Texte intégral
Nous sommes ici, ensemble, pour réparer une faute de mémoire : la rafle oubliée et le martyr oublié des enfants juifs de la Martellière. La conspiration du silence qui s’était abattue sur cette infamie de notre Histoire depuis le 24 mars 1944, est levée.
Le drame n’était pas méconnu puisque M. Serge Klarsfeld l’avait évoqué dans une de ses publications qui parcourent son combat incessant pour établir et sauvegarder la vérité. Pour lui, comme pour nous, le devoir de mémoire est une exigence républicaine. Pour vous aussi, Monsieur le maire de Voiron, qui avez su donner la suite qu’il convenait avec le B’nai Brith, à la redécouverte de cette nuit tragique du 22 au 23 mars 1944.
Mémoire historique
L’idée que nous nous faisons des valeurs de la République nous conduit à regarder en face l’infamie de la Martellière. Nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas oublier. Et ce qui nous réunit aussi aujourd’hui, au-delà de notre désir d’honorer la mémoire de ces enfants arrêtés, bousculés, transportés, humiliés, déportés, assassinés, c’est notre volonté de justice. Les valeurs de la République, ainsi que le déclarait le Premier ministre le 22 juillet à Paris, sont là pour éclairer notre conscience et pour que l’imprescriptible dignité de la personne humaine guide à l’avenir nos actes.
Ceux qui m’ont précédé à cette tribune ont évoqué avec la plus grande rigueur historique l’itinéraire de ces enfants et des adultes qui les accompagnaient. Ils sont partis d’ici pour Auschwitz, Kovno, Reval rejoignant les enfants d’Izieu, ceux du Vel d’Hiv et ceux de beaucoup, beaucoup d’ailleurs. Redécouvrir l’infamie de la Martellière montre qu’il reste à redécouvrir bien des points sombres de l’histoire sombre de la collaboration sous l’occupation.
Archives administratives (plus large accès)
Le travail des historiens n’est donc pas terminé. Il demeure essentiel. L’accès aux archives constituant pour les historiens une source irremplaçable, le Premier ministre, on le sait, a décidé de modifier la loi du 3 janvier 1979. Mais une question demeure. Pourquoi ce silence pendant tant d’années ? Est-ce le silence de la honte ? Est-ce le silence de la peur ? Est-ce plus normalement le silence qui, face à l’horreur vous coupe la voix, bloque les mots, empêche la parole ? Est-ce l’horreur qui soulève le cœur et brise même la raison, au point que le vécu devient incommunicable ? Qui pourra le dire, sinon la conscience de chacun !
Je ne sais pas si l’on peut établir des degrés dans l’horreur, mais le seul fait d’imaginer le regard de ces enfants traqués, arrêtés, sans parents, honteusement trompés sur leur sort, gazés, est abominable. Arrêtés parce qu’ils étaient juifs. Arrêtés, déportés, assassinés parce étaient juifs, parce qu’ils étaient la vie.
François Mauriac écrivait : « Le seul spectacle de ces agneaux arrachés aux bras de leur mère dépassait tout ce que nous avions cru possible. » Alors, pour toute cette infamie, y a-t-il un responsable ? Cela serait tellement réconfortant pour nos consciences et pour notre confiance en l’Homme. Non, il n’y a pas un responsable, mais des responsables. Des responsables, il y en a des milliers. Des Français ont dénoncé des Français. Des Français ont dénoncé les enfants de la Martellière. Des Français ont torturé d’autres Français. Des miliciens Français ont arrêté les enfants de la Martellière. Des Français ont assassinés des Français. Un État français a accepté tout cela et l’a même, parfois, encouragé.
Hommage aux 80 parlementaires, aux résistants et aux patriotes
Souvenons-nous ici du courage et de la lucidité des quatre-vingts parlementaires qui, le 10 juillet 1940, ont refusé à Pétain les pleins pouvoirs. Ils avaient compris. Mais, en contrepoint de ceux qui prêtaient la main à l’idéologie nazie raciste, antisémite, xénophobe, intolérante, totalitaire, fasciste, il y en avait d’autres, heureusement ! D’autres qui étaient là pour sauver l’honneur d’une Nation, pour relever les valeurs de la République. Je veux rendre hommage à ces justes, méconnus malgré leur héroïsme. Eux, dans la tourmente, disaient faire simplement leur devoir. Ils méritent notre respect et notre reconnaissance.
Je pense, bien sûr, au rabbin Chneerson qui s’occupait notamment des enfants de la Martellière. Je pense aussi à ceux qui, non loin de Voiron, un peu plus au Nord, aidaient des Juifs à fuir vers la Suisse, ultime refuge, ultime espérance. Refuge que justement les enfants de Voiron avaient l’espoir d’atteindre. Je pense aux résistants, à tous les patriotes qui ont fait œuvre de courage, d’abnégation et de solidarité.
Devoir de mémoire
Cinquante-trois ans plus tard, aujourd’hui, les visages de ces enfants tournés vers nos consciences nous dictent le devoir de mémoire. Notre devoir républicain, notre devoir civique, notre devoir d’homme tout simplement est de rappeler ici, d’ailleurs partout, ce qui s’est passé réellement. Pour que jamais, alors que certains sont tentés de le faire, on n’ose attenter à la vérité historique. Cette vérité, on la doit aux enfants de la Martellière. Car, comme l’a dit Elie Wiesel : « Oublier c’est se choisir complice ». Or, pour nous, voici revenu le temps de la mémoire.