Texte intégral
Le Dauphiné Libéré : Jeudi 20 novembre 1997
Q. – Nous sommes à quelques jours du congrès du PS. Certains de vos amis socialistes, comme le député-maire de Grenoble Michel Destot, estiment qu’il n’y aura pas de grands enjeux à Brest. Avez-vous le même sentiment ?
R. – C’est vrai qu’il n’y a pas d’enjeux idéologiques, pas d’enjeux personnels non plus. L’enjeu, c’est peut-être de se montrer à la hauteur de ce que les Français attendent de nous dans la période qui va continuer après le congrès, à un moment où on est aux responsabilités. Donc il faut faire un congrès pour les Français davantage que pour les socialistes. Ce qui doit compter aujourd’hui, c’est de réfléchir, d’être en avance par rapport au gouvernement pour lui transmettre un certain nombre d’idées, bref, il faut que le parti soit utile. Est-ce qu’un parti politique dans la majorité peut aujourd’hui être utile au pays ? À nous de le démontrer. C’est ça l’enjeu du congrès.
Q. – Sachant que le Parti socialiste a désormais acquis une culture de gouvernement, n’est-il pas réduit à peaufiner une méthode plus qu’à rechercher de nouvelles idées ?
R. – On sent bien effectivement qu’il existe une cohérence nouvelle depuis plusieurs années, qu’il y a eu un rapprochement entre les différentes sensibilités et les coupures, même sur l’Europe. Il n’est donc pas anormal, alors qu’on est maintenant au gouvernement, de trouver un grand rassemblement, je n’ose pas dire unanimité, derrière la thématique qui était la nôtre dans la campagne électorale et qui est encore celle du gouvernement aujourd’hui. Mais il ne faudrait pas qu’on se satisfasse de cette situation, parce que le monde bouge, l’Europe se construit, rien n’est figé, il faut donc un parti qui soit aussi en mouvement.
Q. – Mais justement, est-ce que ce n’est pas Lionel Jospin lui-même plus que le PS qui procède à ces adaptations ?
R. – C’est normal parfois que, dans l’urgence, le gouvernement soit à même de prendre lui-même des initiatives. Mais justement, si on veut éviter que ce soit le pragmatisme qui l’emporte, il faut avoir des guides d’action, voir des grandes orientations idéologiques. Je vais prendre quelques exemples : ce que je voudrais, c’est que le Parti socialiste puisse voter dans les trois prochaines années, à travers des conventions, sur un certain nombre d’orientations comme l’aménagement du territoire. On sent bien que notre organisation territoriale est vieillissante, même s’il y a eu la décentralisation. Car elle a peut-être engendré quelques abus, des entrecoupements de compétences. Donc il faut bouger.
Deuxième idée qu’il faut absolument traiter : le secteur public. Est-ce qu’il doit rester intangible ? Sûrement pas. On a d’ailleurs déjà évolué de manière pragmatique avec France Télécom.
Q. – France Telecom est le bon exemple de ce qui être fait,
R. – Pas nécessairement. C’est un des exemples. Dans certains cas l’ouverture du capital se justifie, dans d’autres pourquoi pas une présence plus forte de l’État, dans d’autres encore pourquoi encore une présence de l’État tout court ?
Q. – Dans quels secteurs par exemple ?
R. – Dans le secteur bancaire… Est-ce qu’il est nécessaire d’avoir encore des banques publiques alors qu’on sait qu’elles se sont comportées comme des banques privées ? Mieux vaut ne pas investir d’argent public dans des secteurs où le privé peut avoir la même efficacité. Aux socialistes de trancher ces questions-là de manière à ce que le gouvernement puisse avoir des cadres d’action et puiser à l’extérieur des idées nouvelles. Car ce ne sont pas trente personnes qui peuvent avoir seules la science infuse…
À nous de démontrer qu’être militant, membre d’un parti politique, ce n’est pas simplement préparer des campagnes électorales, c’est aussi imaginer des idées de demain. Ce qui est une cause assez noble et peut attester, encore une fois, que le parti socialiste est utile.
Q. – Utile au sens où le PS doit aussi servir d’aiguillon au gouvernement ?
R. – Oui mais pas seulement. D’abord parce que le gouvernement fait plutôt bien son travail et qu’on n’a pas besoin de lui donner des coups d’éperons pour qu’il aille plus vite. Ce que l’on voudrait, c’est que l’on n’ait pas un débat trop critique à l’égard du gouvernement, car les Français le comprennent mal de la part d’une majorité. Je ne pense pas qu’on ait besoin de cela. En revanche on a besoin que le gouvernement ait des perspectives, et sache jusqu’où, et où, il peut aller. Lionel Jospin, qui a été Premier secrétaire du parti socialiste au début du premier septennat de François Mitterrand, sait bien que ce qui a fait défaut pendant cette période et qui a expliqué une partie de nos échecs, c’est la coupure entre ceux qui gouvernent et ceux qui peuvent constituer la base de l’action politique, c’est-à-dire les partis.
Q. – La tâche qui vous attend à la tête du Parti socialiste na va-t-elle pas se compliquer si Lionel Jospin se place dans la perspective de l’élection présidentielle ? Ne serez-vous pas là pour servir son ambition et consacrer la « jospinisation » du PS ?
R. – C’est justement pour cette raison que Lionel Jospin a eu le souci de se dégager fonctionnellement du Parti socialiste […] Au gouvernement de traiter les affaires de la France, au parti socialiste, au Premier secrétaire qui sera désigné par les militants dans peu de temps, de faire valoir les idées socialistes. Il doit y avoir une distinction entre l’action gouvernementale et l’action partisane. Cela dit, nous devons avoir des relations de confiance, et je crois qu’elles existent, mais nous devons être ni au service de l’un ni soumis à l’autre ;
Q. – Le Parti socialiste ne devra-t-il pas cependant soutenir Lionel Jospin dans son ascension vers l’Élysée ?
R. – je crois que c’est un peu prématuré d’imaginer qu’il puisse être candidat au moment où l’on est juste après une élection législative. Ne brûlons pas les étapes. Pour préparer l’élection présidentielle – qui n’est que dans quatre ans –, seule compte la réussite du gouvernement. Et réussir, ce n’est pas seulement avoir des bonnes cotes de popularité dans les sondages, mais obtenir des résultats par rapport aux objectifs que l’on s’est fixés, notamment dans la lutte contre le chômage et les inégalités.
Q. – Quand est-ce que l’on va pouvoir juger de la réussite du gouvernement ?
R. – Au bout de deux ans il sera normal de regarder nos premiers résultats. Mais c’est une législature qui est le terme d’un gouvernement issu d’une élection législative. Nos engagements valent pour cinq ans.
Q. – Vous avez néanmoins parlé d’échec du gouvernement Juppé au bout de deux ans ?
R. – Parce que l’on incluait l’action menée par le gouvernement Balladur. Il ne tenait qu’à Jacques Chirac de faire que la droite reste au gouvernement cinq ans…
Q. – Le score obtenu par votre motion – 85 % – dans les fédérations vous paraît-il satisfaisant ?
R. – C’est vrai que l’on avoir plutôt tablé sur 80 %. Ça prouve que la démarche qui est la nôtre, c’est-à-dire le rassemblement autour, non pas de Lionel Jospin, ni même derrière moi, mais autour des idées qui avaient été les nôtres avant les élections, et qui sont encore les nôtres après, est la bonne. Il faut que pendant les trois ans à venir, ce qui est le laps de temps normal entre deux congrès, le parti fasse la démonstration qu’il peut être aussi imaginatif dans la majorité qu’il ne l’a été dans l’opposition, et qu’il se montre aussi soudé que pendant la période où Lionel Jospin était à sa tête. Car ce qui nous a fait gagner par rapport à l’équipe adverse, c’est quand même notre unité.
Q. – Lionel Jospin n’a-t-il pas été contraint d’aller plus loin qu’il ne l’aurait souhaité, notamment sur les 35 heures, pour donner des gages à sa majorité ?
R. – Non, car on avait été élus sur cette ligne-là. Il ne s’agit pas d’appliquer un principe sans nuance. Le texte que souhaite préparer le gouvernement va laisser une large place à la négociation mais en fixer le terme. Ça n’a pas été le fruit d’un compromis ou la contrepartie d’un accord mais la conviction que l’organisation différente du temps de travail et sa réduction peuvent produire plus d’emplois.
Q. – Le socialisme « à la française » est-il en train d’évoluer vers une social-démocratie ou reste-t-il ce socialisme « archaïque » comme le lui reproche Tony Blair ?
R. – N’oublions pas que les idées libérales ont toujours eu une plus grande influence en Angleterre… Le travaillisme britannique a une histoire qui n’est pas la même que la nôtre. C’est vrai aussi qu’on est un parti socialiste bien spécifique. D’abord on est plus faible que les autres. On a 110 000 adhérents quand tous nos homologues en ont 300 à 400 000… Nous sommes en réalité un grand parti mais avec de petits effectifs ! Par ailleurs, on évolue dans un pays où l’État a toujours eu un rôle plus important que chez nos voisins européens. Ça fait la spécificité du socialisme français. […]
Q. – Comment le Parti socialiste va-t-il procéder pour les élections régionales ?
R. – Le principe sera de constituer partout où cela sera possible des listes communes avec nos partenaires de la majorité plurielle. C’est la consigne qu’on a passée à nos fédérations. Je crois que dans la région Rhône-Alpes, cela se passe plutôt bien…
Q. – Vous pensez pouvoir reconquérir ainsi combien de régions aujourd’hui tenues par la droite ?
R. – Une région de plus, ce serait déjà un gros progrès, même si on peut en espérer plusieurs ! Ce n’est pas normal que deux régions seulement sur vingt-deux soient administrées par la gauche.
Q. – N’est-il pas gênant que le congrès de Brest se tienne presque en même temps que le Sommet de Luxembourg sur l’emploi ?
R. – Non, car nous allons pouvoir juger en direct de l’action gouvernementale et montrer que Lionel Jospin ne s’est ni couché à Amsterdam ni endormi à Luxembourg !
Q. – Quand doit intervenir la désignation officielle de François Hollande comme Premier secrétaire du Parti socialiste ?
R. – Il ne s’agit pas d’une désignation, comme on le dit souvent, mais d’un vote direct des militants qui se fera le vendredi suivant le congrès. C’est la première fois que l’on procédera ainsi.
Q. – Il n’y a en réalité que deux candidats… Craignez-vous justement que Jean-Luc Mélenchon, qui représente la gauche socialiste, obtienne un score supérieur à celui de sa motion ?
R. – Il peut toujours y avoir un candidat de dernière minute… Cela ne me trouble pas outre mesure. Ce qui compte, c’est que l’on sait une majorité forte et une légitimité donnée par le vote des militants. Le pourcentage n’est pas secondaire, mais ce n’est pas un objectif en soi. On n’est pas dans une élection pour un maréchal soviétique :
Ouest-France : 21 novembre 1997
Q. – En 1990, le Congrès de Rennes avait été désastreux pour le PS. À l’inverse, faute d’enjeu réel, celui de Brest ne risque-t-il pas d’être ennuyeux ?
R. – Quand nous nous déchirons, nous sommes sévèrement jugés par les Français : quand nous nous rassemblons, on crie à « l’unanimisme » ! Or, il y a eu débat autour de trois motions, dont deux apparaissaient comme tout à fait contradictoires. L’une parce qu’elle considérait que le gouvernement de Lionel Jospin faisait fausse route, l’autre, parce qu’elle se reconnaissait dans la cohérence de l’action gouvernementale par rapport à nos engagements. Les militants ont tranché à 85 % pour cette dernière (avec un taux de participation particulièrement élevé). C’est un acte très important. D’autre part, ce congrès va fixer la ligne du parti pour les trois ans qui viennent, car il s’agit, pour le PS, de ne pas se confondre avec le gouvernement.
Q. – Si la fonction d’un parti politique est de « produire des idées », quelles ont celles du PS ?
R. – Parmi les voies de réflexion dans lesquelles je veux engager le PS, je citerai d’abord l’éducation et l’accès au savoir. Dans la lutte contre le chômage, la qualification, la formation constituent des atouts déterminants. Une nouvelle forme d’inégalité risque d’apparaître entre ceux qui pourraient avoir accès aux nouvelles technologies de l’information et ceux qui, finalement, en seraient écartés. Deuxième thème de réflexion : le secteur public et le service public. Depuis la conception très idéologique de 1981, on a beaucoup improvisé là-dessus. Le PS devrait être capable d’avoir une doctrine sur le rôle et les limites de l’intervention de l’État.
Q. – À 25 mois de l’an 2000, à quoi s’identifie le socialisme ?
R. – Le socialisme est une idée née au XIXe siècle, qui s’est développé au XXe et doit connaître son épanouissement au siècle prochain. Pourquoi ? Parce que même si les méthodes et les formes évoluent, l’idée centrale du socialisme est celle de la solidarité, l’idée qu’une société peut progresser. Jusqu’à présent, on avait toujours mis en avant le principe du contrôle de la propriété. Aujourd’hui, cette question n’est plus aussi fondamentale. Avec l’objectif de la solidarité, le socialisme a de l’avenir, à condition de faire évoluer ses méthodes et des instruments.
Q. – À propos du PS, on parle de la fin du « cycle d’Épinay », d’autrement dit de l’après-Mitterrand. Ce congrès va-t-il voir émerger un parti refondé ?
R. – Le congrès d’Épinay, en 1971, c’était la rénovation d’une force socialiste. Cette tâche est encore, pour partie, devant nous. Il faut toujours moderniser l’instrument ! Le deuxième acte d’Épinay, c’était la stratégie d’union de la gauche : aujourd’hui, on l’appelle « majorité plurielle » mais le principe est le même. Troisième idée fondatrice d’Épinay : l’unité des socialistes. Donc, à bien des égards, nous sommes dans le parti d’Épinay. Mais, en même temps, nous avons à construire une nouvelle page de notre histoire, parce que nous sommes au gouvernement et que nous avons deux énormes défis à relever : l’Europe sociale et le chômage.
Q. – Comment peut évoluer la gauche dans son ensemble ? On évoque un « congrès de Tours à l’envers »…
R. – Au congrès de Tours, en 1920, les socialistes étaient minoritaires. La majorité d’alors était d’accord pour adopter les principes du léninisme. Léon Blum a refusé de se soumettre à ce qui était une rupture par rapport à notre conception de la République, de la démocratie, du pluralisme de la société française. Il a donc rénové un mouvement, la SFIO, qui est devenu plus tard le PS. Même avec retard, les communistes ont beaucoup évolué. Robert hue a engagé une « mutation » et veut donner une « visée » au mouvement communiste. Laissons chacun vivre son destin : il ne faut pas demander à des communistes de devenir socialistes. Dans dix ou quinze ans, si la plupart des acteurs considèrent qu’il n’y a plus de différence, on en tirera les leçons. Pour l’instant, l’important est que la cohérence l’emporte et c’est le cas.
Q. – Comme futur Premier secrétaire, avez-vous un modèle de référence ?
R. – Avant moi, ont occupé ce poste des hommes aussi remarquables que François Mitterrand, Lionel Jospin, Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard, Henri Emmanuelli. Je n’ai derrière moi que des parcours d’excellence et des destins impressionnants. Alors, il faut que j’essaie de me mettre au diapason. Pas facile.
France 2 : lundi 24 novembre 1997
Q. – Commençons si vous le voulez bien, avec la charge de L. Jospin contre J. Chirac. Pourquoi cette charge ? On avait le sentiment en l’écoutant vendredi soir sur France 2, qu’il minimisait l’intervention du Président de la République sur les « expériences hasardeuses », et puis à Brest, manifestement le ton a changé, il était beaucoup plus pugnace.
R. – Je ne crois pas qu’il ait changé d’avis, il a changé de lieu. Vendredi il était à Luxembourg, c’était la fin du somment, il était donc dans un pays étranger, il a pris je crois comme principe, il a eu raison, de ne jamais s’exprimer sur la politique intérieure dans un pays qui est peut-être proche, le Luxembourg, mais qui n’est pas le nôtre. En revanche, quand il est à Brest pour le Congrès des socialistes, il est normal qu’il dise que ce n’est pas tout à fait correct toutes ces petites phrases qui reviennent rituellement, pour instiller je ne sais quelles critiques de l’action gouvernementale. Et c’est encore moins acceptable lorsque ce genre de critiques à lieu à l’étranger. Alors, je crois que cela a été dit, plutôt bien dit, avec humour, avec respect aussi. Bon, la vie continue. La cohabitation, c’est un système qui, à mon avis, est assez bien vu des Français, parce que c’est le sentiment que chacun est dans son rôle, et qu’en même temps, il y a une conduite de la politique économique et notamment sociale aussi par le Premier ministre. On en est là, et je crois qu’on en restera là. Mais il faut peut-être aussi que chacun des protagonistes, en tout cas le Président de la République, comprenne bien qu’il ne peut pas toujours donner son mot sans qu’il en reçoive parfois à son encontre.
Q. – Oui, parce que c’est ça qui est le ton nouveau justement, c’est que L. Jospin répond de façon un peu plus ferme.
R. – Oui, avec humour aussi, parce que c’est vrai qu’il n’y a pas besoin non plus de dramatiser les choses. Mais comprenez bien aussi : on est dans une négociation européenne importante sur l’emploi, le seul sujet qui intéresse les Européens, et notamment ceux qui sont au chômage. Ce n’était quand même pas opportun d’envoyer une petite balle de politique intérieure dans la cour européenne au moment où on jouait la partie. Dons, je crois qu’il était quand même assez utile qu’on respecte un peu mieux les règles du jeu. Et finalement, c’est L. Jospin qui a rappelé qu’il était bon que dans la cohabitation, que dans la négociation internationale, que lorsqu’on discute des problèmes européens, on respecte une règle du jeu.
Q. – N’y-a-t-il pas un risque de lasser les Français avec des tensions comme ça au sommet de l’État ?
R. – Oui, et c’est pour ça que chacun des protagonistes doit comprendre qu’il faut laisser le Président être dans son domaine de compétences – lorsqu’il est à l’étranger, lorsqu’il incarne les intérêts de la France –, mais en même temps, il faut laisser le Gouvernement travailler, et il ne faut pas que le Président confonde ce rôle. Il est le chef de l’État, nul ne lui conteste ce rôle, cette importance, mais il ne doit pas être le chef de l’opposition, en tout cas pas tous les jours. Même si on sent bien que c’est sa tentation.
Q. – N’est-ce pas aussi la proximité des régionales qui fait qu’il y a un peu un changement de ton ? Ce sera le ton de la campagne ?
R. – On verra. Vous savez, pour l’instant, le Gouvernement doit travailler, pas se préoccuper des élections, que ce soit les régionales ou d’autres échéances. On travaille et c’est bien ainsi. Et les élections régionales, c’est le fait des partis. Le mien fera tout ce qu’il pourra pour mettre un terme à une situation assez incongrue : la gauche ne gouverne que deux régions sur vingt-deux en France, alors qu’elle représente près d’un Français sur deux. Je pense que cela changera au mois de mars. Enfin, je l’espère.
Q. – Jeudi vous serez officiellement élu premier secrétaire du Parti socialiste. On vous décrit comme quelqu’un de très sympathique, gentil, sans ennemis. Cela ne vous agace pas parfois cette présentation peut-être un peu... ?
R. – Pas du tout. J’aime les gens plutôt fraternels et on ne peut pas être dans un parti comme le mien qui prône la convivialité, la fraternité à l’extérieur, de façon parfois un peu incantatoire, et qui ne mette pas en œuvre ses pratiques l’intérieur. Il faut être gentil dans la vie. Et généralement, quand j’étais petit, et ça s’est vérifié, les méchants perdent toujours à la fin des films. Donc, il vaut mieux être gentil.
Q. – Vous pensez que vous allez gagner. Est-ce que les courants au PS, sous votre houlette, c’est fini ?
R. – Je ne souhaite pas que les courants d’idées disparaissent. C’est important dans un parti qu’il y ait des échanges, des discussions, des contradictions même. Alors moi, je laisserai toute la place à toute cette contradiction, toute cette vie intérieure. Il faut qu’il y ait des courants qui représentent des vraies positions. Mais pas des positionnements. Je crois que ce qui a fait beaucoup de mal au PS dans les années qui paraissent d’ailleurs lointaines, c’est qu’on n’avait plus l’impression qu’il pensait, mais que plutôt il se mettait derrière des hommes ou des femmes, et qu’il préparait des échéances qui n’intéressaient pas spécialement les Français. Donc, il faut être utile aux Français. Et pour être utile aux Français, dans un parti comme le mien, c’est faire des propositions, c’est réfléchir, c’est donner des perspectives, c’est fixer des repères. C’est ça un parti politique. Sinon, c’est une bataille d’hommes et ça n’intéresse personne.
Q. – M. Aubry et D. Strauss-Kahn sont-ils les futurs « éléphants » pour reprendre la formule consacrée du PS ?
R. – Je ne leur souhaite pas que ce rôle. Je pense qu’ils font partie de cette génération qui fait plutôt honneur au Gouvernement, et je pense qu’aujourd’hui ils doivent réfléchir à ce qu’ils font d’abord au Gouvernement, plutôt qu’à leurs partisans, supposés ou réels d’ailleurs, au PS. Je crois qu’ils ont en parfaite conscience que ce sont d’excellents ministres, reconnus par les Français comme tels. Et je pense aussi que ce sont des très bons militants socialistes. Ne leur faisons pas jouer des rôles d’antan.
Q. – L’union avec le PC, ce sera une union douce et non pas une union combat ?
R. – C’est une union qui a changé quand même de nature. On sentait bien que c’était une alliance électorale hier et que c’est devenu plus que cela.
Q. – Une fusion demain ?
R. – Non, ça je ne crois pas. Il faut laisser, je crois, chacun vivre sa vie. Là aussi, on ne va pas demander à des communistes de devenir socialistes, à des radicaux de devenir écologistes. Bref, on va laisser chacune de ces formations politiques dans sa spécificité. Je dis souvent que la majorité plurielle, c’est le respect des singularités de chacun. On a des forces qui existent, la socialiste est la principale. On ne va pas demander à toutes les autres de venir chez nous.
Q. – Pas de concubinage comme le souhaitait H. Emmanuelli ?
R. – Non, mais de la vie commune. Ça peut parfois être de l’amour, on ne sait jamais.
Q. – Un dernier mot d’actualité : cette nuit encore il y a eu des incidents dans une banlieue, à Mulhouse exactement. Il y a eu d’autres épisodes. N’y-a-t-il pas un petit manque sur la politique de la Ville ?
R. – Je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Il y a un vrai problème, on le sait bien, dans un certain nombre de banlieues et de grandes agglomérations qui n’étaient peut-être pas touchées par le phénomène. Que faut-il faire ? Créer des emplois, c’est la première priorité. Car on voit bien que ces jeunes sont souvent désœuvrés, exaspérés, frustrés de ne pas trouver leur place, et ils deviennent violents. Créer des emplois. Et les emplois-jeunes, ça correspond à ça. Et deuxièmement, qu’une partie de ces emplois et d’autres d’ailleurs, soient utilisés pour la sécurité des personnes. Car on sait aussi que c’est un droit d’être en sûreté, et que dans ces banlieues-là, il y a à la fois une exaspération des jeunes qui mérite d’être traitée en tant que telle, et une exaspération des moins jeunes qui ne veulent pas être les sacrifiés en définitive, d’une politique de l’emploi qui ne marche pas.