Texte intégral
Q - L'annonce faite hier par le groupe Michelin : résultat net en hausse avec + 17 % au premier semestre, 7 500 suppressions d'emplois et des actions qui gagnent 12 %. Quel effet vous font ces trois chiffres ?
– « Je ne serai pas très original dans mes commentaires qui existent depuis hier. C'est tout à fait insupportable d'assister à un scénario pareil. Il y a une dizaine de jours, je rencontrais des salariés de chez Michelin qui m'expliquaient combien les conditions de travail étaient difficiles, combien l'ambiance dans cette entreprise était tendue, les négociations sur l'application des 35 heures étaient difficiles. On leur avait demandé de travailler les samedis, les dimanches, voire la nuit. Ils ne pensaient à aucun moment être à la veille d'une annonce de ce type-là. Aujourd'hui, on leur annonce que la santé financière de l'entreprise va mieux, et que la première des conséquences c'est de passer à 7 500 suppressions d'emplois en Europe. C'est tout à fait insupportable en termes de perspectives. Personne ne peut admettre de tels scénarios. Il va bien falloir se poser la question des pouvoirs – politiques, syndicaux – pour empêcher qu'on ait des scénarios de ce type dans les entreprises. »
Q - Au coeur, il y a les fameux fonds de pensions qui détiennent une partie du capital, qui sont sans états d'âme et qui jugent une entreprise uniquement en termes de profits en non pas de gestion sociale. Ne faudrait-il pas avoir des fonds de pensions français, comme le propose le président de la République dans une interview ce matin au Figaro, ou promouvoir l'actionnariat salarié pour répondre un peu à cela ?
– « Du côté des fonds de pension beaucoup d'observateurs font le constat que les fonds de pension n'ont justement aucune moralité et que ce qui les intéresse d'abord c'est la rentabilité pour leurs actionnaires. Je ne vois pas en quoi la nationalité des fonds de pensions – éventuellement français – serait plus attachée à l'avenir de la France et des emplois en France. »
Q - Ce n'est plus cocardier ?
– « Il n'y a pas de moralité qui s'attache aux frontières dans ces cas-là. Si c'est la rentabilité financière qui doit primer, elle est internationalement posée, il n'y a aucune raison pour que d'hypothétiques fonds de pensions français, de ce point de vue-là, soient davantage attachés à l'avenir du pays et aux salariés qui y vivent. »
Q - Il y a en ce moment en France de grandes manoeuvres sur le plan industriel. On l'a vu dans la banque avec la bagarre BNP-Paribas ; on le voit dans les groupes pétroliers ; on le voit dans la grande distribution. Avez-vous le sentiment qu'il y a effectivement derrière ces grandes manoeuvres, des risques pour l'emploi ?
– « Bien sûr et je pense que c'est aussi le résultat d'un affaiblissement d'un circuit bancaire qui n'est plus complètement attaché à développer une politique industrielle. C'est aussi, je pense, une insuffisance dans la réflexion politique quant à définir les grandes options industrielles, en termes d'activités, que la France peut porter, d'avoir des investissements, des fonds qui soient consacrés à ce développement, avec des emplois, des formations, des salariés en conséquence. On est au gré des marchés, de manière très fluctuante, à l'échelle internationale, sans permettre aujourd'hui d'intervenir concrètement. »
Q - L. Jospin organise un séminaire gouvernemental aujourd'hui. On a vu tout à l'heure que la FNSEA allait manifester sous ses fenêtres, si je puis dire. Vous n'allez pas manifester ? Qu'est-ce que vous attendez de ce séminaire gouvernemental ? Des mesures concrètes sur l'actionnariat ?
– « Il y a tout un tas d'éléments dans l'actualité qui montrent qu'il y a besoin de s'interroger sur des mesures structurelles pouvant être de la compétence du Gouvernement, des parlementaires – par voie législative – des différents ministères pour faire en sorte que la question du plein-emploi, qui est aujourd'hui tracé comme un objectif de principe, s'accompagne de mesures allant dans cette direction. On ne peut pas à la fois affirmer la perspective possible du plein-emploi – ce qui est satisfaisant, puisqu'on nous expliquait auparavant, il y a une quinzaine d'années, que le plein-emploi, c'était fini ; aujourd'hui, on a un discours politique qui est modifié –, on ne peut pas se fixer cet objectif et constater des évènements comme ceux que l'on décrit à propos de Michelin, c'est à dire en même temps, des entreprises qui décident de cette manière, de supprimer des milliers d'emplois. Donc, il y a des mesures concernant la protection sociale, l'emploi. Le débat sur la loi concernant les 35 heures est de ce point de vue essentiel pour qu'en matière de créations d'emplois, elles participent à la lutte contre le chômage et contre l'exclusion. Il y a tout un tas d'autres mesures structurantes qui sont possibles. »
Q - Justement, sur les 35 heures, vous avez un débat avec M. Aubry. Vous lui dites en gros : « Le bilan est insuffisant. »
– « Nous avons sorti un numéro spécial de notre hebdomadaire qui va être diffusé dans les entreprises lundi prochain. Je fais un petit appel au passage à l'ensemble des français. Il y a le contenu de la loi, il y a un échange avec le ministre sur des différences d'approches quant à ce que doit couvrir la loi, les réponses que nous attendons par un certain nombre d'articles qui doivent être modifiés. Il y a nos propositions alternatives sur cette loi et nous souhaitons accompagner cette diffusion de nos positions d'une mobilisation des salariés, parce que si nous ne faisons rien de plus démonstratif à la fois sur l'emploi dans les situations comme celle de Michelin mais aussi sur le contenu de la loi, à l'avenir, il y a des risques que la réduction du temps de travail ne corresponde pas réellement à l'attente des salariés dans les entreprises. »
Q - Là, vous êtes en train de proposer quoi : un grand mouvement unitaire ?
– « Nous avons proposé aux autres confédérations de se rassembler et de peser ensemble sur le contenu de ce débat, de défendre l'emploi. »
Q - FO a déjà dit « non » et un certain nombre de syndicats ont refusé. On revient à la charge ?
– « De manière centrale, on n'en est pas encore à la conclusion de possibilités. Je constate que dans les départements, dans les entreprises, il y a de plus en plus de personnes qui font le constat que les syndicalistes devraient à un moment aussi important, sur un enjeu aussi crucial que celui-là, essayer de se rassembler et poser ensemble. Le Medef le fait de son côté. Nous, nous souhaitons le faire du nôtre et, pourquoi pas, nous aussi, le 4 octobre. La veille de l'ouverture du débat parlementaire. »
Q - Donc le 4 octobre, peut-être une manifestation des salariés.
– « Une action dont les formes seraient à déterminer. Mais il est, selon nous, indispensable de passer à une vitesse supérieure, si nous voulons réellement nous faire entendre. »