Texte intégral
Le climat a déjà connu de fortes variations par le passé, liées à la position de la planète par rapport au soleil. La France a traversé des épisodes tropicaux et des périodes glaciaires qui ont bouleversé la nature et les conditions de vie. De tels contrastes climatiques correspondent à des différences de température assez réduites : quelques degrés seulement. Il faut donc s’attendre à de profonds changements si la surface de la Terre se réchauffe de deux à trois degrés.
Nous venons de vivre les sept années les plus chaudes du siècle dans la dernière décennie et l’année 1997 l’emporte sur toutes les autres ! Le rythme du changement inquiète les spécialistes encore plus que son degré. Jadis la nature avait le temps de s’adapter car l’évolution s’étalait sur des siècles, voire des millénaires. Aujourd’hui, la planète risque un véritable choc thermique si la pollution se poursuit, et les gaz incriminés ont une durée de vie de l’ordre du siècle et continuent de s’accumuler.
L’une des manifestations les plus spectaculaires du réchauffement serait la montée des eaux. La mer se dilaterait et mordrait sur les zones côtières les plus exposées. La Camargue perdrait quelques kilomètres carrés. Les grandes marées atteindraient des niveaux records, surtout accompagnées de basses pressions et de vents soufflant vers l’intérieur des terres. Les digues protégeant les polders pourraient être submergées. Déjà le trait de côte a reculé depuis la Seconde Guerre mondiale. On le remarque aux blockhaus allemands écroulés sur les plages, le long des Landes.
Certaines espèces d’arbres reculeraient de 400 km
Les tempêtes seraient plus violentes, à cause des échanges d’énergie plus intenses à la surface du globe. L’ouragan de 1987, qui dévasta l’ouest de la France, déracinant des milliers d’arbres, serait peut-être le premier d’une série. C’est pourquoi les compagnies d’assurances commencent à émettre des réserves sur l’indemnisation des calamités naturelles. Elles sont parmi les premières entreprises à presser les gouvernements d’agir. Déjà le nombre d’ouragans tropicaux et la fréquence de leur remontée au nord se sont accrus dans les vingt dernières années.
Le régime des pluies pourrait être fortement perturbé. Alors que la pluviosité était relativement régulière dans notre pays, nous avons subi récemment des années de sécheresse inhabituelles qui ont conduit à des restrictions pendant l’été. La remontée des températures vers le nord transporterait le climat du Sahara en Espagne, et celui de l’Espagne en France. Les manques de ressources en eau pourraient provoquer des conflits entre les usagers et susciter une course à l’eau souterraine. Le prix de l’eau augmenterait encore. Tous nos systèmes d’évacuation devraient être revus pour infiltrer les eaux dans le sol au lieu de les rejeter en rivière.
Un sol plus sec absorbe mal la pluie. C’est pourquoi des précipitations abondantes, mais irrégulières, pourraient provoquer des inondations dévastatrices. Les scientifiques craignent que le réchauffement se traduise par des écarts plus intenses entre les extrêmes, une météo plus accidentée. La France serait soumise à un climat plus brutal : le mot « tempéré » disparaîtrait des livres de géographie.
Les étés seraient donc plus arides, ce qui créerait des difficultés pour les cultures. Dans le Midi, il faudrait développer l’irrigation et redoubler d’attention contre les incendies de forêts, qui pourraient devenir dramatiques. Ailleurs, c’est l’herbe qui pourrait pâtir de la sécheresse, l’élevage en serait menacé. Quant aux hivers, ils seraient moins froids en moyenne, et plus humides vers le nord de l’Europe. À première vue, on pourrait s’en réjouir. Les jardiniers planteraient des oliviers. Des perspectives nouvelles s’ouvriraient à l’agriculture. Mais la douceur des températures laisserait pulluler les parasites et s’opposerait à la germination des plantes qui ont besoin d’un coup de gel pour se mettre en route. La neige sera plus rare. Les stations de sports d’hiver de basse altitude auraient de grandes difficultés, et nos enfants ne connaîtraient que rarement les joies de la neige.
La nature serait évidemment affectée. Les hêtres reculeraient vers le nord, les résineux dépériraient. Dans l’ensemble, les espèces allergiques à la chaleur se replieraient d’environ 400 kilomètres, laissant la place à des essences plus méditerranéennes. Les oiseaux bénéficieraient davantage dans notre pays, les cigognes ne partiraient peut-être plus. Mais beaucoup d’animaux souffriraient de la sécheresse et pourraient se raréfier. Les salmonidés et les poissons d’eau froide, les plus appréciés des gastronomes, pourraient fuir nos rivières tandis que la chaleur et l’ensoleillement réagiraient avec l’excès de phosphates dans nos cours d’eau pour provoquer des explosions d’algues sur nos lacs et nos rivages. L’une des menaces les plus préoccupantes serait la progression des maladies tropicales. La zone de transmission du paludisme s’étendrait largement vers le nord. Tout vieux bidon, toute flaque dans un plastique traînant à terre se transformeraient en nids à moustiques.
Au cœur des grandes villes, la température est généralement supérieure à celle des environs. Les jours de gêne augmenteraient, les pics de pollution par l’ozone se multiplieraient, forçant les autorités à prendre des mesures plus contraignantes contre la circulation automobile. Les bureaux s’équiperaient de climatiseurs qui augmenteraient le bruit et aggraveraient la pollution en laissant fuir les gaz frigorigènes.
Ces prévisions sont moins catastrophiques que les perspectives d’engloutissement pur et simple promises à certaines îles et zones côtières du monde. Mais il subsiste une incertitude majeure pour l’Europe : le sort du Golf Stream. Ce grand courant d’eau tiède maintient le vieux continent hors gel. Les hausses de température attendues sont estimées à partir de la situation actuelle, donc ajoutées à celle qui sont données par la chaleur du Golf Stream. Mais les scientifiques ont découvert qu’il pouvait s’interrompre sous l’action d’une grande quantité d’eau douce à la surface de l’océan, vers l’embouchure du Saint-Laurent. Or le réchauffement pourrait produire cet effet, soit que les glaces du bouclier arctique se mettent à fondre, soit que les pluies diluviennes arrosent l’Atlantique Nord. Dès lors, l’Europe se refroidirait au contraire et la France connaîtrait le climat de Québec plutôt que celui de l’Espagne.
Le réchauffement du climat crée donc un risque considérable. Mais tout changement de direction dans les affaires humaines est également porteur de risques, économiques et politiques. C’est pourquoi les Gouvernements hésitent. Ils préfèrent reporter les décisions, ou s’en tenir à des mesures légères. Quand vous sentez une odeur de brûlé dans votre département, vous ne vous précipitez pas tout de suite sur une lance à incendie pour noyer vos meubles sous une trombe d’eau. Vos commencez par comprendre ce qui se passe, vous allez éteindre le gaz ou retirer la prise. Le réchauffement, c’est pareil. Il faut agir par étapes. Ainsi parlent les officiels.
L’énergie nucléaire est celle qui pollue le moins
Ces États ont réduit le recours aux combustibles fossiles pour leur approvisionnement en énergie, limitant d’autant leurs émissions de gaz carbonique. C’est le cas de la Suisse, de la Norvège, de la Suède, qui ont la chance de bénéficier de grandes ressources hydroélectriques. La France et le Japon sont également parmi les pays les moins polluants grâce à l’énergie nucléaire. C’est un constat qui agace les antinucléaires, mais on voit mal comment les éoliennes et les capteurs solaires suffiraient à remplacer le charbon et le pétrole. Le gaz naturel est aujourd’hui à la mode parce que sa combustion libère deux fois moins de gaz carbonique que celle du charbon, mais le gaz naturel est lui-même un gaz à effet de serre plus agressif que le gaz carbonique. Les fuites de méthane contribuent au réchauffement. C’est pourquoi l’énergie nucléaire peut opérer un retour dans le monde si les producteurs d’électricité lui imposent de se réformer, par exemple de s’organiser à l’échelle internationale, de couper tout lien avec les militaires et d’améliorer ses performances en matière de sécurité et de déchets. L’électricité a d’ailleurs une responsabilité particulière. Son usage est propre, mais sa production consomme plus de la moitié du charbon mondial. Or, il est relativement facile de substituer une source d’énergie à une autre dans la production d’électricité. C’est plus rapide, en tout cas, que de modifier l’urbanisme et les transports, de remplacer le pétrole dans les véhicules et de construire des maisons solaires.
Les débats de Kyoto dureront, en réalité, de longues années. Les peuples ne se lanceront pas sans hésitations dans des programmes contraignants d’économies d’énergie ou de remplacement des combustibles fossiles. Ils prendront le temps de bâtir des institutions qui ressembleraient à un État mondial. Mais, de conférence en conférence, les habitudes se prennent, un vocabulaire se crée, des métiers apparaissent, les spécialistes apprennent à se connaître. Les affaires planétaires se constituent lentement comme un domaine nouveau de l’action publique.
Les associations sont en avance sur les États. La veille de l’arrivée du vice-président Gore, les étudiants de Kyoto ont organisé une grande manifestation. À la japonaise, en respectant les feux rouges, en pliant des milliers de petits papiers, mais pour tous les Terriens. Et pour montrer qu’ils défendaient tous les peuples, ils avaient pris soin de coller sur leur front de petits drapeaux tricolores !