce que fut tout un temps la culture communiste que nous voulons en conforter l’identité, en montrer la force libératrice et la fécondité.
C’est bien pourquoi je considère comme totalement incongrue et extravagante l’annonce dans la presse – à coup de rumeurs et de mystères – d’un changement de nom de notre parti. C’est-à-dire soyons clairs : de son renoncement à son appellation de Parti communiste. Tout simplement parce qu’un tel choix, si par hypothèse absurde nous y recourions, serait à l’opposé de tout ce que nous sommes et voulons toujours mieux être, de tout ce que nous faisons et voulons toujours mieux faire. J’ajoute – puisqu’on a parlé de « look » et de communication à ce propos – que ce serait une bien mauvaise manière de faire. Les Partis communistes qui ont renoncé continuent d’être appelés « les ex-communistes » ou les « anciens communistes ». Nous l’avons déjà dit : nous préférons, nous, qu’on nous appelle « les nouveaux communistes ».
Nous libérer à jamais des dogmes qui ont conduit à ce dramatique naufrage
C’est bien entendu avec une grande émotion que nous avons pris connaissance d’un livre consacré aux massacres perpétrés au nom du communisme. À vrai dire, dans cet ouvrage il y a deux choses différentes. Il y a d’une part un minutieux travail d’historiens visant à éclairer quelques-unes des tragédies de ce siècle. Et il y a d’autre part ce qu’il faut bien appeler une opération politique visant à identifier communisme et crime, communisme et nazisme, jusqu’à y inclure les communistes français.
On est là bien près, on en conviendra, des élucubrations d’un Le Pen et d’un projet de « procès de Nuremberg du communisme ». Et, au-delà du communisme, c’est sur l’idée même de transformation sociale, de révolution. C’est-à-dire de changement radical pour dépasser le capitalisme que l’on veut jeter l’opprobre.
Cette parution me conduit à deux remarques. La première : nous sommes preneurs de travaux d’historiens – et il en existe de remarquables – nous permettant de comprendre comment, au nom du communisme, ont pu être commises d’épouvantables atrocités qui en ont perverti le sens même. Et nous voulons comprendre les choses à leurs racines : remonter du plus voyant au plus profond, aller des crimes et des « camps » au système de pouvoir – fondé sur le règne d’un parti unique –, au système de pensée qui les ont rendus possibles. Et cela afin d’en tirer enseignement pour nous-mêmes qui n’ayant commis aucun de ces crimes avons décidé, depuis maintenant plus de vingt ans, de nous libérer à jamais des dogmes qui ont conduit à ce dramatique naufrage d’une si grande espérance.
Je veux, à cet égard, rappeler que le PCF a ouvert ses archives en 1993, avec la volonté d’offrir aux historiens les moyens de travailler sur son histoire. Il est le seul parti à l’avoir fait. Nos archives ouvertes, il a fallu naturellement travailler à rendre utilisables des fonds considérables, à l’état brut pour la plupart d’entre eux. Le 24 janvier prochain, une journée portes ouvertes sur les archives du PCF donnera à voir où nous en sommes, en particulier quant au catalogue analytique complet de nos archives que la commission « archives et mémoire militante » a mis en chantier. Lors de cette journée se tiendra une rencontre avec des historiens, au cours de laquelle je ne manquerai pas de revenir sur l’importance politique que nous accordons aux recherches historiques sur le communisme.
Pour ma seconde remarque, je veux insister sur le fait que nous ne partons pas de rien. Et si – nous l’avons reconnu – nous avons dit avec un retard dommageable ce que d’autres avaient dit avant nous, nous avons beaucoup fait pour rompre de façon irréversible avec des conceptions et des méthodes qui ont conduit à l’impasse. C’est le cœur même de notre mutation. Nous sommes donc attentifs aux leçons de l’histoire et à ses insupportables gâchis humains. Mais on ne nous convaincra pas que le communisme se confond avec les crimes en question, et nous ne tolérerons pas qu’on en prenne prétexte pour tenter de salir l’histoire des communistes français.
Car le communisme tel que nous le voulons, le communisme tel que nous le repensons aujourd’hui c’est l’action pour une transformation profonde de la société par l’épanouissement des individus. C’est la réponse à cette lancinante interrogation : « Quel but, quelle fin convient-il à une société civilisée de se donner : l’argent et son accumulation ou la personne humaine, son bonheur et ses droits ? ».
On connaît le choix du capitalisme. C’est l’argent, qui de moyen qu’il était pour permettre aux hommes de réaliser leurs fins est devenu une fin en soi, une recherche effrénée de « l’argent pour l’argent ». Et c’est l’être humain qui est devenue moyen : on l’embauche ou on le licencie, on l’exploite et on le brime pour permettre à l’argent de « faire » de l’argent.
Le choix du communisme est d’en finir avec cette exploitation, avec cette aliénation radicale. C’est le choix de l’humanisme qui fait primer la « personne » sur la « chose », et qui conçoit l’être humain comme priorité effective du développement social.
Ce qu’implique le choix de l’humanisme
Choisir la personne humaine, c’est choisir la démocratie. C’est le contraire de l’histoire faite sans les peuples et finalement contre eux. Ce n’est pas le pouvoir confisqué en quelques mains, par les puissants, les élites, les experts, ou l’État. Ce sont les citoyens décideurs, auteurs et acteurs de ce qui fait leur vie. Ce sont donc pour eux des droits nouveaux, et la capacité effective de les exercer.
Cela implique, j’y insiste, qu’au cœur même du système de production des richesses, les salariés aient leur mot à dire, disposant de pouvoirs d’intervention élargis. À cet égard, l’histoire nous apprend que « dépasser le capitalisme » et les comportements qu’il implique, comme nous le voulons, ce n’est pas seulement changer la propriété de ce que nous avons appelé longtemps « les grands moyens de production et d’échange ». Ce n’est pas non plus seulement veiller à l’établissement d’un rapport de force favorable entre les différents secteurs de l’activité économique selon la nature publique ou privée de leur propriété. La question clé, la question cruciale, c’est celle de l’approbation véritable par la société, c’est-à-dire par les salariés et les citoyens des conditions de leurs activités, avec ce qu’il y faut certes de propriété « juridique », mais aussi de savoir, de pouvoir, de maîtrise effective. Avec, autrement dit, des droits, et des capacités de les faire vivre : en matière de gestion des entreprises, de décisions concernant leurs finalités. En matière de recherches et de formations, d’utilisation des richesses produites, de satisfaction des besoins qui en découlent. Et aussi en matière d’environnement, de contribution au développement durable de la société. Tout cela constitue, on le voit, un immense chantier historique. C’est celui d’aujourd’hui. Celui du siècle qui s’ouvre.
Choisir l’épanouissement humain, c’est aussi en finir avec une logique qui affirme sa modernité économique au prix du sacrifice des individus et du déchirement de la société. C’est au contraire considérer que le progrès social n’est pas seulement un but de l’activité économique, mais à la fois son moteur et la condition sine qua non de sa dynamique. Cela suppose que l’on parie sur l’intelligence des hommes et des femmes, que l’on considère leur mieux-être, leur santé, leur culture, le développement de leur personnalité non comme des « coûts » à réduire mais comme des leviers civilisateurs.
Choisir la priorité à l’être humain, c’est aussi considérer le tissu de leur vie en commun. C’est préférer la construction de solidarités au déchaînement des rivalités. C’est affirmer la valeur de la coopération et du partage plutôt que celle d’une concurrence rapace et destructrice. Cela veut dire une harmonisation de la formation et de l’emploi – ce que nous avons appelé à notre 29e congrès « une sécurité d’emploi-formation pour toutes et tous ». Cela veut dire un « droit à la ville » repensé, et une vie urbaine recomposée dans la stabilité et la sûreté. Cela veut dire l’égalité et l’intégration citoyennes, plutôt que l’immigration montrée du doigt allant de pair avec le déchaînement du « communautarisme ». Cela veut dire un aménagement du territoire équilibré, un nouvel âge de la démocratie. Cela veut dire aussi une société qui reconnaît le rôle des femmes et assure la parité hommes-femmes notamment dans les responsabilités économiques, sociales et politiques.
Choisir l’être humain, c’est aussi agir pour un autre monde. Non celui du pillage, du mépris des plus faibles, d’une guerre économique ravageuse, des inégalités qui se creusent. À cette « mondialisation » de la finance, nous opposons, je l’ai dit, une « mondialisation » des coopérations et du codéveloppement. Ce qui suppose de tout autres règles du jeu mondiales que celles qui prévalent aujourd’hui.
C’est tout cela la visée communiste. On nous dira peut-être, au nom d’un cynisme de bon tons : « nobles propos, mais pur exercice de style, car tout cela est totalement chimérique ». Pourtant, qui ne voit qu’en toile de fond de tous les problèmes qui font notre actualité grandissent des interrogations, des recherches qui, même si ce n’est pas avec les mots que j’ai employés, débouchent toutes sur la volonté d’une société moins arrogante, moins brutale, moins violente, plus humaine. Décidément oui, les communistes français d’aujourd’hui ont raison de ne pas mettre en berne l’espérance, de ne pas « jouer petits bras », de voir grand et large, sans pour cela se détourner du « terrain » et du quotidien. Car ils sont ainsi à l’unisson de ce qui travaille en profondeur la société et l’opinion. Et loin de faire de leurs idées un bréviaire doctrinal, ils agissent pour que notre peuple se dote par le débat et l’initiative d’un projet transformateur, et avance dans la réalisation.
C’est un Parti communiste sans complexe, offensif et conquérant qui porte cette visée communiste moderne. C’est le Parti que nous avons décidé d’être au 29e Congrès. Un parti qui peut chaque jour mesurer combien on attend de lui précisément parce qu’il a su entreprendre d’être un Parti communiste de notre temps. Un Parti qui suscite intérêt et regards nouveaux et qui peut – on le sent bien – se retrouver avec ces centaines de milliers d’hommes et de femmes qui n’abdiquent pas et qui ont au cœur des valeurs élevées et des exigences fortes de justice et de liberté. Un Parti qui a décidé de ressourcer la politique en la faisant commencer par l’action militante, l’ouverture à la société, l’expérience de la solidarité et de la dignité reconquises, la reconstruction d’un lien social digne de ce nom – ce que nous avons appelé notre « nouvelle fonction communiste ». Un Parti qui revendique sa diversité comme une richesse, et qui doit et veut progresser dans sa capacité à accueillir et à mettre en commune pour les valoriser les apports nécessairement uniques et différents de chacune et de chacun. Un Parti qui, avec ses adhérents, avec ses cellules, apporte du neuf dans la vie politique.
Les espaces citoyens : une réponse à la crise de la politique
C’est en particulier le cas avec l’effort que nous avons engagé pour la création dans tout le pays des « espaces citoyens ».
Je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des raisons fondamentales qui nous ont conduits à cette initiative, même s’il ne faut pas perdre une occasion de s’en expliquer avec les militants. Elle constitue à la fois un aspect essentiel de notre mutation et une réponse originale et audacieuse à la crise de la politique.
Je pense qu’on n’y insistera jamais assez : cette dernière n’est pas une donnée provisoire, découlant de tel ou tel événement qu’un autre pourrait faire disparaître, mais une réalité profonde. C’est la crise de la politique telle qu’elle se fait à notre époque, dans toutes ses dimensions : dans son contenu, ses pratiques, ses institutions, son rapport à la société et aux citoyens. Une crise qui est porteuse à la fois de refus de plus en plus déterminés et d’exigences de plus en plus pressantes. Qu’on en soit conscient ou non, qu’on l’accepte ou qu’on en soit heurté, le fait est là : il y a des choses que les Français n’acceptent et n’accepteront plus dans la politique. Il y a en ce domaine une énorme demande de changements. Y répondre est pour qui agit sur ce terrain – et c’est donc notre cas, comme parti politique – une question tout simplement vitale, au sens propre du terme.
Ces changements attendus s’appellent : davantage d’écoute, davantage de proximité, davantage d’attention et de respect, davantage de morale, davantage d’informations vraies, de droits, de pouvoirs, de responsabilités. Ils convergent en un même besoin, celui d’un bond de la démocratie, d’une citoyenneté nouvelle, permettant aux individus d’avoir la maîtrise des décisions qui les concernent.
Nous en sommes bien conscients : tout ce qui, dans notre pays et au-delà, est concerné par le problème de l’exercice de pouvoirs est confronté à cette réalité et tente d’y apporter ses réponses. Ce qu’il est convenu d’appeler la « crise de légitimité des élites » nourrit ainsi de nombreuses études visant explicitement à permettre à la classe dirigeante de préserver ses pouvoirs. On connaît les réflexions et les expériences engagées par le CNPF depuis plus de vingt ans dans cet esprit. Toutes les forces politiques sans exception sont elles aussi à la recherche de nouvelles méthodes permettant d’intégrer cette volonté de citoyenneté à leurs propres objectifs. Je ne les décris pas dans le cadre de ce rapport, et il serait erroné de les confondre. La droite se contente de donner une coloration « morale » à son discours, qui sonne de plus en plus faux. Le gouvernement essaie quant à lui d’établir une relation plus directe avec les Français et certaines de ses décisions vont effectivement dans le sens d’un élargissement de la démocratie qui provoque – et c’est bien – un certain regain de confiance dans la politique.
Mais la question posée est d’une tout autre ampleur : il s’agit de contribuer à faire procéder les décisions du débat citoyen.
C’est précisément cela qu’appelle la crise de la politique et de la citoyenneté : un nouveau rapport du peuple, des individus au pouvoir politique et à ceux qui l’exercent ; un nouveau type de vie démocratique bannissant la concentration, l’opacité, l’éloignement des centres de décisions. Ce qui implique bien sûr de nouvelles institutions et de nouvelles méthodes de l’action politique.
Il y a un devoir d’imagination en la matière. Nous essayons d’y prendre notre part avec la création des espaces citoyens. Non pas une nouvelle forme de « réunion ouverte du Parti communiste » encore un peu plus ouverte, mais la fondation de lieux inédits dans le paysage politique français. Des lieux, avons-nous dit, appartenant à leurs participants. Où celles et ceux qui partagent notre refus de l’inhumanité de la société, notre volonté de contribuer aux changements indispensables puissent se rencontrer périodiquement, échanger librement leurs idées, réfléchir ensemble à des solutions neuves et décider d’actions pour les promouvoir, être parties prenantes d’une dynamique nationale permettant à l’intervention citoyenne de peser davantage sur les choix politiques. Il ne s’agit pas seulement, en effet, de libérer la parole et favoriser le débat, chacun dans son coin, mais de faire évoluer la réalité. Cela implique relations entre ces espaces, informations réciproques – « L’Humanité Hebdo » se donner pour objectif de s’en faire, au plan national, le trait d’union – et donc une certaine coordination. Dans plusieurs fédérations, il importe sans doute de commencer à contribuer à la mise en place de collectifs souples, représentatifs des différents espaces, pour assurer cette coordination.
Les premières expériences réalisées sont extrêmement encourageantes. Tant que cette démarche relève du seul domaine de la théorie, elle peut susciter des doutes quant à son efficacité pratique quand ce n’est pas certaines incompréhensions. Mais lorsqu’on entre dans le concret, qu’on constate dans la pratique à quel point cette nouvelle façon d’intervenir dans la politique correspond à un besoin et qu’on découvre les potentiels de développement qu’elle recèle, on mesure le manque à gagner qu’il y aurait à ne pas les généraliser.
Il s’agit, avons-nous dit, d’un « nouveau mode de vie du Parti ». Parfois, cette expression a été comprise comme une volonté de substituer ces lieux nouveaux à nos organisations, notamment à nos cellules. Cette interprétation avait été démentie à l’avance, dès l’origine. Elle ne repose sur rien et, s’il faut la réfuter à nouveau, ne nous en privons pas. Et ne nous privons pas de mettre en lumière combien cette initiative permet de donner sa pleine efficacité au militantisme communiste, et de lui offrir de nouveaux prolongements.
L’efficacité du militantisme communiste
Il arrive qu’on parle aussi de « crise du militantisme politique ». Je ne reprendrais pas cette expression à mon compte, mais comment nier qu’il y ait des difficultés en ce domaine ? Or, j’y ai assez insisté, la crise de la citoyenneté est un appel à l’intervention de proximité, de terrain, à la communication vraie entre les individus, à la démocratie directe. C’est dire l’efficacité plus grande que jamais que peut avoir aujourd’hui l’activité militante. De son plein déploiement, sous les formes que notre congrès a décrites et qui correspondent aux exigences d’aujourd’hui dépend pour une large part que la situation évolue ou non dans un sens progressiste, transformateur.
L’activité militante son rythme, son domaine, son efficacité propres. C’est celui – en liaison, bien sûr, avec les faites de l’actualité – de la vie, du contact direct, du débat d’idées et de l’action dans une communauté de situations, de préoccupations, d’intérêts. Bref, c’est celui du mouvement essentiel de la société et de l’opinion. C’est bien pourquoi le militantisme communiste – celui de la cellule, ce lieu de proximité où vit et s’exprime notre politique et celui de l’individu communiste – possède aujourd’hui une efficacité à bien des égards inédites. Mais rien ne se décrète en ce domaine. Cette efficacité se prouve et se prouvera à la condition que l’activité militante s’ouvre en permanence à la société, aux exigences de citoyenneté que je viens d’évoquer, et aux formes d’intervention nécessairement nouvelles que ces exigences appellent. C’est ce que nous essayons de faire avec les espaces citoyens. Je suis pour ma part convaincu qu’ils peuvent être de grande portée.
Chers camarades,
On l’aura compris, ce que nous entreprenons est considérable. Mais en même temps ce n’est pas au-dessus de nos forces. Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas de faire « entrer » dans la société des conceptions élaborées en dehors d’elle. Mas parce qu’il s’agit de libérer des aspirations, des possibilités qu’elle contient. Nous sommes ainsi de plain-pied avec ce qui la traverse et l’anime en profondeur. Actifs pour notre peuple. Actifs pour la France. Actifs pour une civilisation plus humaine.
Nous avons dit au 29e Congrès que nous faisons le choix d’un « nouvel âge du communisme français ». Au-delà des déclarations de congrès, dans la vie, dans l’action, concrétisons ce choix. C’est ce que nous nous employons à faire. La direction du Parti y consacre toute son énergie. Avec détermination et confiance car elle a la certitude que les communistes vont y déployer tout leur esprit d’initiative, toute leur créativité, tout leur enthousiasme.