Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA et Christian Roquerolle de la Confédération paysanne à Europe 1 le 3 septembre 1999, sur les violences contre Mac Donald's et l'inculpation de José Bové, le refus du boeuf aux hormones américain et les actions des différents syndicats agricoles pour la défense du modèle agricole européen et français.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Vous ne vous séparez presque jamais de votre ami et associé J. Bové. Vous avez été co-inculpés pour l’action de casse contre le McDo, et vous vous partagez la même terre. Votre ferme est, je crois, sur le Larzac, tout proche de la sienne ?

Christian Roquerolle Tout à fait, c’est la même ferme. On est associé sur la même ferme.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous vous partagez les troupeaux, les brebis, les agneaux, les vaches ?

Christian Roquerolle : Voilà. On travaille tous sur cette ferme qui a 550 brebis, quelques cochons et quelques vaches.

Jean-Pierre Elkabbach : La Confédération paysanne a lancé un appel à la solidarité pour recueillir des fonds et essayer de faire libérer J. Bové. Est-ce que ça marche ?

Christian Roquerolle : Cet appel marche bien. On a même des soutiens qui viennent de très loin, puisqu’une grande partie de l’argent qui rentre vient des États Unis, des syndicats qui sont proches de notre syndicat et d’associations de consommateurs qui sont très heureux qu’en Europe nous refusions le bœuf aux hormones et ce genre de produits que eux sont obligés d’ingurgiter.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez dire qu’il y a des solidarités à l’étranger avec vous, et aux États Unis ?

Christian Roquerolle : Absolument. Internet a très bien fonctionné.

Jean-Pierre Elkabbach : Si les 105 000 francs de la caution sont récoltés et qu’ils sont payés, conseillez-vous à votre ami de quitter la prison ?

Christian Roquerolle : En tant qu’agriculteurs et en tant qu’associés, nous pensons qu’il serait plus utile avec nous que dedans. Maintenant, c’est quelqu’un qui est très déterminé. On soutient absolument son idée de dire : il n’y a pas de raison de payer des cautions pour acheter sa liberté. C’est une dérive qui nous semble très grave par rapport à la justice. Une dérive à l’américaine là aussi. Maintenant, c’est lui qui décidera en dernier ressort.

Jean-Pierre Elkabbach : Quand ?

Christian Roquerolle : D’après son avocat, il doit décider en début de semaine prochaine, parce qu’il y a d’autres actions en justice qui doivent être essayés pour essayer de faire lever le contrôle judiciaire et donc la caution.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc il ne sortira pas pendant le week-end ?

Christian Roquerolle : Il ne sortira certainement pas pendant le week-end, c’est exclu.

Jean-Pierre Elkabbach : Avez-vous demandé aussi dans cet effort de solidarité une participation des particuliers et de partis qui disent vous soutenir ?

Christian Roquerolle : On préférerait que ce soit une action citoyenne plutôt qu’une action de partis politiques, parce qu’on ne veut pas que tel ou tel parti politique se mette plus en avant qu’un autre. C’est vraiment une action de la base, de l’ensemble des gens qui peuvent nous soutenir, quelles que soient leurs opinions politiques.

Jean-Pierre Elkabbach : Et les partis ?

Christian Roquerolle : Les partis nous soutiennent, on est très content. Ceux qui ont déjà annoncé leur soutien, on les remercie. L’argent ne viendra pas des partis, il viendra des particuliers.

Jean-Pierre Elkabbach : José Bové a déjà été condamné à huit mois de prison avec sursis, il n’y a pas longtemps, pour destruction et séquestration. Apparemment, c’est un récidiviste. Qu’est-ce qui l’anime ?

Christian Roquerolle : C’est un homme de conviction, qui a toujours lutté. Il a commencé quand il était objecteur de conscience, à 19 ou 20 ans. On s’est retrouvé sur le Larzac à cette époque-là. J’étais moi-même objecteur de conscience aussi. Donc, ce qui l’anime, c’est une idée de la société, qui peut paraître idéaliste, et surtout, comme paysan, qui est différente de ce vers quoi on nous amène actuellement. Nous prônons une agriculture de qualité, un métier qui est de nourrir les hommes et on ne doit pas le faire n’importe comment. On ne fabrique pas de la nourriture comme on fabrique une voiture par exemple.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce qu’il a un tempérament de jusqu’au-boutiste ? C’est-à-dire qu’il restera en prison quoi qu’il arrive ?

Christian Roquerolle : Certainement pas. Ce n’est pas un jusqu’au-boutiste. C’est quelqu’un d’intelligent mais qui à des convictions et qui est prêt à aller très loin pour faire entendre ses convictions. Ce n’est pas une girouette qui va se déjuger le lendemain de ce qu’il a dit la veille. Jusqu’au-boutiste n’est pas du tout un terme que j’emploierais.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que la Confédération paysanne va engager dans les prochains jours de nouvelles actions et contre qui ?

Christian Roquerolle : La Confédération paysanne a d’ores et déjà appelé à la mobilisation générale pour faire libérer J. Bové. Contre qui ? Il n’y a pas de cible privilégiée, si ce n’est des cibles qui sont symboliques de ce que l’on refuse. Pour l’instant, c’est surtout par rapport à l’histoire de l’embargo américain et à l’histoire du bœuf aux hormones. Donc, les cibles qui seront choisies seront symboliques de cela. On va essayer de faire cela de façon non violente et citoyenne aussi.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous allez recommencer ce que vous avez fait par exemple à Rennes : vider des McDo et aller mettre le matériel de McDo devant tel ou tel Palais de justice ?

Christian Roquerolle : Absolument. On appelle tous ceux qui veulent se mobiliser à faire ce genre de chose, mais pas que cela. Chacun est libre de choisi l’action qu’il veut du moment que ça reste quelque chose de non violent. On ne veut pas parler de casse. Il n’y a jamais eu de casseurs à Millau, je tiens à le repréciser.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous n’apportez pas des fleurs à McDo quand même ?

Christian Roquerolle : On n’apporte pas des fleurs. On peut lui apporter du fumier pour ses fleurs, par exemple.

Jean-Pierre Elkabbach : Sans vous chagriner, de temps en temps, pensez-vous qu’il y a des lois et qu’il faut les respecter ?

Christian Roquerolle : Absolument. Il y a des lois qu’il faut respecter mais la loi est quelque chose qui évolue et qui évolue en fonction de ce que veut le peuple. Il y a aussi la jurisprudence qui fait évoluer les lois. Une loi n’est pas quelque chose de figer. On parle beaucoup de légitimité, nous.

Jean-Pierre Elkabbach : Le Président de la République, qui est au Canada, a pris position en rappelant que la France défendra ses agriculteurs lors de la négociation de l’OMC à Seattle, en novembre ?

Christian Roquerolle : Oui, tant mieux. On est content. On espère qu’il les défendra dans le sens que nos demandons, nous, c’est-à-dire qu’il y a une exception agri-culturelle. On est d’accord avec Mme Trautmann qui demande cela pour la culture. Nous demandons cela pour l’agriculture.

Jean-Pierre Elkabbach : La FNSEA a réclamé la libération rapide de José Bové, mais elle ne va pas s’associer à vos manifestations, parce qu’elle à les siennes. Quels reproches lui faites-vous et quel type de relations pouvez-vous avoir avec la FNSEA de Luc Guyau ?

Christian Roquerolle : La FNSEA de M. Guyau nous ignore complètement. Pour elle, la Confédération paysanne n’existe pas et ne devrait pas exister. Elle refuse le pluralisme syndical. Donc, je comprends bien qu’il n’ait pas pu répondre à votre question d’ailleurs.

Jean-Pierre Elkabbach : Non, non. C’est la technique qui est défaillante (allusion à la tentative d’interviewer L. Guyau sur son portable, NDLR). Il viendra d’ailleurs en studio. Et puis, il n’aime pas le syndicalisme trop violent.

Christian Roquerolle : Le seul reproche qu’on lui fait, c’est celui de ne pas vouloir accepter qu’il y ait un pluralisme syndical et un débat même entre syndicats. C’est le mépris envers nous. D’autre part, il défend une agriculture qui est complètement différente de celle que nous, nous défendons. Sa défense de l’agriculture, c’est telle qu’on l’a vu depuis les années 60. C’est la FNSEA qui est responsable de ce qui arrive actuellement.

Jean-Pierre Elkabbach : M. Guyau, vous êtes là ?

Luc Guyau : Oui, je suis là, ce n’est pas très facile.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que la FNSEA est prête par exemple à payer une part de la caution pour faire libérer Bové ?

Luc Guyau : Ce n’est pas la question qui se pose aujourd’hui. Chacun prend ses responsabilités. J. Bové a pris les siennes et, aujourd’hui, nous continuons à faire nos actions syndicales, à défendre nos actions syndicales. Les responsabilités ont été prises par certaines personnes. Elles doivent continuer à être prises par les mêmes personnes.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous préférez qu’il reste en prison ou qu’il sorte ?

Luc Guyau : Je ne crois pas que c’est le problème. Il est face à la justice. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, il n’est pas à ses premières condamnations. Il y a d’autres jugements qui doivent venir. Comme je le disais tout à l’heure, nous ne sommes plus dans un cadre syndicaliste. Alors, c’est à lui de prendre ses responsabilités avec ceux qui l’entourent.

Jean-Pierre Elkabbach : Que va faire la FNSEA dans les semaines qui viennent ? Parce que vous aussi, vous annoncez des manifestions. Va-t-il y avoir une compétition syndicale dans une certaine forme de violence sur le dos des consommateurs, des citoyens, etc. ?

Luc Guyau : Non, il n’y a pas du tout de concurrence. Nous avons déjà depuis de nombreux mois travaillé à établir une stratégie avec nos collègues européens et internationaux, dans le cadre de l’OMC, pour que le modèle agricole européen et français soit reconnu. Et puis, nous avons toutes les actions sur le terrain, aujourd’hui.

Jean-Pierre Elkabbach : C. Roquerolle, comment voyez-vous la fin de ce scénario, avec ses espoirs, ses drames et quel est l’objectif final ? Qu’est-ce que vous appelleriez, vous, les hommes de Bové : « gagné ! » ?

Christian Rocquerolle : "Gagné !" C’est faire en sorte que l’idée que l’agriculture doit être propre, non polluante et doit nourrir les gens, avec des produits de qualité et sains soit enfin admise, et admise aussi par les grands syndicats agricoles qui - M. Guyau ne veut pas le dire - ont poussé à cette agriculture industrielle depuis plus de vingt ans.

Jean-Pierre Elkabbach : Ils sont nombreux qui pensent comme vous, y compris dans la grande distribution. J’entendais ici même l’autre D. Bernard.