Texte intégral
Selon Daniel Cohn-Bendit dans l'Événement et Laurent Joffrin dans le Nouvel Observateur, le Parti communiste aurait perdu sa raison d'être. Et même l'intelligence lui demanderait d'utiliser ses acquis pour devenir « une des ailes les plus combatives de la social-démocratie » selon le premier, ou pour apporter au Parti socialiste sa « proximité avec les plus démunis qui [lui] manque si souvent », dit le second. Un tel destin, dans la mesure où plus personne ne souhaiterait la révolution après l'effondrement de l'Union soviétique. C'est une bien vieille confusion que de faire découler le communisme de l'existence de l'URSS. Il est vrai que le Parti communiste français lui-même a si longtemps assimilé toute transformation sociale au système soviétique, qu'il prête aujourd'hui le flanc à l'idée selon laquelle la disparition de l'un entraînerait celle de l'autre. Il est vrai aussi que par peur de la contagion, le capitalisme lâchait alors plus vite du lest face aux mouvements sociaux et donne aujourd'hui le sentiment d'être intouchable. La seule transformation possible selon Laurent Joffrin serait donc « une version humaine de l'économie de marché ».
Mais ce discours est déjà confronté à la réalité. L'existence d'un gouvernement de gauche permet de vérifier qu'il n'y a guère d'espace entre les exigences des marchés financiers et l'humanisation de la société. Par exemple, existe-t-il un moyen terme entre une version des 35 heures qui crée des emplois et une qui n'en crée pas ? Existe-t-il un moyen terme entre utiliser les capitaux spéculatifs pour l'emploi ou la consommation et les laisser continuer à déserter le terrain de l'économie réelle ? Et c'est cette absence de troisième voie qui explique l'écart entre les déclarations d'intention du Parti socialiste et la réalité de la politique gouvernementale. Même si on arrive à panser quelques plaies, l'expérience montre que les marchés financiers ne se laissent pas réguler : combien de sommets européens sur l'emploi prévoyant des améliorations ont fini par succomber devant les exigences de l'argent ? On mesure qu'on ne peut concilier des impératifs aussi contradictoires que ceux du monde de la finance et ceux de la relance de l'économie par la réponse aux besoins sociaux. On peut, comme le fait Lionel Jospin, se réclamer de l'équilibre quelques temps, mais très vite – on le vérifie devant chaque problème concret – la nécessité de choisir s'impose.
Dans la vie, de tels choix ne sont ni l'apanage, ni le monopole des communistes. Ils sont le fait d'hommes et de femmes qui les élaborent et les font partager. Mais leur présence permanente dans les confrontations politiques – y compris entre forces de gauche –, a besoin d'un parti. Et, quoi qu'on en pense par ailleurs, c'est sur ces choix que repose l'existence du Parti communiste. Son actualité ne découle donc pas des mythes du passé, mais s'inscrit précisément dans ce qui motive aujourd'hui plusieurs millions de femmes et d'hommes à exprimer, sous quelque forme que ce soit, leurs inquiétudes et désillusions devant une vie politique qui ne garantit ni leur emploi, ni leur place dans la société, ni leur avenir.
Certes, il ne suffit pas de le proclamer et, le moins que l'on puisse dire, c'est que de nombreux citoyens n'ont pas perçu cette actualité. Il revient au Parti communiste de la prouver en démontrant combien le devenir de la société se nourrit mieux du progrès social que des valeurs boursières. Et déjà, quand il propose une fiscalité plus légère pour les revenus du travail et plus contraignante pour les capitaux spéculatifs, il commence à traduire concrètement ce que veut dire « faire passer les hommes avant l'argent ». Quand il en fait des objectifs d'actions accessibles à tous, il commence à faire d'une idée un possible. Si le Parti communiste sert à cela, ce n'est pas déjà pas si mal.