Texte intégral
Q - Les salariés Michelin manifestent aujourd'hui contre le plan social qui les frappe. Si vous étiez à Clermont, seriez-vous aux côtés des Bib ?
- « Certainement. »
Q - Ils ont des raisons d'être dans la rue, les Bib ?
- « Il y a un rapport de force déséquilibré entre les apporteurs de travail et les apporteurs de capitaux. Aujourd'hui, un certain nombre d'entreprises, ne pense qu'à servir des dividendes extrêmement importants pour faire monter les cours de la Bourse. Et les travailleurs se trouvent "largués", ont le sentiment d'être largués. »
Q - Est-ce qu'il faut contrôler et pénaliser les licenciements collectifs à votre avis ?
- « C'est une décision qui n'est pas dans mes attributions, mais il y a sûrement une attitude de l’État qui doit tenir compte de la manière dont un certain nombre de grandes entreprises considèrent le social. »
Q - Vous manifesteriez parce que le Premier ministre a encouragé à faire pression contre les 7 500 suppressions d'emplois, parce que vous pensez que c'est le rôle des uns et des autres d'être dans la rue parce qu'il y a des mesures de cette nature qui sont prises par des entreprises privées ?
- « Le Premier ministre a dit que le Gouvernement ne peut pas tout, en tout cas il ne peut pas exercer son rôle d'arbitre si l'un des camps s'absente. Par conséquent, il est normal que le monde du travail s'exprime. »
Q - Avez-vous le sentiment d'être dans le Gouvernement d'une gauche qui a viré sa cuti libérale ?
- « Moi, je n'ai pas viré ma cuti libérale parce que je reste un Républicain. Disons que je prétends influencer le Gouvernement dans la mesure des moyens qui sont les miens, de l'écho que je rencontre. »
Q - C'est-à-dire que vous ne pesez pas lourd ou que vous pesez ?
- « Je pèse ! »
Q - Suffisamment ?
- « Jamais ! »
Q - La Corse : les attentats reprennent. Armata Corsa revendique ce matin cinq attentats contre la DDE. A Bastia, 20 kilos d'explosifs ont été désamorcés de justesse grâce à une maman alertée par des enfants. Le crime rôde partout. Le FLNC-Canal historique revendique 4 attentats qui ciblaient surtout des bâtiments publics. Est-ce que la réponse reste la loi et la fermeté ?
- « La réponse reste la loi et la fermeté. On voit des groupes concurrents qui essayent de s'affirmer sur la scène politique corse à coups de plastiquages, ou qui font en sorte qu'un malheureux agriculteur breton qui voulait s'installer en Corse, voie sa ferme incendiée. Si ce n'est pas la définition d'un nationalisme ethnique, je demande, ce, que c'est ! On ne peut pas lutter contre le nationalisme ethnique dans les Balkans et en même temps s'en accommoder sur le sol de la France. Je crois qu'il ne faut pas grossir un certain nombre d'événements qui ressortissent de tactiques ou de stratégies d'arrière-boutiques nationalistes concurrentes. Mais, je crois qu'il faut rappeler qu'il y une ligne politique : c'est celle qui a été définie parfaitement par le Premier ministre lors de son dernier voyage. C'est, cette ligne-là qui sera appliquée. Rien ne nous en fera dévier. »
Q - C'est-à-dire l'arrêt de la violence comme préalable à toute évolution institutionnelle. Est-ce qu'aujourd'hui, vous n'avez pas le sentiment qu'il y a intérêt à inverser, ou accélérer le changement de statut ?
- « Certainement pas. Tous ceux qui l'on fait s'en sont mordus les doigts, donc avant nous. Par conséquent, il faut maintenir, le préalable de la renonciation à la violence pour que l'on puisse aborder d'autres sujets, si ces sujets se posent véritablement. »
Q - Vous vous dites que vous avez bienfait de ne pas avoir accompagné le Premier ministre en Corse.
- « Le Premier ministre ne me demande pas de l'accompagner partout où il va. Il est allé à Saint-Nazaire inaugurer un paquebot, je n'étais pas à ses côtés... »
Q - Actuellement, il est aux Nations unies. Mais, là, cela, dépendait de votre « territoire » ?
- « Mais non ! La Corse dépend de tout le Gouvernement. C'est la première chose que j'ai dite quand je m'y suis rendu en juillet 97 : il n'y a pas de Monsieur Corse au Gouvernement. Par conséquent, cela ne me fait ni chaud ni froid de ne pas être avec le Premier ministre. Je considère qu'au contraire il était bon que le Premier ministre affirme lui-même ce qui est la ligne de tout le Gouvernement. »
Q - Aucun élu corse, et surtout pas les nationalistes, n'a condamné les violences actuelles. Cela vous choque ou cela vous semble-t-il normal étant donné ce que sont ces Corses-là ?
- « Si, si, E. Zuccarelli a condamné très fermement. Il y a une motion votée à l'Assemblée de Corse condamnant la violence. Mais cela ne suffit pas, il faut la condamner au quotidien. »
Q - Vous étiez six ministres à célébrer hier votre idée, lancée il y a, deux ans, de Conseils locaux de sécurité - les CLS. Ce matin, loin, du tam-tam officiel, est-ce les CLS font vraiment baisser l'insécurité en France ?
- « Il est sans doute trop tôt pour en juger puisque 300 à peine sont signés, 430 sont en cours d'élaboration. Mais nous avons là un très bon outil qui met ensemble autour d'une table tous les acteurs de la sécurité, qui joue, un rôle essentiel dans la prévention - la prévention, il faut la développer autant que possible - et qui permet aussi une répression mieux ciblée. La répression est toujours nécessaire pour marquer qu'il y a des règles, pour rappeler que nous ne vivons pas dans une société de sauvages. Par conséquent, ces CLS sont très utiles. Ils sont très utiles à la police, notamment à la police de proximité parce qu'ils fournissent un outil permettant de travailler avec le responsable d'établissement scolaire, les bailleurs sociaux, les compagnies de transport en commun, les collectivités locales. Et ça, c'est absolument fondamental ! »
Q - Qu'est-ce qui fait défaut, qu'est-ce qui manque, qu'est-ce qui est trop lent, qu'est-ce qui freine ?
- « Ce qui est trop lent, c'est la prise de conscience qu'il n'y a pas de société démocratique sans sécurité. Par conséquent, ce qui fait défaut, c'est la citoyenneté. Mais la philosophie de base des CLS c'est la citoyenneté. Ce qui permet à chacun d'apporter son point de vue : les transports en commun raisonnent par ligne ; les élus locaux par communes ; la police par circonscription ; les juges par ressort ; ils se mettent autour d'une table et ils définissent des fiches "Action" à partir d'un diagnostic. Et ensuite il faut qu’il y ait un suivi, une évaluation régulière. »
Q - Vous aviez promis d'étendre la police de proximité à tout le territoire au début de l'an 2000. Est-ce que vous tiendrez votre promesse ?
- « Bien entendu ! Il y a actuellement 64 expérimentations concernant 350 000 habitants, et je vois que là où c'est expérimenté cela se fait avec succès. Je sens aussi une mobilisation des policiers ; par exemple, à Beauvais, dans la Seine-Saint-Denis, nous avons abordé des cas concrets. Les policiers apprécient la responsabilisation, l'extension de compétences que ça leur donne, l'enrichissement de leur travail qui les met au contact de la population. »
Q - La justice suit aussi ?
- « La justice suit. Évidemment, la mobilisation est inégale. Mais Mme Guigou été extrêmement ferme pour demander aux procureurs mais même aux magistrats du siège de s'impliquer. »
Q - Au fond, les meilleurs alliés de la sécurité sont la croissance, des entreprises dynamiques et surtout l'emploi ?
- « Disons que si le chômage recule, cela ne peut que favoriser notre travail mais cela ne suffit pas. Je crois que la sécurité passe par une prise de conscience de chacun de son rôle. On ne peut pas mettre un policier derrière chaque Français. »
Q - Paris : la presse s'interroge sur le calendrier électoral qui place, vous le savez mieux que nous, les législatives quelques semaines avant la présidentielle en 2002. Qui peut décider de modifier ce calendrier ?
- « Seul, le Président de la République. »
Q - Sur proposition de qui ?
- « A mon avis, tout seul, s'agissant de la dissolution. S'il veut dissoudre une nouvelle fois, il peut le faire. S'il veut anticiper l'élection présidentielle, il peut le faire bien évidemment en écourtant son mandat. »
Q - Est-ce qu'à votre avis, ministre de l'Intérieur, il est préférable que le calendrier soit inversé ?
- « Ce n'est pas à proprement parler ma préférence. Si les législatives se déroulent si près des présidentielles que le calendrier le prévoit, les présidentielles ne manqueront pas d'avoir une influence sur les législatives. Les législatives seront sous l'influence des présidentielles. »
Q - Dans un Gouvernement de cohabitation, que peut et que dit le ministre de l'Intérieur pour la circonstance ?
- « Rien. »
Q - L. Jospin rencontre aujourd'hui à New York le Président Bouteflika, pour la première fois. C'est important. Vous êtes le seul ministre, avec H. Védrine, à l'avoir rencontré à Alger. Est-ce qu'on peut faire confiance à Bouteflika ?
- « Je pense que, Bouteflika est un homme d’État. C'est un homme qui a une grande expérience : dix-sept ans ministre des Affaires étrangères de l'Algérie. C'est donc, pour parler vulgairement, un gros gabarit. Je dirais que c'est un homme d’État, et l'Algérie, quand on y réfléchit, a besoin d'un État, parce que c'est un pays jeune, c'est un pays difficile, c'est un pays compartimenté, c'est un pays à l'identité qui, à certains égards, se cherche encore. Il faut, par conséquent pour qu'il y ait un État, qu'il y ait un chef d’État. »
Q - Après les résultats du référendum, est-ce qu'il n'aura pas la tentation de l'exercice solitaire et absolu du pouvoir ?
- « Pour le moment, on en n'est pas là. Je dirais que quelques jours avant le référendum, on se demandait s'il allait gagner son pari. Eh bien, je crois qu'il l'a gagné, il a affirmé sa légitimité. C'est une chance pour l'Algérie qui est un pays ami, dont l'avenir nous importe au plus haut point, et j'ajoute que pour moi, comme ministre de l'Intérieur, je formule des voeux pour que l'Algérie redevienne un pays stable et bien entendu moderne. »
Q - Est-ce que cela veut dire qu'à une Algérie réconciliée répondent en France des banlieues plus calmes et plus confiantes ?
- « Il n'y a pas de rapport direct. Non, je crois que le problème n'est pas là. De toute façon, les jeunes qui habitent nos banlieues sont pour la plupart des Français et je crois que notre défi à nous, que nous devons relever, c’est de faire en sorte qu'ils soient traités comme des Français, comme des citoyens, qu'on leur ouvre grandes les portes de l'avenir. C'est l'objet de la politique d'accès à la citoyenneté que je conduis à travers des commissions d'accès à, la citoyenneté qui ont été mises en place depuis le début de l'année dans tous les départements. »
Q - Merci d'être venu. Vous allez bien, J.-P. Chevènement ?
- « Moi je vais parfaitement bien, oui, surtout quand je viens vous voir. »