Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, dans "Le Figaro" du 4 août 1999, sur le scoutisme, la fermeture de camps scouts présentant des dérives sectaires, et les dangers engendrés par certaines associations utilisant le label "scout" sans en développer les valeurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro. – Est-ce le spectre d'un nouveau drame, comme celui de Perros-Guirec, qui motive la mobilisation de votre ministère pour le contrôle des camps scouts cet été ?

Marie George Buffet. – Je m'étais intéressée, de façon positive, aux mouvements scouts dès 1997, notamment pour l'élaboration d'un nouveau texte réglementaire concernant l'organisation des camps. Puis le drame de Perros-Guirec s'est produit. Il a mis en lumière les activités de groupes qui se réclament du scoutisme, mais qui, hélas, ne présentent pas de garanties suffisantes pour les enfants. Nous avons trouvé près de 80 organisations, regroupant parfois moins de 100 personnes, où l'encadrement est confié à des gens non qualifiés et dont les projets pédagogiques sont contestables. J'ai donc demandé à mon administration et aux préfets qu'ils soient particulièrement vigilants.

Le Figaro. – Vous semblez particulièrement attentive à traquer les camps non déclarés : pourquoi ?

– Ce sont ceux qui présentent le plus de risques. Le dernier exemple en date est celui du groupe de La Rochejaquelein, en Gironde, pseudo-association dont le directeur était interdit d'encadrement. Nous avions là réunies toutes les conditions de risque, voire de maltraitance pour les enfants.

Le Figaro. – Comment ce camp a-t-il pu disparaître dans la nature ?

– Comme ces camps ne sont pas déclarés, il est très difficile de les surveiller. Concernant le groupe de La Rochejaquelein, c'est grâce à la plainte d'une grand-mère inquiète pour son petit-fils que nous avons pu effectuer un contrôle et porter plainte. Autre exemple : pour le camp des cadets liés au Front national, la déclaration d'accueil des mineurs n'avait pas été faite.

Le Figaro. – À ce jour, combien de sites ont-ils été fermés ?

– Huit centres ou camps, dont deux sont tenus par des associations qui n'ont rien à voir avec le scoutisme.

Le Figaro. – D'autres sont-ils dans le collimateur ?

– Non. Mais nous resterons attentifs pendant le mois d'août. Ainsi, nous savons que l'association dont étaient membres les victimes de Perros-Guirec a installé de nouveau des camps, notamment dans l'Indre. Au mois de juillet, nous n'avons rien constaté au plan réglementaire, mais il est de notre devoir de rester vigilants.

Le Figaro. – Certains vous reprochent de vous en prendre essentiellement aux groupe proches du mouvement catholique traditionaliste ou de l'extrême droite et de mener une chasse aux sorcières…

– Ce n'est pas de ma faute si l'association impliquée dans le drame de Perros-Guirec est proche des intégristes, ni si la prétendue association de La Rochejaquelein l'est également ! Mais ce n'est pas le seul problème. J'ai fait en sorte que des jeunes Français ne puissent pas participer au rassemblement d'une secte allemande. Et deux centres d'organismes laïcs ont été fermés pour des raisons de pure sécurité. Mon souci n'est pas idéologique. Les parents choisissent de mettre leurs enfants où ils le désirent. Mais à condition qu'ils soient en sécurité et ne soient pas trompés par des associations qui utilisent le label « scout » sans en développer les valeurs.

Le Figaro. – Certaines pourrait être interdites ?

– La loi m'autorise à dissoudre une association. Cela dit, il existe toute une série de moyens intermédiaires, comme le retrait des subventions ou de l'agrément, sachant qu'il est difficile de réunir les preuves nécessaires pour obtenir la dissolution. Nous sommes, par exemple, en litige avec l'association l'Office culturel de Cluny, dont l'agrément a été retiré par mon prédécesseur en raison de dérives sectaires. Nous nous sommes battus devant les tribunaux, sans succès jusqu'à présent. L'affaire est aujourd'hui en appel.

Le Figaro. – Le retrait d'agrément, c'est ce que risquent les scouts d'Europe, suite à l'utilisation d'un fichier pour l'envoi de documents racistes…

– Oui, mais soyons très prudents. Nous avons demandé une inspection administrative. Après cette enquête, qui doit se terminer fin septembre, une commission donnera un avis. Attendons. Comme dans le combat contre le dopage, je suis très attachée à la présomption d'innocence.

Le Figaro. – La philosophie « boy-scout » n'est-elle pas dépassée à l'entrée du IIIe millénaire ?

– Vous savez, cela a bien changé ! J'étais la semaine dernière au jamboree des guides, à Aurillac, et je peux vous dire que ces mouvements ont su évoluer. Les filles ont chacune leur personnalité et elles prennent des initiatives.

Le Figaro. – Le scoutisme est-il un bon système pour l'éducation au civisme et à la citoyenneté ?

– C'est l'un des outils, avec la vie associative, syndicale et politique. Le scoutisme est à part. Il le revendique. Mais il a un rôle positif à jouer.