Article de M. Alain Krivine, porte-parole de la LCR, dans "Rouge", le 4 décembre 1997, intitulé "un congrès de Tours à l'envers ?", sur le rejet du PCF d'une éventuelle fusion de la gauche en un parti unique et les enjeux afférents.

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Présent pour la première fois à un congrès du PS, Robert Hue y a été ovationné. Depuis, des dirigeants socialistes ont affirmé la nécessité d’organiser « un congrès de Tours à l’envers » pour réunifier les deux partis. La question mérite que l’on y regarde de plus près.

L’idée d’un parti rassemblant toute la gauche n’est pas nouvelle et avait été envisagée par Jean-Christophe Cambadélis dans « Pour une nouvelle gauche ». Mais, effrayés par les remous internes suscités par cette perspective, Robert Hue et la direction du PC l’ont rejeté : « Il y a en France des composantes, des courants historiques : il y a un courant de la radicalité, qui est d’ailleurs antérieur à Tours, dans lequel se retrouvent les communistes. Et il y a un courant réformiste dans lequel se retrouvent les socialistes. Une fusion affaiblirait considérablement la gauche qui est forte de sa diversité et de son caractère pluriel » (Robert Hue, Europe 1, 25 novembre). Et d’ajouter, un peu rapidement peut-être, qu’il y aura un candidat communiste aux présidentielles.

Ce constat, très défensif, reste peu convaincant. Certes, le mouvement ouvrier a toujours été divisé entre courants réformistes et révolutionnaires, ou du moins gestionnaires et radicaux. Certes, la révolution d’Octobre a constitué, en 1920, l’arrière-plan de la scission de Tours, entre communistes et socialistes. Mais depuis, bien des choses ont changé suite à la contre-révolution stalinienne : les PC stalinisés ont pratiqué une politique réformiste (1936, 1945, 1968…) empaquetée dans une langue de bois « lutte de classe ». Les rapports avec la social-démocratie ont oscillé entre opportunisme sans rivage (Front populaire, Programme commun) et sectarisme débridé (années 1930 contre le « social-fascisme », rupture de l’union de la gauche…). La situation a encore évolué avec l’écroulement du bloc soviétique. Si donc le soutien à la révolution d’Octobre fut bien, dans les années 1920, une carte d’identité du courant révolutionnaire, l’identification à l’URSS stalinienne devint l’un des points de différenciation entre PC et PS, ainsi d’ailleurs qu’entre staliniens et trotskystes.

Aujourd’hui, la direction du PC avoue son embarras dans la polémique sur « communisme, stalinisme et fascisme », ne se réclamant plus du léninisme et de cette révolution d’Octobre qui aurait « engendré un monstre » (Claude Cabanes dans « l’Humanité »). Les derniers repaires identitaires disparaissent, ne laissant plus apparaître avec la social-démocratie que des divergences politiques liées à des traditions, une culture, une implantation différentes, le tout sur un fond stratégique réformiste déjà présent dans le passé stalinien. La crise du stalinisme a conduit dans bien des pays à une sorte de social-démocratisation des PC, dégageant çà et là des minorités révolutionnaires, ou tout au moins « lutte de classe », avec en Italie la scission PDS/PRC, en Espagne la crise du PCE après l’exclusion d’un courant social-démocrate ; alors qu’en France, au sein du PC, souvent de façon confuse, se heurtent parfois chez les mêmes militants des sensibilités gestionnaires et radicales.

Les dernières barrières idéologiques tombant, on pourrait envisager un « congrès de Tours à l’envers ». Mais cela ne sera pas, notamment pour les raisons indiquées par Robert Hue : la gauche au gouvernement a besoin, pour ratisser large, de conserver « pluralisme » et « diversité ». Pendant toute une période encore, la direction du PC doit s’efforcer de maintenir l’identité d’un parti qui incarne une histoire propre et peut ainsi donner l’illusion de représenter l’aile « radicale » de la gauche. Cette aile existe bien, mais ne se reconnaît pas nécessairement dans le PC. En s’opposant à la création d’un « pôle de radicalité », Robert Hue voulait en avoir le monopole, s’en assurer le contrôle dans le cadre de son alliance avec le PS.

Pour l’heure, PS et PC n’ont pas intérêt à fusionner. Mais l’unité réalisée au gouvernement est beaucoup plus profonde qu’en 1981, malgré l’absence de programme commun : le choix est, cette fois-ci, stratégique, impliquant une entente à long terme avec le PS, quelles que soient les couleuvres à avaler. Ces deux partis se sont condamnés à s’entendre et l’éventualité d’une structure permanente de concertation, de type confédérale, n’est plus exclue. Les socialistes peuvent la souhaiter, espérant (sans garantie !) s’assurer la paix sociale. Robert Hue peut y voir la seule façon de sauver son parti de la débâcle stalinienne. C’est du moins ce qu’il espère ; pourtant cette stratégie risque d’être fatale au PC, comme l’atteste l’expérience du programme commun. Il n’existe pas un espace politique suffisant pour accueillir deux grands partis réformistes gestionnaires : le plus gros mangera l’autre.

En Italie, en devenant PDS, la majorité du puissant PCI a pris la place d’un PS débile. En France, ce sera l’inverse. D’ores et déjà, après avoir gagné la collaboration des Verts, le PS se prépare à absorber une partie de la gauche alternative (un bout de la CAP avec Fiterman, Herzog et d’autres qui ne manqueront pas de suivre). Vu le discrédit de la droite et les effets de la crise du stalinisme, l’équipe Jospin peut espérer, en projetant une orientation social-démocrate, modifier profondément les données à gauche.

L’alternative gauche réformiste/gauche radicale, anticapitaliste, reste néanmoins, plus que jamais même, pertinente, actuelle. Mais, pour l’heure, c’est le premier terme de l’alternative qui se réorganise, se renforce. Le second est virtuellement présent dans tous les partis de gauche et d’extrême gauche, ainsi que dans le mouvement social, mais il n’arrive pas encore à se trouver. C’est dire qu’à terme, il faudra effectivement un nouveau congrès de Tours, mais à l’endroit, pas à l’envers, adapté aux conditions d’aujourd’hui et redécoupant l’ensemble de la gauche.